Chapitre 7 – S'évader

« ... elle s'installa sur le sol et ne put retenir une vague de larmes avant de s'endormir. »

Sans surprise, le sommeil de la soldate ne fut guère réparateur. Une fois de plus, ses pires angoisses s'étaient manifestées dans ses songes, la faisant se réveiller dans les cris à plusieurs reprises, haletante. A cela s'ajoutait l'inconfort et le froid glacial de la nuit en forêt. Le sol était irrégulier, jonché de pierres et de racines. La mousse créait un tapis humide et froid. Le tout abritait mille et une bestioles, toutes prêtes à parcourir la peau de la jeune brune.
Elle tremblait vigoureusement et se demandait si elle n'allait pas littéralement mourir de froid.

Son imagination l'avait déjà confrontée à beaucoup de scènes terribles pendant les nuits précédentes, mais cette nuit là fut particulièrement désagréable.
Le pire de tous fut le dernier de ses cauchemars : Eren étaient retenu prisonnier par l'armée Mahr dans une pièce sombre, humide, lugubre, et se faisait torturer avec une violence inouïe. Il avait les mains ligotées au dessus de la tête, suspendues à une chaîne descendant du plafond. Des instruments servant à infliger les pires douleurs étaient exposés sur une table. Le torse nu du prisonnier portait les marques des coups qu'il avait déjà reçu. Par ailleurs, lorsqu'il se retourna vers elle avec un regard plein d'arrogance, Mikasa pu constater que le tortionnaire de son frère n'était autre que le Caporal-chef Livaï. Il la regarda droit dans les yeux avant de porter une nouvelle salve de coups de poings et pieds sur le corps meurtri d'Eren.

Elle se trouvait dans la même pièce qu'eux et assistait à la séance à quelques mètres à peine. Elle était néanmoins incapable de se déplacer, incapable de parler, incapable de les stopper. Elle essayait de hurler mais aucun son ne sortait de sa bouche. Elle essayait de courir vers eux, mais ses pieds étaient comme coulés dans du béton. Son corps entier était paralysé. Elle ne pouvait qu'observer le Caporal rouer de coups son prisonnier, totalement impuissante et désespérée.

Arrêtez ! Je vous en supplie Caporal!

Elle entendait sa propre voix résonner à l'intérieur de sa tête, mais rien n'y faisait. Le Caporal s'acharnait, un sourire malsain accroché à ses lèvres, tandis qu'Eren semblait être à bout de force. Leur supérieur semblait prendre plaisir à lui faire du mal. Des larmes se mirent à couler le long des joues de la jeune femme lorsque le sang commença à s'échapper des lèvres du soldat-titan. Mikasa avait l'impression de mourir, toutes les fibres de son corps la faisaient souffrir, son sang était bouillant dans ses veines. Chaque coup que Eren recevait résonnait à travers le corps de la soldate.

Alors que le Caporal s'apprêtait à porter le coup fatal, Mikasa se réveilla en poussant un hurlement qui sembla lui déchirer la poitrine et résonna à travers la forêt. Il lui fallut plusieurs minutes pour calmer la crise de larmes et les spasmes qui l'assaillaient. Les images de son cauchemar revenaient en flashs devant ses yeux. Elle dû faire preuve de beaucoup de force pour réussir à s'en détacher. Elle resta ensuite immobile, les jambes recroquevillées entre ses bras et la tête posée sur ses genoux, jusqu'aux premières lueurs du levé du jour. Elle ne souhaitait absolument pas se rendormir.

Elle chercha à comprendre se qu'elle avait vu : pourquoi son esprit avait-il choisi le visage du Caporal pour représenter celui qui la faisait le plus souffrir ? Avait-il pris une place si importante dans sa vie pour que même son subconscient ne puisse plus se passer de lui ?

Tu délires ma pauvre... songea-t-elle.

Afin de dérouiller son corps endolori par cette affreuse nuit et également d'évacuer de son esprit toutes ses horreurs, elle se leva et se mit à courir. Au fur et à mesure de son footing, ses foulées se régularisèrent, son rythme cardiaque se stabilisa, elle réussit à maitriser son souffle et ses pensées. Elle ne se concentrait que sur une seule chose : le chemin qu'elle empruntait.

Au bout d'une heure environ, la dopamine libérée par son cerveau avait envahie son corps, elle se sentit bien. Elle était comme dans une bulle, hors du temps, de l'espace, de la réalité. Ses angoisses avaient enfin été mises en sourdines et elle arrivait à faire abstraction des douleurs physiques. Elle essaya donc de profiter au maximum de l'instant, de l'air vivifiant, du chant des oiseaux, etc...

Évidemment, cette sensation ne fut qu'éphémère. Elle n'avait aucune idée du temps qu'elle avait passé à courir, mais la réalité la rattrapa subitement. En effet, des crampes lui saisirent les jambes et la douleur la foudroya sur place. Elle s'écroula au sol sans même qu'elle n'ait le temps de comprendre ce qui lui arrivait. Elle s'ouvrit légèrement la lèvre en heurtant le sol et sentit le goût métallique de son sang inonder sa bouche. Elle essaya de se relever mais en fut totalement incapable. Tout ce qu'elle put faire fut de rouler sur le dos avant de se relever difficilement en position assise après quelques minutes. Adossée à un arbre, elle put alors constater qu'elle s'était également écorché les paumes et les genoux, déchirant au passage son pantalon.

Elle demeura ainsi plusieurs heures, sans bouger, sans même réellement penser. Elle était épuisée, frustrée, énervée, dégoûtée, démunie. Elle se sentait aussi ridicule et profondément vulnérable.

Les gargouillements violents de son ventre la sortie de son état second :

Depuis combien est-ce que tu n'as pas mangé ? Pas étonnant que tu t'effondres comme une fillette fragile. Non, pas une fillette, une "gamine". Regarde-toi !

Elle fit glisser ses mains le long de ses jambes, sur son buste, puis sur son visage. Elle se trouvait maigre, squelettique même. Elle souleva son haut, son corps était peut-être musclé grâce à l'entrainement intensif de ces dernières années, mais on pouvait quand même voir qu'elle aurait dû être plus épaisse. Sa peau quant à elle était vraiment très pâle.

Un vrai cadavre...

Les mots de son Caporal lors de sa première visite dans la salle d'entrainement lui revinrent en tête "T'as une sale gueule Ackerman". Et il n'avait pas tort, elle faisait peine à voir, ainsi tremblante contre son arbre.

Il perd son temps avec moi, c'est pour ça qu'il m'a envoyé paître hier soir. Il a réalisé que je ne lui était plus d'aucune utilité. Il y a des dizaines de nouvelles recrues à former, je ne suis qu'un gâchis de son énergie. Je n'en vaut pas la peine.

Elle avait attendu la tombée de la nuit pour regagner la caserne, jugeant cela plus prudent. Elle se doutait bien que son absence avait due être remarquée par certains, mais elle ne voulait pas pour autant y être confrontée dès son retour. Le chemin fut difficile, elle avait beaucoup trop forcé sur son corps et il le lui manifestait douloureusement. Escalader la grille fut le pire, elle n'y arriva qu'à la troisième tentative.

Cet exercice avait fini d'épuiser ses forces et elle ne se sentait pas capable de continuer. Fort heureusement pour elle, elle se trouvait juste à côté de la fontaine. Elle tituba sur les quelques mètres qui l'en séparait et s'écroula sur le rebord en pierre. Il était glacé, tout comme l'eau qu'elle se mit à effleurer du bout des doigts, mais ça n'avait aucune importance. Elle laissa son regard se perdre dans les étoiles alors qu'elle se sentait très légèrement partir au loin.