Chapitre 8 – In extremis
Au petit matin, un groupe de trois jeunes soldats en route pour le marché en ville afin d'approvisionner la cuisine avant le petit déjeuner. Mais, en sortant dans la cour, ils trouvèrent Mikasa sur le rebord de la fontaine. Elle était totalement immobile et son bras gauche avait coulé dans l'eau. En s'approchant, ils purent constater que les lèvres de la jeune femme étaient violettes et qu'elle respirait à peine. Rapidement, ils la saisirent aux aisselles et chevilles afin de la porter à la Major Hansi à l'infirmerie. Fort heureusement, comme il était encore très tôt, ils ne croisèrent personne dans les couloirs et purent avancer rapidement.
Lorsqu'ils débarquèrent avec la soldate inconsciente, la scientifique écarquilla les yeux de stupeur avant de leur ordonner de la déposer sur un lit.
Ô Mikasa, dans quel état tu t'aies mise ?
Elle tenta de cacher son inquiétude pour ne pas faire peur aux jeunes recrues, mais Hansi reconnu rapidement les signes d'hypothermie sur le corps de la brune.
Avant de les laisser partir, elle demanda aux soldats d'aller quérir le Caporal Livaï dans ses appartements. La scientifique examina la soldate : tension très faible, température corporelle à 27,5°C... Il lui fallait agir vite pour limiter les séquelles. Sa mission : préserver les fonctions vitales. Dans l'immédiat, elle posa une perfusion dans le bras de la jeune femme afin de lui injecter une solution légèrement chauffée au préalable. En addition, elle posa un tube à oxygène dans ses narines pour aider ses poumons trop fatigués pour travailler seuls.
Une fois cela fait, elle prit un peu plus de temps pour examiner les mains de la soldate, son bras droit se portait plutôt bien tandis que le gauche, qui était resté visiblement plusieurs heures dans l'eau glacée, était en piteux état. Elle appliqua un baume et un bandage dans le but de nourrir sa peau. Pour finir, la Major ôta délicatement les bottes de sa patiente, redoutant l'état dans lequel allait se trouver ses pieds. Par chance, à part quelques ampoules dues à l'effort physique, ceux-ci allaient très bien. En effet, l'équipement du bataillon d'exploration avait été conçu en prenant en compte que les militaires pouvaient avoir à partir en mission pour plusieurs jours où ils auraient probablement à dormir dans des conditions précaires. Il est donc souple, léger, mais dans des tissus qui laissent respirer la peau tout en gardant la chaleur du corps.
Le Caporal Livaï débarqua en trombe alors que la scientifique était en train de couvrir Mikasa d'une couverture de survie. Il avait un regard fou, le souffle court, et Hansi comprit qu'il était en réalité mort de trouille.
- Comment elle va ? demanda-t-il en se précipitant aux côtés de la Major.
Elle posa les mains sur les épaules de son ami et emprunta la voix la plus rassurante qu'elle put :
- Ça va aller, elle est en mauvaise état c'est sûr, mais rien que je ne puisse arranger.
Il se libéra de la prise de la soldate en un geste brusque et se tourna vers la jeune Ackerman.
- Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Des soldats l'ont trouvée dehors, inconsciente.
- Inconsciente ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a ?
- Hypothermie, principalement.
MERDE ! Hier soir, cette conne s'est endormie dehors ? Putain, si j'étais allé la voir elle serait rentrée au chaud et rien de tout ça ne serait arrivé... Quel con, mais quel con !
Il saisit à retardement les paroles de la Major :
- Comment ça principalement ?!
- Et bien... Je pense qu'elle souffre aussi d'un grand manque nutritif.
- Hein ? De quoi tu parles putain ?!
- Elle ne mange pas assez, et vu son état je dirait que ce cela fait quelques temps maintenant qu'elle ne remplit pas ses apports journaliers.
- Depuis le départ d'un certain débile de soldat-titan par exemple ?!
- Je ne peux pas l'affirmer, mais cela me semble cohérent en effet.
Il était furieux, son sang bouillonnait dans ses veines et ses mâchoires étaient si contractées que ses dents auraient pu exploser - ce qui n'échappait pas à la Major.
Jäger quand j'te retrouves j'te fais la peau !
- Elle a besoin de se reposer Livaï, mais tu pourras repasser plus tard.
Elle lui adresser un sourire timide, ne souhaitant pas lui montrer qu'elle était touchée par son attitude protectrice. Cela fit tiquer le Caporal qui grogna et repartit comme il était arrivé, faisant soupirer la Major.
Mon cher, est-ce que tu vas lutter encore longtemps contre toi-même ?...
Mikasa se réveilla dans une pièce plongée dans l'obscurité et ne reconnu pas instantanément l'infirmerie. Elle ne sentait pas beaucoup ses membres, trop endoloris, mais elle se rendait bien compte qu'on lui avait prodiguer des soins. Elle essaya de comprendre la situation mais ne se souvenait pas vraiment de comment s'était terminée la journée de la veille.
Enfin, elle remarque la présence d'une certaine tête blonde endormie à ses côtés :
- Armin...
A ces mots, le soldat se redressa d'un bond, les yeux grands ouverts de surprise.
- Mikasa ! Oh mon Dieu, tu es réveillée !
- Est... Est-ce que j'ai... dormi longtemps ?
Elle avait baissé la voix sur le mot "dormi", car vu la situation elle se doutait que ce n'était pas vraiment le terme approprié. Son ami cependant ne la corrigea pas :
- Des soldats t'ont trouvée ce matin, enfin... hier matin plutôt - il est très tard. Tu as passé la journée ici, la Major Hansi est restée presque tout le temps avec toi. Elle était très inquiète je crois.
- Et toi, depuis combien de temps es-tu à mon chevet mon pauvre Armin ?
- Je suis venu juste après le diner, c'est à ce moment là qu'on a appris. La Major nous a pris à part pour nous prévenir. Sasha est passée aussi mais elle est partie se coucher il y a quelques heures. Je... je n'ai pas pu m'y résigner.
- Tu n'étais pas obligé... Merci.
Il lui répondit par un large sourire. Il lui demanda quelques explications mais Mikasa ne souhaitait pas s'étendre sur les raisons pour lesquelles elle avait pousser son corps à l'extrême de cette manière. Elle savait que son ami pourrait comprendre sans la juger, mais elle ne voulait pas parler de Eren, de son chagrin, et encore moins de sa relation avec le Caporal car elle-même ne savait pas vraiment ce qu'elle était.
La Caporal... Elle l'avait presque oublié. Elle l'avait certainement déçu à nouveau avec cette attitude irresponsable...
Armin lui tint compagnie jusqu'à l'arrivée de la scientifique au petit matin. Celle-ci fut soulagée de voir la soldate réveillée et capable de discuter ! Elle pria Armin de les laisser afin de procéder à un nouvel examen de la jeune femme. Pour ce faire, elle avait besoin que Mikasa ôte ses vêtements et elle se doutait que les deux amis d'enfance préfèreraient tout deux ne pas être dans la même pièce à ce moment.
Une fois que tout fut passé en revue, Hansi inspira longuement. Elle devait avoir une sérieuse conversation avec la soldate mais n'y allait pas de bon cœur. Elle tira une chaise pour s'asseoir à côté du lit dans lequel Mikasa s'était installée à nouveau :
- Mikasa, je vais avoir besoin que tu me répondes honnêtement.
- Euh... d'accord madame, répondit-elle en baissant les yeux. Elle se mit à frotter nerveusement son bandage au bras gauche, signe de son mal-être.
- Pourquoi est-ce que tu ne manges plus ?
- Je mange !
- Mikasa Ackerman, ne me prend pas pour une imbécile !
Les joues de la jeune femme rougi, elle souhaitait vraiment mettre fin à cette conversation le plus rapidement possible. Plus son inconfort grandissait, plus elle tripotait son bandage.
- Pardonnez-moi Major. C'est que... je n'ai pas vraiment faim ses temps-ci. J'essaie, je vous le jure, mais la plupart du temps ça me fait plus de mal que de bien. C'est... c'est comme si mon estomac refusait de laisser pénétrer ce que j'avale.
- Je vois. Et ton sommeil, comment se porte-t-il ?
Mikasa laissa échapper un long soupir.
- Mikasa ?
- Pas très bien, madame.
- Est-ce que tu peux développer ?
Elle releva légèrement la tête afin de regarder son interlocutrice. Ses yeux étaient suppliants, elle n'aimait vraiment pas parler d'elle-même, et encore moins pour avouer des faiblesses. La Major n'appréciait pas plus que la soldate d'avoir à la forcer à parler, mais cela était nécessaire pour lui venir en aide.
- Mikasa, qu'est-ce qu'il se passe ?
- La nuit... Eren... Je... Je le vois mourir.
Elle ne put retenir ses larmes plus longtemps, ce qui brisa le cœur de sa supérieure. Elle rabaissa son regard, incapable de soutenir celui de la scientifique.
- Ça a commencé juste après son départ. C'est presque toujours pareil : il se fait arrêter, jeter en prison puis torturer. Je vois tout. Alors... comme je ne veut plus subir ça, j'essaie de ne pas trop dormir. Et puis parfois, le plus simple, c'est de ne pas dormir du tout.
- Depuis combien de temps ?
- Environ deux semaines. Je reste éveillée le plus longtemps possible, et ensuite je me réveille en hurlant.
Sa voix se brisa sur la dernière partie, se remémorant les scènes qu'elle avait rêvées. Cependant, elle sentit un peu de sa douleur s'effacer, comme si mettre des mots sur ce qu'elle vivait la guérissait.
La scientifique hocha la tête avant d'interroger la jeune femme sur un ton grave que celle-ci n'avait jamais entendu dans la voix de sa supérieure :
- Mikasa, tu as besoin d'aide. Je vais essayer de t'aider, si tu l'acceptes.
