Chapitre 9 – À cœurs ouverts

La nuit avait été compliqué, malgré les décontractants administrés par la Major Hansi, le corps tout entier de Mikasa était douloureux. De plus, ses rêves n'étaient toujours pas apaisés. Elle s'était réveillée plusieurs fois dans la peur et les tremblements. La Major était restée auprès d'elle dans le but de surveiller son état et avait pu constater la force des cauchemars qui torturaient la jeune soldate.

Vers trois heures du matin, voyant que la jeune femme était en grande peine tant physique qu'émotionnelle, elle entreprit de préparer un peu de thé pour elles deux. Elle se dit que cela détendrait sa patiente et qu'elle arriverait peut-être à la faire se confier à elle. Elle était convaincue que parler lui faire du bien, que cela exorciserait - au moins partiellement - ses démons.

Mikasa se releva en position assise tout en remerciant sa supérieure pour cette gentille attention. Elle bu quelques gorgées, ce qui lui fit du bien. Elle sentit la chaleur de la boisson se diffuser en elle, soulageant momentanément ses muscles noués. Elle ferma les yeux un instant, se remémorant la dernière fois qu'elle avait prit le thé avec quelqu'un.

- Tu souris, fit remarquer la scientifique.

Ouvrant les yeux, Mikasa sentit ses joues rougir en croisant le regard de son interlocutrice. Le visage de la Major était illuminé par son large sourire.

- Ça te plait ? Le thé ? Il est à ton goût ?

- Je... Je n'y connait pas grand chose, reconnu-t-elle. Mais, il est bon. Qu'est-ce que vous avez mis dedans ? Ça me rappelle quelque chose...

- Fleurs de jasmin.

Elle marqua une pause, plissant les yeux pour mieux examiner les réactions de la soldate. Elle ne connaissait qu'une seule personne du bataillon à préparer le thé ainsi.

Mikasa rougit de plus belle au souvenir de cette nuit si particulière avec la Caporal.
Intéressant... pensa la scientifique. Pour ne pas pousser la jeune femme dans ses retranchements, elle laissa passer l'occasion... pour l'instant. Elle changea donc de sujet, prit le temps de laisser Mikasa se détendre avant de revenir sur ce qui l'intéressait réellement.

- Livaï est venu hier. Il est arrivé en courant... déclara-t-elle le plus innocemment possible en sirotant son thé.

- Ah ?...

- Il avait n'avait pas l'air bien.

La soldate baissa les yeux, mal à l'aise.

- Il devait être furieux...

- Non. Enfin, il est toujours un peu en colère contre tout et tout le monde, railla la Major en levant les yeux au ciel. Mais... il avait surtout l'air inquiet. Sincèrement inquiet je veux dire.

- Hmm. J'imagine que j'aurai pu lui causer des problèmes avec mes bêtises, comme je fais partie de son escouade...

La Major observa la soldate qui remuait frénétiquement son thé, elle avait l'air triste et mais surtout honteuse, ce qui peina la scientifique.

- Tu sais, je connais Livy depuis un bon moment maintenant. Malgré ses airs, il a toujours montré un grand intérêt pour ses soldats, c'est certain. Et c'est normal d'ailleurs, vous êtes une escouade, il a besoin de vous autant que vous de lui, alors il faut que vous soyez au top quand vous partez en mission. Mais, malgré tout, je n'avais jamais vu cette expression sur son visage auparavant. Tu lui as fait sacrément peur Mikasa, j'en suis persuadée.

Après quelques instants, Mikasa déclara :

- Je suis vraiment fatiguée maintenant, vous... vous n'êtes pas obligée de rester.

Hansi comprit que la conversation avait gênée la jeune femme, elle quitta donc l'infirmerie pour les quelques heures qu'il restait avant le levé du jour.

Mikasa se réveillait à peine et avait la tête dans le brouillard. La pièce était silencieuse et encore sombre, il devait donc être encore tôt. Elle scruta l'aiguille plantée dans son bras droit puis suivit des yeux le tuyau jusqu'à la poche fixée au dessus de sa tête, se demandant s'il n'y avait vraiment que des nutriments là dedans ?
Elle observa ensuite son bras gauche, encore entouré de bandes. Elle avait honte d'elle-même, de ce qu'elle avait fait subir à son corps. Elle préféra fermer les yeux devant ce spectacle désolant et soupira avant de prononcer à voix haute :

- T'es vraiment trop conne ma p'vre fille...

- Ça j'te l'fais pas dire !

Elle ouvrit des yeux immenses sous la surprise, elle n'avait pas remarqué la présence du Caporal près de l'entrée. Il s'avança, son visage était fermé et son corps contracté par la colère.

- C-Caporal, qu'est-ce que...

- La ferme ! C'est moi qui parle, toi tu te contentes de répondre à mes questions et c'est tout.

Elle hésita mais referma la bouche.

- Bordel qu'est-ce que t'as foutu Ackerman !?

Elle ne répondit pas, fuyant le regard de son supérieur.

- Oï gamine, j't'ai posé une question là, donc tu réponds !

Pas de réaction.

- Bordel Ackerman, t'as faillit crever !

Il avait presque hurlé, la faisant un peu plus se rétrécir sur place. Elle aurait voulu se faire engloutir par son matelas. Elle tourna complètement la tête pour ne pas le voir.

- Regarde moi.

Pas de réaction.

- Regarde moi et assume putain !

Toujours rien.

Il se mit à faire les cents pas dans la pièce, sa démarche était si vive que ça en donnait le tournis à la jeune femme. Il parlait- non, grognait- presque plus pour lui même que pour elle tout en passant nerveusement sa main dans ses cheveux.

- Je comprend pas putain, je croyais pourtant que ça allait mieux. J-je croyais que nos entraînements te faisaient du bien.

- C'est le cas, Caporal.

Il s'immobilisa.

- Alors pourquoi me laisser te pousser physiquement comme ça ? La bigleuse m'a dit que tu étais littéralement en train de mourir de faim à force de puiser dans tes ressources.

- Je... J'ai été faible, répondit-elle timidement. Je vous ai déçu, je suis désolée Caporal.

- Putain mais ça j'en ai rien à foutre ! C'que je veux c'est qu'tu restes en vie, c'est clair ?!

- Je crois que, j'en avais besoin monsieur...

C'est alors que le Caporal bondit vers la jeune femme et saisit son menton fermement pour la forcer à plonger son regard dans le sien. Leurs visages n'étaient qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, de telle sorte que Mikasa pouvait sentir le souffle chaud du Caporal sur sa peau. Ses yeux la fusillaient, il était complètement hors de lui.

- C'est c'que tu voulais ? Tu voulais en finir, hein ?

- Non ! Bien sur que non.

La voyant grimacer de douleur, il lâcha prise et se redressa.

- Alors c'est quoi ton putain d'problème ?!

Elle hésita avant de céder, elle ne voulait pas aborder ses sentiments, surtout pas avec cet homme là, mais elle compris qu'il ne partirait pas sans avoir obtenu des réponses.

- Je ne sais plus ce que je veux, monsieur. Je n'arrive plus à y voir clair. L'armée, le Bataillon, la guerre. J'n'y comprend plus rien. J'étouffe. La Major pense que je souffre d'une forme de dépression. A cause de...

- ... de ton connard de p'tit ami, l'interrompit-il.

Elle lui jeta un regard noir.

- Mon frère n'est pas un connard !

- C'est quand même à cause de lui que t'es dans cet état, non ? Parce qu'il s'est barré sans toi. J'appelle pas ça agir en gentleman.

Elle était en colère contre lui, mais une partie d'elle voulait continuer, ça lui avait fait du bien de parler avec Hansi. Elle détourna les yeux car c'était plus simple ainsi. Elle inspira profondément avant de se lancer d'une voix monotone :

- C'est pas ça le problème, monsieur. Je... Je le vois, tout le temps. Quand je ferme les yeux, je le vois mourir. Encore et encore. C'est toujours pareil : il est là, tout près, mais je ne peux pas le sauver.

Livaï n'en revenait pas, enfin elle s'expliquait. Au fur et à mesure de sa confession, la respiration de la soldate s'intensifiait, elle avait de la peine à déglutir. Elle avait serré les poings malgré la douleur dans son bras gauche et des larmes silencieuses s'étaient mises à couler sur ses joues. Elle détestait ce moment, afficher ses faiblesses devant autrui lui était insupportable, alors devant le Caporal... Est-ce que ça servait bien à grand chose d'ailleurs, lui qui n'éprouvait jamais rien à part de la haine et du dégoût ?
Elle ferma les yeux aussi fort que possible pour lutter contre les images qui l'assaillaient. Le Caporal avait pris appuya contre la table à côté du lit et l'écoutait attentivement.

- Je hurle, je me débat. Il est torturé à mort sous mes yeux. Je veux l'aider ! Mais je suis figée, comme prise au piège dans des sables mouvants. J'essaie de toutes mes forces d'avancer, mais je suis totalement...

- ... impuissante.

Elle tiqua, la voix du Caporal n'était plus du tout colérique. Bien au contraire, il avait presque l'air triste.

- C'est ça, impuissante.

- Je sais parfaitement ce que tu ressens. Je fais les mêmes rêves que toi.

Elle ouvrit de grands yeux et fut sincèrement intriguée par l'émotion qui se dégageait de son interlocuteur. Il avait laisser son regard couler sur le sol, il avait l'air si vulnérable en cet instant, si petit. Pour la première fois depuis qu'elle le connaissait, elle éprouvait une réelle compassion envers lui : est-ce qu'il me comprend ? Elle l'interrogea après un instant :

- Est-ce que ça passe, monsieur ?

- Non, mais ça fait moins mal après un certain temps.

- Comment on fait ? Pour tenir ?

- On se concentre sur autre chose, et on attend.

Il marqua une pause puis replongea son regard dans celui de la brune. Ses yeux étaient complètement éteint, son regard lointain.

- Toi au moins tu as encore l'espoir de revoir ton frère.

Le cœur de la soldate se brisa. Ils restèrent à se regarder droit dans les yeux, silencieux, pendant un instant suspendu, puis le Caporal quitta la pièce sans prononcer un mot de plus.