Chapitre 10 – Le pacte
Malgré ses réticences, Mikasa avait dû rester plusieurs jours à l'infirmerie, sous la haute surveillance de la Major Hansi et de ses amis Armin et Sasha. Les cauchemars étaient moins intenses ces jours-ci, mais ils n'avaient pas disparus pour autant. Plusieurs fois, la Major avait tenue parole et était restée auprès de Mikasa pour lui parler et lui préparer des tasses de thé. Elle n'aimait pas être ici, et elle n'aimait pas apparaitre aussi faible devant sa supérieure, mais les discussions nocturnes avec la douce Hansi arrivaient à légèrement apaiser le cœur de la jeune brune.
La Major avait lourdement insisté sur la nécessité à ne pas précipiter les choses. Elle ne voulait pas risquer de laisser la jeune soldate sortir avant de s'assurer premièrement que ses blessures étaient guéries et secondement qu'elle avait recommencé à manger correctement.
Jean Kirschtein était passé une fois également, mais il n'était visiblement pas très à l'aise face à sa camarade alitée. Il lui avait cependant apporté des chocolats, ce que Mikasa avait trouvé étrange mais reconnu être une gentille attention. Elle n'avait cependant pas grand chose à lui dire, et lui n'osait visiblement pas lui poser trop de questions, tant et si bien que leur entrevue avait été de courte durée.
Au bout de cinq jours, elle fut enfin libérée, après avoir solennellement promis de ne plus louper un seul repas - Sasha avait accepter d'y veiller - et de revenir en entrainement collectif. Cependant, alors qu'elle avait à peine posé sa main sur la poignée de sa chambre, une voix on ne peut plus familière la héla :
- Ackerman !
Ses épaules se contractèrent et ses doigts se crispèrent sur la poignée. Le Caporal... Allait-il enfin lui faire payer pour sa bêtise, maintenant qu'elle était officiellement guérie ?
- Fais tes bagages, on se casse.
Elle se retourna et le trouva juste à côté d'elle, en tenue complète et un sac sur le dos.
- Comment ça ?
- Je t'emmène en mission spéciale. Habille-toi et prend des vêtements chauds.
- Une mission monsieur ? Puis-je savoir où ?
- En forêt !
Les sourcils de la jeune femme se froncèrent.
- Qui nous accompagne Caporal ?
- Personne ! C'est toi et moi Ackerman. Grouille-toi, on part dans trente minutes !
Il tourna les talons et se dirigea à vive allure vers la cour avant du château. Elle n'eut même pas le temps de lui quémander des explications ou renseignements supplémentaires avant qu'il ne disparaisse.
Elle resta une minute plantée là, se repassant la conversation dans la tête. Elle n'était pas certaine de comprendre ce qu'il venait de se passer.
Qu'est-ce qu'il a en tête ce fou furieux ? C'est quoi son plan, m'emmener en forêt et me trucider loin de tout le monde ?... "Toi et moi", quelle horreur !
Elle entra et commença à préparer ses affaires. Alors qu'elle passait sa tenue de soldate, un sentiment différent l'envahie : la fierté. Depuis ses premiers pas dans l'armée puis son intégration au bataillon d'exploration, cette tenue était synonyme de puissance et d'excellence. Enfiler ses bottes, resserrer les sangles, ... ces gestes devenus des automatismes étaient rassurants. Et puis, elle devait bien se l'avouer, voltiger dans les airs et découper des nuques de titans lui manquait. Elle décida donc de prendre cette "mission spéciale" du bon côté : elle allait montrer au Caporal qu'elle avait retrouvé ses moyens et qu'il pouvait compter sur elle.
En rejoignant son supérieur, elle se rendit compte qu'elle avait une boule au ventre. Plus ses pas rétrécissaient l'espace entre lui et elle, plus la panique montait et serrait sa gorge. Finalement, était-ce une si bonne idée d'accepter cette mission ? Après tout, elle sortait tout juste de l'infirmerie. Elle n'arrivait pas à déterminer si elle était impatiente ou terrorisée à l'idée de passer autant de temps seule avec le Caporal, loin du Quartier général et de toute aide extérieure possible...
- Oï gamine, t'en a mis du temps !
- Pardonnez-moi Caporal.
- En route, on a un bout d'chemin à faire.
- Monsieur ? Vous êtes sûr que c'est une bonne idée ?
Devant le soulèvement du sourcil droit de son supérieur, Mikasa sentit qu'elle devait expliciter sa pensée :
- Je ne remet pas en cause votre décision de me choisir pour cette mission, monsieur. Je me demande juste s'il n'est pas un peu tôt pour moi, compte tenu de...
- Hansi a donné son accord, l'interrompit-il, la laissant la bouche ouverte et la mine déconfite. Et si ça peut te rassurer, j'ai pas l'intension de te balancer contre un déviant de quinze mètres.
- Je... Je n'en doute pas monsieur. Si la Major est d'accord...
- Comme j'te dit, on y va !
Après une bonne demie heure à marcher sans un seul mot prononcé, le soldat le plus fort de l'armée rompit le silence :
- T'as l'air mieux Ackerman, ta gueule fait moins peur.
- Euh... merci Caporal, répondit-elle, décontenancée.
- Tss ça va, c'était un compliment, rétorqua-t-il en levant les yeux au ciel.
Et bien vous avez des efforts à faire, Caporal...
- Est-ce que je peux connaitre les objectifs de cette mission Caporal ?
- Te requinquer !
Elle s'arrêta net. En voyant les yeux écarquillés de la jeune femme et son air interrogateur, le Caporal ajouta :
- J'ai besoin que tu sois au top quand on repartira au combat. Et là...
Il la regarda de haut en bas. La soldate tenta alors de se tenir droite, digne.
- ... y'a du mieux hein, mais c'est pas encore gagné. Alors on va aller retrouver la putain d'guerrière qui est en toi. Maintenant bouge ton cul, gamine, on a pas qu'ça à faire !
Elle était toujours aussi abasourdie, mais elle s'exécuta. Le reste du chemin vers la forêt se fit dans le silence. Mikasa voulait en savoir plus, mais elle connaissait maintenant suffisamment le Caporal-chef Livaï pour savoir quand arrêter de poser des questions. Elle se concentra donc sur le paysage pour passer le temps, après tout, c'était plutôt vivifiant de sortir un peu du Quartier général après ses longues journées enfermée dans l'antre de la Major.
Alors qu'ils étaient sur le point de franchir les premiers arbres, le Caporal s'arrêta net et fit demi-tour pour faire face à Mikasa.
- OK Ackerman, que tu veuilles te l'avouer ou non, tu vas pas bien parce que t'es morte de trouille. Essaie pas de nier, je le sais, faut pas être un génie pour le comprendre. Et visiblement, t'arrives pas à te défaire de tes angoisses. T'as encore des choses à évacuer, et honnêtement t'es pas la seule.
Mikasa n'était pas habituée à ce que son supérieur prononce plus qu'une ou deux phrases d'affilé, l'entendre parler plus longuement était toujours une surprise.
Elle resta silencieuse, à la fois honteuse et soulagée. Elle n'aimait pas que ses émotions soient aussi limpides aux yeux du Caporal, mais d'une certaine manière c'était bon de savoir qu'il savait, qu'il la comprenait. De plus, ce n'était pas la première fois qu'il lui faisait comprendre qu'il partageait son ressenti et cela rassurait la jeune femme. Un peu.
En cet instant, elle eut un léger sentiment d'espoir. Elle avait l'impression qu'elle allait enfin pouvoir se libérer une fois pour toute du poids qui l'écrasait. Qu'il allait lui apporter les clés nécessaires à la résolutions de ses problèmes.
- Alors voilà, on va faire un pacte toi et moi.
Elle arqua les sourcils, plus perplexe que jamais.
- Dans cette forêt, on va oublier qui on est , OK ? A partir du moment où on franchi la lisière, y'a plus d'caporal, y'a plus d'soldats, plus d'bataillon. On met tout ça en suspend. Y'a que toi et moi, et c'est tout.
- Et qu'est-ce que ça implique ?
- Qu'on se fait confiance, et qu'on est sincères. Quand tu me parles, tu me parle pour de vrai. Il faut une bonne fois pour toute que tu te libère de ce qui t'angoisse, alors tu me dit tout, sans te retenir, et tu vas péter la gueule à tes démons internes.
- Et vous Caporal ?
- Idem, 100% franc. Oh, et appelle-moi Livaï.
La soldate était troublée, allait-elle enfin pouvoir élucider le "Mystère Livaï" ? Elle hésita une seconde, perturbée par la démarche de son supérieur.
- Et lorsqu'on aura quitté la forêt, monsieur ?
- Je redeviendrai le Caporal-chef, et tu seras à nouveau le meilleur élément de mon escouade. Et tout ce qui devra rester ici y restera.
Il tendit la main vers la brune, qui hésita avant de la serrer en signe d'accord. Le Caporal hocha la tête de satisfaction et se remit en route, pénétrant dans la forêt avec détermination.
