Chapitre 13 – Tourments
- Oï gam- Mikasa, le thé est bientôt prêt.
Elle acquiesça d'un signe de tête, encore groggy. Les effluves de la boissons se mêlaient à celles de l'herbe humide, enfermant l'esprit de la belle assoupie dans un cocon de douceur.
- Tu n'as pas fait de cauchemar cette nuit, annonça-t-il sans détourner son attention de sa préparation.
Elle ne s'en était pas rendu compte, mais c'était la vérité. Elle ne se souvenait pas de ce à quoi elle avait rêvé, mais aucun cauchemar ne l'avait réveillée en hurlant !
Au fur et à mesure qu'elle sortait de son état de somnolence, des bribes de leur conversation de cette nuit lui revenaient et s'additionnaient à d'autres paroles du Caporal. Elles trottaient dans sa tête et elle voulait vraiment en savoir davantage. Ainsi, quand le Caporal lui apporta sa tasse et s'assit en face d'elle, la soldate se releva difficilement en position assise, plongea son regard dans sa boisson fumante, prit une grande inspiration et se lança :
- Vous... Vous m'aviez dit que, comment dire ? Que vous compreniez ce que je ressens.
- Hmm, je m'souviens.
Elle hésitait mais le fait qu'il ne la coupe pas immédiatement était signe qu'il n'était pas réfractaire à la conversation. Elle décida donc d'en profiter :
- Est-ce que... Vous faisiez référence à la perte de votre mère ?
Il eut l'air surpris, comme s'il ne s'attendait pas à ça.
- Étrangement, non. Sa mort est une tragédie bien sûr, mais ce n'était pas à elle que je pensait. A l'époque, je n'ai pas eu le temps de me morfondre, j'étais trop occupé à essayer de survivre dans les bas-fonds.
Mikasa regrettait presque d'avoir posé la question tant elle était mal à l'aise d'être ainsi plongée dans l'intimité de son supérieur. Néanmoins, une partie d'elle était captivée par son récit et mourrait d'impatience d'entendre la suite. Le Caporal releva les yeux vers la brune avant de continuer :
- Furlan et Isabel.
Mikasa n'osait pas répondre, de peur de tout gâcher par une question déplacée ou une remarque stupide. Le ton du Caporal était très neutre et son visage inexpressif, à l'exception de sa mâchoire qui - si on regardait bien - était légèrement crispée.
- Mes meilleurs amis. Ils étaient tout pour moi. On était en mission extra-muros. Ils se sont fait bouffer par un titan.
Comme il avait arrêté de parler, Mikasa dit la seule chose qu'elle pensait être acceptable :
- Je suis désolée.
Or, à ces mots, le Caporal se leva d'un bond et s'éloigna de quelques pas.
- Tss... C'est c'que tout le monde me dit. Comme si être désolé changeait quelque chose. Je sais que c'est la bienséance qui veut ça, mais j'me doute que t'es pas ravie que les deux personnes qui comptaient le plus pour moi se soient fait déchiqueter par un putain d'titan.
Il s'assit sur un rocher, dos à Mikasa, et pencha sa tête en avant tout en croisant les doigts sur sa nuque. Bien qu'elle ne puisse voir le visage de son interlocuteur, elle savait qu'il était profondément ému. Il marmonnait et Mikasa pouvait entendre des bribes de ses paroles.
- J'suis arrivé trop tard. J'aurai dû les protéger. J'aurai dû la protéger.
Soudain, son attitude changea, il se redressa et serra ses poings sur ses cuisses. Le ton de sa voix était maintenant rude :
- Mais être désolé et pleurer ça les ramènera pas. Même découper ce putain d'monstre en un millier de morceaux ça les a pas ramener.
- Mais vous avez le droit d'être touché par leur mort.
- Ça sert à que dalle ! J'ai tout fait, crié, pété des trucs, tué des tonnes de titans, passé mes nerfs sur mes soldats,... J'ai même picolé jusqu'à m'évanouir sur le sol de mon bureau. Ça a rien changé.
Sa tête retomba, comme s'il était soudain trop faible pour la porter. Le cœur de Mikasa était terriblement peiné par cette vision, voir cet homme d'ordinaire si fort, si froid et fermé se livrer à elle et exprimer ses sentiment la troublait. Toutes les fibres de son corps lui hurlait de faire quelque chose.
- Venez ici.
Il tourna la tête vers elle, ne comprenant pas son intention.
- Livaï, venez ici, somma-t-elle.
- Qu'est-ce que tu m'fais ?
- Je ne peux pas me lever seule pour venir vous consoler, alors vous allez lever votre cul et venir vous asseoir près de moi, c'est un ordre !
Il était surpris mais aussi légèrement fier de l'audace de la jeune femme. Sans trop comprendre pourquoi il le faisait, il lui obéit. Il s'assit juste à côté d'elle et elle le saisit instantanément, plaquant leurs bustes l'un contre l'autre. Elle entoura le Caporal de son bras gauche tout en positionnant sa main droite sur l'arrière de son crâne afin de caresser délicatement ses cheveux, leurs têtes côte à côte.
- Mikasa, t'as craqué ?
- Vous en avez besoin.
- D'un câlin ?! demanda-t-il, perplexe.
- J'ai le sentiment que ça fait très longtemps que personne ne vous a pris dans ses bras.
- Mais qu...
- Roh ! Fermez-la deux minutes, s'agaça-t-elle. Puis, d'une voix incroyablement douce et rassurante, elle expliqua :
- Vous avez le droit d'être triste, et en colère, et frustré Livaï. Garder tout ça en vous n'est vraiment pas sain. Pour vous comme pour votre entourage...
Il soupira et plaça à son tour ses bras autour de taille de la jeune femme.
- Avoir des sentiments ne fait pas de vous quelqu'un de faible. Bien au contraire, ils font partie de vous, c'est eux qui vous donne la rage d'avancer, la force de vous battre, l'envie de trouver un jour la paix intérieure. Ne réprimez pas vos sentiments, apprenez à vous les approprier et à vous en servir.
Les bras de son supérieur resserrèrent leur étreinte et la tête de celui-ci s'enfouit dans son épaule. Elle le sentait respirer au creux de son cou, puis au bout de quelques minutes, il desserra ses bras et rompit le contact, tout en maintenant le regard baissé. Un sentiment incroyable l'avait gagné, il se sentait appaisé.
Après quelques instants, il s'arma de courage et releva la tête, ancrant son regard dans celui de Mikasa. Les yeux de la jeune femme étaient d'une douceur époustouflante qui lui rappela ceux de sa mère.
- Qu'est-ce que tu as fais ? Pourquoi j'me sens comme ça ? C'est quoi ton secret ?
Elle pencha légèrement sa tête sur le côté tout en affichant le plus franc des sourires :
- Je me suis occupée de mon imbécile de frère toute ma vie, vous vous souvenez ? Ça m'a appris à gérer les hommes avec un léger problème d'ego.
Il tiqua, puis sourit en comprenant le sarcasme de la jeune femme qui lui adressa un clin d'œil.
Incroyable, elle est vraiment incroyable, songea-t-il.
Après avoir finit leur petit déjeuner, Livaï nettoya soigneusement la vaisselle dans le ruisseau, rangea tout son nécessaire à thé dans son coffret, puis s'occupa de la blessure de Mikasa. En déroulant le bandage, il pu constater que la plaie avait déjà bien meilleure allure que la veille.
- Wow... La bigleuse est chiante comme la galle, mais c'est une putain d'scientifique !
Il prit soin de bien tout nettoyer et injecta une nouvelle dose de l'antiseptique miracle dans la cuisse de la soldate, à qui il ordonna de rester calme afin de ne pas risquer de compromettre la cicatrisation et relancer les saignements.
Il s'engagea ensuite dans ses exercices physiques quotidiens. Mikasa l'observait tandis qu'il pratiquait ce qu'elle reconnu comme étant du Tai Chi. Ses mouvements étaient précis, fluide, on aurait dit qu'il se battait contre le vent. Ou plutôt, qu'il dansait avec lui. C'était très beau à regarder.
- Arrête de m'mater comme ça, tu t'fais du mal, railla-t-il.
- Je... C-Ce n'est pas ce que je faisait, bredouilla-t-elle.
- Tss... Je vais aller chercher de quoi bouffer. Avec un peu de chance je tomberai sur des lapins ou des écureuils.
Il récupéra ses affaires et commença à s'éloigner vers la forêt avant de marquer une pause. Tournant la tête vers Mikasa, il ajouta :
- Évite de t'faire mal en mon absence.
Il se tenait tapis derrière un buisson, calme, concentré. Alors qu'il venait de capturer un deuxième lapin, Livaï entendit un hurlement en provenance de la clairière.
- MIKASA !
Son sang se figea. Sans se poser de question, il enclencha ses grappins et fonça à toute allure. Il savait pertinemment que la soldate avait tout son matériel de combat à disposition, mais le fait qu'elle ne puisse se déplacer à son aise la rendait vulnérable.
J'aurai pas dû la laisser putain, mais quel con !
Tandis qu'il filait à grande vitesse entre les arbres, des images de la mort de ses amis Furlan et Isabel flashaient devant ses yeux. Son cœur se déchaînait dans sa poitrine, menaçant de faire voler en éclat sa cage thoracique.
Crève pas, Mikasa ! Crève pas !
Il arriva en panique et fonça vers la brune. Au lieu d'un titan décapité ou d'une soldate à moitié dévorée, il trouva Mikasa assise contre un arbre, un serpent coupé en deux entre les mains. Son visage était affolé, sa respiration saccadée et des larmes coulaient sur ses joues rougies.
Bien qu'il avait les serpents en horreur, il prit sur lui et s'approcha de la jeune femme. Il attrapa les morceaux de reptile et les jeta au loin. Ensuite, il s'agenouilla près de Mikasa et lui saisit les mains le temps qu'elle se calme.
L'après-midi fut calme. Malgré les paroles rassurantes de Mikasa, le Caporal ne voulut pas la laisser seule à nouveau.
- Plus jamais tu m'fais un coup comme ça !
Ils passèrent donc beaucoup de temps à attendre, discutant de choses futiles. Par curiosité, Mikasa demanda à son supérieur de lui raconter des souvenirs de ses premières sorties extra-muros. Respectant leur pacte, il lui raconta avec beaucoup de franchise comment il avait d'abord intégré l'armée dans le but de voler des documents (il omit tout de même la partie du plan qui visait à assassiner Erwin Smith). Il expliqua la sensation de puissance qu'il avait ressenti en tuant ses premiers titans, et la fierté qu'il éprouvait en en massacrant toujours plus que ses compagnons d'armes. Il avait trouvé dans le massacre de titan un exutoire parfait mais aussi un moyen de se rendre utile, servant une cause plus grande et plus importante que sa propre survie, et il avait très vite trouvé cela gratifiant. Pour finir, bien que les recrues l'exaspéraient bien souvent, il trouvait son rôle de Caporal-chef très satisfaisant.
Mikasa prit le premier tour de surveillance. Elle profita du calme de la nuit et de l'absence de lune pour observer longuement les étoiles. Livaï l'avait obligé à prendre sa cape afin de luter contre le froid mordant des petites heures. Il avait également pris soin de rapprocher sa couche de celle de la soldate dans le but de la surveiller de plus près, même pendant son sommeil.
Cependant, alors que son regard et son esprit se perdaient dans les étoiles, cette petite voix en elle ne la quittait pas, lui affirmant que Eren avait besoin d'elle, qu'il fallait qu'elle aille le secourir. Mais, baissant les yeux sur sa jambe blessée, elle lâcha un long soupir. Elle était en colère contre elle-même pour s'être mise dans cet état, ça n'allait que la ralentir dans sa mission.
Car elle ne savait pas encore quand et comment, mais elle allait quitter Paradis et retrouver son frère. Quoi qu'il en coûterait, aussi difficile et dangereux que cela s'avèrerait, s'était son devoir que de le ramener ici.
Quand elle n'arrivait plus à tenir éveillée, elle échangea sa place avec son supérieur. Elle se blottit dans son sac de couchage et posa délicatement sa tête sur les genoux du Caporal, qui resta aux aguets jusqu'au matin. Puis, comme la jambe de Mikasa allait mieux et qu'elle se sentait suffisamment en forme, ils décidèrent de se mettre en route vers le Quartier général.
- Si jamais tu te sens faiblir, ne force pas inutilement. On fera des pauses aussi souvent que nécessaire mais je veux que tu rentres en un seul morceau, ok ?
La soldate acquiesça mais elle ne voulait pas se montrer faible, pas encore une fois. Elle redressa le buste, tête haute, et suivit d'un pas décidé le chemin ouvert pas le Caporal. Cela leur prit quasiment toute la journée, mais ils arrivèrent sans problème au château. Livaï obligea Mikasa à aller sans attendre faire examiner sa jambe par la Major Hansi tandis qu'il se dirigeait vers son bureau.
