Chapitre 15 – Brèves de nuit
Au matin, Mikasa émergea petit à petit tout en regardant autour d'elle. Le soleil illuminait d'une lueur douce la pièce, lui donnant l'impression d'être encore plongée dans un rêve. Il lui fallut quelques instants pour se rappeler d'où elle était, et quelques instants de plus pour réaliser qu'elle était seule ; le Caporal avait réussi à sortir sans la réveiller.
Une partie d'elle était déçue, elle aurait voulu prolonger leur étreinte et rester encore un peu hors de la réalité. Cependant, elle était aussi légèrement soulagée car elle n'aurait pas su quoi dire si elle s'était réveillée lovée dans les bras de son supérieur.
Il en fut ainsi les jours suivants, une sorte de routine s'installa : ils s'endormaient ensemble, elle se réveillait seule. Ses instants hors du temps et des règles devenaient rassurant pour Mikasa, elle savait qu'elle pouvait trouver en ses murs une protection - tant physique que morale - dont elle avait grandement besoin. Elle commençait à apprécier la compagnie peu loquace du Caporal et se sentait à présent presque comme chez elle dans ses appartements.
Un soir, alors que le Caporal était en pleine lecture dans son fauteuil, la jeune brune peinait à trouver le sommeil. Elle était allongée en chien de fusil et regardait le mur depuis ce qui lui semblait être une éternité. Lasse d'attendre Morphée, elle s'aventura - une fois n'est pas coutume - à faire la conversation :
- Livaï ?
Il fut surpris par l'utilisation de son prénom, Mikasa l'avait prononcé de manière très naturelle, comme si c'était tout à fait habituel entre eux. Comme il était plus intrigué que dérangé par cette intervention, il laissa couler le manquement à la règle pour cette fois et invita la jeune femme a continuer par un simple "hum?".
- Vous pensez à la mort parfois ?
- Pas étonnant que t'es du mal à dormir si c'est à ça qu'tu penses quand tu te mets au lit.
Elle ignora le ton sarcastique de son interlocuteur, s'assit en tailleur sur le matelas et reprit le fil de sa pensée :
- J'y pense moi, assez souvent. Celle des autres, qui ont déjà eu lieu. Celles qui viendront, fatalement. Et puis à la mienne.
- Et de quelle manière y penses-tu ?
- Comment ça ?
- Ta mort... Est-ce que... tu l'attends ?
Le Caporal faisait de son mieux pour rester neutre mais cette conversation commençait à l'inquiéter. Compte-tenu de l'état d'esprit de la soldate ces derniers temps, il appréhendait le pire.
- Oh non, rien de ça. Mais... hésita-t-elle. Ses yeux fixaient ses doigts qu'elle tripotait machinalement. Je me demande si je vais mourir bientôt. Comment ? Si j'aurai retrouvé Eren avant. Ou si je mourrai en le libérant... Et puis si j'aurai accomplie de choses... comment dire ? Importantes. Est-ce que je serai vieille, hautement gradée, reconnue et appréciée par mes pairs ? Ou est-ce que je vais mourir seule et désespérée ?
Elle marqua une pause, puis leva le regard sur le Caporal qui semblait être en train de sonder son âme.
- Vous trouvez ça malsain ?
- Tu serais quelqu'un autre, j'te dirais que oui. Mais toi et moi on est différents.
La jeune femme pencha la tête sur le côté en arquant un sourcil, signe de son incompréhension.
- C'que je veux dire, c'est que pour nous la mort a forger notre vie et toutes nos relations depuis notre plus jeune âge. Non seulement nos familles sont mortes, mais en plus on a assisté à ça ! On oublie pas un truc pareil, c'est clair ! Et après, comme on est maso, on a choisi de rentrer dans l'armée et de faire de la mort notre métier... Alors c'est évident qu'on y pense, plus ou moins tout le temps.
- Vous pensez à votre mort, aussi ?
- C'est plus complexe que ça, mais oui j'y pense.
Elle hésita encore un peu, ne sachant pas comment son supérieur allait prendre sa question suivante. Par réflexe, elle rabaissa la tête.
- Vous avez peur ? De mourir je veux dire ?
Avant de répondre, Livaï déposa son livre sur le guéridon à côté du fauteuil, se leva et vint s'asseoir aux côtés de Mikasa sur le rebord du lit. Il prit une profonde inspiration, sembla chercher ses mots un instant, puis leva les yeux sur la jeune brune :
- Non, Mikasa, je ne craint pas la mort. Ça fait bien longtemps que je l'ai acceptée, que j'ai fait la paix avec elle. Le jour où elle viendra me chercher, je la suivrai dans cette ultime expédition vers un nouveau monde au delà des murs.
Le silence s'installa entre eux, les mots de son Caporal pénétrant son esprit doucement. Elle trouvait cela poétique, presque beau. Comme si la mort pouvait en fait être un soulagement et non un châtiment.
Toujours sans un mot, Livaï prit place sous les draps et les deux soldats s'endormirent calmement.
