Chapitre 17 – Démonstrations

Le Caporal se tenait au milieu de la pièce, dos à la soldate. Sa respiration était encore saccadée. Il se passa une main dans les cheveux, cherchant à se calmer, tandis que Mikasa se massait le poignet, endolori par la prise de son supérieur.
Fixant le sol, elle demanda :

- Je suppose que vous voulez que je me trouve un autre endroit où dormir ?

Le Caporal se retourna vivement pour répondre :

- Quoi ? Bien sur que non !

- Mais... vous étiez prêt à m'étriper il y a de ça dix secondes... s'étonna-t-elle.

- Et alors ? Je t'ai dit que tu pouvais rester, ça n'a pas changé. Et maintenant qu'je sais que tu veux t'faire la malle, j'envisage plutôt de te ligoter à se lit et te surveiller de près 24h/24.

Il marqua une pause, puis continua en haussant un sourcil narquois :

- Alors ne me donne pas une bonne raison d'le faire...

La mâchoire de la soldate se décrocha une seconde avant que celle-ci ne se reprenne.

Qu'est-ce qu'il insinue là ? Et c'est quoi ces changements d'attitude permanents ?! Pfff... C'est vraiment trop compliqué à suivre, ça m'épuise.

Sur ce, le Caporal se dirigea vers la salle de bain. Il prit soin au passage de ramasser l'atlas sur le sol et de le déposer sur son bureau.

Cet homme a vraiment un truc à propos du rangement et de la propreté...

A peine une poignée secondes après que la porte ne soit fermée, Mikasa pu entendre le bruit de l'eau. Elle savait qu'il resterait exactement trois minutes sous la douche, pas une de plus. C'en était toujours ainsi, le Caporal observait une routine réglée comme du papier à musique. Il était selon lui inutile de perdre son temps et de gaspiller de l'eau inutilement en restant trop longtemps sous la douche. Cependant, Mikasa avait remarqué qu'il restait ensuite assez longtemps dans la pièce avant d'en ressortir, toujours impeccable. Elle n'avait pas été vérifier, mais elle imaginait qu'il nettoyait la salle de bain de fond en comble après chaque passage.

Elle fut coupée dans ses pensées lorsqu'il ressorti, en tenue bien repassée, les cheveux séchés et peignés. Sans prononcer un mot ni même adresser un regard à la jeune femme, il alla s'installer dans son fauteuil et saisit un livre sur le guéridon adjacent.

- Ce livre n'était pas là hier soir, déclara-t-elle.

- Bon sens de l'observation, gamine, répondit-t-il sans lever les yeux.

Jaugeant l'épaisseur de la partie qu'il avait vraisemblablement déjà lue, elle continua :

- C'est donc à cela que vous avez consacré la nuit dernière ?

- En effet, t'es douée à ce jeu... railla-t-il.

- C'est pour ça que je ne vous ai pas senti auprès de moi, vous n'avez pas dormi du tout ?

- Qu'est-ce que ça peut t'faire à la fin ? rétorqua-t-il en se massant la tempe.

- Moins vous dormez, plus vous vous énervez. Et puis, c'est mauvais pour vous.

Il releva des yeux agacés vers elle :

- Et tu t'inquiètes pour ma santé maintenant ?

Prenant son courage à deux mains - car elle sentait que ce n'était pas gagné pour elle - elle se leva et vint s'agenouiller aux pieds du Caporal. Elle attrapa le livre, remit le marque-page et le déposa sur le meuble. Elle posa ensuite ses mains sur celles du Caporal qui observait en silence :

- Monsieur, cela fait des semaines que vous prenez soin de moi maintenant. Et, même si vous réveillez parfois en moi des envies de meurtre, je ne souhaite tout de même pas vous voir souffrir. Alors, laissez-moi essayer de vous rendre la pareille.

Elle referma ses mains sur celles de son supérieur, se releva lentement et le tira doucement vers elle afin de le faire se lever. Il s'exécuta, perplexe, tout en gardant ses yeux fermement ancrés dans ceux de la soldate. Elle recula à petits pas jusqu'au lit, s'y assit et entraina le Caporal vers elle, l'invitant à s'installer contre elle, ce qu'il fit. Son bras enveloppait les épaules du soldat. D'une voix douce et basse, elle expliqua :

- On a tous des besoins vous savez. Ne pas les assouvir peut s'avérer problématique, et pas seulement pour vous. Par exemple : vous avez besoin de dormir, le Bataillon d'exploration a besoin de vous, Eren a besoin du Bataillon, et ainsi de suite...

- Et toi Ackerman, de quoi t'as besoin ? demanda-t-il dans un murmure.

- Retrouver Eren, mais ça vous le savez déjà.

Il leva la tête vers elle et posa ses yeux sur le visage de la jeune femme marqué par les lourdes cernes sous ses yeux plus noirs que les nuits d'hiver.

- C'est tout ?

- Pour l'instant... répondit-elle tout en utilisant sa main libre pour replacer la tête du Caporal sur l'oreiller. Celui-ci, bercé par les battements de cœur de la soldate qui fredonnait doucement une mélodie des plus apaisante, s'endormit en quelques minutes.

Le lendemain, Livaï devait à nouveau assurer l'entraînement collectif des soldats expérimentés en vue de la guerre imminente contre le continent. Ainsi, il se retrouva face au Bataillon d'exploration mais surtout face à Mikasa. Il se devait de respecter son rôle de supérieur hiérarchique et donc ne pas laisser transparaitre une quelconque attitude différente envers elle. Cependant, c'était plus difficile qu'il n'y paraissait de se réfréner, de ne pas utiliser leurs conversations privées pour la motiver ou au contraire la déstabiliser.
Une partie de lui savait qu'il pourrait utiliser ce qu'il savait pour la pousser à donner le meilleur d'elle-même, mais cela reviendrait à trahir la confiance de la soldate. De plus, sa subordonnée pouvait aisément se venger en révélant ce qu'elle savait de lui ; il devait donc impérativement rester neutre.

Après les échauffements de rigueur, Livaï ordonna aux soldats de former des binômes afin de travailler leur combat au corps à corps. En effet, se battre contre des ennemis humains les obligeaient à travailler davantage ce genre de combat, car il requérait un savoir-faire que tous les soldats du Bataillon - même les meilleurs - ne maîtrisaient pas toujours, trop habitués aux manœuvres tridimensionnelles et à vaincre des adversaires gigantesques.

Comme les élèves étaient en nombre impaire, le Caporal somma Mikasa de se mettre avec lui. Il aimait l'avoir à l'œil, de plus de plus ces jours-ci, car se sentiment qu'elle allait lui filer entre les doigts ne le quittait plus. Aussi, elle était de loin la meilleure du groupe et ne bénéficiait ainsi pas vraiment à affronter des soldats moins doués, alors que lui pourrait l'aider de manière plus approfondie - c'est du moins l'excuse qu'il se donnait à lui-même pour justifier son choix.

- Montre-moi un peu c'que t'as dans l'ventre, Ackerman. Met-moi au tapis et je serai vraiment impressionné.

Mikasa ne répondit pas et engagea le combat, tenta de prendre par surprise son supérieur par un enchaînement de mouvements rapides. Cependant, aucune de ses première tentatives ne parvinrent à le déstabiliser : il contrait systématiquement toute attaque et faisait tourner Mikasa autour de lui par ses esquives d'une agilité déconcertante. Malgré les efforts de la soldate pour se contenir, il voyait bien l'essoufflement naissant et la frustration grandissante de la jeune femme, il savait parfaitement qu'elle finirait par laisser la colère prendre le dessus sur la maîtrise.

- C'est tout ce dont tu es capable ? Tss... J'ai vraiment foiré ton éducation à ce point ?

Il la narguait et elle répondit par un grognement avant de recommencer, plongeant sur lui dans l'espoir de saisir ses hanches et le faire basculer au sol. Échec, encore. Et encore. Et encore.

- Oï gamine, je commence à m'ennuyer là !

Il avait remarqué les regards des autres soldats sur eux et avait fait exprès de lever la voix suffisamment pour qu'ils l'entendent. Il voulait faire de ce moment un spectacle, se doutant que Mikasa n'apprécierait sans doute pas que son échec soit ainsi exposé et donc irait encore plus loin pour réussir. Cependant, cela eut l'effet inverse. Au lieu d'être reboostée et plus en maîtrise d'elle-même, elle sembla soudain démoralisée et sur le point d'abandonner. Livaï arrêta alors de simplement esquiver ses attaques et fonça sur elle. Elle réussit un instant à esquiver et enchaîna avec une prise au niveau du bras gauche du Caporal. Elle serra et tenta de le tirer vers le sol mais Livaï utilisa se mouvement à son avantage et crocheta le pied de la soldate dont le dos frappa violemment le tapis. Mikasa grogna furieusement et se remit sur pieds en un éclair avant de repartir à l'attaque. Hélas, quelques secondes à peine et elle se retrouva cette fois-ci face au sol. Elle cogna du poing de rage et allait se relever quand le Caporal vint placer son genou sur sa colonne afin de l'immobiliser.

A présent, tous les soldats les regardaient, formant un arc de cercle autour d'eux. Livaï se pencha en avant et se mit à murmurer à l'oreille de Mikasa afin que personne à part elle n'entende ses paroles :

- Tu entends ça ? Ils pensent tous que tu es trop faible pour me battre.

- Allez vous faire voir ! cracha-t-elle en cherchant à se libérer.

- Hoho ! Tu oublies à qui tu t'adresses, gamine ? Tu me dois un peu plus de respect que ça il me semble...

Il jubilait, il avait réussit à faire exactement ce qu'il voulait : la pousser dans ses retranchements jusqu'à la rendre folle de rage.

- J'applique ce que vous nous enseignez monsieur, langage grossier et coups bas.

Livaï n'eut pas le temps de répondre, Mikasa avait sentit que le poids du Caporal sur son dos s'était fait légèrement moins fort car il était trop en confiance pour se méfier et avait baissé sa garde. Ce fut suffisant pour qu'elle effectue un demi-tour tout en attrapant la jambe restée au sol du Caporal. Elle le fit tomber et fondit sur lui alors qu'il tentait de se relever. Elle lui décocha un coup de poing sur le flanc gauche et il retomba.

Ignorant les cris de surprise, de joie et les applaudissements de ses camarades, la jeune femme se plaça rapidement au dessus de lui pour l'immobiliser. Elle réussit à saisir le bras gauche de son adversaire mais celui-ci attrapa la jambe de Mikasa de sa main libre avant qu'elle ne puisse le contrer. Il tira dessus tout en poussant de son bras tenu par la soldate et la fit basculer sur la gauche. En quelques secondes, les rôles s'étaient inversés : Mikasa était à nouveau allongée au sol et Livaï la maintenait complètement sous son emprise.

Arborant un large sourire victorieux, il déclara :

- Pas mal, Ackerman. Pas suffisant, mais pas mal.

Il lui adressa un clin d'œil tout en se remettant sur pieds. Elle le fixait avec rage et refusa sa main tendue pour se remettre debout.

Les exercices continuèrent encore 45 minutes puis le Caporal mit fin à la séance et ordonna aux soldats de ranger avant de quitter les lieux. Il était sur le point de quitter la salle, main sur la poignée, quand Mikasa arriva à sa hauteur. Elle vérifia que personne n'était à portée d'ouïe avant d'ancrer ses yeux dans ceux du Caporal :

- C'était quoi votre délire là ? Ça vous amuse de m'humilier publiquement ? réussit-elle à déclarer sur un ton acerbe tout en chuchotant.

- C'est comme ça que tu le vois ? Comme une humiliation ?

- Vous vous êtes acharné sur moi.

- Et toi tu m'as collé un coup d'une violence incroyable dans les côtes, je t'en tiens pas rigueur... répondit-il en roulant des yeux.

- C'était quoi votre but ? M'énerver ?!

- Un peu oui, mais uniquement pour que tu retrouves ça, déclara-t-il en posant son doigt sur la poitrine de Mikasa, désignant le cœur de la jeune femme.
Comme elle n'avait pas l'air de saisir, il expliqua :

- Tu sens comme ça tape fort là d'dans ? Tu sens cette rage qui coule en toi et fait pulser tout ton corps ? C'est de ça dont j'ai besoin ! Je veux que tu lâches la tigresse qui est en toi, pas que tu joues les chatons disciplinés qui appliquent bien sagement les ordres.

- Mais... C'est vous qui nous enseignez tout ça, les techniques d'attaques, les formations, les...

- Evidemment, il vous faut bien une base. Mais une putain d'guerrière comme toi doit savoir évoluer au delà d'ça. Crée tes propres techniques, tes propres mouvements. Fais-toi confiance, va plus loin. Bat-toi avec tout ton corps et toute ta tête. Tu prends cette rage, tu la canalises et tu mets le monde à tes pieds gamine.

Mikasa acquiesça d'un signe de la tête et fit un pas en arrière afin de laisser sortir le Caporal, qui ajouta en franchissant le seuil :

- On devrait reprendre nos entraînements nocturnes, il faut que tu prennes conscience de ton réel potentiel si tu veux qu'on aille récupérer ton abruti d'frère ensemble.

Mikasa resta bouche bée, les yeux fixés sur le dos de son supérieur qui s'éloignait dans le couloir.