Chapitre 18 – Un vilain défaut
Mikasa avait rejoint le Caporal après son dîner frugal. La soirée n'avait rien eu de spécial, elle n'osait pas interroger le Caporal sur la sincérité de ses propos quant à sa volonté d'aller sauver Eren.
Ils burent du thé, elle partit se coucher, s'assoupit, puis fut rejointe par son supérieur.
Le soleil pointait tout juste le bout de son nez, sortant à peine la pièce de la pénombre. L'air était frais, et pourtant Mikasa se sentait bien. C'est alors qu'elle remarqua la chaleur dans son dos, le bras encore enlacé autour de sa taille.
- Vous êtes encore là, Caporal ?
- Bon sens de l'observation, Ackerman, marmonna-t-il dans son dos.
- C'est que... D'habitude, lorsque je me réveille, vous êtes déjà parti.
- Tu préfères ça ?
- Non, répondit-elle à voix si faible qu'elle fut à peine audible.
Inconsciemment, les yeux encore fermés et l'esprit embrumé par le sommeil, Livaï resserra son étreinte autour de sa subordonnée et enfoui son nez dans la chevelure de la soldate.
- Je sais pas c'que tu m'fais, Ackerman, mais grâce à toi, pour la première fois depuis... aussi loin que j'me souvienne, j'arrive à dormir.
Il marqua une pause et empli ses poumons de l'odeur de la jeune femme avant de continuer :
- Ça fait du bien.
- Alors vous avez raison d'en profiter. On devrait rester là toute la journée, souffla-t-elle.
Le Caporal se rapprocha encore et ses lèvres effleurèrent la nuque de Mikasa. Son souffle chaud caressa sa joue lorsqu'il répondit d'une voix basse et suave :
- Tss, tu dis n'importe quoi.
- Après tout, le monde peut bien se passer de nous une journée, prononça-t-elle en enveloppant sa main sur l'avant-bras de son supérieur.
Soudainement, celui-ci releva légèrement son buste et vint déposer un baiser juste sous l'oreille de la jeune brune. Puis, lentement, il fit glisser ses lèvres pour en déposer un second en dessous. Puis un autre.
Ce geste avait finit de faire sortir la soldate du sommeil et elle avait maintenant les yeux grands ouverts. Cependant, une force intérieure lui interdisait de bouger. Comme si rompre ce contact était un péché.
- Caporal ? Qu'est-ce que vous faites ?
- J'en ai pas la moindre idée...
Il avait prolongé ses baisers jusqu'à son épaule avant de repartir dans l'autre sens, toujours au ralenti. Ses lèvres ne se décollaient presque pas de la peau diaphane de la jeune femme. Dans un souffle, il demanda :
- Tu veux que j'arrête ?
Mikasa n'eut pas le temps de répondre car des coups à la porte vinrent briser cet instant suspendu.
- Et bah Livy, ton réveil est en panne ?!
En une fraction de seconde, Livaï avait instinctivement porté ses doigts sur la bouche de Mikasa pour lui imposer le silence. Ils entendirent la Major tenter d'ouvrir la porte et le Caporal se félicita intérieurement d'avoir prit l'habitude de la verrouiller chaque soir depuis que Mikasa était venue s'installer dans ses draps.
- Mais ? Depuis quand tu fermes ta porte à clé ?! Livy ?
Aucun mouvement, aucun bruit n'émanait d'eux.
- Roooooh, mais où est-il passé encore, c'est pas p...
La voix de la scientifique s'atténua au fur et à mesure qu'elle s'éloignait. Lorsqu'il fut certain qu'elle était suffisamment loin, le Caporal entreprit de se lever, mais Mikasa le saisit par la main.
- Non !
- Je devrais déjà être parti, c'est... c'était une erreur.
Il se leva et se dirigea promptement vers la salle de bain pour se préparer en vitesse. Lorsqu'il en ressortit, il ne prit pas la peine de regarder la soldate qui était maintenant assise en tailleur sur son lit, désorientée, les cheveux encore ébouriffés.
- Beaucoup de temps à passé depuis que tu as intégré l'armée et tu n'es certes plus une gamine, mais je reste ton supérieur. Ça a de l'importance pour moi.
Il sortit sans laisser le temps à la jeune femme de pouvoir répondre. Une fois dans le couloir, il prit conscience de ce qui aurait pu se passer (de ce qu'il aurait voulu qu'il se passe) si Hansi n'était pas intervenue.
Merde ! Merde ! Merde ! Mais QU'EST-CE QUE TU FOUS putain d'bordel de gros con ?! Elle te rend complètement dingue, ma parole ! Des baisers dans le cou ? Mais pourquoi tu fais des trucs pareils ?
La journée fut irréelle. Mikasa était perdue suite à ce réveil pour le moins inhabituel.
Elle avait passé un peu de temps avec Sasha après le déjeuner puis avait effectué sa corvée de repassage dans l'après-midi avant de retrouver à nouveau la petite chambre qu'elle ne fréquentait plus beaucoup.
Sa camarade était épuisée par l'entraînement et les corvées qu'elles avaient effectué toute la journée et était étendue en étoile de mer sur son lit. Cependant, sa fatigue musculaire ne lui fit pas oublier l'heure du dîner ! Elle dû insister pour que Mikasa se joigne à elle, mais celle-ci finit par céder.
La soldate prit cependant un peu de temps pour elle, au calme, avant de rejoindre ses amis. Elle essaya à nouveau de comprendre ce que la scène vécue auprès de son supérieur au réveil voulait dire. Était-ce simplement un moment d'oubli ? Un légère perte de contrôle de cet homme qui n'était - après tout - qu'un être humain. Mais il avait pourtant dit que ça avait été une erreur. N'était-ce finalement pas qu'un simple instant chimérique ? Devait-elle y accorder de l'importance ?
Même si elle avait toujours du mal à apprécier les repas, elle devait bien s'avouer que retrouver un semblant de vie normale était tout de même agréable. Elle ne participait certes guère aux discussions, mais ses camarades y étaient habitués depuis toutes ces années.
Elle était perdue dans ses pensées, les yeux fixés sur son assiette à peine touchée, quand soudain une main se posa sur la sienne. La jeune brune leva un regard surpris sur Jean. A la vue de son large sourire benêt, Mikasa répondit à son tour par un sourire timide mais surtout profondément gêné. Ce geste la mettait mal à l'aise, mais elle ne voulait pas vexer son ami en retirant sa main de manière brusque.
- Alors Mikasa, t'en penses quoi ? interrogea Jean plein d'enthousiasme.
- Je... A quel propos ?
- Rooooh fais un effort pour t'intéresser un peu, Mik' !
- Ne soit pas méchante, Sacha.
- Et toi ne soit pas si idiot, Jean. Elle n'a clairement pas envie de faire la fête !
Mikasa ne comprenait rien à ce qui se tramait devant elle, mais elle avait bien conscience que Jean n'avait toujours pas retiré sa main de la sienne. Pourquoi les hommes qui l'entouraient se comportait de manière aussi étrange aujourd'hui ?
Mikasa allait demander de plus amples explications quand Jean reprit :
- Il y a une petite soirée qui se prépare, demain soir.
- Mouais, une soirée c'est vite dit, enchaîna Connie, des parties de cartes et des victuailles volées dans les réserves de la cuisine.
- Saucissooooon, bava Sasha, des étincelles plein les yeux.
- Enfin bref, est-ce que tu veux... venir ? demanda Jean tout en lui pressant légèrement la main.
Elle n'était pas sûre de comprendre quoi que ce soit, mais avant même qu'elle puisse répondre elle entendit le bruit d'une chaise grinçant bruyamment sur le sol et tourna les yeux juste à temps pour apercevoir le Caporal-chef Livaï se précipitant vers la sortie sous l'œil perplexe de son amie la Major Hansi.
- Qu'est-ce qui lui prend à celui-là ? railla Jean.
Mikasa se leva et prétexta se sentir exténuée pour s'éclipser. Elle entendit bien ses amis tenter de la persuader de rester un peu plus longtemps, mais elle préféra les ignorer.
Comme à son habitude, elle se dirigea vers les appartements de son supérieur. Mais en entrant, elle le trouva débout, appuyé contre son bureau, l'air contrarié. Non, plutôt furieux.
- Monsieur, ça ...
- T'es sérieuse, Ackerman ?! l'interrompit-il. Qu'est-ce que tu fous là ?
- Qu-quoi ? Qu'est-ce...
- Non, tu sais quoi ? C'est parfait ! Il leva les bras en l'air comme pour balancer ses paroles vers la soldate décontenancée. De toutes façons j'ai pas l'temps pour ces conneries !
- Mais de quoi parlez-vous ?
Il s'avança d'un pas et planta son regard argenté dans celui de la soldate, qui ne savait pas d'où cette rage pouvait venir.
- TOI ! J'ai pas l'temps pour toi, gamine !
Ses mots la touchèrent comme une balle en plein cœur. Pourquoi ce revirement de situation ? Pourquoi s'en prendre à elle ainsi ?
- Caporal, je ne comprend pas, qu'est...
- C'est justement ça l'problème Ackerman, tu comprends rien à rien.
- Alors expliquez moi ! hurla-t-elle, soudainement prise d'un élan de colère et de frustration.
- Tssss, ça servirait à rien, répondit-il en se massant la tempe du bout des doigts. Fiche le camps. Va retrouvez tes "amis".
Il avait prononcé ce dernier mot avec mépris, dégoût presque. Il fit le tour de son bureau et s'assit, les yeux rivés sur ses documents, tandis que Mikasa cherchait quoi répondre. Qu'avait-il bien pu se passer pour qu'il se mette dans cet état ?
Elle s'éloigna, déçue. La main sur la poignée, elle réussit à arracher ses mots à sa gorge nouée :
- Vous savez quoi ? Je préférais quand vous étiez honnête avec moi, "Ca-po-ral".
Il voulu répondre mais elle avait déjà quitté la pièce. Il jeta un regard noir sur la porte close avant de frapper violemment du poing sur son bureau en lâchant un grognement de colère. Il se leva ensuite d'un bond, fit quelques pas frénétiques en direction de la sortie avec la ferme intension de la rattraper. Il ne supportait pas l'insolence, et cette foutue gamine venait de le provoquer volontairement.
Cependant, il se ravisa et se figea au milieu de la pièce. Plongeant ses mains dans sa chevelure lisse, il enfonça ses ongles dans son crâne.
Pourquoi est-ce que ça te touche autant ?! C'est quoi c'bordel, pourquoi elle t'énerves comme ça cette fille ? Qu'est-ce que t'en as à foutre de c'que fait Ackerman ?! Pourquoi t'as tellement envie de l'avoir près de toi en permanence ?...
Il se mit alors à faire les cents pas dans la pièce, tel un lion en cage prêt à bondir sur le premier fou qui oserait en ouvrir la porte. Ses bras gesticulaient au gré des pensées qui lui torturaient l'esprit :
Reprend-toi putain, t'as l'air d'un con là. Tu vas pas t'abaisser à une faiblesse pareille, hein ? Une stupidité pour les imbéciles. C'est bon pour les chiffe-molles comme Kirschtein ou la bigleuse ça. Merde, Hansi ! La mission ! T'as d'autres choses sur lesquelles te concentrer !
Sa respiration était si forte qu'il était sûr qu'on pouvait l'entendre à travers les murs. Il n'arrivait pas à se calmer, son cœur semblait être sur le point de bondir hors de sa poitrine. Il battait si fort que c'en était douloureux.
Soudainement, il saisit sa cape et sortit, presque couru jusqu'à l'extérieur. Il avait tout à coup eut l'impression d'être sur le point d'étouffer entre ces murs qui semblaient le retenir prisonnier. Malheureusement, une fois dehors, il ne se sentit pas mieux.
Il s'assit sur le rebord de la fontaine où Mikasa avait faillit perdre la vie quelques semaines auparavant et leva les yeux vers la lune dont la lumière froide illuminait la cour. Il soupira bruyamment et sa respiration s'apaisa peu à peu.
Des images de leurs entraînements en tête-à-tête et de leur sortie en forêt lui revinrent. Il voyait son visage rougi par la fatigue après un exercice, le galbe de ses muscles se contractants sous l'effort. Il revit aussi ses tremblements cette nuit-là en forêt, et se rappela son parfum pénétrant ses narines quand il s'était glissé contre elle pour la réchauffer, la chaleur de son corps à elle contre le sien, le soulèvement de sa cage thoracique entre ses bras. Cette sensation de bien-être quand elle s'endormait contre lui chaque soir. Enfin, il repensa à ce matin, sa peau douce sous ses baisers. Pourquoi s'était-il permit ce geste ? Il avait agit avec instinct, guidé uniquement par son envie charnelle de ne faire qu'un avec elle.
Il laissa retomber sa tête sur son torse et entrelaça ses doigts sur sa nuque. Il semblait si petit, si fragile en cet instant.
MERDE ! déconne pas, Livaï. Tu peux pas tomber amoureux. T'es qu'un handicapé des sentiments, t'as rien à lui offrir à cette fille. Elle veut pas d'toi de toutes façons, t'es qu'un connard arrogant pour elle. Un sale nain, du double de son âge en plus. Tu passes ton temps à la repousser et la rendre dingue. Elle te déteste, tu l'as bien vu. Alors sors cette gamine de ta tête une bonne fois pour toute, bordel. Ça peut pas continuer comme ça...
- Tss, qu'est-ce que je vais faire maintenant ? prononça-t-il à voix haute, et ses mots rebondirent sur les bâtiments avant de disparaître dans le ciel étoilé.
