Chapitre 19 - Déraison

Mikasa était hors d'elle, elle ne supportait plus les sautes d'humeur de son... son quoi, après tout ? Qu'était-il devenu pour elle ses dernières semaines ? Son mentor ? Son confident ? Son ami ? Y avait-il seulement un mot pour définir ce qu'il se passait entre eux ?

Peu importe, car elle ne voulait plus avoir à faire à ce petit homme plein de haine et d'incohérence. Ses états d'âme lui donnait la migraine et son cœur n'en pouvait plus d'essayer de comprendre ce qu'il ressentait.

Elle aurait voulu reprendre sa place dans sa chambre, mais dormir était prendre le risque de ramener les réveils importuns. Certes les nuits auprès du Caporal-chef avait été fort paisibles, mais maintenant, seule et pleine de frustration, de souvenirs, de doutes, d'espoirs... Qui sait comment son esprit pourrait utiliser tout cela dans son sommeil ?
Ne pouvant se permettre de raviver l'inquiétude de son amie Sasha, il lui fallait trouver une autre solution. De toute évidence, la salle d'entrainement était maintenant proscrite, elle ne souhaitait pas voir débarquer...
Elle envisagea, un instant seulement, de demander asile à la Major. Même si elle était persuadée que celle-ci l'accueillerait à bras ouverts, elle balaya très vite cette idée. En effet, Hansi était à la fois bien trop curieuse et bien trop en attente que quoi-que-ce-soit d'intéressant ce passe entre ces murs pour risquer d'apporter ses bagages émotionnels dans ses appartements. Mikasa se doutait qu'il faudrait peu de temps à la gradée pour lui tirer les vers du nez et ô combien elle ne voulait pas se retrouver dans cette situation.

Par dépit, la jeune brune trouva refuge dans une petite remise isolée au deuxième étage, loin des dortoirs et des curieux. Elle improvisa un matelas de fortune avec de vieilles couvertures poussiéreuses et laissa ses pensées divaguer jusqu'à rejoindre Morphée.

Lorsqu'il croisait son reflet dans le miroir de sa salle de bain, Livaï se dégoûtait. Il ne comprenait pas ce qui lui arrivait, pourquoi il agissait de la sorte ? C'était plus fort que lui, son cœur et son esprit semblaient être incapable de communiquer pour agir à l'unisson. Une chose était certaine, il se détestait profondément car bien malgré lui, il avait blessé celle qui avait pris tant d'importance à ses yeux.

Néanmoins, le peu de fierté qui lui restait l'empêchait de lui présenter ses excuses. Alors il ne dit rien, il ne l'approcha plus. Il ne le pouvait. Il restait en retrait, l'observant de loin en se fustigeant. Par ailleurs, il avait remarqué qu'elle ne posait plus les yeux sur lui.
Il ne signala même pas à la Major que Mikasa ne venait plus à ses entrainements. A quoi bon ? Soit la scientifique obligerait la jeune femme à revenir, et il se trouverait obligé de lui faire face ; soit la Major comprendrait qu'il s'était passé quelque chose entre eux et le harcèlerait de questions auquel il n'avait vraiment, mais alors vraiment pas envie de répondre.

Non, il ne disait plus rien, à personne. Et il ne dormait plus, évidemment. Il passait la majeure partie de ses nuits dans son fauteuil, les yeux irrémédiablement fixés sur la place vide et froide dans son lit. Et bien sûr, moins il dormait, moins il se comportait comme un être socialement acceptable.

- Mikasa, je... je peux te parler ? interrogea timidement Jean.

- Bien sur, que puis-je pour toi ?

Le soldat posa sa main sur l'épaule de la brune pour l'inciter à s'écarter de leurs camarades en route pour se servir à manger.

- Ecoute Mik', je suis pas aveugle, je vois bien que t'es de nouveau hyper morose ces jours-ci.

La jeune femme baissa la tête, elle n'aimait définitivement pas qu'autrui puisse lire ses sentiments si facilement. De quoi tu te mêles ?

- Je ne veux pas te mettre mal à l'aise. Rah je suis désolé, je veux juste... t'aider.

Mikasa posa d'abord ses yeux sur la main de son camarade toujours placée sur son épaule, puis sur le visage de celui-ci où s'esquissait un sourire qui se voulait compatissant. Jean avait toujours un sourire un peu niais quand il s'adressait à elle.

- Comment tu veux faire ça ?

Le sourire de Jean s'agrandit subitement : elle ne le rejetait pas instantanément, c'était bon signe !

- Et bien... euh... hésita-t-il. J'avais pensé que, peut-être, tu voudrais bien...

- Jean ? l'interrompit Mikasa un peu brusquement, dis-moi simplement ce que tu as en tête.

Sans le vouloir, le regard de Mikasa dévia vers la droite et elle constata que le Caporal-chef la fixait. Son air était faussement calme, mais, si on y prêtait attention, on pouvait remarquer que ses poings étaient si contractés que ses phalanges étaient blanches et semblaient être sur le point de rompre.
Mikasa s'en délecta et redirigea son regard sur son ami. Comme celui-ci était toujours trop chamboulé pour réfléchir clairement, elle prit les devants.

- Un pique-nique, ça te tente ? On récupère à manger et on sort se trouver un coin tranquille au soleil ?

La mâchoire du soldat se détacha une seconde avant qu'il ne se ressaisisse et accepte avec entrain. Ils se servirent donc leur déjeuner et quittèrent la salle, sous les regards surpris et amusés de leurs amis, et celui fusillant du Caporal. Ses mâchoires étaient si crispées qu'elles auraient pu broyer ses propres dents.

Elle le fait exprès. Je suis sur qu'elle le fait exprès. Elle m'a délibérément regardé, et elle est partie avec cet ABRUTI de Kirschtein. Putain, Kirschtein, si j'croise ta sale gueule toute seule dans un couloir, j'te jure qu'ça va être ta fête.

Une fois à l'extérieur, nos deux compères s'installèrent dans un des coins du jardin. Assis sur l'herbe chauffée par le soleil, entourés des fleurs printanières, le cadre était idyllique. D'ailleurs Mikasa se demandait bien ce qui lui avait prit de proposer un pique-nique en tête-à-tête à son ami, puis le visage pétulant de son supérieur lui revint en mémoire. Était-ce par vengeance ? Que cherchait-elle à lui prouver ?

Elle se rendit soudain compte qu'elle n'avait pas écouté un traitre mot de ce que son camarade déblatérait depuis qu'ils étaient assis. Par politesse, elle ne l'interrompit pas et essaya de prêter le plus d'attention possible à ce qu'il racontait. Elle n'était pas très à l'aise, mais c'était finalement mieux d'être ici que dans la salle commune où il déjeunait.

Pendant quelques jours, Jean multiplia les gestes envers Mikasa, persuadé que la belle brune avait enfin comprit qu'il était fou amoureux d'elle (et ce depuis le premier jour). Malheureusement pour lui, elle était à des kilomètres de cette conclusion.

Un matin, les soldats se dirigeaient nonchalamment vers la salle d'entrainement pour une séance animée par le Caporal-chef quand la Major Hansi les croisa. Elle constata alors que Mikasa était en train de se séparer du groupe.

- Et bien ma chère, l'entrainement se tient de ce côté-ci.

- Tout à fait, mais...

- Je vais t'accompagner, tu as l'air dans les nuages.

Tiens, tiens, mais que se passe-t-il encore ? Livaï semble encore plus énervé qu'à son habitude et comme par hasard je te prend à sécher les entrainements... Louche...

Lorsque les deux soldates franchirent la porte, le Caporal fut saisi d'émotions contraires : satisfait de la revoir dans cette salle, mais déçu qu'elle ne soit manifestement pas venue de son plein gré. De plus, le regard mauvais que lui jetait son amie la Major lui fit se douter qu'elle lui reprocherait tout un tas de choses plus tard.

- Bon les relous, j'espère que vous êtes chauds parce que ça va être intense, gronda le Caporal-chef.

Cette nouvelle fit soupirer de désespoir un bon nombre d'élèves, ce qui motivait davantage le haut gradé à les bousculer. Il était d'une humeur de chien, tout son corps transpirait le mépris, et cet entrainement allait être le parfait exutoire.

- On va travailler le combat rapproché, mais plus particulièrement comment sortir votre cul d'la merde quand vous êtes sur le point d'vous faire dégommer.

Jean eut le malheur de laisser échapper un râle, ce qui fit immédiatement réagir son supérieur :

- Ça t'emmerde, Kirschtein ?! aboya-t-il.

- Euh non, Caporal, absolument p...

- Ramène ton cul ici, tu vas me servir pour la démonstration des mouvements.

Peu rassuré, Jean se rapprocha alors que les soldats se reculèrent pour former un arc de cercle autour d'eux. Connie souffla a Sasha qui se tenait à ses côtés qu'il craignait pour le "cul" de son ami, ce à quoi celle-ci répondit que vu la tête du Caporal, c'était plutôt pour la vie de Jean qu'il fallait s'inquiéter.

- Tu vas faire l'agresseur, et moi j'dois me débarrasser de toi.

Les deux soldats se firent face, le plus grand cherchant comment il allait s'attaquer à son supérieur qui l'intimidait particulièrement en cet instant.

- T'inquiètes, j'vais me laisser faire au début, il faut bien qu'tu puisses m'attraper pour que j'leur montre comment s'en sortir.

Jean s'arma de courage et fonça sur son adversaire. Il lui saisit les bras, le déséquilibra par un croche-pied puis se plaça dans son dos afin d'encercler sa gorge de son bras droit. Il se sentit fier une seconde et un large sourire illumina son visage car s'était la première fois qu'il se trouvait en position de domination face à son Caporal ! Cependant, le plaisir fur de courte durée : l'instructeur empoigna fermement l'avant-bras du jeune Kirschtein de ses deux mains et utilisa le poids de celui-ci pour le faire basculer par dessus son propre corps. Un cri de surprise accompagna son envolée et le dos de Jean frappa violemment le sol. Les deux hommes se relevèrent et se replacèrent face à face.

- Encore, Kirschtein.

Le jeune soldat essaya à plusieurs reprises de garder le dessus, mais chaque position de force qu'il adoptait était balayée en une fraction de seconde par le Caporal-chef. A chaque échec, Livaï répétait :

- Encore, Kirschtein !

- Encore, Kirschtein !

- Encore, Kirschtein !

Le pauvre était à bout de force, son corps entier lui faisait mal et les soldats de l'assemblée commençait à être mal à l'aise face à la rage et la violence grandissantes de leur instructeur. Les poings et les mâchoires de Mikasa se serraient devant se spectacle abjecte. Par ailleurs, la plupart des élèvesne comprenait pas l'intérêt de l'exercice car le Caporal ne prenait même pas la peine de leur expliquer les techniques utilisées. Il avait l'air d'un fou, on aurait jurer voir de la fumée s'élever de son crâne.

- Putain Kirschtein, c'est tout ce dont t'es capable abruti ?! Après tout ce temps dans l'armée tu t'bat toujours comme une sale gamine ?!

Ces paroles, ce mot précisément finirent d'exaspérer Mikasa qui bouillonnait dans l'assistance. Elle s'avança d'un bon pour tirer son ami hors de la portée du coup de pied que le Caporal avait amorcé en son sens.

- Livaï ! Ca suffit ! ordonna-t-elle avec ferveur.

La surprise fut égale pour tous. Le Caporal planta un regard haineux dans ses yeux mais pour seule réponse se redressa en fronçant les sourcils, forcé de constater que tout ses élèves s'interrogeaient sur son débordement.
Par ailleurs, il n'avait pas échappé aux camarades de la jeune brune qu'elle avait appelé le Caporal par son prénom. Des murmures s'élevaient de la troupe sur le passage de Mikasa dont le bras passé sous les aisselles de Jean l'aidait à sortir de la salle d'entrainement.

- Merci, Mik'. Tu sais, j'avais encore la force de me battre, hein... bredouilla-t-il.

- Je n'en doute pas Jean, mais je pense que tu en as eu assez pour aujourd'hui.

Lorsqu'ils furent dehors, le Caporal Livaï ordonna à tous de former des duos et la vraie séance d'exercices put enfin commencer. Certains soldats le regardait de manière perplexe mais tous s'exécutèrent.

Il avait perdu le contrôle, et devant ses subordonnés en plus. C'était inadmissible et insupportable.

Faut qu'je règle le problème Ackerman et vite !