L'univers Harry Potter appartient à J.K. Rowling. Je ne fais que jouer avec.
Bonne lecture !
Chapitre 1 : Paperasse
Août 1990 - Poudlard
La soirée était fraîche, en cette fin août écossaise. À Poudlard, les torches de pierre s'enflammaient tôt dans la salle des professeurs. Les enseignants y passaient la majeure partie de leurs journées, préparant la rentrée prochaine. Une enseignante, en particulier, s'activait sans relâche à la lecture de de ce qui s'apparentait à plusieurs mètres de parchemin rédigés dans un alphabet incompréhensible. Ses collègues n'osaient l'interrompre, pas même pour lui proposer de l'aide dans la traduction qu'elle semblait bien décidée à réaliser par elle-même au moyen d'un épais volume que personne n'avait feuilleté depuis plusieurs siècles, au vu de l'état miteux de la couverture.
Il n'était pas rare de voir Pomona Chourave penchée avec assiduité – une poufsouffle, ne l'oublions pas – sur divers ouvrages, en particulier pour préparer ses leçons. Il était peu fréquent, en revanche, de l'observer ainsi accrochée à son encyclopédie des runes latines, dans un état proche de la crise de nerfs, luttant visiblement contre l'envie de déchirer le parchemin à la traduction récalcitrante.
Un léger cognement interrompit le ronronnement studieux de la salle des professeurs. Sans attendre de réponse, la porte s'ouvrit, et la silhouette haute et mince du directeur se dessina dans l'encadrure. Sa robe bleu nuit luisait au milieu des torches en flammes, tout comme sa longue barbe argentée et ses lunettes dorées en demi-lunes.
« Albus… ? »
Albus Dumbledore salua d'un sourire sa directrice-adjointe, Minerva McGonagall, qui l'interrogea du regard quant à sa présence – le directeur se rendait rarement dans la salle des professeurs.
« Bonsoir, chers collègues, navré de vous interrompre dans votre travail, je souhaitais prévenir Pomona de l'arrivée… »
Le pot d'encre du professeur Chourave se renversa, heureusement vers l'extérieur de la table, de sorte que le parchemin fut sauvé in extremis.
« Elle ne devait pas arriver avant demain soir ! » s'exclama le professeur Chourave, les mains levées brandissant le parchemin pour l'empêcher de traîner dans la flaque d'encre en formation.
« …d'un hibou, » termina Dumbledore en siphonnant l'encre d'un claquement de doigt. « Le Ministère italien, » poursuivit-il, « a renvoyé le mandat de transaction signé par Gringotts et Febe, la banque italienne, et par moi-même à l'instant. »
Sous les regards intrigués de ses employés, exceptée le professeur Chourave, le directeur produisit un épais rouleau de parchemin partiellement déroulé, de sorte à ne découvrir que les signatures, dont deux runes gobelines, tracées dans une encre suspicieusement rouge sombre, dont nul ne voulait connaître l'origine, qui devaient correspondre aux deux banques sorcières, mais dont le professeur Chourave n'était pas d'humeur à chercher la traduction. Il y avait une troisième signature, celle du Ministère de la magie italien, et enfin la signature d'Albus Dumbledore.
« Il ne manque que votre signature, Pomona, en tant que tutrice d'apprentissage » reprit Dumbledore, « et nous pourrons sceller le parchemin. Il ne faut pas trop tarder, comme vous pouvez l'imaginer… »
« Je peux le signer tout de suite, Albus, s'il ne s'agit que de cela… »
« Et peut-être serait-il opportun de confier au même hibou le contrat de non-exploitation que voici sans doute ? »
En disant cela, son regard bleu, animé du reflet des torches de la salle, se posa sur le parchemin que le professeur Chourave avait soigneusement réétalé sur son bureau immaculé.
« J'ai presque terminé, » se défendit l'enseignante en s'agrippant farouchement à son encyclopédie des runes.
« Un problème avec le contenu ? » s'enquit Dumbledore avec bienveillance.
« Inutile, Albus, » grommela Filius Flitwick depuis son propre bureau, « j'ai proposé mon aide, ce matin, et j'ai bien failli me faire asperger de pus de bubobulbs… »
Sa voix fluette inhabituellement irritée fit grincer des dents son épouse et collègue de botanique.
« Comme si d'écrire en italien ne leur suffisait pas, ces énergumènes ont l'absurde manie de disséminer des runes absolument partout, » siffla-t-elle en serrant son encyclopédie si fort que ses ongles, pourtant taillés courts, commencèrent à transpercer la couverture fatiguée, « ce qui rend le contrat parfaitement illisible… »
« Ah, » commenta Dumbledore, « mais vous ne préférez pas lire la traduction en anglais ? »
Un silence épais s'engouffra entre les deux interlocuteurs. Les lèvres du professeur Chourave se pincèrent, ce qui était, si vous demandiez à son époux et collègue de sortilèges, un signe dangereux.
« Pourtant, » poursuivit Dumbledore sans s'inquiéter, « je pensais bien vous avoir transmis la traduction en même temps que l'original… »
Il sembla réfléchir quelques secondes, tandis que les mains du professeur Chourave tordaient tout doucement l'encyclopédie des runes, désormais inutile.
« J'ai dû l'oublier sur mon bureau, » conclut Dumbledore avec bonne humeur.
Et d'un claquement de doigt, il fit apparaître sur le bureau du professeur Chourave un nouveau parchemin.
« La traduction est conforme à l'original, » précisa-t-il, « vous signerez l'une ou l'autre version, cela ne changera pas grand-chose, elles sont liées par un sortilège protéiforme dont je dois avouer être jaloux… Cela vaut aussi pour le mandat de transaction. Le hibou a un peu de temps avant de repartir, le temps de faire un tour à la volière piocher quelques biscuits, donc je dirai que dans une bonne heure au plus tard, nous devrions renvoyer les documents signés. »
Le professeur Chourave acquiesça mollement, tout énervement l'ayant quitté, remplacé par un épuisement soulagé – ou était-ce un soulagement épuisé…
Dumbledore souhaita une bonne fin d'après-midi à ses collègues et referma la porte derrière lui.
« Vous recevez donc une apprentie, Pomona ? » s'enquit finalement le professeur McGonagall.
« Oui, » répondit celle-ci avec cette fois une ébauche d'enthousiasme, « une jeune femme très prometteuse tout juste diplômée qui nous vient de Ferruccia, l'école de sorcellerie italienne. »
« Cela ne posera pas de problème pour la communication ? »
« Non, pas du tout, elle parle parfaitement anglais, j'ai pu le vérifier par moi-même au cours d'un entretien par cheminette. »
« C'est une bonne chose, » approuva le professeur McGonagall avec satisfaction. « Vous serez toutes les deux épargnées de l'inconvénient de sorts de traduction souvent mal calibrés… »
« J'aurais tout de même préféré qu'elle soit d'origine britannique, » grommela le professeur Chourave, agitant le nouveau contrat que venait de déposer Dumbledore. « Toute cette paperasse inutile commence à me faire regretter d'avoir accepté… »
« J'ai moi-même de la peine à comprendre en quoi consistent ces documents, » fit remarquer le professeur McGonagall avec curiosité.
« Mon apprentie est citoyenne italienne, » expliqua sa collègue de botanique. « Elle a donc dû déclarer au Ministère italien sa volonté d'entrer dans un parcours d'apprentissage, comme le font tous les apprentis auprès du ministère de la magie de leur pays de résidence. »
« Jusque-là, je vous suis. »
« La difficulté, dans le cas présent, » reprit le professeur Chourave avec avec mauvaise humeur, « est que l'apprentissage se fait à Poudlard, c'est-à-dire hors d'Italie. Il a donc fallu faire une demande de détachement auprès d'un établissement d'un pays étranger, ce qui inclut, pour le Ministère italien, une clause de non-exploitation, c'est-à-dire que Poudlard et le ministère de la magie britannique s'engagent à ne pas reprendre à leur compte les éventuels résultats de l'apprentie. »
« Là, je ne vous suis plus, » coupa le professeur McGonagall, un peu perdue.
« Pour faire simple, la seule conséquence réelle de ce contrat de non-exploitation est que la diffusion des résultats de l'apprentie ne peut se faire qu'au nom de l'apprentie elle-même, ou au nom du Ministère italien. En d'autres termes, je ne pourrai pas contacter La Gazette du Sorcier pour leur dire que notre apprentie a obtenu tel ou tel résultat à Poudlard, il faudra que l'apprentie elle-même fasse la déclaration, ou que le ministère italien produise un communiqué, et à chaque fois, il sera précisé que l'apprentie est bel et bien rattachée au Ministère italien, même si l'apprentissage se déroule à Poudlard. »
« Et c'est ce fameux contrat que vous êtes en train de lire ? »
« Et que j'aurais signé depuis longtemps si Albus m'avait donné la bonne version, » grogna le professeur Chourave.
« Et l'autre document qu'a déposé Albus ? »
« C'est le mandat de transaction, qui me permet, en tant que tutrice d'apprentissage, de demander à Poudlard de verser un salaire à mon apprentie, salaire qui doit passer des comptes de Poudlard au compte de mon apprentie, c'est-à-dire de Gringotts, la banque britannique, à Febe, la banque italienne. »
« De quoi compliquer la tâche, en effet, » reconnut le professeur McGonagall.
Tout en disant cela, le regard de la directrice-adjointe s'était égaré sur les premières lignes du contrat de confidentialité, où figurait le nom et le prénom de sa collègue de botanique, du directeur, et de l'apprentie…
« Dippet ? » lut-elle à voix haute, faisant sursauter le professeur Chourave qui entre-temps avait repris sa lecture.
« Je vous demande pardon ? »
« Amelia Dippet. »
Le professeur Chourave jeta un œil sur le contrat puis fronça les sourcils. « Ah oui, Amelia, c'est drôle, j'étais persuadée qu'elle s'appelait Amanda, j'espère que je ne me suis pas trompée dans mes dernières lettres… »
« C'est le nom Dippet qui m'intrigue, » l'interrompit le professeur McGonagall, légèrement exaspérée.
« Ah, oui, Dippet, » se reprit le professeur Chourave en souriant de sa propre confusion. « Il y a bel et bien un lien avec Armando Dippet, le prédécesseur d'Albus, ce doit être quelque chose comme cinq ou six générations d'écart... »
« Ce serait donc la fille d'Astor Dippet ? » s'enquit le professeur McGonagall.
« Je crois que c'est ce qui est marqué dans son dossier, oui, » répondit distraitement le professeur Chourave en fouillant dans ses papiers pour en sortir une pochette contenant divers parchemin. « Oui, vous voyez, Amelia Dippet, née le 3 mars 1972 à Udine, en Italie. Père : Astor Dippet, mère : Feline Molinero. »
« Père anglais, mère italienne, » résuma le professeur McGonagall. « C'est pour cette raison qu'elle parle anglais sans problème. »
« Exact. »
« C'est étonnant qu'elle soit née en Italie, sachant qu'Astor Dippet travaillait à Londres, à cette époque, en temps qu'expert arithmancien pour le ministère de la magie… »
« Ah, vous connaissiez bien Astor Dippet, alors ? » s'enquit le professeur Chourave, intéressée.
« Sans le connaître vraiment, je m'en souviens assez bien, oui, » confirma le professeur McGonagall avec une pointe d'ironie. « Il était en cinquième année quand j'ai repris l'enseignement après Albus. Un gryffondor, plutôt discret, très doué en arithmancie, mais avec hélas très peu de talent pour la métamorphose. »
« Ni pour les sortilèges, » pouffa le professeur Flitwick depuis son bureau.
« En tout cas, » reprit le professeur Chourave, « douée ou non en métamorphose, en sortilèges, ou en arithmancie, cela n'a aucune importance. »
Reprenant avec autorité la lecture de son parchemin, Pomona Chourave conclut d'un ton qui n'appelait pas de débat :
« Cette Amanda Dippet a un excellent parcours en botanique, et c'est tout ce qui compte. »
