Voici un avant-goût du principal sujet de cette fiction.
Bonne lecture !
Chapitre 4 : L'anti-chenilles
Septembre 1990 – Poudlard
Amelia tint sa parole et, une fois par semaine, ne rentrait pas directement au château mais faisait un détour par le potager d'Hagrid. Le plus discrètement possible pour ne pas attirer l'attention et la curiosité du professeur Chourave ou des quelques élèves qui passaient non loin, elle sifflait doucement des airs qu'elle avait toujours entendus dans les villages moldus de son enfance, et même les airs que Buia, l'elfe de maison, lui avait chantés pour l'endormir.
Hagrid, qui passait parfois en revenant de la forêt ou du château, était très content de voir Amelia s'acquitter de sa tâche avec assiduité, même s'il semblait un peu déçu que les courges ne grossissent pas autant qu'il le souhaitait. Il leur trouvait en revanche la peau plus brillante, plus épaisse et plus colorée, et il s'en réjouissait, surtout en vue d'Halloween où les courges seraient exposés dans la Grande Salle.
Du côté des serres, les premiers cours se passèrent plutôt bien. Amelia restait discrète et plutôt silencieuse, aux côtés du professeur Chourave, préférant écouter et regarder, mais bien vite, sachant qu'elle assistait leur professeur, les élèves n'hésitèrent pas à l'appeler quand ils avaient un problème ou une question. Amelia ne s'était encore jamais trouvée en difficulté, car elle connaissait bien les plantes étudiées à ce niveau.
Les séances individuelles avec le professeur Chourave mirent quelques jours avant de commencer, le temps pour Amelia de se familiariser avec les serres. Puis un jour…
« Vous voulez de l'aide ? »
« Attendez une minute, je suis sûre qu'il était là… »
Amelia acquiesça silencieusement, pour la huitième ou neuvième fois depuis qu'elle était arrivée pour sa première séance individuelle avec le professeur Chourave. Celle-ci passait au peigne fin tout le foutoir – car il n'y avait pas d'autre mot pour décrire l'amoncellement de chaudrons, d'arrosoirs, de sacs, de pots, de notices, de tuyaux, et même de bidons moldus, tout en plastique – qui régnait dans le local à potions.
« Vous ne voulez pas un coup de main ? » proposa une nouvelle fois Amelia, davantage par courtoisie que par réelle envie de mettre ses mains dans la véritable déchetterie que le professeur Chourave s'entêtait à retourner au risque de déranger les souris.
D'ailleurs, l'une d'elles se faufila courageusement entre les pieds du professeur Chourave, passa à toute hâte devant Amelia et disparut dans une interstice du mur.
« Ah, le voilà ! » s'exclama victorieusement le professeur Chourave en se redressant.
Échevelée, elle brandit sous le nez d'Amelia une petite fiole à moitié consommée dont le contenu, trouble et blanchâtre, n'inspirait à personne l'envie d'en avaler ne serait-ce qu'une goutte. Une étiquette en bon état indiquait la nature de la mixture :
Anti-chenilles spécifique
Caryreus, Cyclargus, Philotes, Pseudophilotes
Lot : 4077.86.L
Amelia reconnut des noms de papillons et sentit naître un début d'effroi.
La passion d'Amelia pour la botanique n'était pas nouvelle. Petite, en Italie, elle passait son temps dans les friches et les bois. Elle s'y cachait pour ne pas aller à l'école, à tel point qu'un jour, son père avait envoyé Buia, l'elfe de maison, la chercher dans la forêt il était passé devant elle sans la trouver, car Amelia, sans le faire exprès, avait pris la couleur et l'aspect du tronc d'arbre contre lequel elle était dissimulée.
Quand elle ne cherchait pas à se cacher, Amelia cueillait des fleurs, des feuilles, des champignons, et même des racines, pour les faire sécher entre deux pages des épais livres d'arithmancie de son père. Celui-ci lui avait offert, dès qu'elle avait su lire, une encyclopédie de la flore italienne, moldue comme magique, et ses superbes planches de botanique avaient permis à Amelia de réaliser des dizaines d'herbiers. Avec une infinie patience, elle avait cousu à l'aiguille toutes les plantes séchées sur des parchemins, avait soigneusement tracé à la plume les noms latins de chacun, ainsi que la date de leur cueillette, le lieu où elle les avait trouvées, et leur taille.
En entrant à Ferruccia, Amelia avait eu la chance de rencontrer l'écho de sa passion en la personne de Bertoldo Fiorina, le maître botaniste de l'école. Il avait vite remarqué son intérêt pour la matière, et très vite, l'univers des livres de botanique ne s'était plus limité aux seuls herbiers. Amelia avait dévoré des traités entiers de botanique antique, des ouvrages poussiéreux écrits en latin dont elle n'avait à peu près rien compris, des flores illustrées de pays lointains, et même des manuels d'agriculture moldue. Ces derniers avaient été parmi les ouvrages les plus fascinants et répondaient à la question que certains sorciers curieux osaient se poser : comment faisaient les moldus pour cultiver des plantes sans magie ?
Et la réponse était fort simple pour Amelia, qui avait grandi non loin des moldus et les voyaient arpenter les champs sur des tracteurs. Elle avait vu, attelées au tracteur, les rangées de disques qui ouvraient un sillon dans la terre et y laissaient tomber les grains de maïs, puis, quand les commençaient à pousser, le tracteur qui revenait et déployait les ailes de son pulvérisateur de chaque côté de la cabine pour asperger en pluie fine un produit contre un insecte ou une maladie.
Là était la magie des moldus. Ils n'avaient besoin ni de baguettes, ni de potions. Les tracteurs étaient leurs baguettes, les pesticides leurs potions. C'était simple.
D'ailleurs, à la lecture de certains ouvrages d'agrimagie, ou magie agricole, on comprenait vite que l'utilisation de potions pour la culture des plantes alimentaires ou ornementales était une réalité aussi banale banale dans le monde sorcier que les produits de traitement dans le monde moldu.
Et Bertoldo Fiorina n'avait pas visé au hasard en conseillant à Amelia de se renseigner sur ces fameuses potions censées protéger les plantes des attaques d'insectes ou de champignons. D'obscures revues d'entomologistes évoquaient des effets dévastateurs sur la faune sauvage. Les insectes visés par les produits mourraient, ou étaient incapables de se reproduire, puis les mammifères ou les oiseaux qui mangeaient ses insectes s'intoxiquaient ou bien mourraient de faim, sans parler des autres insectes que les produits ne visaient pas mais qui en étaient quand même victimes, de manière collatérale, ce qui induisait un déséquilibre général de la chaîne alimentaire et des interactions entre proies et prédateurs. Quand aux potions destinés à protéger les plantes des champignons, ils perturbaient tous les autres champignons, notamment ceux du sol, qui participaient pourtant activement au maintien de la fertilité des champs. Il y avait même des potions pour lutter contre certaines herbes envahissantes, herbes dans lesquelles nichaient pourtant bon nombre d'insectes ou autres bestioles farfelues dont personne ne connaissait les noms.
En résumé, Amelia avait rapidement décidé qu'elle n'utiliserait jamais aucune potion de jardinage, quitte à perdre des récoltes. À Ferruccia, le potager était de tout manière exempt de ces potions, par ordre de Bertoldo Fiorina, ce qui avait agacé plus d'une fois certains élèves-jardiniers qui rageaient de voir les choux dévorés par des chenilles.
Mais voyant l'air ravi du professeur Chourave face à sa fiole remplie d'anti-chenilles, Amelia regretta de ne pas avoir abordé le sujet lors de l'entretien par cheminette, un mois plus tôt.
« Votre première mission, Amelia ! » déclara-t-elle avec un enthousiasme presque enfantin.
« Vous voulez que je fasse un traitement ? » clarifia Amelia en essayant de cacher son appréhension.
« Les géraniums dentus sont attaqués par des chenilles, depuis quelques années, » expliqua le professeur Chourave. « J'avais acheté cette potion, il y a quatre ans, c'était très efficace les quelques fois où j'ai pu l'utiliser, mais je n'ai jamais pris le temps de refaire un traitement, depuis deux ou trois ans… »
Elle avait aussi déniché un parchemin bien chiffonné qu'elle défroissa du bien qu'elle put. « Voilà la notice du fabricant, » dit-elle en tendant le parchemin à Amelia.
Incapable de trouver les mots pour s'y opposer, Amelia suivit le professeur dans la serre d'à côté et se retrouva rapidement seule face aux géraniums dentus, avec la notice dans une main, la fiole dans l'autre.
Il y avait bien des chenilles sur les géraniums. Certaines minuscules, à peine plus épaisses qu'une aiguille à coudre, d'autres étaient grosses comme une baguette magique, et presque aussi longues. Les géraniums, bien grignotés par les chenilles, essayaient avec acharnement de croquer les chenilles, mais celles-ci leur échappaient en se cachant sous les feuilles.
Avisant l'arrosoir que le professeur Chourave avait rempli d'eau, Amelia ouvrit la fiole, qui émit un petit « pop » et dégagea un filet de vapeur nauséabond, puis versa quatre goutte dans l'arrosoir, comme le préconisait la notice, avant d'arroser les géraniums qui se débattirent. Manifestement, ils n'appréciaient pas plus l'arrosage que les chenilles, et cherchèrent plusieurs fois à mordre Amelia.
Le lendemain, le professeur Chourave accueillit Amelia avec un grand sourire et s'exclama que le traitement semblait bien marcher. Amelia n'eut pas le cœur d'aller constater elle-même le massacre des chenilles, dans la serre des géraniums.
« Vous avez pu voir à quelle fréquence renouveler le traitement ? » demanda le professeur Chourave en préparant les travaux pratiques pour le cours à venir des gryffondors et poufsouffles de deuxième année.
« Une fois par semaine, jusqu'à ce que tous les œufs aient éclos et qu'il n'y ait plus aucune ponte, » récita Amelia d'un air morose.
« Bien, dans ce cas, nous irons observer cela régulièrement afin d'avoir un suivi précis. »
Les semaines qui suivirent, Amelia revint donc faire le traitement, avec l'aval du professeur Chourave qui vérifiait, à chaque fois, le nombre d'œufs non-éclos.
Les traitements ne s'arrêtèrent pas aux géraniums. Satisfaite du soin dont Amelia faisait preuve en administrant la potion anti-chenille, le professeur Chourave lui confia deux nouveaux traitements contre des pucerons qui s'attaquaient aux mandragores et contre un champignon qui provoquait une moisissure sur le tronc d'un ficus sauteur – le traitement était d'ailleurs compliqué, car le ficus avait la fâcheuse manie de s'enfuir en sautillant, si bien qu'Amelia devait lui courir après avec l'arrosoir, ce qui en renversait un peu partout dans la serre.
Ces premières séances individuelles n'étaient, évidemment, pas du tout du goût d'Amelia, qui ne savaient comment s'y soustraire. N'osant toutefois s'opposer au professeur Chourave, qui semblait très contente de son travail, elle s'appliquait et réalisait les traitements avec exactitude.
Heureusement qu'il y a le potager d'Hagrid, songeait amèrement Amelia, qui y passait volontiers de longs moments en fin de journée, à siffler aux courges ou à discuter jardin avec le géant. Oui, heureusement.
