Le décor est installé, maintenant, les intrigues principales commenceront bientôt à prendre place.
Bonne lecture !
Chapitre 5 : La gorgone écossaise
Octobre 1990 – Poudlard
L'automne s'installait lentement, à Poudlard. Les arbres du parc commençaient à rougir, et quelques feuilles jonchaient déjà la pelouse, laquelle se délectait du temps frais et humide. Il n'était pas rare qu'Amelia ait les pieds mouillés en traversant le parc pour rejoindre les serres, tant l'herbe était gorgée de rosée.
Après quelques semaines à se côtoyer quotidiennement, Amelia commençait à bien apprécier le professeur Chourave. En général, elle était tôt le matin dans les serres, parfaitement réveillée, à siffloter en préparant les cours à venir. Quand venait l'heure d'une séance individuelle avec Amelia, en revanche, le professeur Chourave adoptait plutôt une attitude sérieuse, professionnelle, ce qui ne l'empêchait pas d'être passionnée par les sujets dont elles discutaient.
Mais malgré la sympathie que lui inspirait le professeur Chourave, Amelia ne se sentait pas tout à fait à l'aise dans les serres. Elle aurait bien aimé pouvoir y venir seule, pour arroser les plantes en pot, tailler les rosiers, ou bien faire le tour de la collection de mandragores, mais le professeur Chourave n'avait pas voulu lui donner de clé pour y aller seule, préférant qu'Amelia se rende dans les serres aux heures où l'enseignante y était elle-même.
En-dehors des quelques fins d'après-midi au potager d'Hagrid, Amelia n'avait donc pas beaucoup de possibilités pour occuper son temps libre. La forêt, qui la tentait pourtant, était interdite d'accès. Le parc, bien que grand, était pris d'assaut par les élèves pendant leurs propres pauses. Et la bibliothèque, qu'Amelia aurait voulu investir pour faire quelques recherches, nécessitait de traverser le château, ce qu'Amelia ne se sentait pas prête à expérimenter, de peur de se faire piéger par une marche escamotable ou un escalier farceur.
Amelia passait donc le plus clair de son temps dans sa chambre. Elle n'était qu'à quelques marches de la Grande Salle, et gardée par un tableau représentant une clairière enfrichée. Des oiseaux voletaient de branche en branche. Quand quelqu'un approchait, l'un des oiseaux descendait en piqué vers une vieille souche d'arbre, avant d'esquiver la souche et de remonter vers les arbres. Il recommençait, inlassablement, jusqu'à ce qu'Amelia donne le mot de passe, « Snargalouf ».
Le mot de passe n'avait pas changé depuis son arrivée, en août. Néanmoins, il fallait bien observer le comportement de l'oiseau. Le vieille souche vers laquelle il plongeait était en réalité un plant de snargalouf, d'où le mot de passe. Mais si l'oiseau venait à aller se percher sur une herbe, ou se cacher dans un buisson, il fallait absolument trouver le nom de l'herbe ou du buisson, car c'était le nouveau mot de passe.
Bref.
Pour Amelia, cet enchantement était assez drôle, mais le professeur Chourave, qui avait été obligée de découvrir seule le fonctionnement du tableau, n'avait pas semblé très amusée quand elle avait expliqué le système à Amelia, le premier soir.
« Navrée que vous ayez hérité de cette chambre, » avait dit le professeur Chourave, « mais c'est le seule que Peeves, allez savoir pourquoi, n'a jamais sabotée. »
Amelia ignorait alors qui était Peeves.
L'ignorance ne dura pas longtemps, car un soir, en rentrant des serres, Amelia glissa sur une flaque de fientes d'oiseaux répandues devant le tableau d'entrée de sa chambre, comme si les oiseaux en étaient sortis pour déféquer. N'ayant aucune prise pour se rattraper, Amelia se retrouva mains et fesses dans les fientes.
Un caquètement moqueur résonna dans le couloir, et ahurie, Amelia leva la tête vers un petit bonhomme qui flottait dans les airs, un chapeau vert et pointu à la main. Ses petits yeux noirs et méchants jaugèrent Amelia avec malveillance.
« Qu'est-ce qu'ils sont mal-élevés, ces fichus volatiles ! » s'exclama-t-il en jetant sur Amelia de nouvelles fientes d'oiseaux qu'il sortait du chapeau vert.
Stupéfaite, Amelia ne réagit pas, se contentant de se protéger la tête avec les mains pour éviter de recevoir les fientes dans son visage.
« PEEVES ! » gronda une voix puissante à travers le couloir.
Le petit bonhomme se figea, une fiente à la main qui dégoulina sur l'extérieur du chapeau. Un sourire mauvais lui étira les lèvres et il jeta un regard conspirateur à Amelia. « La gorgone écossaise, » chuchota-t-il.
Et Minerva McGonagall apparut en haut des marches qui menaient au hall. Quelques mèches de ses cheveux noirs s'échappaient de son chignon, ce qui lui donnait effectivement un air de ressemblance avec une illustration de gorgone qu'Amelia se souvenait avoir vue dans Monstres et créatures du Vieux Monde, un manuel de première année.
Sans être proprement furieuse, un air profondément exaspéré lui pinçait les lèvres et faisait frémir son nez fin. Elle s'approcha à pas vif d'Amelia et Peeves, dégainant sa baguette pour la pointer sur le bonhomme sautillant, qui lui fit une révérence grossière avant de jeter le chapeau plein de fientes par terre et de s'enfuir en produisant des bruits obscènes avec sa bouche.
Le professeur McGonagall fit disparaître toutes les fientes d'oiseaux d'un coup de baguette. Amelia, parfaitement sidérée par la situation, la regarda attraper le chapeau vert, et remarqua que la couleur du chapeau était assortie à la robe de l'enseignante.
« Peeves a la fâcheuse habitude de voler la moindre affaire que l'on peut laisser sans surveillance, » déclara simplement le professeur McGonagall avant d'observer d'un œil critique la position d'Amelia, toujours étalée devant le tableau. « Vous vous êtes fait mal ? »
« Non, » répondit Amelia en prenant conscience qu'elle était toujours par terre.
Elle se releva promptement et essuya du plat de la main la poussière qui s'était collée à sa cape.
« Méfiez-vous de Peeves, » reprit le professeur McGonagall. « S'il vous prend en grippe, la vie à Poudlard va vous paraître longue et particulièrement pénible. »
Amelia se retint d'avouer que la vie à Poudlard lui paraissait déjà bien longue sans avoir eu affaire à Peeves. « Je tâcherai de l'éviter, » se contenta-t-elle de répondre.
Un silence bancal s'installa. Amelia n'avait pas la moindre idée d'une parole de politesse pour terminer la conversation et pouvoir enfin rentrer dans sa chambre, et était d'autant plus embarrassée par le regard perçant du professeur McGonagall qui ne semblait pas décidée à s'éloigner.
« Hagrid est très content de votre… assistance, » déclara brusquement le professeur.
« Ah, » balbutia Amelia, prise de court. « Tant mieux, je – »
« Peu de monde s'intéresse au potager d'Hagrid, » coupa le professeur. « Même le professeur Chourave n'y prête pas beaucoup attention. »
« C'est dommage, » dit simplement Amelia, qui se retint de demander au professeur McGonagall si elle-même y portait un quelconque intérêt, ne l'ayant jamais vue dans le parc de Poudlard.
« Cela dit, » poursuivit le professeur, « je dois vous mettre en garde contre quelques… tendances excentriques d'Hagrid. »
« Excentriques ? » répéta Amelia sans comprendre.
« Hagrid se laisse facilement emporter par son enthousiasme, » explicita le professeur McGonagall, « et pourrait, innocemment, entrer en possession d'animaux ou de plantes interdits par les autorités britanniques. »
« Ah. »
« Je vous demanderai de ne pas l'encourager dans cette voie, et s'il venait à vous parler d'un animal ou d'une plante qui vous paraîtrait suspect vis-à-vis de la législation, je vous encourage vivement à en faire part au professeur Dumbledore. »
« Je vois, » répondit Amelia en retenant un sourire ironique. Le professeur McGonagall lui demandait purement et simplement de dénoncer Hagrid.
« Hagrid ne sera pas inquiété, » reprit rapidement le professeur McGonagall, comme si elle devinait les pensées d'Amelia. « Le professeur Dumbledore s'est déjà rendu chez Hagrid pour y neutraliser des œufs de serpencendres, tout s'est bien passé, Hagrid a obtempéré sans difficulté et n'a eu aucun problème par la suite. »
« Je comprends, » fit Amelia qui commençait à se lasser de la tournure de la conversation, « mais Hagrid ne m'a parlé de rien de tout cela, je me contente d'aller voir les potirons, et il me demande des conseils pour faire pousser ses salades, c'est tout. »
« Dans ce cas, » répliqua le professeur McGonagall, « si vous n'avez rien à signaler, je suppose que tout est pour le mieux. »
« En effet, » conclut fermement Amelia en soutenant le regard incisif de l'enseignante.
Amelia prit alors brusquement conscience que le professeur McGonagall faisait sa taille. Leurs yeux étaient à la même hauteur, ce qui était rare pour Amelia, qui était habituée à baisser les yeux pour parler à la plupart des gens. Elle avait même dû se pencher, un jour, pour embrasser…
Les joues rouges, Amelia chassa cette dernière pensée puis avisa le professeur McGonagall. « Je rentrais dans ma chambre quand Peeves m'est tombé dessus, » dit-elle en montrant le tableau.
L'enseignante jeta un bref coup d'œil au tableau puis hocha sèchement la tête, comprenant le message. « Dans ce cas, je vous souhaite une bonne soirée, » dit-elle avant de tourner les talons sans attendre de réponse.
Amelia regarda la silhouette haute et mince de l'enseignante s'éloigner, ses pas résonnant un à un dans le calme du couloir.
Troublée, Amelia marmonna « Snargalouf » et rentra dans sa chambre.
Elle n'était pas étonnée qu'Hagrid puisse se laisser persuader d'acheter des plantes ou des créatures particulièrement dangereuses, mais elle n'irait certainement pas dénoncer la seule personne à Poudlard qui ne lui faisait pas complètement regretter d'avoir choisi d'y faire son apprentissage.
Se souvenant du surnom que Peeves avait donné au professeur McGonagall, la « gorgone écossaise », Amelia se surprit à rire toute seule.
