Les jours passèrent, puis les semaines : bientôt, le mois de décembre arriva et avec, les premières neiges.
Pour clôturer ce premier trimestre riche en enseignements, certains professeurs décidèrent d'organiser un petit examen blanc pour leurs élèves de cinquième année : le professeur Trelawney demanda une prédiction complète à partir de feuilles de thé, le professeur Flitwick un court oral au cours duquel il interrogea les élèves sur différents sortilèges vus durant les années passées et le professeur Lupin organisa carrément un mini parcours d'obstacles en extérieur, lors duquel les élèves durent déjouer des Strangulots, des Kappas, une horde de Chaporouges et même un Épouvantard, avant de devoir s'affronter mutuellement par petites équipes de deux ou trois.
Grâce à ses illusions, Nikita prétendit facilement voir absolument tout et n'importe quoi dans sa tasse de thé – de toutes manières, il avait un don naturel pour sur-interpréter et argumenter pendant des heures sur l'explication métaphysique de l'existence de la moindre petite chiure de mouche, ce qui s'avérait généralement utile pour ce cours. Lee, Fred et George, désespérés, lui demandèrent discrètement de les aider et il s'exécuta avec plaisir, ravi de leur rendre un service après toute l'aide qu'ils lui avaient prodiguée en potions. Ils obtinrent donc tous les quatre un Efforts Exceptionnels, tandis que les autres se coltinaient maussadement des Piètre.
L'épreuve de DCFM, en revanche, fut marquée par un léger incident, dont Nikita occupait bien entendu l'épicentre. Au moment de se confronter à l'Épouvantard, celui-ci se transforma, comme la dernière fois, en une grande femme âgée vêtue de blanc, aux cheveux blancs et aux yeux argentés, fixant le lointain comme si elle était aveugle. Le professeur Lupin qui avait attendu ce moment avec curiosité s'approcha un peu pour voir ce qui allait se passer. Il était à environ quinze mètres derrière son élève, appuyé contre un arbre du Parc : de là où il était, il ne pouvait pas détailler avec précision les traits de la vieillarde, mais vit tout de même qu'elle rivait son regard étrange droit sur Nikita.
Ce dernier commença à lever sa baguette pour lancer le traditionnel Riddikulus, mais l'Épouvantard se montra plus rapide que lui : la femme sortit une baguette blanche mouchetée de gris comme de nulle part et, à la vitesse de l'éclair, lança un sortilège informulé au Russe. Ce dernier s'effondra instantanément comme une masse dans la neige.
Remus Lupin se précipita vers lui. La vieille femme se tenait droite et immobile, ses paupières semblaient ne pas ciller. Ses cheveux aussi immaculés que la neige, coupés juste en-dessous des oreilles et bouclés, flottaient mollement, presque irréellement. De plus près, elle avait l'apparence d'un être fantastique, tout droit sorti d'un rêve.
Lorsque le professeur fut suffisamment proche, l'Épouvantard se tourna vers lui et se mua en pleine lune, dont l'homme se débarrassa immédiatement avant de sceller l'entité dans le placard posé juste à côté. Il fit à peine attention à son geste, tant il était préoccupé par la santé de son élève.
Nikita était visiblement tombé inconscient. Ses yeux étaient clos, ses sourcils légèrement froncés, son corps flasque bien qu'agité de faibles spasmes, dont Lupin ne sut pas s'ils étaient causés par le froid environnant ou par le sortilège. Il se pencha avec inquiétude au-dessus du Russe et prit son pouls, avant d'asperger son visage d'eau d'un Aguamenti.
« Lebedev, dit-il. Lebedev… réveillez-vous. Vous allez bien ? Vous pouvez parler ? »
L'élève avait entre-ouvert les yeux après que l'eau eut ruisselé sur sa peau et eut une violente réaction de recul, sa respiration saccadée. Son regard semblait perdu, il avait l'air de ne pas reconnaitre Lupin. Ce dernier lui posa une main rassurante sur l'épaule, et Lebedev reprit ses esprits.
« Ou…oui, je crois que je vais bien, répondit-il à voix basse. Merci », ajouta-t-il lorsque Lupin lui tendit un morceau de chocolat.
Pendant qu'il s'asseyait dans la neige en croquant la friandise, Nikita lança un regard en biais au placard agité de secousses.
« Dès que vous vous sentirez prêt à marcher, levez-vous je vous prie, ordonna Lupin en se mettant lui-même debout, frissonnant à cause du froid. Ce vent glacial risque de vous rendre malade…
« J'ai l'habitude », marmonna Lebedev, la bouche pleine.
Mais il obtempéra et laissa le professeur Lupin le guider jusqu'à l'infirmerie, après que ce dernier eut momentanément suspendu l'épreuve et demandé aux élèves de patienter.
Entre-temps, l'enseignant l'observait soucieusement du coin de l'œil, hésitant à lui poser des questions. Il sentait que son élève était ébranlé, peut-être plus qu'il ne laissait paraître. Il se demandait bien quel sortilège avait bien pu lui lancer cette vieille sorcière mystérieuse…
Madame Pomfresh les accueillit précipitamment, occupée à soigner un Gryffondor qui s'était fait casser le nez en se battant contre un Serpentard. Elle leur posa quelques questions vagues d'un ton débordé, et ne commença à s'intéresser à Nikita que lorsque Lupin l'eut arrêtée un moment pour lui exposer la situation. Inquiète, l'infirmière s'approcha du jeune garçon et l'examina attentivement.
« Un Épouvantard, vous dites ? questionna-t-elle le professeur. Je pensais que même les troisièmes années savaient comment s'y prendre…
« Ce n'est pas ça, celui-ci a pris l'apparence d'une sorcière, expliqua Lupin. Elle a jeté un sort à monsieur Lebedev, j'ignore lequel… »
Il regarda son élève avec insistance, attendant que celui-ci en révèle davantage. Toute cette histoire l'intriguait fortement (il y avait de quoi !).
Mais Lebedev haussa simplement les épaules.
« Aucune idée, dit-il d'une voix fatiguée. Je me sens épuisé… est-ce que je peux manquer le reste du cours pour me reposer un peu, professeur ?
« Oui, bien sûr, hésita ce dernier. Mais… vous êtes sûr que… ?
« Je n'en sais pas plus que vous, professeur. Elle m'a jeté un sort, puis… puis je suis tombé dans les pommes. Voilà tout. Merci pour le chocolat… »
Il mentait, c'était évident. Mais le professeur Lupin comprit qu'il n'en tirerait pas davantage. Poussant un soupir, il salua son élève et adressa un signe de tête à Madame Pomfresh pour qu'elle s'occupe de lui, avant de repartir d'un pas vif.
OooO
« Oh, tu as vu ça ?! Un sort de Vision Nanooptique vient d'être inventé aux États-Unis ! C'est génial, ça va permettre de faire tellement de découvertes ! Et on va enfin pouvoir confirmer ou infirmer certaines théories ! »
Quentin Hazelwood brandit le journal spécialisé qu'il tenait dans les mains juste sous le nez de Nikita, qui recula un peu afin de pouvoir déchiffrer l'intitulé. Ils se trouvaient, comme souvent, à la bibliothèque, accompagnés de Fernando Zorreguiella – un Serdaigle de sixième année, comme Quentin, doté un tempérament artistique très particulier : en effet, il se destinait depuis toujours à la peinture et à la sculpture, passant généralement son temps à peindre ou à sculpter dans un coin obscur d'une salle tout en refusant catégoriquement que quiconque s'approche de ses « œuvres ». Quentin était le seul qu'il arrivait à supporter et dont il tolérait la présence lorsqu'il était frappé d'une « inspiration ». En ce moment même, l'artiste esquissait de quelques coups de baguette violents les traits d'une structure complexe et obsédante, définitivement abstraite.
Ils étaient tous les trois dans l'un des recoins les plus éloignés de la bibliothèque, presque collés aux premières rangées de la Réserve. Quentin, grand passionné des théories scientifiques sur les fondements de la magie, avait emmené Nikita ici, tout excité à l'idée de discuter avec lui de cette nouvelle découverte et d'explorer les nombreux ouvrages poussiéreux et oubliés qui trainaient dans ce genre de recoins. Habituellement, le Serpentard était le seul à le comprendre et à pouvoir tenir une discussion avec lui ; pourtant, ce jour-là, il avait l'air un peu démoralisé.
Il se força néanmoins à sourire et à répondre d'un ton qui se voulait enjoué :
« C'est parfait ! Ça va certainement beaucoup faire avancer les recherches ! »
Mais il n'eut pas l'énergie de continuer.
Quentin ne s'aperçut pourtant pas de ce manque d'enthousiasme, et commença à débiter à toute vitesse toutes les idées en vrac qui se présentaient à lui : on allait peut-être enfin observer des effets directs de particules de magie, voire des conglomérats de particules ! En plus, avec la Nanooptique, des objets magiques bien plus perfectionnés allaient pouvoir être produits, à l'instar des circuits intégrés des Moldus ! Ce nouveau sort offrait tant de possibilités, tant de champs de recherches… !
Nikita dut l'interrompre poliment d'un signe de la main.
« Excuse-moi Quentin… une autre fois peut-être. Aujourd'hui, ce n'est pas vraiment le moment, je suis désolé… »
C'était la veille des vacances de Noël. Quentin, d'abord interloqué, reprit très vite ses esprits :
« Qu'est-ce qui se passe ? demanda-t-il du ton le plus compassionnel qu'il était capable d'adopter. Un problème ?
« Non… enfin si… c'est juste que… »
Nikita prit une grande inspiration et calma son léger tremblement nerveux à la cuisse.
« C'est juste que je vais retourner en Russie, pendant ces vacances… »
Quentin le regarda sans comprendre.
« C'est chouette, non ? fit-il pour essayer de le motiver un peu. Tu vas pouvoir revoir ta famille ! »
Mais le Serdaigle comprit instantanément que c'était la phrase à ne pas dire : une expression étrange, mêlant à la fois dédain, haine, angoisse et ressentiment, passa sur le visage habituellement stoïque du Russe ; tout son corps fut parcouru d'un spasme incontrôlable et ses lèvres tressaillirent. Il reprit cependant immédiatement contenance et redevint faussement impassible et de bonne humeur.
« Oui… oui, c'est… chouette, comme tu dis, répondit-il en tordant ses muscles faciaux en un rictus qui n'avait pas grand-chose en commun avec un sourire. Pardon, s'excusa-t-il aussitôt. Je… je crois que je ferais mieux de partir, bafouilla-t-il, soudain confus.
« Attends, Lebedev… ! »
Mais Nikita baissa les yeux, ignorant le bras à demi tendu de Quentin comme pour essayer de l'arrêter, et s'en alla un peu gauchement, se frayant un chemin entre les étagères. Quentin abaissa son bras, soudain plein de honte et de tristesse : il avait fait une gaffe, ça avait mis son ami de mauvaise humeur… il ne s'était jamais montré très doué avec les gens. Il espérait pouvoir se racheter, à l'avenir ; et en même temps, il brûlait d'une curiosité toute nouvelle à l'égard de la situation visiblement compliquée et voilée de mystères de Nikita Lebedev…
