Les jours passèrent et les liens d'amitié entre Nikita et les élèves des autres Maisons ne firent que se renforcer, tout le monde ayant préféré passer outre ses précédentes déclarations à propos de la magie noire. De toutes manières, il ne remettait plus le sujet sur le tapis. De plus, il semblait bien plus détendu et extraverti que durant les quelques jours ayant précédé les vacances et bien qu'il demeurât très discret à propos de sa vie familiale, ses amis comprirent qu'il s'était probablement réconcilié avec quelqu'un – ou en tous cas qu'il lui était arrivé quelque chose de positif.
À présent, en plus de Lee, Fred et George, Nikita était souvent aperçu en compagnie de Luna Lovegood, ce qui n'avait pas manqué d'attiser les moqueries de certains : la Serdaigle et lui tenaient de longues conversations visiblement passionnantes bien que totalement nébuleuses et ésotériques, la plupart du temps dans des couloirs vides ou dans des coins isolés du Parc. Le Serpentard était capable d'écouter attentivement Luna parler pendant des heures, fasciné par tout ce qu'elle pouvait lui dire ; lorsque quelqu'un venait ensuite lui faire remarquer que la Serdaigle était complètement à l'ouest et que les idées qu'elle lui partageait n'étaient qu'un tissu d'âneries, il haussait pacifiquement les épaules et répliquait qu'il respectait l'avis de chacun. Personne ne sut jamais s'il croyait ou non en les inventions de Lovegood.
Les cours avaient repris de manière plus intense qu'au premier trimestre : les professeurs étaient de plus en plus exigeants avec les cinquièmes années, leur rappelant sans cesse l'échéance des examens qui se rapprochait petit à petit. Certains élèves finissaient par devenir imperméables à cette pression grandissante, à l'instar des jumeaux Weasley, qui en étaient un cas extrême : en cours de potions, ils ne faisaient plus que s'amuser à mélanger n'importe quoi en suivant parfois les conseils avisés de leur voisin Nikita (plus précisément en faisant exactement l'inverse de ce que le Russe leur disait pour éviter de tous mourir dans une explosion) et essayaient ainsi officiellement d'inventer certains futurs produits de farces et attrapes – officieusement, leur but était simplement de pousser le professeur Rogue à bout, et ce dernier ne se privait d'ailleurs pas de retirer des quantités généreuses de points à leur Maison. Dans les autres matières, ils avaient commencé àsuivre l'exemple de leur ami de Serpentard en levant sans arrêt la main, souvent pour lancer des remarques drôles ou poser des questions volontairement stupides rien que pour user les nerfs de leurs professeurs – sans toutefois jamais dépasser les limites imposées par la bienséance. Les cours de Divination étaient très vite devenus un véritable défouloir : le quatuor formé par Lee, Fred, George et Nikita rivalisait de créativité pour inventer des prophéties plus farfelues les unes que les autres, en sur-interprétant absurdement les moindres détails tout en maintenant des expressions mortellement sérieuses et graves. C'est ainsi que Fred prédit un jour à partir de feuilles de thé que la Fée Tartiflette avait choisi un Élu pour combattre les infâmes Beignets à la Crème, que Lee écrivit dans son devoir que ses rêves étaient les signes précurseurs de l'Apocalypse qui s'abattrait un mardi après-midi et débuterait lorsque la mille-cent-septième chenille d'une portée de trois-mille neuf-cent cinquante-trois œufs aurait dévoré la Tige Sacrée du Bambou Suprême et que Nikita découvrit en interprétant une suite de cartes de tarot qu'un vitrier armé d'une oreille de lapin allait le pousser à devenir le Ministre de l'Intérieur des États-Unis d'Amérique et à épouser un ventilateur rose.
« Je vois... je vois que Nikita aura un destin absolument minable, commenta George durant une séance de chiromancie, alors que le professeur Trelawney l'avait interrogé pour qu'il fasse son interprétation sur son voisin à voix haute. Je vois aussi qu'il a été un oiseau dans une ancienne vie... probablement une poule au vu de cette ligne de vie qui coupe la ligne de tête. Il a connu beaucoup de coqs à cette époque-là, sa ligne de cœur est très développée : il a dû être une pondeuse très réputée ! Oui... oh, je comprends mieux ! Son destin, ce sera de finir dans une assiette de nuggets !
« Très bien monsieur Weasley, ce sera suffisant pour cette fois, le coupa le professeur Trelawney, un peu dépassée par les événements – la classe avait commencé à pouffer de rire. Vous savez, la chiromancie ne permet pas de lire les vies passées...
« Alors peut-être que c'est ma vie actuelle, professeur ? » intervint Nikita d'un air innocent, ce qui acheva de provoquer l'hilarité générale.
L'enseignante se pinça les lèvres, exaspérée mais ne sachant pas si ses élèves avaient fait preuve d'insolence ou d'un trop grand enthousiasme. Rien sur leurs visages très sérieux ne permettait de trancher. Elle décida de bafouiller un « très bien, merci pour votre participation » avant d'enchainer sur les devoirs à faire pour la semaine d'après.
En cours d'histoire de la magie également, Nikita se montrait infatigable : le professeur Binns avait fini par simplement ne plus le laisser parler et le Serpentard redoublait d'inventivité pour perturber la monotonie du cours en sollicitant la parole avec beaucoup de fougue, sans jamais toutefois dépasser les bornes du règlement. Se racler la gorge, sautiller sur place, prendre des expressions allant de la douleur à l'excitation, faire trembler la table ou la tapoter en rythme, se moucher ou éternuer bruyamment aux moments les plus inopportuns – tous ces moyens, plus pernicieux les uns que les autres, étaient employés dans des ordres et des combinaisons très variés. Bien que le professeur Binns soit un fantôme, il sentait que ses nerfs fantomatiques allaient finir par lâcher tôt ou tard...
Mais le premier événement vraiment digne d'attention depuis la rentrée ne se produisit que durant le week-end de la deuxième semaine, le dimanche soir.
Les élèves inscrits au club de Quidditch amateur venaient de jouer un match opposant quatre équipes, réparties deux par deux sur le terrain – autrement dit, un grand capharnaüm. Les choses n'étaient pas arrangées par le fait que Lee et les jumeaux avaient imaginé de nouvelles règles de jeu pour pimenter la partie – ils le faisaient assez souvent, au plus grand bonheur de Nikita qui s'épanouissait dans le chaos ainsi provoqué comme une fougère dans un sous-bois humide.
Le match, ayant opposé les Particules Quantiques alliées aux Fusées face aux Affreux Gnomes associés aux Cyclones de Poudlard, s'était conclu sur un match probablement nul (personne n'avait réellement eu le courage de compter les points àcause des règles beaucoup trop absurdes). Pour fêter le dénouement de ce dixième match depuis la création du club, les jumeaux et Lee avaient décidé d'organiser une grande fête clandestine dans la Salle Commune de Gryffondor.
Par principe, cette « cérémonie » n'était ouverte qu'aux élèves de Gryffondor – il était pratiquement impensable que les membres de Maisons distinctes se montrent leurs Salles Communes respectives. De toutes manières, les Poufsouffles avaient bien trop peur de faire perdre des points à leur Maison, les Serdaigles préféraient se reposer pour correctement reprendre les cours le lendemain et les Serpentards... eh bien, les quelques liens créés entre Serpentards et Gryffondors depuis le début de cette année demeuraient très fragiles et puis, ils n'auraient de toutes manières certainement pas accepté, par fierté.
Évidemment, cette règle ne s'appliquait pas à Nikita Lebedev qui fut entrainé par Lee à la fête après le dîner comme si cela allait parfaitement de soi. Les cinquièmes années, habitués à sa présence, trouvèrent cela tout à fait naturel et parmi les autres, peu s'étonnèrent réellement de sa présence.
Des bouteilles de Bièraubeurre, trafiquées par de courageux élèves depuis Pré-au-Lard, étaient disposées sur toutes les tables de la pièce décorée de tapisseries vermeil ; de petits rubans en forme de créatures magiques avaient étémagiquement accrochés au plafond, où ils flottaient et se déplaçaient dans un ballet monotone ; un poste de radio magique avait été amené par un élève de sixième année pour mettre la salle dans l'ambiance ; quelqu'un – certainement Fred – avait eu la présence d'esprit de faire boire un verre de potion de Sommeil Profond au préfet Percy à son insu. Une bonne cinquantaine d'élèves de toutes les années étaient présents pour s'amuser : les rires, les discussions allaient de bon train, aussi vite que la disparition progressive des bouteilles d'alcool. Certains dansaient, chantaient, jouaient à des jeux... Fred, George, Lee et Nikita se tenaient au centre de la Salle, au centre de l'attention générale, et menaient une partie de poker alcoolisée avec des cartes Chocogrenouilles (ceux qui se couchaient devaient boire une gorgée, celui qui perdait un shot) que beaucoup suivaient avec attention. Le jeu était très serré, entre Lee qui trichait presque ouvertement, les jumeaux synchronisés comme un seul homme et Nikita, qui semblait tout simplement lire dans leurs pensées bien que sa baguette fût rangée dans la poche arrière de son pantalon. Pour le moment, Fred menait la partie, talonné de près par le Serpentard qui commençait cependant à se sentir pompette, suivi de George et enfin du tricheur. Dans leur sens aigu des affaires, les Weasley avaient même vendu des paris aux spectateurs. La partie se jouait avec du vrai argent – seulement, les mises ne dépassaient jamais la valeur d'une Mornille.
Tout semblait se dérouler pour le mieux : onze heures étaient passées, certains premières et deuxièmes années étaient partis se coucher mais la fête battait toujours son plein. Tout était suffisamment discret pour ne pas alerter Rusard ; rien n'avait l'air de pouvoir perturber cette ambiance de joie et de bonne humeur, ni même l'intervention d'Hermione Granger, une fille de troisième année très à cheval sur le règlement, qui était descendue menacer les jumeaux de les dénoncer s'ils n'arrêtaient pas tout de suite – sans succès. Les élèves songeaient à peine au lendemain qui allait s'avérer douloureux à cause de la fatigue et de la gueule de bois – beaucoup envisageaient de simplement se porter pâles.
Malheureusement, tout bon moment doit se finir, et souvent au prix d'un lourd tribu : la soirée fut interrompue vers onze heures et quart par l'arrivée fracassante et inattendue du professeur McGonagal.
L'enseignante demeura quelques instants sur le seuil de la porte comme si elle n'en croyait pas ses yeux : les élèves qui l'avaient aperçue s'étaient immobilisés sur place et priaient pour disparaitre instantanément de la surface de la Terre ; la musique continuait cependant de jouer, et beaucoup n'avaient encore rien vu.
L'arrivée inopinée du professeur finit par être marquée par un terrible beuglement :
« MAIS JE RÊVE ! QU'EST-CE QUE VOUS FABRIQUEZ, TOUS ?! »
« Tous » se stoppèrent immédiatement.
Le professeur McGonagal balaya furieusement la salle du regard.
« Je n'ai JAMAIS vu une chose pareille, de toute ma carrière ! continua-t-elle d'un ton féroce et sévère. Vous... à cette heure-là ! Vous n'avez pas honte ! Vous êtes en train de trainer dans la boue l'honneur de votre Maison ! »
Son regard était flamboyant de colère, mais aussi terriblement déçu.
« Et puis... faire ça... avec le contexte actuel ! Vous n'avez donc pas retenu la leçon ?! Sirius Black rôde dans les parages, s'il vous trouvait ainsi, tous... Vous n'êtes qu'une bande d'écervelés, tous autant que vous êtes ! J'enlève cent cinquante points à la Maison Gryffondor, et vous aurez tous une retenue ! Maintenant, alignez-vous tous, que je vois qui est là... n'essayez même pas de fuir monsieur Finnigan ! Voilà, bien... Bande de... de... mais vous allez voir, vous allez payer cher les conséquences de vos actes... Vous... et puis... QU'EST-CE QUE VOUS FICHEZ LÀ, MONSIEUR LEBEDEV ?! »
Elle venait d'apercevoir l'« intrus », qui avait vainement essayé de se cacher en se tassant sur lui-même derrière les jumeaux Weasley.
Le professeur de Métamorphose fulminait littéralement de rage : ça, c'était la goutte de trop ! Ah, çà, pour sûr, ce petit rigolo n'allait pas s'en sortir aussi facilement ! Tout ça, c'était sans doute de son initiative, probablement pour faire punir les Gryffondors ! Heureusement qu'elle était passée par hasard par-là : sans ça, si le professeur Rogue s'était aperçu de cette fête...
« Venez, siffla-t-elle furieusement. Avec moi. Chez le Directeur. »
Sans attendre la réaction du Serpentard, elle lui happa le bras et l'entraina vivement dans son sillage. Lee tenta de bafouiller une explication sur son passage, mais elle le rejeta de plein fouet dans son élan rageur : sans demander son reste, il se blottit entre les jumeaux qui se pinçaient les lèvres, penauds. Avant que les élèves ne se soient remis de leur choc, le professeur et Nikita étaient sortis de la Salle Commune.
Elle le guida fougueusement à travers les escaliers remuants, si bien que le Russe perdit bientôt le compte des étages descendus. Elle avait beau ne rien dire, il sentait la colère bouillonner en elle et hésitait à lui parler pour apaiser la situation ; il se ravisa cependant bien vite lorsqu'elle le fit tourner si brusquement à un angle qu'il manqua de s'encastrer dans un tableau – de toutes manières, il avait le souffle court.
Leur folle épopée s'acheva enfin lorsqu'ils atteignirent une immense gargouille au bout d'un couloir du deuxième étage. Le professeur de métamorphose se racla la gorge et articula d'une voix tranchante : « Jelly Babies ». La gargouille esquissa un sourire malveillant et pivota sur elle-même, laissant place à une porte donnant sur un escalier en chêne massif qui montait en colimaçon.
« Montez », ordonna le professeur McGonagal à Nikita tandis qu'il contemplait ce phénomène peu commun avec curiosité.
Elle le suivit dans l'escalier, en marquant bien ses pas d'un coup énergique des talons. Le Serpentard gravit les marches et se retrouva face à une nouvelle porte massive, dotée d'un heurtoir en cuivre en forme de griffon.
Minerva McGonagal lui fit sèchement signe de s'écarter et frappa quatre coups vigoureux avant de se remettre bien droite devant la porte. Quelques secondes s'écoulèrent. Enfin, quelqu'un s'approcha silencieusement de l'autre côté, et la porte en chêne pivota, laissant place à la haute silhouette effilée et reconnaissable entre toutes d'Albus Dumbledore.
Le vénérable professeur, vêtu d'une sorte de robe de chambre violette constellée de paillettes, dévisagea ses deux visiteurs pendant quelques instants de ses yeux bleu vif à moitié dissimulés par ses lunettes en demi-lune ; enfin, il hocha la tête et recula d'un pas pour les laisser entrer tout en les saluant au passage :
« Bonsoir, professeur McGonagal ! Et bonsoir, monsieur Lebedev... Quel bon vent vous amène ? »
Sa voix était douce, chaleureuse, amicale : Nikita lui adressa un très large sourire avant de tourner la tête pour examiner l'intérieur du bureau. Le professeur McGonagal, cependant, demeura froide.
« Figurez-vous, professeur Dumbledore, commença-t-elle sévèrement, que cet élève organisait une fête clandestine dans la Salle Commune de Gryffondor – endroit où il n'a absolument rien à faire, vous tomberez certainement d'accord avec moi ! »
Elle gesticulait presque fiévreusement pendant son court monologue, pointant du doigt Nikita au moment où elle dit « cet élève », puis agitant son doigt devant sa figure pour dramatiser davantage son propos. Nikita lui prêtait à peine attention, trop occupé à lorgner avidement les bibelots mystérieux disposés chaotiquement sur le bureau du directeur ainsi que le magnifique phénix rouge et or somnolant sur un grand perchoir juste à côté. Le professeur Dumbledore, quant à lui, observait l'élève de son regard doux et conciliant, curieux de voir sa réaction. Lorsque le professeur McGonagal se tut pour reprendre son souffle, il lui fit poliment signe de s'interrompre.
« Professeur McGonagal, voyons... je suis sûr que ce n'est pas si terrible, vous semblez en faire une véritable tragédie...
« Une tragédie ? Non, Albus !... Mais cet élève de Serpentard n'avait strictement rien à faire dans la tour de Gryffondor, vous en conviendrez ! Et encore moins à cette heure en compagnie d'une cinquantaine d'élèves à danser, jouer aux cartes et consommer de l'alcool – ce qui est strictement interdit par le règlement ! Encore heureux que ce soit moi qui les ai surpris – je n'ose même pas imaginer la réaction qu'aurait eue le professeur Rogue, la moitié de ma Maison aurait été renvoyée à coup sûr ! »
Une fois de plus, elle s'était emballée en parlant, mâchant précipitamment certains mots sous le coup de l'énervement ; le professeur Dumbledore dut lui couper la parole une seconde fois pour la modérer.
« Enfin, Minerva... Vous n'allez pas me dire que monsieur Lebedev a forcé cinquante Gryffondors à participer à une petite soirée clandestine dans le but de faire perdre des points à leur Maison... Je suis certain que ses amis, messieurs Weasley et Jordan, y sont également pour beaucoup...
« Professeur... j'ignore les motivations qui ont poussé cet élève de Serpentard à s'introduire parmi les Gryffondors et à les encourager à commettre des actions contraires au règlement, mais vous pouvez être certain qu'elles sont sans aucun doute loin d'être... honorable..., bafouilla le professeur de métamorphose.
« Hmm... et pourquoi ne pas lui demander directement, qu'en pensez-vous ? » proposa calmement le professeur Dumbledore en se tournant vers Nikita, qui dévisageait à présent les portraits endormis accrochés aux murs.
Le Serpentard, s'apercevant de l'instant de silence expectatif, reporta son attention sur le directeur, qui le fixait de ses yeux d'un bleu presque électrique. Ce regard si perçant ne sembla pas le bouleverser le moins du monde : au contraire, un grand sourire s'étala lentement sur son visage et il braqua sans gêne aucune ses yeux pâles droit dans ceux du professeur.
« Hum... je n'ai pas entendu ce que vous disiez monsieur le Directeur, excusez-moi, rit-il d'un faux air poliment confus.
« Le professeur McGonagal semble persuadée que vous avez organisé une fête illégale dans la tour de Gryffondor dans le seul but de faire punir ses élèves. Personnellement, je trouve cette théorie bien tirée par les cheveux, alors... je voulais vous demander votre avis à ce sujet, sourit Dumbledore en retour.
« Oh... euh, merci monsieur le Directeur... eh bien... c'est-à-dire que, malgré l'immense respect que je porte au professeur McGonagal, je dois admettre que son hypothèse est effectivement erronée : en réalité, les Gryffondors avaient pris l'initiative d'organiser cette fête et j'y ai simplement été invité. Ils vous le confirmeront certainement si vous les interrogez. »
Le regard du professeur Dumbledore sembla redoubler d'intensité, mais cela ne fit même pas frémir le Russe qui le soutint avec un sourire confiant, presque naïf. Le professeur McGonagal avait commencé à ouvrir la bouche comme pour contrer ses propos, mais le directeur l'interrompit une nouvelle fois d'un geste de la main.
« Très bien, monsieur Lebedev, je prends en compte votre témoignage. Hmmm... y a-t-il autre chose que vous voudriez dire ? » ajouta-t-il au bout de quelques secondes.
Nikita se mordillait la lèvre inférieure, hésitant : il savait que ce qu'il avait sur le cœur risquait de passer pour de l'insolence, alors il cherchait la formulation la plus lisse possible. Néanmoins, lorsque le professeur Dumbledore l'encouragea à parler, il prit subitement sa décision et se lança :
« Oh... euh, oui, monsieur le Directeur... enfin... je trouve que le professeur McGonagal en a fait tout un plat – si vous me pardonnez l'expression – : quel mal y a-t-il à ce que des élèves de différentes Maisons se côtoient amicalement dans une Salle Commune qui n'est pas la leur ? J'ai eu l'impression que c'est principalement de ça dont il était question... Et puis, tout cela à cause de ces absurdes histoires de rivalité entre Gryffondors et Serpentards... sans vouloir vous offenser, je trouve que vous entretenez une ambiance de compétition presque malsaine, qui aurait dû être dépassée depuis des siècles... »
Avec une pointe irrépressible d'appréhension, le Russe dévisagea tour à tour les deux enseignants, conscient d'en avoir trop dit. Critiquer ouvertement la politique de Dumbledore ne lui posait généralement aucun problème – sauf lorsqu'il le faisait directement dans son bureau et directement face au concerné. Heureusement, Poudlard n'étant pas Durmstrang, la pire punition dont il pourrait écoper serait une visite guidée dans cette charmante forêt bucolique dont les sombres rameaux hantaient les contours du parc du château – une balade de santé en comparaison avec certains des pires châtiments corporels qui perduraient dans les institutions d'Europe de l'Est.
À son grand étonnement – et soulagement, par la même occasion – le professeur Dumbledore esquissa un sourire sous sa longue barbe argentée et ses yeux pétillèrent de satisfaction ou de malice. Le professeur McGonagal, manifestement outrée, se contenta de fixer tour à tour le directeur et l'élève de son regard sévère, attendant la suite avec impatience ; finalement, au bout de quelques secondes d'un silence atroce, le professeur Dumbledore reprit la parole d'un ton bienveillant :
« Je comprends parfaitement votre regard critique sur l'organisation sociale de mon école, monsieur Lebedev... et je dois admettre que je l'approuve, sur le fond !
« Oh...euh... merci, monsieur le Directeur...
« Cependant, pour nuancer quelque peu votre propos, je dois vous faire remarquer que je ne suis que peu responsable de ces déplorables tensions : étant nouvellement arrivé en Angleterre, vous ne vous êtes sans doute pas encore entièrement acclimaté, mais il est chez nous de notoriété commune dans l'inconscient collectif que la Maison de Serpentard est malheureusement associée aux actes d'un de ses plus tristement célèbres représentants – le mage noir Lord Voldemort. »
À cette évocation, le professeur McGonagal trembla et même Nikita ne put empêcher un frissonnement désagréable parcourir sa nuque puis descendre le long de sa colonne vertébrale. Dumbledore ne sembla cependant pas s'en apercevoir et continua sur sa lancée :
« Bref, tout ceci pour vous dire, monsieur Lebedev... que je suis hautement satisfait des efforts que vous déployez pour effacer cette inimitié et ces méfiances inavouées, bravo à vous ! Votre idée de club de Quidditch amateur mixte – excellente, je m'étonne que personne n'y ait songé avant vous ! Pour tout cela, je suis très heureux de pouvoir accorder deux cents points à la Maison Serpentard – j'aurais déjà dû le faire bien avant mais nous n'avions jamais encore eu l'occasion d'avoir une discussion depuis votre admission à Poudlard ! »
Les deux autres personnes présentes dans la pièce entrouvrirent la bouche de stupéfaction. Le professeur McGonagal fut la première à intervenir :
« Mais... mais Albus... Cet élève organisait une réception clandestine...
« Oh, vous voulez parler de cette petite fête, Minerva ? Rien de bien grave, je vous assure : j'ai moi-même donné l'autorisation aux jumeaux Weasley de la faire – ils sont jeunes, ils ont bien le droit de s'amuser ! Vous devriez rendre les points que vous aviez retirés à votre Maison et annuler toutes leurs retenues, ils ne méritent pas de punition aussi sévère... »
« Mais... mais enfin, professeur...
« Il n'y a vraiment aucun mal à ce qu'ils ont fait ce soir. Minerva, j'ai conscience que vous aviez voulu bien agir en amenant monsieur Lebedev dans mon bureau pour que je le sanctionne personnellement, mais vous avez tendance à parfois juger trop hâtivement la situation... Quoi qu'il en soit, j'ai été ravi de pouvoir discuter avec toi, Nikita, et je serais heureux que tu repasses me voir si tu ressens le besoin de me parler de quelque chose ! »
Le professeur Dumbledore plongea son regard perçant dans celui, limpide, du Serpentard. L'espace d'une fraction de seconde, le professeur McGonagal, qui les observait tous les deux, eut l'impression qu'une lutte impitoyable était menée entre leurs esprits ; l'instant d'après, pourtant, les deux s'échangeaient des sourires rivalisant de chaleur et d'amicalité.
« Bien, monsieur le Directeur, je n'y manquerai pas ! » lança joyeusement Nikita.
Le professeur Dumbledore hocha bienveillamment la tête avant de désigner poliment la porte du menton.
« Merci d'être passés, Minerva, monsieur Lebedev... mais il se fait tard, vous devriez rejoindre les cachots. En tous cas, je vous souhaite une excellente soirée et... bonne nuit ! »
Le professeur McGonagal, résignée à ne pas pouvoir sanctionner Nikita, marcha jusqu'à la porte et l'ouvrit, puis attendit un peu avant que le Serpentard ne se résolve enfin à quitter presque à contrecœur le bureau du directeur dont l'ameublement hétéroclite le fascinait manifestement beaucoup. L'élève adressa un dernier signe de tête respectueux en guise de salut au professeur Dumbledore avant de quitter lentement la pièce, examinant toujours les portraits sur les murs et jetant des regards à la dérobée au phénix endormi. La porte finit par se refermer sur lui ; au dernier instant, le directeur et lui eurent un bref contact visuel, l'un aussi pénétrant que des rayons X, l'autre volontaire, insolemment naïf et confiant bien que parfaitement opaque au-delà de ça.
Grommelant quelque chose d'inaudible dans sa barbe, le professeur McGonagal indiqua les escaliers de sortie à Nikita et lui intima d'aller rejoindre sans détours les cachots. Elle ne semblait pas vouloir partir bien que la porte du bureau du directeur fût fermée ; Nikita ne lui prêta cependant pas davantage attention et s'engagea dans l'étroit colimaçon, plongé dans ses pensées bouillonnantes.
« C'est donc ça, le directeur... » marmonna-t-il à voix haute sans même s'en rendre compte tandis qu'il passait devant la Grande Salle plongée dans le noir pour atteindre les escaliers donnant sur les cachots.
Cette rencontre inattendue l'avait davantage perturbé qu'il n'aurait voulu l'admettre. Il était vrai qu'il avait déjà parlé au professeur Dumbledore – trois mois avant la rentrée de septembre, lorsque ses tantes avaient décidé de le transférer à Poudlard – mais ça n'avait été qu'un entretien assez banal ; il avait simplement pris Dumbledore pour une sorte de vieux fou et ce dernier était probablement trop préoccupé par les mystérieux incidents de pétrification survenus au cours de l'année scolaire pour accorder de l'attention à l'étudiant étranger.
Nikita était bien évidemment au fait de la puissance indétrônable du vénérable directeur, ainsi que de son statut de maître Legilimens mondialement réputé : si à sa première rencontre il avait été quelque peu déçu face à l'inquiétude mal dissimulée qui rongeait le professeur, cette fois-ci il remettait en doute son jugement premier.
Bien évidemment, Dumbledore ne se serait jamais montré discourtois au point de franchir ses barrières d'Occlumancie – c'était un pacte tacite entre maîtres Legilimens lorsqu'ils se rencontraient pacifiquement – cependant, il avait tout de même survolé la partie la plus consciente et superficielle de son élève sans la moindre difficulté, ce qui pouvait s'apparenter à s'arrêter nonchalamment devant ses portes mentales et frapper poliment pour le narguer, lui faire comprendre qu'il pourrait sans problèmes les crocheter s'il le désirait. Une technique de manipulation assez classique bien que délicate à réaliser avec justesse : le tout était de susciter l'irritabilité et la rage de l'interlocuteur pour que celui-ci se dévoile en abaissant sa garde. Bien sûr, Nikita ne s'y était pas laissé prendre et n'avait manifesté qu'une attitude d'amusement décontracté en réponse – il était plutôt fort pour faire l'idiot naïf – néanmoins, impossible à dire si Dumbledore en avait été surpris ou si au contraire il n'en attendait pas moins du Serpentard. Et ce dernier n'avait pas été assez stupide pour tenter de riposter magiquement, parfaitement conscient de la supériorité du sorcier expérimenté.
Mais même en n'ayant pas usé de Legilimancie, se contentant de demeurer le plus impassible possible, Nikita voyait clair dans le jeu du vieil homme.
« Tenter de me soudoyer... ha ! » sourit-il pour lui-même en descendant prestement les escaliers menant vers sa Salle Commune.
Parce qu'il n'avait jamais été question d'autre chose, en réalité : le professeur Dumbledore, sans doute moins omniscient qu'il n'aurait voulu l'admettre, tentait de rapatrier le Russe à son camp en se montrant excessivement charitable à son égard. Pardonner toute une fête clandestine et aller jusqu'à offrir deux cents points pour des raisons complètement fantaisistes à Serpentard – une prise de décision allant certainement à l'encontre de ses principes de favoritisme envers Gryffondor, ça avait dû lui arracher le cœur ! Les élèves de la Maison Vert et Argent avaient bien évidemment raconté à Nikita ses injustices commises au cours des années passées, toutes les fois où Dumbledore avait accordé des points non mérités aux Lions jusqu'à leur faire artificiellement gagner la Coupe des Quatre Maisons deux ans plus tôt et prendre ainsi la victoire aux malheureux Serpentards qui avaient travaillé si dur pour l'atteindre ! Mais ce vieux magouilleur s'était sans doute dit qu'il vaudrait mieux pour lui et pour sa réputation de gestion de l'école que Nikita lui mange dans la main : qu'il soit vu comme le directeur ayant soutenu la réconciliation entre Maisons, aidé avec enthousiasme par un élève étranger sans idées préconçues, que sa légitimité en tant que directeur responsable et compétent soit confortée auprès du conseil d'administration... Dumbledore avait beau prendre des airs de vieux papy sympathique – par lesquels même Nikita s'était longtemps laissé berner, le prenant simplement pour un vieil homme un peu sénile mais animé des meilleures intentions – cette tentative de... pratiquement de corruption éclairait un tout nouveau pan de sa personnalité, loin d'être aussi déconnectée et idéaliste que le Russe n'avait pu le croire. Le directeur était sans doute très conscient de ce qu'il faisait et rien n'était laissé au hasard ; s'il l'avait vraiment voulu, toutes ces tensions entre Maisons auraient été balayées – mais elles arrangeaient sans doute bien ses objectifs, quels qu'ils soient... Comme si Dumbledore désirait que ses petits poulains de Gryffondor se sentent en droit d'affronter des Serpentards, cultivant ainsi un état d'esprit belliqueux, presque militaire – au lieu de tenter de trouver un terrain d'entente. Nikita comprenait que le vieil homme ait eu besoin d'une petite armée de sorciers entrainés au combat, une ou deux décennies auparavant, pour s'opposer à Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom... mais à l'heure actuelle ? Le mage noir était mort, la confrérie des Mangemorts dissoute, ce qu'il fallait chercher c'était la réconciliation, l'accord du pardon aux familles de ceux qui avaient commis des actes abominables : en persévérant dans la stigmatisation des enfants de Mangemorts, il n'allait aboutir qu'à une montée de haine et de rancœur de leur part et peut-être même provoquer une nouvelle guerre à l'avenir... c'était donc ça qu'il souhaitait ?
Pourtant, il venait de l'encourager personnellement à continuer de fraterniser les élèves des quatre Maisons... ses objectifs apparaissaient confus, mais n'étaient sans doute pas aussi sordides que Nikita aurait pu le craindre. Il avait très certainement un plan complexe et sophistiqué en tête – et avec un peu de chance, la réussite de ce plan serait bénéfique à l'ensemble de la communauté sorcière. Malgré sa méfiance, Nikita se rendait compte que, d'un point de vue rationnel, il avait tout intérêt à ne pas desservir le cheminement tortueux du vieux directeur : de toute manière, cet homme était celui qui avait battu Gellert Grindelwald des décennies auparavant, lui opposer la moindre résistance s'avérerait inutile.
Et puis, finalement, tout ceci ne le concernait que très modérément : il était Russo-Anglais, au moindre problème il pouvait quitter le pays dans lequel il se trouvait et refaire sa vie ailleurs. Il savait même baragouiner quelques mots d'allemand et de français et pouvait suivre une conversation en espagnol : n'importe quelle contrée du monde représentait une planque potentielle au cas où sa vie ou celle de ses proches serait menacée. Dumbledore pouvait bien manigancer ce qu'il voulait : lui n'était qu'un passif observateur, bien au-dessus de toutes les magouilles tordues du directeur.
Il avait enfin atteint le mur d'entrée du cachot des Serpentards, heureusement sans croiser Rusard ou sa chatte sur son chemin. Toujours un peu pensif, il susurra le mot de passe d'une voix douce, presque collé au mur pour éviter de se faire entendre et se glissa à l'intérieur lorsque la porte magique pivota. Il traversa une Salle Commune complètement déserte et monta les escaliers quatre à quatre vers son dortoir : là, il s'allongea comme une masse sur son lit entre celui d'Owen et celui d'Adrian et s'y endormit sans demander son reste.
