« Alors ? C'était comment ?

« Bof, pas incroyable. Le vieux schnock m'a fait un sermon bizarre puis m'a laissé partir...

« Eh ! Ne parle pas comme ça de Dumbledore !

« Vous pouvez vraiment pas vous empêcher de l'insulter, vous les Serpentards !

« C'est assez mérité selon mon avis...

« Tête de nœud !

« Nœud coulant !

« Couleuvre, mauvaise langue !

« Langue de serpent !

« Nœud de vipère !

« Tête de vipère !

« Tête de nœud... ah, la boucle est bouclée...

« C'est bon, vous avez fini ?

« Chut, le prof s'amène... »

Alors que le professeur Flitwick s'approchait de leur table, les quatre élèves qui l'occupaient – à savoir Lee, Fred, George et Nikita – firent mine de porter le plus haut intérêt à la petite serviette en tissu sur laquelle ils étaient censés employer un sortilège de durcissement. L'enseignant s'arrêta nez à nez avec Lee, le plus grand des quatre, et le regarda avec insistance en attendant que l'élève exécute le travail demandé : Lee eut un sourire gauche et pointa sa baguette mal assurée sur la serviette en marmonnant « Duro ! ». Un petit jet de lumière bleue sortit de la baguette, mais au lieu d'atteindre la serviette, il ricocha contre la table et toucha la plume de Nikita qui tomba instantanément en poussière sous le cri horrifiéde son propriétaire, qui sursauta d'un bond et ne fut rattrapé dans sa chute que de justesse par les jumeaux.

« Bien, monsieur Jordan, couina le professeur Flitwick de sa voix suraiguë. Je vois que ce n'est pas encore tout à fait acquis... et je préfère ne pas demander à vos voisins, qui n'ont pas l'air plus doctes que vous sur le sujet. Au lieu de discutailler, vous feriez mieux de vous exercer : les B.U.S.E. ne vous attendront pas ! »

Et, avec un sourire en coin, le petit professeur s'éloigna tranquillement en direction de la table de Melwys Stingers, qui parvenait à durcir avec brio toutes les serviettes qu'on lui fournissait.

Les quatre cancres s'échangèrent un long regard malicieux et pouffèrent de rire à un commentaire moqueur murmuré par George, avant de se remettre consciencieusement à glander.

Le même jour, les Serpentards eurent l'agréable surprise de découvrir le gain de deux cents points pour leur Maison : Nikita ne leur dit rien, mais pour une raison mystérieuse tous finirent par être au courant qu'il avait les doigts là-dedans, et leur sympathie à son encontre n'en fut qu'accrue. Même la redoutable Melwys Stingers, préfète de Serpentard, vint lui glisser une remarque agréable lors du déjeuner, ce qui le mit de très bonne humeur : la jeune fille ne voyait plus en lui un imposteur ou un traître et acceptait pleinement son amitié. De même Owen Miller, son voisin de dortoir qui l'évitait habituellement à cause d'une embrouille en début d'année, sembla se réconcilier avec lui, venant même lui demander s'il pouvait s'inscrire dans le club de Quidditch amateur (Nikita savait pertinemment que le Serpentard en rêvait depuis longtemps, désirant tenter de se rapprocher de Roger Davies par cet intermédiaire, mais n'avait pas osé lui en parler).

Malgré ce regain de popularité parmi les siens, le Russe fut néanmoins attristé par la réaction virulente de certains Gryffondors qui avaient remarqué le remplissage anormal du Sablier émeraude : une dispute violente avait éclaté entre Cormac McLaggen, un quatrième année, et Drago Malfoy – escortés de leurs bandes respectives. La scène, surprise par le professeur Chourave dans un couloir, fit perdre une vingtaine de points aux deux Maisons, sous les regards goguenards de quelques Serdaigles résolus à patienter que des événements de ce genre fassent perdre l'avance prise par les Serpents.

Le soir après les cours, Nikita partit rejoindre Luna Lovegood comme à son habitude dans l'alcôve sous la statue du corbeau. La jeune fille rêveuse l'y attendait debout, les yeux rivés sur le sol comme si elle observait des bestioles invisibles s'y faufiler.

« Regarde, pointa-t-elle la pierre sous ses pieds lorsque Nikita arriva. Des Bourdebiles Velues ! »

Nikita suivit des yeux ce qu'elle désignait. Elle ne mentait pas en disant voir des Bourdebiles. Elle les voyait effectivement. Avec douceur, il lui demanda :

« Est-ce que tu peux me les décrire, Luna ?

« Oui, bien sûr : ils sont petits, minuscules... Ils ont de grands yeux noirs et ronds fixés vers le haut, des petites touffes de poils au-dessus des pattes... six paires de pattes en tout... et des petites antennes, aussi, pour capter les ondes émises par les Gyrlènes les soirs de nouvelle Lune...

« De quelle forme est leur corps ?

« Allongée, comme des mille-pattes, avec des petites excroissances soyeuses sur les côtés... mais tu ne les vois pas ? »

Elle le fixa de ses grands yeux bleus. Il lui sourit gentiment.

« Bien sûr que je les vois maintenant. Regarde ! »

Et il pointa le sol à son tour de sa main droite, tandis que dans sa gauche, repliée derrière son dos, il tenait sa baguette. Lorsque Luna baissa à nouveau son regard, il esquissa des lèvres quelques mots dans une ancienne langue slave : aussitôt, de petits animaux velus apparurent sur le sol où ils se mirent à gambader joyeusement. Le visage de Luna s'éclaira d'un sourire émerveillé et elle applaudit des mains tout en se penchant sur les illusions.

« C'est... c'est exactement comme ça que je les vois... C'est comme s'ils étaient vrais ! »

Elle les observa durant un long moment. Nikita s'assit par terre, face à elle, tout en maintenant sa concentration, yeux mi-clos : les Bourdebiles exécutaient une petite danse complexe et élégante bien que légère, féérique. Leurs poils étaient pailletés d'une lueur violette, leurs pattes et leurs antennes phosphorescentes ; leurs grands yeux noirs étincelaient chaleureusement, amicalement, tandis qu'ils se mettaient en cercle autour de la petite Serdaigle qui sautillait sur place, toute excitée.

Luna finit par tenter de caresser l'une des créatures : l'image se fissura en partant de sa main, puis se brisa complètement, laissant place au gris froid du sol. Soudain triste, la Serdaigle baissa son bras et fixa ses pieds.

« Ils étaient magnifiques... Merci, Nikita », ajouta-t-elle en se tournant vers le Serpentard.

Celui-ci avait rouvert les yeux et croisa son regard. Le haut de ses pommettes s'était légèrement coloré. Il avait l'air de cacher une grande fatigue ; pourtant, il sourit à Luna une deuxième fois et lui dit :

« Tu voulais les toucher ? »

Surprise, la jeune fille acquiesça.

« Très bien, ferme les yeux d'abord. »

Elle obéit. Nikita ferma également ses propres yeux et joignit ses mains devant son visage, sa baguette entre elles. Il respira profondément, rassemblant toute la concentration nécessaire ; puis, enfin, il murmura quelques mots mélodieux qui semblèrent s'élever dans les airs comme s'ils étaient dotés d'ailes.

« Tends le bras », souffla-t-il silencieusement.

Luna Lovegood s'exécuta et... sentit le Bourdebile, sa fourrure soyeuse, le chatouillis de ses pattes et de ses antennes sur sa paume. Le petit animal remua sous sa main, comme apeuré : elle tendit l'autre pour le rassurer, toujours yeux fermés, et lui donna des graines imaginaires. Le Bourdebile les renifla, d'abord méfiant, puis en attrapa une de ses pattes délicates et la grignota : elle pouvait sentir son léger tremblement de mastication, la chaleur qu'émettait soudain son petit corps. Rassuré, il se blottit contre sa paume et se roula sur lui-même pour faire une sieste. Elle entendait son ronronnement satisfait.

Luna ouvrit les yeux. C'était la première fois qu'elle touchait un Bourdebile – qu'elle en apprivoisait un ! En regardant autour d'elle, elle aperçut leurs silhouettes fugitives s'écarter des parties éclairées du couloir... mais ce n'était plus comme tout à l'heure, ceux-là Nikita ne pouvait pas les voir et ça la rendait triste. Elle plongea son regard dans celui du garçon, assis en tailleur devant elle, sa baguette à la main ; elle s'accroupit et s'assit, elle aussi, sur le sol froid.

« Les Bourdebiles ont souvent peur des humains, qui les écraseraient s'ils les voyaient, à cause de leur apparence... Ils vivent la nuit, dans les coins sombres, et se nourrissent parfois des rêves oubliés des gens. Les nuits de pleine Lune, ils sortent pour écouter le chant des Gyrlènes et pour pondre des œufs, qui flottent dans l'air et sont parfois confondus avec des lucioles à cause de la lumière jaune qu'ils émettent. J'en ai déjà aperçu une fois, dans mon jardin... j'avais neuf ans... c'était la nuit qui a suivi l'accident de ma mère. Papa m'a dit qu'ils étaient venus se nourrir de nos rêves pour ne pas qu'ils nous tracassent, et il avait raison : je ne me souviens d'aucun d'entre eux, durant toute l'année qui a suivi. »

Nikita examina tristement son regard songeur, détaché. Même s'il ne le lui avait jamais demandé, il savait que c'était depuis la mort de sa mère que Luna voyait toutes ces étranges créatures. Ce tragique événement avait éveillé chez elle le don de voir le monde d'une manière différente. Un don, ou une malédiction... sans doute, personne ne saurait jamais l'en débarrasser.

En attendant, elle le fixait de ses yeux presque globuleux, bleus comme le ciel : en général, elle ne le regardait que rarement directement. Il se sentit presque gêné.

« Tu en aurais besoin, je pense, finit-elle par dire.

« Pardon ?

« Des Bourdebiles. Tu en aurais besoin. »

Il en fut profondément surpris : comment pouvait-elle avoir deviné... ?

« Tu te souviens de tous tes rêves, n'est-ce pas ?

« Ou...oui... »

Elle lui sourit gentiment :

« Alors... maintenant tu sais à quoi ils ressemblent. Peut-être qu'un jour, tu les verras aussi comme je les vois ! Même si les tiens étaient très beaux... merci encore... »

Elle avait soudain les larmes aux yeux. Confus, Nikita se releva, bouche ouverte comme pour ajouter quelque chose et se tint, incertain, face à elle. Le regard de la Serdaigle était à nouveau plongé dans le vague, comme si elle avait perdu conscience de son environnement. Maladroitement, il se pencha vers elle et saisit ses mains tout en la poussant délicatement à se mettre debout.

« Si tu en ressens le besoin, tu peux me parler à tout moment... je serai à l'écoute », murmura-t-il à l'oreille de Luna tout en la soutenant doucement.

Elle n'avait pas conscience du traumatisme qui la rongeait et il ne pouvait pas faire grand-chose pour l'aider. Il espérait simplement qu'elle pourrait se sentir soulagée de ne pas être aussi... seule. Il savait très bien que peu d'élèves l'approchaient et parmi eux, malheureusement beaucoup en profitaient pour se moquer de son excentricité. Jusqu'alors, il représentait son seul véritable ami... ce qui le rendait un peu mal à l'aise.

Elle reporta ses yeux sur son visage, toujours comme perdue, et esquissa un hochement de tête. Il la guida vers un escalier désert sous une fenêtre, où ils se penchèrent vers l'extérieur pour prendre une bouffée d'air frais et contempler les derniers rayons du soleil couchant. La Lune apparut lentement dans le ciel et son éclat argenté balaya le paysage immaculé du Parc et de la Forêt Interdite au loin. Ils demeurèrent ainsi durant quelques dizaines de minutes, silencieux, pensifs ; quelque part sous la masse blanche des cimes recouvertes de neige, un hurlement mélancolique de loup retentit avant de s'éteindre dans l'indifférence.