Les journées passèrent lentement, comme gelées par le temps glacial hors du château ; pourtant, personne ne semblait s'ennuyer, les jumeaux Weasley encore moins que les autres : face à leurs résultats scolaires de moins en moins convaincants – ce qui était dû davantage à leur inconséquence qu'à leur manque de talent – ils s'étaient très sérieusement mis à envisager une carrière de boutiquiers dans un magasin de Farces et Attrapes. À présent, ils s'investissaient dans l'étude de la conception des différents articles vendus chez Zonko tout en négligeant royalement les cours qu'ils étaient censés suivre.

Lee Jordan, qui désirait tout de même obtenir ses B.U.S.E., s'était temporairement éloigné d'eux pour étudier plus sérieusement : ils s'étaient alors rabattus sur leur deuxième complice de prédilection, à savoir Nikita Lebedev.

« Tu vois ce pétard ? expliquait Fred en agitant l'objet concerné juste sous le nez du Serpentard. Quand on l'ouvre, un lutin rose apparait durant plusieurs minutes et harcèle celui qui l'a libéré en voletant autour de lui. On a remarqué avec George qu'il suffisait de le toucher – même si c'est très dur – pour qu'il disparaisse aussitôt.

« Ce qui nous a laissé penser que le lutin n'est qu'une illusion, renchérit George, un peu comme celles que tu fais. »

Nikita se gratta la tête en examinant d'un air dubitatif le pétard bariolé.

« C'est... possible, se prononça-t-il enfin, quoiqu'avec prudence. Cependant, j'ignore comment faire une illusion àretardement, je crois que c'est au programme de septième année dans l'option à Durmstrang...

« Ah, flûte !

« Zut !

« Diantre !

« Mais je pourrais essayer de trouver quelque chose pour vous aider, si c'est ce que vous voulez, s'empressa-t-il d'ajouter. J'ai remarqué quelques bouquins dans la bibliothèque...

« Ah oui ? Génial !

« Encore heureux que t'es un rat de bibliothèque !

« Merci du compliment. L'unique ennui, c'est que les ouvrages traitant de magie d'illusions avancées sont presque tous dans la Réserve... j'ai pu les apercevoir grâce à ma paire de Multiplettes...

« Des Multiplettes ?

« Sérieusement, tu te ramènes avec des Multiplettes en allant à la bibliothèque ?!

« Bien sûr, c'est très utile : ça me permet de lire de loin les livres que lisent d'autres élèves, de surveiller les allées-venues de madame Pince, l'entrée éventuelle de gens que je veux éviter et surtout, de voir les titres des livres rangés dans la Réserve ! »

Les jumeaux s'échangèrent un regard, impressionnés, puis fixèrent Nikita d'un air approbateur.

« Çà alors ! Le petit Serpent devient grand !

« Il pourra bientôt quitter son nid de vipères !

« C'est émouvant !

« Tout ça grâce à nos sages enseignements !

« Minute, minute les papillons, je vous signale que je faisais déjà ça bien avant de vous connaitre !

« Mais oui, bien sûr...

« Tu n'as pas à avoir honte de tes géniteurs spirituels !

« Les « gêne »-iteurs, ouais...

« Toujours le mauvais jeu de mots à la langue !

« Toujours la mauvaise fourche de ma langue qui s'exprime, que voulez-vous...

« Habile !

« En tous cas, ta passion incompréhensible pour des vieux bouquins poussiéreux au lieu de magazines de demoiselles en petite tenue nous sera bien utile, pour une fois !

« Les vieux bouquins poussiéreux ont de très belles courbes aussi, vous savez !

« Des courbes rectangulaires ?

« Non, je parle des graphiques, des schémas, des illustrations...

« Oh, je vois, de l'humour !

« Ha. Ha.

« C'est ça, moquez-vous... En attendant, vous avez besoin de moi.

« Il a raison...

« On va plutôt le respecter...

« L'honorer...

« L'aduler...

« Et si ton aide est utile, on t'échangera les vieux bouquins contre des magazines bien plus joliment illustrés !

« Sans façons, je pense avoir davantage besoin de mes vieux bouquins. Et selon moi, vous devriez laisser de côté cette littérature au profit de discussions plus approfondies avec cette jolie brune qui fait du Quidditch, Angelina ! »

Les jumeaux se regardèrent, scotchés sur place.

« Angelina ?

« Quoi, tous les deux à la fois ?

« Deux pour le prix d'un comme on dit ! les nargua le Serpentard.

« Mais... elle est plutôt sur Lee en ce moment...

« Pour deux achetés, un offert !

« C'est ça, marre-toi, le rat de bibliothèque...

« Weasley en soldes !

« N'empêche, il a raison... on devrait tenter le coup !

« C'est vrai, qu'est-ce qu'on y perd ?

« À part votre dignité ?... mais je dis ça soit-dit en passant...

« Ne l'écoute pas, Fred !

« T'as raison, George !

« Je sais que j'ai raison, Gred !

« Je sais que tu sais que j'ai raison, Feorge !

« Je sais que tu sais que je sais...

« Bon, vous comptez y aller ou rester célibataires comme moi ? Elle est assise là-bas, sur le banc, depuis quelques minutes...

« Très bien, le Serpentin ! On y va...

« ...mais en échange, tu vas analyser ce pétard !

« Marché conclu, barrez-vous ! »

Nikita s'empara du pétard et s'en alla dans la Grande Salle, où il s'installa auprès d'un groupe de Poufsouffles de cinquième année. Il avait déjà repéré sa future victime.

En se tournant vers John, qui discutait justement avec Lise, il lui tendit innocemment le pétard – recouvert d'une illusion qui le faisait ressembler à un emballage de friandise.

« Tiens, John ! Je sais que tu aimes les bonbons à la menthe, j'en ai justement trouvé un qui trainait...

« Oh, merci Nikita ! C'est gentil ! »

Le malheureux John prit le pétard et, machinalement, commença à retirer l'emballage.

L'objet émit une explosion de fumée violette qui fit crier tous les élèves alentours ; elle se condensa lentement en une petite forme humanoïde ailée, terriblement laide, aux doigts crochus et aux longues oreilles en pointe.

« Un Lutin-Pétard de chez Zonko ! » s'écria quelqu'un près d'eux.

À ce moment, John comprit : sa malédiction venait d'être scellée. Avec horreur et colère, il fusilla du regard le faussement-généreux Nikita, qui s'était éloigné avec précaution de quelques pas pour avoir une meilleure vue d'ensemble et avait sorti ses Multiplettes.

Le lutin émit un ricanement mauvais et commença à voltiger à une vitesse folle autour de la tête du Poufsouffle, qui tentait impuissamment de le chasser des mains sous les fou-rires de ses voisins.

Le petit manège dura effectivement plusieurs minutes, comme l'avaient annoncé les Weasley : John, désespéré, agitait ses bras au-dessus de sa tête comme un demeuré, finalement rejoint dans sa lutte par Lise et par Mary, sans plus de résultats. Le lutin les évitait soigneusement et à une vitesse folle : le toucher semblait relever du miracle. Quelqu'un tenta même de l'immobiliser d'un sort, sans effet : avec un rire de canaille, la Créature tira simplement la langue et voltigea encore plus près des oreilles de John.

Le mauvais sort se dissipa enfin dans un petit « pop ! » accompagné d'une fumée violette. Furieux, John chercha Nikita des yeux, mais le Serpentard avait déjà pris le soin de se trouver à des lieues du crime.

Lorsque, deux heures plus tard, il rejoignit les jumeaux dans un escalier menant au troisième étage, il leur annonça avec fierté en exécutant une petite courbette :

« Voilà ! Méfait accompli ! »

Les Weasley se regardèrent, les yeux pétillants de malice. Ils semblaient saisir une blague pour laquelle Nikita n'avait pas la référence nécessaire.

« C'est drôle que tu dises ça, lança George.

« Mais ça nous donne une idée, renchérit Fred.

« Pour ton bouquin, dans la Réserve...

« ... pas la peine de te faire de la bile...

« ... on sait comment faire pour le récupérer...

« ... il va juste falloir user d'un peu de nos talents...

« ... de maîtres chanteurs...

« ... et on ne parle pas que de musique en disant ça ! »

Nikita haussa un sourcil.

« Vous connaissez un élève qui peut le récupérer, c'est ça ?

« Exact !

« T'as tout deviné !

« Ouah... comment c'est possible ? Il a une carte d'accès à la Réserve ? »

Les jumeaux pouffèrent de rire sous le regard incompréhensif du Serpentard.

« Une carte...

« ... tu ne crois pas si bien dire...

« ... et grâce à nous, en plus ! »

Nikita plissa les yeux, tentant de deviner ce qu'ils manigançaient : sans succès.

« Alors, comme ça t'as foutu la pagaille chez Pouffy ?

« Je vois que les rumeurs vont vite !

« On les finance généreusement pour ça !

« Mais bien sûr, vous êtes fauchés comme les blés à l'automne...

« Certes, mais l'argent n'est pas la seule monnaie d'échanges...

« C'est vrai que le chantage, c'est certainement plus efficace !

« Nous ne dirions pas le chantage...

« ...mais plutôt, les informations !

« Nous sommes très informés...

« ... au courant de tout ce qui se trame...

« ... ça se paye mieux que l'or ! »

Nikita se gratta la tête en fronçant les sourcils.

« Attendez... vous venez de dire que vous glanez des informations en les achetant par ces mêmes informations... il n'y a pas comme un problème dans votre raisonnement ? »

Les jumeaux pincèrent les lèvres, pris sur le fait :

« Oui, bon...

« ... c'est vrai...

« ... on a juste demandé à Kevin ce qui s'était passé...

« ... et il nous l'a dit...

« ...gratuitement...

« ... quelle âme charitable !

« C'est sûr, on en voit de moins en moins des comme ça de nos jours... Bref, en tous cas, j'ai tout enregistré grâce à mes Multiplettes et je vais pouvoir le visionner ce soir pour analyser l'enchantement du pétard !

« Oh, c'est vrai ?

« Génial !

« Tu es la perfection incarnée, Nikita !

« Un puits de bonté !

« Ah, donc ce n'est plus le « mage noir » ou le « serpent », maintenant ? rit le concerné.

« Bien sûr que non !

« On n'oserait jamais !

« Calomnie ! Diffamation !

« Je dirais même plus !

« Toujours une langue de serpent, à ce qu'on voit ! Mais on ne change pas les mages noirs d'un claquement de doigts, que veux-tu George...

« Tu as bien raison, Fred...

« Je sais que j'ai raison, George...

« Je sais que tu sais que j'ai raison, Feorge...

« Ah non, ça va pas recommencer, oui ! Bon, faites ce que vous avez à faire, je retourne dans ma Salle Commune et vous m'apporterez le bouquin quand vous l'aurez !

« À vos ordres, chef ! » s'écrièrent les deux rouquins en chœur.

Le lendemain, durant une heure de permanence, ils lui firent signe de les rejoindre dans leur Salle Commune – il en connaissait le mot de passe, tout comme il connaissait tous ceux des Salles Communes des autres Maisons (à part celle de Serdaigle, qui nécessitait de résoudre une énigme – ce qui n'était pas non plus un problème). À cette heure, presque personne n'y était, les autres ayant préféré rester dans la Grande Salle ou rejoindre leurs salles de cours en avance. Mis àpart un petit groupe de deuxièmes années, Fred, George et un troisième élève qui les accompagnait étaient seuls. À sa grande surprise, Nikita reconnut en le petit brun à lunettes le célébrissime Harry Potter – la discrétion du troisième année l'avait toujours étonné, lui qui était habitué aux comportements vantards de la plupart des membres de sa Maison.

Potter n'avait pas l'air très à l'aise de se trouver là, jetant des coups d'yeux nerveux aux deux Weasley nonchalants et espiègles. Il se doutait certainement, au vu de leurs regards rusés, qu'ils préparaient un sale coup : l'arrivée de Nikita ne le rassura pas sur ce point.

Jusqu'alors debout devant les fauteuils près de la cheminée, les jumeaux firent signe à leurs deux « invités » de prendre place comme s'ils étaient chez eux et s'adossèrent à leur tour confortablement à un large canapé. Nikita haussa les sourcils avec une petite moue intriguée, mais ne dit rien et prit place face à Harry Potter. Les jumeaux se trouvaient entre eux, orientés vers le feu qui crépitait paresseusement. Avec un grand sourire satisfait, George commença :

« Bien. Nous vous avons réunis tous les deux pour parler...

« ...stratégie militaire, compléta son frère.

« Ça s'annonce bien, marmonna Harry Potter en scrutant de biais le Serpentard qui le dévisageait ouvertement de son fauteuil, sa curiosité piquée au vif.

« Comme vous le savez à présent tous les deux..., reprit George.

« ... nous avons monté une opération de cambriolage ultrasecrète dans la Réserve de la bibliothèque, enchaîna Fred.

« Bien évidemment, chacun d'entre nous ici possède les talents nécessaires pour y parvenir seul, expliqua George.

« Mais nous nous sommes dit qu'à quatre, nos chances de nous faire prendre seraient quatre fois plus minces !

« Ou quatre fois plus grandes, c'est encore en discussion...

« Mais trêve de pessimisme ! On a monté un plan !

« Un plan ultrasecret !

« Pour la mission ultrasecrète ! »

Harry et Nikita les regardèrent silencieusement, la même expression dubitative et peu convaincue sur le visage. Finalement, le troisième année dit d'un ton hésitant :

« Très bien... et... euh... c'est quoi exactement, ce plan ?

« Il est ultrasecret ! annonça George d'un ton important.

« Mais vu que vous faites partie de la mission ultrasecrète, on va vous le dire... Vous, là-bas ! Oui, vous, les deuxièmes années ! Allez donc voir dehors si j'y suis ! » héla Fred le groupe de gamines qui discutaient à l'autre coin de la Salle.

Une fois qu'elles furent sorties – en leur adressant au passage des regards irrités – le rouquin continua :

« Toi, Harry... on va pas révéler tes secrets si tu ne le veux pas, mais en tous cas tu as des objets qui te seront fort utiles pour te faire discret et pour savoir si tu es suivi. Tu seras donc notre cambrioleur.

« Votre... quoi ?

« Notre cambrioleur, Harry. Tu seras le cambrioleur !

« Ah... euh... très bien... Mais attendez, pourquoi ?

« Pourquoi ? Regarde-le, Fred, il nous demande pourquoi !

« Parce que, cher Harry, si tu ne fais pas exactement ce qu'on te dit, on va lancer des rumeurs sur ce qu'on t'a offert un peu avant Noël...

« Ah non, vous ne feriez pas ça !

« On est capables de tout, Harry... on est capables de tout...

« Je pense qu'ils sont sérieux, à ta place je ne les provoquerais pas », commenta Nikita en hochant la tête.

Harry Potter se rembrunit quelque peu et se cala davantage dans son fauteuil, mais resta dans la pièce pour écouter la suite.

« Bien. Harry prendra donc le plus gros des risques...

« Hé ! C'est pas juste !...

« Tu tu tu, c'est nous les patrons !

« Mais t'inquiète pas, notre plan est infaillible : aucune chance que tu te fasses prendre !

« J'espère bien... continuez...

« Bien. Ce cher petit Nikita ici présent, redoutable mage noir russe et certainement aussi parrain de la mafia...

« Oh, vous me flattez, vous allez me faire rougir ! sourit le concerné d'un air carnassier.

« Cette vieille peau de serpent, donc, sera notre indicateur-camoufleur...

« ...ouais, on n'avait pas trop de nom pour ça...

« En gros, c'est toi qui vas montrer à Harry le livre qu'il doit voler, lui indiquer sa position exacte dans les étagères, puis l'aider à camoufler le vol grâce à des illusions...

« Minute, minute, les interrompit le Serpentard, c'est pas aussi simple en ce qui concerne mes illusions ! La plupart du temps, ça repose surtout sur le bluff, j'ai toujours besoin de parler aux personnes pour leur faire croire quelque chose de faux...

« Eh bien, tu n'auras qu'à parler, t'es plutôt doué pour ça, non ? lança George d'un air encourageant.

« Quoi, avec madame Pince... voire Rusard ?! J'obtiendrais plus de résultats avec une cuvette de chiottes rouillée...

« Alors fais-le avec une cuvette de chiottes ! le coupa Fred. L'important, c'est que tu sois présent sur les lieux pour distraire d'éventuels témoins, c'est tout ! »

Nikita croisa les bras sur la poitrine et soupira longuement : certes, il pouvait faire apparaître des illusions mineures sans trop de soucis... mais l'ennui, c'était que la tâche était beaucoup plus ardue en présence de plusieurs personnes, surtout s'il n'avait pas entamé une conversation avec elles au préalable : une grande partie de son art reposait sur la manipulation mentale, des techniques très moldues en somme. La magie n'y ajoutait qu'une touche finale de réalisme.

Cependant, il semblait qu'il n'avait pas le choix. Se résignant à accomplir sa tâche du mieux qu'il le pouvait, il finit par acquiescer et laisser les Weasley continuer leur exposé chaotique.

« Voilà ! Après tout, c'est surtout pour toi qu'on fait ça !

« Pas du tout, c'est pour vous deux ! J'ai simplement accepté de bouquiner un peu pour vous aider !

« Rho, mais admet-le : cette perspective de te retrouver avec un vieux livre tout moisi dans ton lit t'excite !

« Vous vous faites des idées très étranges sur mes activités intimes, il me semble...

« Bon, on pourrait revenir au sujet ? » les interrompit Harry, gêné par la tournure que prenait la conversation.

Les yeux des jumeaux pétillèrent de malice et ils reprirent le fil initial :

« Quant à nous deux...

« ... on va se contenter de superviser les opérations...

« ... on sera les cerveaux du crime !

« Vous seriez plus utiles en tant que leurres pour Rusard, fit remarquer Harry.

« En tant que... leurres ? s'étonna George.

« Comment veux-tu donc qu'on attire son attention ? » s'enquit Fred, sincèrement désarçonné.

Harry eut un soupir las.

« Eh bien, agissez comme d'habitude : en l'espace de quelques minutes, vous pouvez être sûrs qu'il sera sur vous...

« Bien dit ! » ricana Nikita.

Les sourires des jumeaux s'élargirent eux aussi.

« Très bien, nous nous dévouons alors :...

« ... nous servirons d'appâts ! »

Ce soir même, à l'heure convenue, les quatre criminels se retrouvèrent devant la bibliothèque.

Tout avait été soigneusement planifié, avec une rigueur qui aurait étonné tous les professeurs attendant impatiemment que les jumeaux leur rendent leurs devoirs négligés depuis plusieurs mois. Nikita était confortablement installé dans la bibliothèque – à présent presque déserte à l'exception de madame Pince et de quelques Serdaigles et Poufsouffles de sixième et septième années – sa paire de Multiplettes posée sur la table derrière une pile de livre, sa baguette à la main. Il faisait mine de porter le plus vif intérêt à un livre de potions de deuxième année (ses « lacunes » s'étendaient à peu près jusqu'à ce niveau), alors qu'il surveillait discrètement tous les occupants de la pièce tout en marmonnant une longue et fastidieuse incantation dans un souffle. Il savait que Harry Potter possédait quelque chose qui lui permettrait de passer inaperçu, il lui faisait confiance sur ce point. Les jumeaux, quant à eux, étaient quelque part dans le couloir à tester les effets de leur toute nouvelle invention – une grenade puante qui relâchait un liquide corrosif quand elle explosait – sur les dalles des escaliers. Nul doute que Rusard allait bientôt manifester une contestation vigoureuse vis-à-vis de cette noble et digne activité...

Six heures sonnèrent. C'était le signal du début des opérations. Prenant son air le plus innocemment charmant, Nikita se leva et se dirigea à longues enjambées vers le bureau de madame Pince tout en souriant de manière naturelle. La Réserve – la portion de la bibliothèque comportant des ouvrages de magie noire principalement, prétendument dangereux – n'était séparée du reste de la bibliothèque que par un cordon, mais était constamment épiée par la stricte bibliothécaire. Il s'agissait de la distraire durant quelques instants, le temps que Harry s'y faufile puis ressorte avec le livre voulu. Le Gryffondor avait pris note de la position exacte du grimoire, mais Nikita préférait lui laisser un petit délai de temps supplémentaire, au cas où quelque chose dégénérerait.

Il atteignit la table haute derrière laquelle guettait la redoutable madame Pince, qui le scruta d'un regard méfiant.

« Bonjour madame ! salua-t-il chaleureusement. Excusez-moi de vous déranger, je me demandais si...

« Moins fort ! » siffla-t-elle d'un ton sec.

Ça y était, songea-t-il. Elle avait porté son attention sur lui. Elle était prise au piège !

« Oh, euh, désolé, chuchota-t-il.

« Oui, c'était pour quoi ? »

Sans qu'elle ne le remarque, Nikita serrait sa baguette dans sa poche, rassemblant toute sa concentration pour ne pas briser son « tissage ».

« Oh... je... je voulais vous demander un petit renseignement, c'est à propos des Interprétations et symbolique des cartes : du Moyen-Âge à nos jours. Le professeur Trelawney l'a évoqué durant son cours, mais je ne suis pas parvenu à le trouver... il s'agit pourtant certainement d'un ouvrage réputé, c'est étrange qu'il ne soit pas ici...

« Étrange que tu ne le trouves pas, surtout ! Il est en plein milieu de l'étagère, impossible de passer sans le voir ! Et personne ne l'a emprunté depuis longtemps. Vérifie donc encore une fois. »

La section concernant la Divination était à l'opposé de la Réserve. Bien que madame Pince ne soit pas disposée à quitter son siège – elle ne se levait que rarement pour aider un élève, elle préférait les laisser se débrouiller seuls, ils étaient trop nombreux de toutes façons – elle lança tout de même un coup d'œil indifférent vers la zone concernée. Exactement comme Nikita l'avait prévu.

La bibliothécaire se figea sur place et blêmit.

« Qu... qu... qu'est-ce que c'était... ? bégaya-t-elle à voix haute en tendant le doigt vers les étagères de Divination.

« Quoi donc ? souffla un Nikita faussement étonné.

« Ç...ç...ç...ça ! s'écria madame Pince d'une voix suraiguë. S...s...sur l'étagère... Argh ! »

Précipitamment, elle se leva et courut presque vers la section Divination de la bibliothèque, sans remarquer le Russe, derrière elle, se frottant mentalement les mains. Les autres élèves présents dans la pièce pour travailler s'étaient tournés vers eux, surpris : ce n'était pas tous les jours qu'on pouvait voir madame Pince paniquer !

Tandis qu'elle s'approchait à grands pas de la première rangée de livres de divination, Nikita murmura « Finite » derrière son dos, et sa première illusion se dissipa juste avant qu'elle ne l'atteigne et ne la brise. Il avait recréé une étagère àl'identique, minutieusement, avec un unique petit détail en plus : l'ombre d'une souris, qui se faufilait de temps à autre fugacement entre les antiques ouvrages – à raison d'une apparition toutes les dix secondes environ et à des endroits différents, naturellement. En jetant un coup d'œil vers la rangée concernée, madame Pince avait aperçu la minuscule silhouette : bien évidemment, cela l'avait mise dans tous ses états, craignant mortellement pour l'intégrité des livres dont elle avait la responsabilité.

« C...c...c'était là, bafouilla la bibliothécaire en arrivant devant le meuble rempli de grimoires. Rodentis Revelio ! » ajouta-t-elle en brandissant sa baguette devant elle.

Rien ne se produisit, évidemment. Nikita esquissa discrètement un sourire en coin, toujours focalisé sur ses sortilèges d'illusion. D'un ton laconique, il susurra :

« Tiens ? N'est-ce pas une souris, là-bas ? »

Et il pointa le doigt vers l'étagère voisine, au moment même où une petite ombre disparaissait vivement derrière un manuscrit volumineux. Madame Pince poussa un petit cri et s'élança vers le livre en question ; Nikita eut tout juste le temps de murmurer « Finite ».

En tout, il avait ensorcelé quatre étagères de la sorte. C'était le moyen le plus sûr de distraire la bibliothécaire : il n'avait pas pu camoufler directement la Réserve pour masquer le passage de Potter, car ce dernier aurait brisé son illusion en la franchissant. Créer simplement une souris et la faire évoluer parmi les livres aurait également été terriblement complexe : lorsqu'il créait une illusion, il avait besoin de constamment visualiser tous ses détails. À cette distance, il n'aurait pas pu – ou alors, il aurait inconsciemment fabriqué une souris trop grande, pour compenser – et elle aurait certainement bougétrop lentement, puisqu'il aurait dû alors se concentrer à chacun de ses mouvements. Refaire des étagères entières était la meilleure des solutions : il avait le modèle directement sous les yeux et il pouvait y incruster des petites ombres qui se faufilent sans avoir pleinement et consciemment à les contrôler. Il fallait juste avoir le bon timing pour les faire disparaître.

Ainsi, leur plan avec Potter avait été que ce dernier allait placer un faux livre à la place du vrai pour que madame Pince ne s'aperçoive de rien, tandis que Nikita la distrayait en l'attirant vers un autre coin de la pièce – et pendant tout ce temps, les jumeaux attiraient Rusard loin d'ici, pour éviter toute interférence.

Madame Pince courait à présent dans tous les sens, lançant des sorts anti-souris à tout va, complètement terrorisée. Nikita avait toutes les raisons de penser que si elle s'était retrouvée face à un Épouvantard, ce dernier aurait pris l'apparence d'un rongeur. Son plan avait peut-être trop bien marché : elle risquait de faire une crise de panique à tout moment... Lorsqu'il eut dissipé toutes ses illusions, il s'approcha d'elle et tenta de la calmer un peu, l'assurant qu'elle devrait reprendre ses esprits et souffler quelques secondes, mais elle le repoussa et continua à tourner en rond comme une bête en cage. Avec un petit pincement coupable au cœur, le Serpentard finit par tourner les talons et s'éloigner discrètement, la laissant mettre la bibliothèque sens-dessus-dessous pour tenter de capturer la menace à fourrure, sous le regard effaré de quelques Poufsouffles qui s'étaient rassemblés autour des « lieux du crime ».

À la sortie de la bibliothèque, le Russe manqua de bousculer Harry Potter, qui lui tendait le fameux livre avec un grand sourire aux lèvres :

« Tiens, voilà, Manuel des Arts Mystiques des Illusions et de la Tromperie pour sorciers de niveau avancé, de Donovar Crane-LeClair. J'espère que ce n'est rien de dangereux...

« Aucun risque, il sera entre de bonnes mains ! se fendit Nikita d'un immense sourire à peine malsain.

« Hmm... je vais faire confiance aux jumeaux sur ce point, c'est eux qui ont voulu que tu l'aies après tout... j'espère avoir raison en faisant ça...

« Merci infiniment, Harry Potter ! Et je dois dire que tu m'as impressionné, tu as été très discret, très pro, un vrai cambrioleur en devenir ! Je n'ai absolument pas perçu ta présence ! »

Le Gryffondor sembla soudain mal à l'aise et tripota son sac, qu'il portait sous le bras. Nikita jeta un coup d'œil sur le sac et son regard s'éclaira de compréhension.

« Oh, je vois ! Quelque chose qui te rend invisible – sans doute un vêtement au vu de la forme du sac, n'ai-je pas raison ? Tu as de la chance de posséder un objet magique d'une telle rareté !

« Pas un mot à personne, siffla nerveusement Harry Potter.

« Moi qui pensais que tu utilisais une banale Glupidouille ! Ha ! Je me suis bien fait avoir sur ce coup ! »

Harry se contenta de hausser les épaules, n'ayant pas la moindre idée de ce que pouvait être une Glupidouille.

« Ouais... on peut changer de sujet ? Tu as ton livre maintenant, on ferait mieux de rejoindre nos Salles Communes respectives...

« Tu as parfaitement, raison, Rusard ne tardera sans doute pas à rappliquer s'il s'aperçoit qu'on est encore là dix minutes avant le couvre-feu... Oh, attends juste un peu ! cria-t-il tandis qu'Harry commençait à s'éloigner précipitamment.

« Oui, quoi ?

« Tu peux me signer un autographe ? T'es un des sorciers les plus célèbres du monde... eh, attends, ne t'enfuis pas ! »

Mais Harry était déjà hors de portée, à l'autre bout du couloir. En riant, Nikita pivota sur lui-même et s'en alla dans la direction opposée, vers les cachots. Il ne doutait pas que les jumeaux, de leur côté, étaient parvenus à échapper aux griffes de Rusard et se vautraient actuellement confortablement dans les sièges de leur Salle Commune, au coin du feu.

Tout s'était déroulé comme sur des roulettes !