Le temps commençait enfin à se réchauffer et les élèves sortaient de plus en plus souvent dans le parc. Malgré leur défaite face à Gryffondor lors du dernier match de Quidditch, les membres de l'équipe de Serdaigle gardaient leur bonne humeur et s'impliquaient avec beaucoup d'enthousiasme lors des matchs « amateurs » – pour ceux qui faisaient partie du club. Nikita avait fini par nommer Roger Davies sous-capitaine de l'équipe des Particules Quantiques, conscient de ses lacunes dans le domaine de la planification de stratégies sportives – ses conseils se résumaient souvent à « vous inquiétez pas, avec un peu de chance on va gagner ! » ou « agissez de manière complètement aléatoire, avec un peu de pot ça va les déstabiliser ! ». Heureusement, son équipe était pourvue d'éléments très compétents – Adrian et Roger, deux joueurs « pro », et Ginny, dont les talents au vol se dévoilaient de match en match.
Ce fut d'ailleurs au terme d'un de ces matchs – perdu face aux Affreux Gnomes, l'équipe dirigée par les jumeaux – qu'il décida de lui parler après que tout le monde se fut changé. Il était demeuré en arrière, debout devant le terrain de Quidditch, admirant pensivement le ciel dépourvu du moindre nuage, attendant qu'elle sorte du vestiaire. Lorsqu'elle passa devant lui pour rentrer au château, il la héla :
« Ginny ! Est-ce que je peux te parler quelques instants ? »
Elle lui lança un regard surpris et s'arrêta. Il la rejoignit en quelques pas.
« Tu es en deuxième année, c'est bien ça ? » lui demanda-t-il.
C'était une question rhétorique, mais elle acquiesça tout de même, intriguée par ce qu'il voulait lui dire.
« Alors, tu partages certains cours avec les Sepentards de deuxième année, non ?
« Euh... oui, s'étonna-t-elle. Comme tous les autres cycles... »
Nikita lui sourit aimablement.
« Est-ce que tu connais un certain... Maxime O'Laughlin ?
« Euh... oui... mais je ne lui ai jamais parlé, il traine toujours avec une bande d'affreux Serpentards... sans vouloir t'offenser !
« Aucun souci, je partage entièrement ton avis. Hmm... est-ce que ça te dirait d'apprendre un sortilège que personne de ton cycle n'est censé connaître ? »
Ginny fronça les sourcils, ne comprenant pas où il voulait en venir. Il lui adressa un clin d'œil doublé d'une petite moue espiègle :
« Je vais être plus direct : est-ce que ça te dirait de botter enfin le cul d'O'Laughlin et de sa bande ? »
Les yeux noisette de la rouquine s'arrondirent et un léger sourire naquit sur son visage.
Le lendemain, lorsque Nikita se retrouva avec Luna au parc, le soir, pour observer les Ronflaks Cornus, la Serdaigle tourna subitement son regard vers lui et souffla :
« Au fait, merci... j'ai vu les oreilles et la queue d'âne que Ginevra Weasley a fait pousser sur Maxime. Il parait qu'il a fallu que le professeur McGonagal intervienne pour l'en débarrasser.
« Oh, mais je n'y suis pour rien ! sourit le Russe. Tu ne dois tes remerciements qu'à Ginny ! »
Elle haussa les épaules et détourna le regard vers la Forêt Interdite, devant laquelle gambadait un magnifique spécimen de Ronflak.
Nikita examina discrètement son visage et son cou, où les traces de bleus et d'écorchures n'avaient pas encore totalement disparu. S'il l'avait pu, il aurait infligé le centuple de ces souffrances à O'Laughlin et à sa bande de harceleurs : s'il les avait pris sur le fait, nul doute qu'ils se seraient retrouvés avec plusieurs membres cassés. Ils prétendaient qu'ils avaient seulement voulu jouer une « farce » à « Loufoca », une farce qui avait simplement mal tourné – il leur accordait le bénéfice du doute pour cette-fois, avec toutefois l'avertissement que Ginny avait exécuté sans le savoir.
Mais si jamais ils s'avisaient de recommencer...
OooO
Son amitié avec Luna Lovegood finit par coûter cher à Nikita.
C'était un soir d'avril, alors que la plupart des cinquièmes années étaient réfugiés dans leurs Salles Communes respectives ou à la bibliothèque pour réviser leurs examens, qui devaient débuter au mois de mai. Les vacances de Pâques s'étaient déroulées dans l'angoisse générale – angoisse qui avait fini par affecter Nikita, ayant alors enfin commencé à prendre les B.U.S.E. au sérieux. Il avait même tenté de motiver Fred et George – sans grand succès. Les jumeaux continuaient à bricoler des pétards ou à concocter des potions farfelues grâce à des ingrédients volés durant les cours de Botanique ou de Soins aux Créatures Magiques (ils avaient tout de même la présence d'esprit de s'abstenir d'en substituer lors des cours de Potions avec Rogue – ce qui serait revenu à signer leur arrêt de mort).
Nikita Lebedev errait sans réel but dans les couloirs en ce début d'après-midi : il avait une heure de permanence suite à l'absence mensuelle du professeur Lupin et souhaitait se défouler les jambes, mais il faisait trop frais dehors alors il était demeuré à l'intérieur du château. La plupart des élèves étaient en cours – sauf ceux qui, comme lui, avaient permanence ou qui commençaient les cours plus tard.
Peeves, l'esprit frappeur de Poudlard, avait tenté de le suivre en chantonnant des paroles obscènes, mais l'élève l'avait éloigné en menaçant d'invoquer un démon grâce à sa magie noire apprise à Durmstrang ; le fantôme, méfiant, l'avait alors laissé tranquille : les rumeurs entourant les sorciers russes n'étaient pas franchement réjouissantes. De plus, en tant que Serpentard, Nikita était sous la protection directe du Baron Sanglant, que Peeves craignait plus que tout – autant de bonnes raisons pour lui ficher la paix.
Ses pas finirent par l'amener dans un quelconque couloir du troisième étage, lorsque soudain, il entendit un éclat de voix. Cela ne provenait pas d'une salle de cours, il en était persuadé : l'échos résonnait avec beaucoup plus d'ampleur, la source se situait quelque part derrière l'angle de ce couloir. Nikita n'avait pas particulièrement envie de croiser d'autres élèves ce jour-là – il avait déjà passé la veille dans la Salle Commune de Poufsouffle, qui célébraient l'anniversaire de Cédric Diggory, le charismatique et populaire capitaine de leur équipe de Quidditch et qui, à cette occasion, avaient invité quelques élèves de confiance issus d'autres Maisons dont Nikita faisait partie – et commença à pivoter sur lui-même pour repartir dans la direction opposée, quand soudain il se figea, reconnaissant l'une des voix, rêveuse et détachée : c'était Luna Lovegood !
Des éclats de rire mauvais suivirent aussitôt, puis une autre voix féminine lança : « Diffindo ! » et les rires décuplèrent d'intensité.
C'étaient trois élèves de Serpentard, deux de quatrième année, un de deuxième année – Maxime O'Laughlin en personne. Les deux autres, une fille nommée Ursula Crump et le frère ainé de Maxime, Timothy O'Laughlin, ricanaient méchamment, baguettes braquées sur Luna qui avait les bras croisés sur la poitrine pour y retenir plaqué le tissu de sa robe de sorcière, là où son uniforme venait d'être déchiré par le sortilège. Elle ne semblait pas particulièrement terrifiée ou mal à l'aise, simplement triste. Ursula interrompit son rire insupportable et parla de sa voix gutturale et trainante :
« Alors Loufoca, si on s'occupait du bas de ton uniforme maintenant ? T'en dis quoi ? »
Luna la dévisagea de son regard bleu ciel et haussa les épaules :
« J'en dis que je vais devoir recoudre mon uniforme. Ça ne me dérange pas, j'aime bien coudre... »
Un éclair haineux passa dans les yeux de Maxime, qui s'écria :
« Fous-la à poil, Ursula ! »
Il avait très mal supporté les petites piques humiliantes que lui adressait Ginny Weasley depuis plusieurs semaines – la Gryffondor ayant fini par comprendre que Nikita l'avait poussée de manière détournée à protéger Luna et s'était lancée corps et âme dans cette noble tâche – et désirait ardemment se venger maintenant que la rouquine était hors de portée et qu'il était entouré de son grand frère accompagné de sa copine. Tout ce qu'il voulait, c'était que Luna paye pour ses affronts...
Ursula leva sa baguette et s'apprêta à lancer à nouveau le sort de Découpe, quand soudain sa vue se brouilla dans le noir le plus opaque.
Paniquée, elle cria, tenta de toucher la main de son petit-ami Timothy... rien. Elle était plongée dans l'obscurité la plus terrifiante qu'elle n'ait jamais connue.
Soudain, un rayon ténu de lumière verdâtre atteignit sa rétine : désespérée, presque au bord des larmes, elle se précipita vers elle... et bascula dans un gouffre sans fin.
Une éternité sembla s'écouler. Elle avait perdu la notion du temps.
Une silhouette floue se dessina enfin devant elle ; à présent secouée de sanglots incontrôlables, la Serpentard gesticula pour tenter de l'atteindre tout en implorant sa pitié. Elle se ravisa cependant lorsque les contours devinrent plus nets : c'était... c'était la créature la plus hideuse, la plus abominable qu'elle n'ait jamais vue... ! C'était... c'était indescriptible...
L'Innommable émit un grondement sourd, qui glaça Ursula jusqu'à la moelle des os ; à sa plus grande horreur, le monstre fit un pas dans sa direction. Il attendit quelques instants, comme pour savourer l'expression de terreur pure qui avait envahi son visage. Puis il fit un deuxième pas... et ce fut comme si la distance qui les séparait avait été divisée par deux. Il était bien plus immense qu'elle ne l'avait cru...
Ursula se mit à hurler comme si elle avait perdu sa raison. La créature cauchemardesque – non, pire que n'importe quel cauchemar qu'elle n'avait jamais pu faire ! – avançait une de ses excroissances visqueuses et verdâtres vers ses yeux. Elle allait d'abord percer ses globes oculaires, lentement, douloureusement, avant d'écorcher soigneusement sa peau et de laisser ses nerfs à vif. En dernier lieu, c'est à son cerveau qu'elle allait s'attaquer, le démembrant petit à petit jusqu'à ce qu'elle se retrouve dans un état végétatif, incapable d'avoir conscience de sa propre existence... mais avant ce stade, elle allait souffrir, beaucoup souffrir, jusqu'à en perdre l'esprit.
Tout cela, Ursula le ressentait, Ursula le savait. L'Innommable était transparent dans ses intentions. Elle avait tenté de se débattre, elle avait tenté de fuir, rien à y faire : elle continuait de tomber et la chose se rapprochait, inlassablement...
Soudain, elle se réveilla et s'aperçut qu'elle était étendue par terre, aux côtés de Timothy et de Maxime. Encore tremblante, elle regarda autour d'elle : Loufoca avait disparu, mais un mouvement vif à l'angle du couloir lui indiqua que quelqu'un les avait observés – probablement la même personne qui était responsable de ces hallucinations traumatisantes. Ses deux amis venaient d'ouvrir les yeux, cerclés de larmes comme les siens : ils avaient dû vivre la même chose. Plus résiliente qu'eux, elle se remit debout et claudiqua d'un pas chancelant vers l'angle du couloir, où elle put apercevoir une silhouette de garçon aux cheveux sombres d'une taille un peu inférieure à la sienne s'éclipser dans un escalier. Bien qu'elle n'ait pas identifié ses traits à cette distance, elle remarqua néanmoins qu'il portait l'écharpe verte et grise de Serpentard.
Mais elle était encore trop secouée pour pouvoir se lancer à sa poursuite, et s'affaissa lentement sur le sol. En regardant à travers une fenêtre, elle vit que le soleil s'était déplacé : une demi-heure au moins s'était écoulée depuis qu'elle avait tenté de déshabiller cette sale petite vermine de Loufoca Lovegood !
L'enquête ne fut pas très longue à être menée : plusieurs amis proches de Nikita, ne se doutant de rien, admirent qu'il était lié d'une amitié inexplicable avec la Serdaigle de deuxième année. Les étranges dons du Russe en matière d'Illusions et peut-être même en matière de Legilimancie et de magie noire – bien que personne ne put confirmer ceux-là avec certitude – eurent tôt fait de convaincre les camarades des O'Laughlin et ceux de la famille d'Ursula Crump de l'identité du coupable : le soir même, une bonne vingtaine de Serpentards se rassemblèrent, baguette à la main, dans un coin de la Salle Commune, de manière à ne pas pouvoir être aperçus par quelqu'un se tenant à l'entrée.
Comme à son habitude, Nikita Lebedev retourna dans les cachots juste avant la sonnerie du début du couvre-feu. Pour cette fois, il était seul – en effet, il lui arrivait parfois de rentrer accompagné d'Adrian Pucey ou d'autres Serpentards de cinquième année. Sans se douter de rien, il se dirigea tranquillement vers son canapé favori, à droite de la grande cheminée sculptée, avec l'intention de s'y allonger quelques heures et se laisser bercer par le doux clapotis des eaux du lac noir sur les vitres des fenêtres... lorsque soudain, il heurta maladroitement un gaillard de trois têtes de plus que lui : Marcus Flint, le capitaine de l'équipe de Quidditch de Serpentard, qui avait redoublé sa septième année après avoir échoué aux A.S.P.I.C.
Il s'excusa et voulu continuer son chemin, mais l'imposant sportif lui agrippa douloureusement l'épaule et se pencha sur lui, jusqu'à ce que leurs visages ne soient séparés que d'une douzaine de centimètres. Les petits yeux noirs de Flint luisaient de haine et de dégoût, ainsi que de suffisance et d'une cruauté presque jubilatoire. Nikita comprit instantanément qu'il était dans de beaux draps et tenta discrètement d'atteindre sa baguette rangée dans la poche arrière de son pantalon, mais quelqu'un saisit sa main avant qu'il n'ait pu faire quoi que ce soit. En tournant légèrement la tête, à-demi étouffé par l'haleine nauséabonde de Marcus (qui n'avait visiblement jamais entendu parler de la merveilleuse invention nommée « la brosse à dents »), il vit qu'il était encerclé par plusieurs élèves de quatrième et de septième années qui n'avaient pas l'air particulièrement ouverts aux débats d'idées. Derrière lui, Douglas Gibbon, un autre septième année bâti comme un chêne, retenait son poignet prisonnier.
Au début complètement désarçonné, Lebedev comprit lorsqu'il vit les frères O'Laughlin et Ursula Crump campés derrière une rangée d'élèves de leur classe aux regards haineux. Déglutissant lentement pour se redonner du courage, il tendit ses membres, prêt à la fuite, et braqua ses yeux clairs dans ceux de Flint, tentant d'ignorer le tremblement musculaire de la mâchoire de ce dernier.
« Qu'est-ce que tu me veux, Marcus ? demanda-t-il d'un ton cristallin.
« Tu le sais très bien, ricana Flint d'un air mauvais, envoyant du même coup une gerbe de postillons malodorants sur le visage du Russe. Ursula est ma cousine. Elle est venue me voir ce matin complètement terrifiée... on sait tous que c'est toi, avec tes sales illusions minables !
« Alors, t'as peur maintenant, hein ? susurra Douglas en retirant la baguette de la poche de Nikita et en l'agitant devant son nez, manquant de lui crever un œil avec. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire de ça : la briser en deux ? La jeter dans la cuvette des chiottes ? »
Nikita ne répondit rien, toujours tendu, le regard fixement braqué dans celui de Marcus, au point où celui-ci finit par se sentir mal à l'aise. Il se recula un peu et fit signe à Douglas de s'écarter. Deux amis de Flint s'avancèrent alors sur les côtés, manches retroussées, l'air féroces. Il lâcha enfin l'épaule de Nikita et le poussa brutalement en arrière ; le Russe chancela mais resta debout, examinant toujours stoïquement le sportif.
Marcus finit par se détacher du regard presque hypnotique du cinquième année et grommela :
« Rowle, Clark, chopez-le. »
Les deux septièmes années le saisirent sans ménagements par les bras et Marcus s'écarta et fit signe à sa cousine d'approcher. Ursula Crump obtempéra d'un pas hésitant : elle était encore traumatisée par ce que Nikita lui avait infligé le jour même, elle avait dû rester tout l'après-midi à l'infirmerie, de même que Timothy et Maxime. Mais lorsqu'elle vit le garçon, un peu plus menu qu'elle, sans défense et certainement effrayé malgré son visage neutre, elle eut un regain de courage et afficha un sourire carnassier dépourvu de la moindre once de joie tout en pointant sa baguette sur son torse.
« Ta sale petite garce de Loufoca n'est pas là pour déjouer mon attention cette fois, espèce de lâche ! cracha-t-elle lorsqu'elle fut face à lui.
« Elle s'appelle Luna », souffla Nikita, aussitôt interrompu par le sort haineusement crié par la quatrième année.
Le jet de lumière l'atteignit de plein fouet et il dut lutter pour ne pas se plier en deux. Elle lui avait infligé le sortilège Tord-Boyaux : il avait l'impression que ses entrailles remuaient à l'intérieur de son ventre et tentaient de ressortir par sa gorge, lui provoquant un haut-le-cœur incontrôlable. Il ne tint que quelques secondes avant de vomir l'intégralité de son dîner sur le parquet – aussitôt effacé d'un Tergeo, moqueusement lancé par Douglas Gibbon.
L'effet du sort fut interrompu lorsqu'une autre douleur cuisante le remplaça : Ursula lui avait asséné un violent coup de poing en pleine figure, bientôt suivi d'un coup de pied dans le ventre. Il ne put retenir un grognement lorsque sa vision s'obscurcit suite à la violence du choc, mais demeura debout, à moitié soutenu de part et d'autre par Rowle et Clark, qui ne le lâchaient pas.
« Bande d'imbéciles, parvint-il à murmurer d'une voix suffisamment forte pour qu'Ursula l'entende. Vous ne vous rendez pas compte que c'est précisément à cause de ce genre d'attitude...
« La ferme ! » gronda la quatrième année en lui infligeant une violente gifle qui lui fit tourner la tête.
« Bien, cousine, laisse-moi m'amuser aussi un peu », entendit-il ensuite Marcus s'exclamer quelque part devant lui.
Le sportif ne s'encombra pas de la subtilité de sorts offensifs, mais y alla simplement avec ses poings. Nikita se dit bientôt qu'il aurait sans doute préféré qu'il l'attaque avec un Doloris, ça aurait au moins eu le mérite de ne pas comporter des risques de séquelles ; il devait toutefois reconnaitre que Flint, malgré ses airs de grosse brute décérébrée, s'y prenait intelligemment : il ne le frappa pas une seule fois au visage, au cou ou aux bras, où des hématomes auraient facilement été repérés le lendemain par un professeur, mais à peu près n'importe où ailleurs avec une répartition assez homogène.
À plusieurs reprises, Rowle et Clark entendirent des craquements sinistres, mais ne lâchèrent pas leur proie pour autant. Marcus savait ce qu'il faisait : tout ceci n'était qu'une mise en garde musclée pour éviter que le Russe ne fasse des bêtises, à l'avenir.
Lorsqu'il en eut fini avec Nikita, Marcus s'étira les doigts et recula d'une dizaine de mètres, faisant signe au groupe rassemblé autour du Serpentard réfractaire qu'ils pouvaient en faire ce qu'ils souhaitaient, désormais. Durant la scène, quelques cinquièmes années s'étaient rassemblés en retrait, contemplant avec pitié leur camarade de classe se faire réduire en lambeaux. Pourtant, même parmi eux, certains eurent des expressions approbatives, à l'image d'Annie Zheng, une Sang-Pure fière de ses origines, qui lança à voix haute :
« C'est triste, mais c'est le sort qui attend ceux qui sont amis avec les Sangs-de-Bourbe et les Traitres-à-leur-Sang ! »
Son intervention provoqua un véritable tollé dans l'assemblée : tous se mirent à gesticuler avec véhémence, la plupart partageant l'avis d'Annie, et certains s'approchèrent de Nikita – que Rowle et Clark avaient enfin laissé s'effondrer au sol où il s'était allongé en se tenant le ventre, yeux clos – pour lui cracher au visage et même lui asséner des coups de pieds auxquels il ne réagit pas.
Les « représailles » durèrent encore environ une demi-heure, avant que les Serpentards ne finissent par se lasser : Nikita Lebedev n'avait pas émis le moindre cri, la moindre protestation, le frapper c'était comme s'attaquer à une poupée de chiffons. Ils avaient secrètement espéré qu'il se défendrait, qu'il montrerait ce qu'il avait dans le ventre : il s'était simplement replié sur lui-même, roulé en boule comme un cloporte menacé, et était demeuré parfaitement immobile, inexpressif. Sa baguette dérobée par Gibbon était passée entre plusieurs mains, tour à tour jetée au sol ou abandonnée sur une table, avant d'être récupérée par Adrian Pucey – descendu du dortoir en entendant le remue-ménage en bas – qui la rangea soigneusement dans sa poche et attendit que la situation se calme, appuyé contre un mur à l'écart dans un coin sombre de la Salle.
Les quatrièmes et septièmes années partirent enfin rejoindre leurs lits. Le dernier à s'en aller fut Maxime O'Laughlin, qui siffla quelques phrases venimeuses à l'oreille de Nikita avant de lui décocher un coup de pied sournois dans le tibia, ce qui fit trembler par réflexe l'adolescent allongé. Même lui alla cependant dormir après cela : nul doute que, malgré cette fin de journée hautement satisfaisante, ses rêves allaient s'avérer cauchemardesques à cause de ce que Nikita avait infligé à son esprit.
Constatant que la Salle Commune était à présent vide – à l'exception de Lebedev et de lui-même – Adrian s'avança prudemment vers le corps recroquevillé de son voisin de dortoir et s'accroupit devant son visage lorsqu'il fut à moins d'un mètre.
Nikita mit quelques instants avant d'entrouvrir ses yeux, pressentant la présence rassurante d'une figure amicale à ses côtés.
« Viens, je te ramène en haut » dit simplement Adrian lorsque leurs regards se croisèrent.
Le Russe acquiesça. C'était son premier mouvement depuis quelques dizaines de minutes. Tous ses muscles agités de tremblements spasmodiques, il déplia ses bras et s'appuya sur son coude pour se redresser un peu : aussitôt, Adrian se pencha et l'agrippa fermement pour l'aider à se mettre en position assise.
D'un regard perçant, Nikita lui indiqua qu'il ne souhaitait pas son assistance et tenta de se mettre debout en arborant un air concentré, n'y parvenant qu'à sa deuxième tentative. Adrian, qui s'était écarté, fit de nouveau un pas vers lui lorsqu'il le vit vaciller dangereusement.
« Laisse..., chuchota le Russe dans un râle rauque.
« Tiens, c'est à toi », lui tendit Adrian sa baguette.
Lebedev lui adressa un regard reconnaissant et rangea sa baguette dans sa poche. Par la suite, il se laissa soutenir et guider à travers la Salle Commune puis dans les escaliers par son camarade de classe.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? résonna la voix d'Owen Miller lorsqu'ils pénétrèrent dans leur dortoir commun. Oh ! » s'exclama-t-il en apercevant Nikita.
Il se leva de son lit et se précipita vers ses deux voisins pour aider Adrian à supporter le Russe. Ensemble, ils l'allongèrent sur sa couchette. Nikita avait l'air d'être sur le point de s'évanouir, le teint soudain très pâle, presque verdâtre.
« Qu'est-ce que... ?
« Il s'est fait tabasser par Marcus, expliqua Adrian. Pour le mettre en garde. Il parait qu'il a traumatisé sa cousine, Ursula... »
Nikita ponctua cette évocation d'un faible ricanement.
« Elle l'avait bien cherché... », marmonna-t-il entre ses dents.
Owen avait l'air choqué et même Adrian s'était figé sur place l'espace d'une seconde. Ils venaient tout juste de se rendre compte que malgré tous ces mois passés aux côtés de l'étudiant russe, ils ne cernaient toujours que très peu ses véritables motivations : il leur apparaissait chaleureux et pacifique la plupart du temps – mais en de rares occasions, comme celle-ci, il avait l'air presque dangereux, presque... fou à lier.
Ils l'aidèrent néanmoins à retirer ses chaussures et à s'étendre dans une position plus confortable – ou au moins, la moins douloureuse possible. Il les remercia d'un regard plein de gratitude, trop épuisé pour parler, et tomba aussitôt dans un demi-sommeil agité.
« Personne n'a essayé de le défendre ? » questionna Owen dans un murmure presque inaudible.
Adrian secoua la tête, mal à l'aise. Il avait été présent durant une bonne partie de l'événement, mais n'était pas intervenu, de peur de contrarier le capitaine de son équipe de Quidditch et de risquer sa place de Poursuiveur. Il n'était pas très fier de son acte – ou plutôt, de son inaction ; néanmoins, il s'était attendu à ce que Nikita se défende : le Russe savait se montrer éloquent et persuasif et s'arrangeait toujours pour éviter les conflits, même dans les cas les plus tendus. Pourtant, cette fois-ci, il n'avait pas dit un mot, pas esquissé le moindre geste, subissant patiemment son supplice. Jamais le sportif ne l'avait vu aussi inexpressif, aussi résigné : c'était comme s'il avait l'habitude de ce genre de situation...
De ce qu'il savait de sa scolarité à Durmstrang, Nikita avait eu quelques différends avec certains caïds de Sang-Pur – des lascars qui faisaient la loi dans l'école d'Europe de l'Est. Il avait évoqué à plusieurs reprises son point de vue sur le sujet du sang magique : il considérait cela comme absurde. Une fois, Annie Zheng l'avait interpellé en lui demandant s'il était un Sang-Pur : lorsqu'il lui avait répliqué qu'il était de Sang-Mêlé, elle l'avait nargué, ce à quoi il avait réagi en disant :
« C'est bizarre, pourtant je n'ai pas l'impression que ton sang te donne un quelconque avantage sur moi en matière de magie. »
Elle s'était énervée, l'avait attaqué et il l'avait déjouée avec facilité, prenant rapidement le dessus en tirant parti de sa colère et de son impulsivité. D'une manière similaire, il avait également rabattu le caquet de Drago Malfoy, alors que celui-ci se moquait des Nés-Moldus : il lui avait innocemment demandé si, en toute sincérité, il espérait pouvoir gagner face à « cette Sang-de-Bourbe d'Hermione Granger » (en reprenant les termes employés par Drago) dans un duel équitable, ou même de la battre au moins une fois d'un point de vue scolaire. Drago s'était mortellement vexé et avait menacé d'« en parler à son père », mais rien à y faire : Nikita avait raison, personne ne pouvait contester le talent de Granger.
Sans doute d'une manière similaire, il s'était jadis mis à dos des gros poissons de Durmstrang – des fils de riches ou de nobles, fiers de la pureté de leur sang. Il ne faisait pas vraiment ça pour défendre les intérêts des Nés-Moldus, Adrian en était presque convaincu : la simple perspective de pouvoir se montrer insolent vis-à-vis de quelqu'un d'influent en lui donnant tort devait certainement suffire amplement à le motiver.
Mais cette fois-ci, les choses étaient différentes : Nikita semblait s'être impliqué uniquement pour protéger une autre élève, cette Loufoca Lovegood comme on la surnommait.
Avec étonnement, Adrian comprit soudain...
