Le lendemain, les Serpentards de cinquième année avaient cours d'Histoire de la Magie avec les Serdaigles durant les deux premières heures de l'après-midi.
Personne n'avait osé regarder Nikita en face de toute la journée, pas même ses voisins de dortoir. Certains, ceux qui n'avaient pas assisté à la scène la veille – à l'instar de Melwys Stingers, la préfète – surent très vite la vérité et se sentirent peinés pour leur camarade de classe, sans toutefois rassembler assez de courage pour venir l'aborder. Il n'eut pas l'air de s'en émouvoir, passant toute la matinée – consacrée aux Sortilèges, puis aux Soins aux Créatures Magiques, en compagnie de Gryffondor – avec les jumeaux et Lee. Ces derniers ne s'étaient pas aperçus de grand-chose – hormis d'un air plus fatigué que de coutume sur le visage de leur ami : il savait faire preuve d'une impressionnante maîtrise de soi, une qualitécertainement due à ses dons d'Occlumens.
Mais vers une heure et demi de l'après-midi, alors que le cours monotone du professeur Binns avait débuté depuis plus de trente longues minutes, les élèves virent la main du Russe se lever. Au bout de tout ce temps, ils ne s'en étonnaient plus, attendant seulement avec impatience et curiosité ce qu'il allait bien pouvoir dire pour argumenter contre le discours de l'enseignant.
Avec un profond soupir, le professeur d'Histoire de la Magie lui donna la parole : cela faisait longtemps que Nikita n'avait pas participé, il lui avait presque pardonné ses nombreux écarts de conduite lors des cours précédents.
Pourtant, cette fois-ci, la demande de l'élève perturbateur fut d'un tout autre ordre et résonna presque comme une supplication dans la salle de classe :
« Monsieur, est-ce que je peux aller à l'infirmerie s'il vous plaît ? Je ne me sens pas très bien... »
L'enseignant-fantôme demeura interloqué quelques secondes avant de se souvenir de quelques notions de pédagogie élémentaire et de bafouiller distraitement :
« Oui oui, bien sûr, faites... Mademoiselle Stenkers ?
« Stingers...
« Oui, c'est cela... accompagnez-donc monsieur Labadov à l'infirmerie !
« Bien, monsieur... »
Les deux Serpentards se levèrent et sortirent de la pièce, suivis par les regards étonnés d'une trentaine d'élèves.
Une fois dehors dans le couloir, la porte refermée derrière lui, Nikita poussa un drôle de gémissement et s'appuya fiévreusement contre le mur. Inquiète, Melwys s'approcha de lui d'un bond et posa la main sur son épaule :
« Nikita, ça va ? demanda-t-elle précipitamment.
« N...non... pas vraiment, répliqua-t-il dans un souffle. J'ai... mal... »
Et il serra les bras contre son torse, se tenant le côté gauche, la respiration soudain saccadée. Son teint était blême, ses yeux vitreux : à présent presque paniquée, Melwys bredouilla quelques mots rassurants et le força à enrouler son bras autour de ses épaules pour le soutenir. Elle devait l'emmener à l'infirmerie de toute urgence : cet imbécile était beaucoup plus amoché qu'il ne l'avait laissé croire, maintenant il risquait de faire un malaise au beau milieu d'un couloir !
Ils parcoururent presque un étage de cette manière : l'infirmerie se situait au quatrième étage, tandis qu'eux étaient au sixième. Il fallait juste espérer que les escaliers ne se montrent pas trop capricieux cette fois-là, qu'ils y parviennent le plus rapidement possible !
Lorsqu'ils atteignirent le cinquième étage, cependant, la pire crainte de la préfète se réalisa : Nikita, poussant un petit cri inintelligible, tourna soudain de l'œil ; tout son corps devint flasque et il s'affaissa comme un petit tas de chiffons sur le sol, entrainant presque la jeune fille dans sa chute.
« Merde... pas maintenant... » marmonna-t-elle, ne sachant plus comment agir.
Tout à coup...
« Hé, vous, là ! Qu'est-ce que vous faites ici à cette heure, je vous prie ? Vous êtes censés être en cours ! »
C'était la voix nasillarde et un brin désagréable de ce grand dadais de Percy Weasley.
Le Gryffondor était à l'angle du couloir, près d'une armure. D'un pas vif, il se dirigea vers eux et se stoppa net lorsqu'il se rendit compte que Nikita était dans les vapes.
« Je pourrais te retourner la question, lança Melwys d'une voix sèche.
« Je suis préfet-en-chef, je te signale ! Et je n'ai pas cours les vendredis après-midi... Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il en désignant Nikita du menton.
« Il va pas bien... faut que tu m'aides à le porter à l'infirmerie !
« Oh... euh... très bien... Tu es sûre que... ?... enfin je veux dire, est-ce qu'il est en état d'être déplacé ?
« Oui, crétin ! Grouille ! »
Avec des mouvements gauches, Percy s'accroupit et saisit Nikita par le bras, tandis que Melwys attrapait son autre bras. D'un signe de tête pour se coordonner, ils se redressèrent et trainèrent l'élève évanoui du mieux qu'ils le purent.
Essoufflés, ils atteignirent l'infirmerie au bout d'un peu plus de cinq minutes. Nikita n'avait toujours pas repris conscience, cela commençait à les inquiéter sérieusement...
Madame Pomfresh se précipita vers eux aussitôt qu'elle les vit.
« Qu'est-ce que... ? Portez-le vers ce lit, vite ! Allongez-le... voilà, comme ça... Par la barbe de Merlin, pauvre garçon ! Stingers, apportez la fiole rose, là-bas sur mon bureau ! Où est donc ma baguette, bon sang ! J'ai dû la laisser sur... enfin, peu importe... Merci, Stingers ! Oh, ma baguette ! »
L'infirmière déboucha la fiole en question juste sous le nez de Nikita, ce qui lui fit instantanément ouvrir les yeux, en sueur, le souffle saccadé. Il prononça quelques paroles incohérentes, partiellement en russe ; madame Pomfresh secoua la tête.
« Accio potion de sommeil ! » s'exclama-t-elle.
Délicatement, elle fit boire une gorgée de la seconde fiole au Serpentard, qui s'endormit aussitôt. Ceci fait, elle se tourna vers les deux préfets qui l'avaient porté :
« Bien : expliquez-moi maintenant de manière précise et sans détours ce qui s'est passé, que je puisse le guérir ! »
Percy et Melwys échangèrent un regard en coin. Percy fut le premier à prendre la parole :
« Madame, je n'en ai aucune idée. J'ai trouvé Lebedev évanoui, en compagnie de Stingers ici présente...
« Il s'est senti mal durant le cours d'Histoire, exposa Melwys. Je l'ai accompagné et... il est tombé dans les pommes. »
Pomona Pomfresh appuya ses mains contre ses hanches et les dévisagea tour à tour d'un air sévère.
« Je vois, dit-elle enfin. Ainsi, aucun d'entre vous n'a la moindre idée de l'origine du mal dont souffre ce pauvre garçon...
« Non, en effet madame, répliqua Percy. Je ne vous serai pas d'une grande utilité ici, pour être franc... si vous me le permettez, si vous n'avez plus besoin de moi, je ferais mieux d'y aller : j'ai été mandaté pour faire des rondes dans les couloirs, d'autres élèves ont peut-être besoin de moi ! »
Melwys leva discrètement les yeux au ciel : Weasley prenait beaucoup trop au sérieux son rôle de préfet-en-chef, ça en devenait ridicule ! Néanmoins, madame Pomfresh acquiesça et accéda à sa demande :
« Très bien, allez-y... si vous trouvez un autre étudiant évanoui, n'hésitez pas à me l'apporter !
« Je n'y manquerai pas, madame ! »
Le pire, c'était qu'il était trop obnubilé par ses responsabilités pour ne serait-ce que songer à se montrer insolent lorsqu'il répliquait ainsi avec son air enthousiaste de petit soldat...
L'attention de l'infirmière était à présent entièrement focalisée sur elle. Mal à l'aise, elle tenta de fuir son regard en détournant les yeux, mais rien à y faire : madame Pomfresh lisait en elle comme dans un livre ouvert.
« Bon, d'accord, finit-elle enfin par craquer au bout de quelques instants. Je sais ce qui s'est passé : hier soir, Nikita s'est battu... il a récolté quelques coups. C'est sans doute ça qui lui fait mal, à présent...
« Il s'est battu, vous dites ? répéta l'adulte d'un air sceptique. Hmm... »
D'un geste expérimenté, elle pointa sa baguette sur le corps allongé et découpa avec précision le haut de son uniforme pour laisser voir son côté gauche. Avec stupeur et une pointe de dégoût horrifié, Melwys découvrit l'énorme hématome noirâtre qui recouvrait toute la partie gauche de la poitrine pâle et étroite de son camarade de classe. Madame Pomfresh retira encore un peu de tissu, dévoilant de nombreuses plaies et ecchymoses récentes, certaines assez inquiétantes au vu de leur couleur violacée.
Elle releva les yeux pour croiser le regard à présent soucieux de la jeune fille :
« M'est plutôt avis qu'il s'est fait salement tabasser !
« Ou...oui, madame, répondit platement la préfète. C'est effectivement ce qui s'est passé hier soir... Je n'étais malheureusement pas présente sur les lieux à ce moment-là, sinon je serais intervenue...
« Je ne vous reproche rien, mademoiselle Stingers, rétorqua l'infirmière d'une voix un peu trop brusque pour être sincère. Sachez seulement que si vous identifiez à coup sûr les coupables de cet acte, le règlement vous impose de les dénoncer àvotre professeur principal pour qu'ils encourent la sanction appropriée. Me suis-je bien fait comprendre ?
« Parfaitement, madame » souffla Melwys, faussement humble.
Madame Pomfresh hocha la tête d'un air entendu et se dirigea de ses petits pas rapides vers son bureau pour y fouiller dans quelques documents qu'elle survola des yeux, avant de s'emparer d'une paire de fioles d'onguents et de revenir vers le lit du blessé. D'une main experte, elle étala les crèmes régénératrices et banda les plaies du Serpentard, procédant habilement et minutieusement. Elle avait complètement oublié la présence de la préfète à ses côtés.
Lorsque quelques minutes plus tard, elle croisa par hasard le regard de Melwys Stingers, qui tournait sans but aux alentours du lit de Nikita, elle lui lança d'un air surpris :
« Je pensais que vous deviez retourner à votre cours, mademoiselle Stingers ! »
La préfète lui adressa quelques signes de dénégation :
« Non, non, peu importe maintenant, il est trop tard... je rattraperai mes cours sur quelqu'un, ne vous inquiétez pas pour ça ! »
Un peu méfiante, l'infirmière haussa toutefois les épaules, ne se sentant pas concernée et étant de toute manière trop occupée à soigner son nouveau patient. Elle garda cependant un œil sur les déplacements de la préfète, tandis que celle-ci évoluait distraitement dans l'infirmerie, l'air tourmentée. Environ vingt minutes s'écoulèrent avant qu'elle ne s'en aille enfin d'un pas pressé, faisant claquer ses talons sur le sol sous le regard désapprobateur de la soignante.
Nikita ne reprit conscience que le soir même : embrassant d'un regard déboussolé cet environnement peu familier, il essaya de se redresser sur son lit, tous ses sens aux aguets, alertant du même coup madame Pomfresh qui se rua vers lui pour lui intimer de se rallonger.
« Monsieur Lebedev, évitez donc de remuer si vous le voulez bien... vous tenez à déchirer vos bandages ? »
Étonné, Nikita tâta son côté gauche, s'apercevant avec surprise que sous sa large chemise d'hôpital, ses vêtements avaient été remplacés par des bandages imbibés d'onguents. Apaisé par la présence rassurante de l'infirmière, il obtempéra et se glissa sereinement sous sa couverture.
À présent, il dévisageait l'aide-guérisseuse de ses grands yeux délavés, tentant de déchiffrer ce qu'elle pensait à travers son regard.
« Qu'est-ce que j'ai ? rompit-il enfin le silence.
« Hémorragie interne, expliqua-t-elle sèchement. Tu t'es évanoui. Tu aurais pu garder de graves séquelles !
« Oh...
« Puis-je savoir, continua l'infirmière, ce qui t'est passé par la tête hier soir, en ne venant pas immédiatement me voir après t'être fait agresser ? Oui, je sais que des Serpentards t'ont frappé, même si j'ignore qui... Lebedev, je ne dispose d'aucune influence sur ce genre de choses et je ne suis pas habilitée à intervenir, mais si tu es victime de harcèlement violent, tu devrais aller en parler au professeur Rogue... ou au directeur Dumbledore.
« Madame Pomfresh, sourit Nikita d'un air désolé, vous vous trompez sur ma situation, je ne subis aucun harcèlement de la part de mes camarades de Maison... Ce qui m'est arrivé hier ne relève que d'un regrettable accident. Aucun besoin d'alerter le professeur Dumbledore pour ce genre de futilité...
« Monsieur Lebedev, ne me prenez pas pour une imbécile ! tonna sévèrement madame Pomfresh. J'ai lu votre dossier médical, je sais pourquoi votre famille vous a envoyé loin de Dumstrang... vous n'êtes pas venu à Poudlard pour que la même situation se reproduise ! »
Malgré lui, Nikita ne put empêcher un tressaillement nerveux. Son regard fut parcouru d'un éclair glacial, qui fit presque peur à l'infirmière. Il redevint cependant aussitôt souriant et faussement jovial :
« Je me sens parfaitement en forme à présent, madame...
« Bien sûr ! ironisa-t-elle. Lebedev, je te dis que je sais tout sur toi : tu as une maladie rare et incurable qui fait que ton organisme n'est pas équipé pour supporter de tels traumatismes physiques. Pour faire simple, tu es plus fragile que la moyenne... Pourtant tu as l'air de tout faire pour mettre ta vie en danger ! Quoi que tu aies pu dire à tes camarades de Serpentard – parce que je me doute que c'est parce que tu les as insultés qu'ils te sont tombés dessus, les Serpentards vouent habituellement un respect héréditaire envers les élèves de Durmstrang – débrouille-toi pour t'excuser auprès d'eux, qu'ils t'oublient. Si besoin est, j'agirai pour que des conditions spéciales soient appliquées à ton cas, un dortoir isolé, une surveillance de la part de ton directeur de Maison : je suis habilitée à le faire en cas de risques pour l'intégrité physique ou psychologique des élèves.
« Ce... ce ne sera pas nécessaire, madame Pomfresh, l'interrompit poliment Nikita. Considérez que l'incident est clos, il n'aura pas d'autres répercutions. »
L'infirmière le scruta, sourcils haussés, l'air peu convaincue ; pourtant, elle finit par secouer la tête en soupirant et quitta son chevet de ses petits pas précipités, marmonnant un « eh ben voyons ! » ironique au passage.
Nikita put enfin sortir le lendemain, toutes ses plaies pratiquement guéries grâce aux excellents soins de madame Pomfresh, très compétente dans son domaine – de son avis, bien davantage que madame Kuzmanova, l'infirmière de Durmstrang. Il conserva cependant une certaine amertume dans sa mémoire de tout cet événement – amertume qui ne l'empêcha pourtant pas d'adresser de chaleureux remerciements à Melwys Stingers et à Percy Weasley lorsqu'il apprit qu'ils l'avaient porté alors qu'il était inconscient.
À sa grande satisfaction, Marcus Flint et sa bande, ayant été mis au courant de sa brève hospitalisation, le laissèrent tranquille depuis ce jour, considérant qu'ils étaient quittes. Après tout, il avait lui-aussi envoyé Ursula et les frères O'Laughlin à l'infirmerie – et les avait condamnés à plusieurs semaines consécutives de crises d'insomnie aigue par la même occasion.
Il s'était bel et bien racheté... en un certain sens.
