D'une manière ou d'une autre – et à sa plus grande contrariété – des rumeurs imprécises sur sa maladie génétique s'étaient répandues dans l'école, probablement colportées par un élève hospitalisé au même moment que lui, qui avait entendu des bribes de sa conversation avec madame Pomfresh. Sa mère, qui avait fini par apprendre ce qui s'était passé,était venue lui rendre visite un soir dans sa Salle Commune, provoquant l'étonnement général des quelques étudiants alors présents sur les lieux : il ne leur révéla pas qui elle était mais tous finirent par comprendre qu'elle était une proche parente inquiète pour sa santé. Des moqueries sur sa fragilité avaient commencé à éclore un peu partout à Poudlard, débutant chez Serpentard et se répandant parmi les Gryffondors, les Serdaigles et même quelques Poufsouffles amateurs de ragots déplaisants. Nikita tenta d'y tenir imperturbablement tête mais dut bientôt se rendre à l'évidence : sa réputation et son aura mystérieuse de mage noir russe étaient dissoutes à jamais. Même Peeves, d'ordinaire craintif à son égard, commença à le suivre un peu partout en chantonnant qu'il se cachait en pleurant dans les jupes de sa mère lorsqu'il voulait qu'elle soigne ses bobos.

Désormais, il n'osait plus rencontrer Luna pour éviter de l'encombrer d'un fardeau supplémentaire de moqueries. Heureusement, en quelques conversations à cœur ouvert, il avait réussi à faire se rendre compte à Ginny Weasley la situation de son amie de Serdaigle, ce qui amena la rouquine à se rapprocher de sa camarade de classe : bientôt, les deux partageaient un fort lien d'affection mutuelle, ce qui réjouit énormément le cinquième année.

Les jumeaux le surprirent très positivement lorsqu'ils virent le voir un jour dans le Parc alors qu'il lisait un livre d'arithmancie dans son coin, à l'écart des autres élèves. Comme si rien ne s'était produit depuis la semaine précédente, ils l'abordèrent gaiment en lui parlant de leurs nouvelles avancées en matière de conception de pétards et de feux d'artifice mineurs.

« On voulait savoir...

« ... où est-ce que t'en étais, avec le bouquin qu'on t'a dégotté avec Harry !

« Eh bien, commença prudemment Nikita, je l'ai pratiquement fini. C'était une lecture incroyablement instructive, encore merci de m'avoir aidé à l'obtenir !

« Mais il n'y a absolument pas de quoi !

« On le refera, si jamais l'envie t'en reprend !

« Il faudra simplement...

« ... qu'on trouve un moyen de le remettre à sa place...

« ... quand tu l'auras terminé... »

Le Serpentard pinça les lèvres et se gratta la tête : effectivement, la restitution de l'ouvrage à sa place dans la Réserve allait présenter le même problème que son « emprunt ». Bien qu'il sache à présent que Harry Potter pouvait se rendre invisible, ils allaient tout de même devoir agir prudemment – autant que la dernière fois, voire davantage étant donné que madame Pince n'allait plus tomber dans le même panneau.

Fred et George changèrent très vite de sujet, peu intéressés par ce genre de détails pratiques :

« Heureusement que maintenant, on sait tous que tu n'es pas vraiment un mage noir ! fit remarquer Fred en riant.

« Hmm...

« Si t'en avais été un, ceux qui t'ont tabassé n'auraient plus été de ce monde, justifia George les propos de son frère.

« Pour être tout à fait francs avec toi...

« ... on ne te faisait pas entièrement confiance...

« ... jusqu'à il n'y a pas si longtemps de ça...

« ... mais Ginny nous a rapporté ce qu'une certaine Luna Lovegood lui a révélé...

« ... il parait que t'as aidé cette fille...

« ... comme un chevalier secourant sa demoiselle en détresse...

« ... ouais, un peu ridicule...

« ... mais quand même classe...

« ... alors maintenant, on sait que t'es un brave type ! »

Et les deux lui assenèrent une bourrade amicale, qui le fit grogner de douleur : ils frappaient pile là où il s'était pris un vilain coup de pied de la part d'un septième année aux chaussures désagréablement pointues.

« Ouille... merci les gars... c'est bon, stop maintenant... »

Ils étaient insensibles à sa souffrance et parfaitement insupportables ; pourtant, leur soudain regain de confiance envers lui lui réchauffait le cœur. Il esquissa un timide sourire gêné.

« Sincèrement... merci d'être là, tous les deux. Vous ne savez pas à quel point cela me fait plaisir ! »

Les jumeaux se regardèrent d'un air faussement benêt, avant d'éclater d'un grand rire moqueur :

« Qu'est-ce qu'on ferait sans notre mage noir...

« ... pardon, notre preux chevalier au grand cœur...

« ... préféré ! »

Ils étaient francs en disant cela, Nikita le voyait dans leurs yeux espiègles.

« Dites, se lança-t-il soudain, vous vous souvenez de ce que je vous ai dit, en début d'année ?

« Quoi donc ?

« Que tu aimais les dragées au parfum de crottes de nez ?

« Non, pas ça...

« Que tu as déjà sniffé de la Poudre de Cheminette pour voir quel effet ça fait ?

« Pas ça non plus... Non, je suis sérieux : vous vous souvenez, après ce cours de Métamorphose avec les escargots, quand vous vous êtes vexés pendant quelque temps ? »

Les jumeaux perdirent leurs sourires farceurs et froncèrent les sourcils, attentifs à la suite.

« Tu as essayé de nous faire croire...

« ... que la magie noire était en réalité bénéfique...

« Oui... enfin non, pas exactement...

« Va falloir que tu nous explique alors...

« C'est pas très clair, ton histoire... »

Nikita prit une grande inspiration, avant de se lancer :

« Ben voilà... ce que j'essayais de dire, c'est que la magie noire n'est ni maléfique, ni bénéfique. Seul l'usage qu'on en fait compte. En Russie, c'est l'un des principes élémentaires, enseigné en première année. En Grande-Bretagne, en revanche, la magie noire est auréolée d'une sale réputation qui rend impossible ne serait-ce que son apprentissage théorique aux étudiants. Ce sur quoi elle est basée, ce grâce à quoi elle existe, c'est l'exploitation de la magie vitale, celle qui est produite et canalisée par tous les êtres vivants sur Terre. C'est la théorie la plus communément admise en recherches en magie fondamentale : la magie est un flux de matière transportant de grandes quantités d'énergie, suffisamment importantes pour s'opposer aux lois physiques lorsqu'on sait les exploiter, produite par... probablement par toute structure suffisamment complexe pour être dotée d'une âme, phénomène probablement émergent de la conscience. Autrement dit, les animaux, les plantes, nous... les écosystèmes aussi sans doute, peut-être même les systèmes planétaires, les amas d'étoiles, les galaxies... Personne ne sait vraiment quelles sont toutes les sources de la magie. Quoi qu'il en soit, peu d'organismes sont capables de l'exploiter, de l'utiliser selon leur volonté : les créatures et végétaux fantastiques d'une part, les sorciers d'autre part...

« D'aaaaaaccooooord, souffla Fred, l'interrompant par la même occasion. C'est hyper intéressant, ton truc... mais la magie noire, dans tout ça ?

« J'y viens : la magie, donc, est produite – en partie voire intégralement – par les êtres vivants, puis se disperse généralement dans l'air ou est absorbée par les roches – des structures dépourvues d'âme. Généralement, on se contente d'exploiter la magie sous cette forme dispersée : c'est moins efficace, puisqu'elle est diluée, mais cela demande moins d'efforts de volonté. On combine cela avec le peu de magie qu'on produit nous-mêmes – et le tour est joué : ainsi fonctionne la magie dite « blanche ». Cependant, influencer directement l'âme d'un producteur primaire de magie – soi-même ou autre que soi – permet aussi d'utiliser cette énergie, sous une forme un peu différente. Cette pratique demande davantage de volonté et de concentration, sans doute car il s'agit d'une manipulation directe de la vie elle-même... Contrairement aux idées reçues, cela ne nécessite pas obligatoirement la mort de l'être vivant en question : au contraire, on peut parfaitement utiliser de l'énergie vitale pour guérir, voire créer la vie. Oui : la mise au monde est une forme particulière de magie noire. Toutes les mères sont des mages noires en puissance ! »

Il avait théâtralement écarté les bras pour ponctuer son propos. Les frères Weasley demeurèrent scotchés sur place durant quelques secondes : ils ne s'étaient certainement pas attendus à tout un monologue sur le fonctionnement théorique fondamental de la magie ! Mais si ce que Nikita affirmait était vrai...

« Montre, dit soudain George. Montre de la magie noire... pas maléfique... pour voir...

« À la moindre menace, sache qu'on est dangereux » prévint tout de même Fred en sortant sa baguette.

Nikita leur adressa son plus grand sourire : il était aux anges ! Enfin ! Enfin, on l'écoutait ! Il avait commencé à désespérer, les élèves de Poudlard étaient si bornés dans leurs esprits !

Farfouillant dans sa poche, il se saisit de sa baguette et se racla la gorge tout en l'essuyant contre un pan de son uniforme.

« Sachez que je suis un peu rouillé, ça risque de ne pas être très impressionnant » déclara-t-il tout en cherchant des yeux un « sujet » approprié.

Ne trouvant rien à sa convenance, il fit signe aux jumeaux de le suivre.

« Là-bas, sur le muret ! » pointa-t-il sa destination lorsqu'il l'eut trouvée.

Ils le suivirent, circonspects, et attendirent qu'il se prépare mentalement.

Il n'avait jamais présenté de talent particulier en matière de magie noire – oh, il n'était pas mauvais, loin de là, mais il n'était certainement pas un « grand mage noir ». Heureusement, son affinité avec les plantes compensait quelque peu sa médiocrité : c'était avec elles qu'il savait le mieux interagir !

Il finit par braquer sa baguette sur une grande pousse d'ortie, qui s'élevait en longeant le muret ; sous les regards attentifs des deux Gryffondors, il marmonna quelques formules occultes en langue slave : l'ortie sembla se décomposer de manière accélérée sur place, perdant toutes ses feuilles puis se rabougrissant très vite jusqu'à prendre une teinte complètement noire. En l'espace de trois secondes, elle était aussi morte qu'un caillou peut l'être.

« Ouch, la pauvre petite fleur ! se lamenta Fred.

« Ce n'était que l'étape de la « recharge », expliqua Nikita. En fait, ce que je m'apprête à faire pourrait être atteint en usant d'un sort de métamorphose... mais attendez, je vais vous montrer. »

Pointant sa baguette un peu plus loin, il prononça une autre formule, qui parut moins sinistre à l'oreille : aussitôt, les Weasley virent à leur plus grand émerveillement une nouvelle pousse végétale croître rapidement, se doter de feuilles, puis faire éclore de magnifiques fleurs bleues étincelantes. Bientôt, la nouvelle plante dépassait un mètre de haut et sa tige se parait d'un éclat irisé sous la lumière du soleil.

« Ouaaaah ! s'extasia Fred.

« Qu'est-ce que c'est ? s'enquit George, non moins impressionné.

« Une plante de ma création, répliqua Nikita, un peu essoufflé comme s'il avait couru. Vous voyez ? J'ai absorbé l'énergie vitale d'une ortie pour créer une nouvelle forme de vie ! La magie noire n'est pas foncièrement maléfique : tout dépend de la manière dont on s'en sert ! »

Les jumeaux passèrent encore quelques minutes à s'extasier face à la plante exotique, hésitant même à demander à leur ami s'il ne souhaiterait pas collaborer avec eux pour la fabrication de nouveaux produits basée sur ce genre étonnant de magie ; mais ils se ravisèrent en se rappelant que cela restait de la magie noire et que même venant de leur part, cela pourrait s'avérer extrêmement imprudent.

Bien après qu'ils furent repartis vers le château, la grosse fleur bleue perdit un pétale, puis deux, tandis que sa tige et ses feuilles noircissaient...