== L'Expédition – Partie 2 ==

Quand Elias se retourna sur le sentier pour la troisième fois de la demi-heure, Merlin se doutait bien qu'un sacré savon les attendait.

« Non mais en fait, ça va pas être possible, ça, annonça l'enchanteur, exaspéré. En quelle langue il faut que je vous dise de vous magner le céleri pour que vous compreniez ?

- Ça va, c'est bon, on s'est juste arrêtés deux secondes pour regarder passer le balbuzard pêcheur, rétorqua Merlin. On en a pas chez nous, normalement ils nichent en Aquitaine, alors ça vaut le coup de perdre un tout petit peu de temps pour l'observer un peu, non ?

- Mais ça ou autre chose ! Là c'est un piaf, tout à l'heure c'était des traces de cerf, qu'est-ce que ça va être après ? Des crottes de renard ? Depuis ce matin qu'on a quitté l'auberge, vous vous arrêtez à chaque fleur et chaque caillou, on doit en être à la trentième occurrence ! J'vous préviens c'est la dernière fois que je vous attends, maintenant je trace, et si vous suivez pas tant pis ! Vous arriverez quand vous arriverez.

- Eh ben allez-y, on a pas besoin de vous, après tout ! lança le druide, malgré les expressions incertaines qui s'installaient tout doucement sur les visages de Mehben et Mehgan. On peut très bien s'en sortir sans vous, figurez-vous ! Comme ça on marchera au rythme qui nous plait et on appréciera d'autant plus le paysage sans votre sale trogne au milieu.

- C'est vrai, c'est bon ? Je peux partir devant ? demanda Elias en pointant du doigt le sentier forestier.

- Euh… non mais en fait je suis pas sûr de bien savoir où c'est… alors du coup…

- Ouais, du coup, voilà. » Elias poussa un de ces soupirs dramatiques dont il avait le secret avant de gratifier le trio de retardataires d'un regard irrité. « Grouillez-vous. »

Merlin marmonna dans sa barbe quelques mots bien choisis à l'égard de son compagnon mais il pressa néanmoins le pas, talonné de près par les deux filles de Karadoc. Qu'est-ce que ça pouvait faire, qu'ils arrivent cinq minutes avant ou après ? La plage choisie pour la fête n'allait pas bouger de sitôt. Il était pénible, Elias, à toujours devoir faire les choses vite, vite, vite.

Si Merlin avait eu son mot à dire, il se serait vraiment arrêté à chaque fleur et chaque caillou pour expliquer aux petites les différences de faune et de flore entre le continent et l'île de Bretagne. Il considérait ces connaissances comme faisant partie de leur formation au même titre que l'importance de la phase de la lune sur les potions de fécondité. On ne pouvait pas comprendre sa propre place dans le monde sans s'y intéresser un minimum. Mais non, une nouvelle fois, il fallait que Môssieur Elias tape du pied et tout le monde devait s'aligner. Encore une chance que l'enchanteur casanier ne pouvait que rarement être convaincu de quitter son labo plus de deux jours consécutifs, Merlin n'aurait certainement jamais pu supporter plus de deux ou trois grosses expéditions annuelles en compagnie du Fourbe.

Et dire qu'ils comptaient sur ce voyage pour changer d'air et se détendre un peu. La bonne blague.

Encore une poignée d'heures de marche – incluant un arrêt obligatoire réclamé par les petites pour se changer derrière un buisson et enfiler les jolies robes « qu'elles ne s'étaient pas cassé le bonnet à trimballer jusqu'ici pour rien » - et ils arrivèrent sur le petit chemin côtier qui jouxtait la plage choisie pour la célébration. L'air y était frais mais plutôt plaisant pour un milieu d'automne le vent d'Est chassait de la côte Armoricaine le fond piquant auquel les résidents de l'île de Bretagne étaient bien habitués, à cette période de l'année. Merlin prit une grande inspiration de cette brise marine chargée de sel et d'odeur d'algues, la sentant glisser jusqu'au fond de ses poumons, pour ressortir sous la forme d'un long soupir satisfait. Les grands espaces, vraiment, il n'y avait rien de plus agréable.

« Traînez pas, derrière, lança Elias par-dessus son épaule tout en enjambant les rochers humides du sentier avec précaution. Et tâchez moyen de pas vous viander, on est quasiment arrivés, c'est pas le moment de s'éclater le carafon sur un caillou mouillé !

- Deux secondes, répondit Mehben, on se galère avec les robes !

- Oui, ben c'est votre problème, vous avez voulu vous changer, maintenant vous assumez.

- Ah ouais d'accord, donc si j'ai bien compris, la compassion c'est pas par ici, quoi ?

- Nan, dommage, c'était à droite au dernier croisement.

- Pfff, mais quel caractère de chiotte, » marmonna Mehgan en acceptant la main tendue par Merlin pour l'aider à descendre d'un rocher particulièrement haut.

Le druide eut un sourire compatissant et se tourna pour renouveler son aide auprès de Mehben. « Encore, là, c'est rien. Attendez un peu que des gens essaient de lui parler plus de cinq minutes ce soir, et vous verrez.

- Franchement, tonton Merlin, vous pouviez pas trouver mieux que lui ? ronchonna bien fort l'aînée en robe rouge en prenant carrément appui sur les épaules du magicien pour sauter à bas du rocher. Quelqu'un de gentil, poli, qui aurait pas paumé sa bonne humeur au milieu des orties…

- Ho ! Au cas où vous auriez oublié, j'entends tout ! grogna Elias.

- Vous inquiétez pas, je sais ! »

La réplique cinglante à laquelle Merlin s'attendait ne vint jamais : là où se tenait l'enchanteur, les rochers s'éclaircissaient et le sentier s'élargissait pour faire place à un bras de plage jonché de coquillages. Tout de rouge vêtu, les pieds nus enfouis dans le sable doré, un jeune homme en robes pas plus vieux que Mehgan ramenait ses mèches brunes en arrière pour mieux observer Elias et la petite troupe qui le suivait.

« Bonjour, salua-t-il avec enthousiasme quand tout le monde fut à portée de voix. Et bienvenue ! Je m'appelle Gwenaël et je suis chargé de vous accueillir à la cent-onzième édition de la fête de Samain en Armorique ! Si c'est pour cela que vous venez, bien sûr. Si c'est pour le concours de pêche au gros, c'est la baie d'à côté. »

Si Merlin, Mehben et Mehgan se fendirent d'un rire poli, Elias se contenta de lever les yeux au ciel.

« Non mais c'est bien pour ça qu'on vient, c'est bon, fit-il simplement.

- Parfait ! dit Gwenaël avec un large sourire en sortant un rouleau de parchemin, une plume et un petit encrier de sa poche. Il ne me reste qu'à cocher vos noms sur la liste des invités, simple formalité, et je vous accompagne sur place. Alors allons-y, commençons par vous monsieur, votre nom ? »

Dans le classement des situations comiques dont Merlin avait pu se rendre témoin, l'expression estomaquée qui s'installa sur le visage d'Elias lorsque le jeune le pointa de sa plume figurait facilement parmi les dix premières. Cela faisait bien longtemps que l'on avait plus demandé à l'enchanteur de se présenter : sa trogne lui servait de laisser-passer pour tous les évènements du monde magique, qu'il soit invité ou non. Le druide se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas rire et suivit avidement la suite de la conversation.

« Euh… Elias, répondit bêtement son compagnon, désarçonné.

- Elias, Elias, murmura Gwenaël en faisant descendre sa plume le long de la liste. Non… un nom de famille peut-être ?

- Elias de Kelliwic'h, précisa le grand enchanteur du Nord avec un peu plus d'assurance, espérant peut-être que le nom complet allait faire tiquer le jeunot.

- Ah, Kelliwic'h, vous êtes peut-être rangé avec les K. Laissez-moi vérifier. » Le jeune homme déplia son parchemin à la recherche de la rubrique désirée mais ne manifesta aucune réaction particulière à l'annonce du nom complet. Le torse d'Elias, bombé par la fierté, se dégonfla très nettement. « Alors les K, voilà, voilà… Kadog, Kaelig, Kaëlig, tiens deux fois Kaelig, mais ça s'écrit pas pareil… Kelen… non désolé, je ne vous vois pas. Mhmm. » Gwenaël gratouilla son menton imberbe du bout de sa plume, songeur. « Bon alors dernière solution, vous auriez un alias ?

- Un alias ? répéta Elias, abasourdi qu'il faille en arriver là pour le reconnaître.

- Oui, un alias, un surnom si vous préférez. Un titre qu'on vous a donné, si jamais vous avez accompli quelque chose de remarquable ou que vous êtes connu pour quelque chose en particulier. Ça vous dit rien ? Remarquez, si vous savez pas ce que c'est, c'est que vous en avez probablement pas. »

C'était dur, c'était tellement dur de ne pas exploser de rire. Le ton paternaliste du petit jeune, la rage contenue mêlée d'incompréhension totale qui bouillonnait dans les yeux d'Elias… c'était presque trop pour Merlin, qui se vit obligé de se pincer la cuisse sous les replis de sa cape de voyage pour recentrer son attention sur autre chose que le tic nerveux de l'œil gauche du sorcier. Même Mehgan avait pris l'enchanteur en pitié et lui tapotait le dos en guise de soutien.

« Je sais très bien ce qu'est un alias, merci bien, » grinça Elias entre ses dents serrées, et si Merlin n'était pas trop occupé à contenir son hilarité il prendrait un moment pour être fier de la retenue de son amant. La même scène jouée dix ans plus tôt se serait conclue en un seul acte de trente secondes et avec des flammes de trois mètres de haut. « Il s'trouve même que j'en ai un. C'est le Fourbe. »

Gwenaël leva un sourcil empreint d'un peu de jugement. « Le Fourbe, super, super… eh ben on va chercher ça… » Sa liste de nouveau parcourue des yeux, le jeune homme eut une moue contrite. « Malheureusement vous n'êtes pas sur la liste, monsieur, je suis désolé.

- C'est pas possible, j'ai retourné l'invitation dans les temps par le circuit habituel.

- L'invitation était bien à votre nom ?

- Mais bien sûr que la putain d'invitation était-

- Ah mais attendez, intervint alors Merlin, qu'un souvenir venait de titiller. En fait je crois que c'était à moi qu'elle était adressée, l'invitation que vous avez retournée. Essayez voir « Merlin ».

- Non mais ho, protesta Elias, irrité. Je sais encore ce que j'envoie et ce que j'envoie p-

- Merlin, oui, je vous ai ! annonça Gwenaël en faisant une coche sur sa liste d'un agile mouvement de plume. Vous pouvez passer ! Et ces demoiselles, comment se prénomment-elles ?

- Euh… Mehben et Mehgan, répondit la plus jeune avec hésitation et tout en lançant des regards en biais incertains à un Elias évincé au bord de la syncope.

- Ce sont nos apprenties, précisa Merlin. Elles ne sont pas encore dans le registre, on va profiter de l'occasion pour les ajouter, alors leurs noms ont été rajoutés au dos de l'invitation avec une petite explication. C'est ça, hein ?

- C'est ça, grogna l'enchanteur brun dont les veines du cou n'allaient pas tarder à péter.

- Mehben et Mehgan… non en effet, je n'ai personne à ces noms sur la liste, mais si vous me dites qu'il s'agit de vos apprenties... » Le jeune homme déroula son parchemin pour y griffonner deux nouvelles lignes. « Voilà, je les ai rajoutées à côté de votre nom, comme ça c'est tout bien tracé. Pensez bien à les déclarer sur le registre avant la fin de la fête, hein, sans ça le Conseil risque de vous envoyer une missive de régularisation et bon, la paperasse, tout ça… si on peut s'en passer…

- Merci, on y manquera pas.

- Bon, et moi, maintenant ? fulmina Elias. On rajoute mon nom sur la liste aussi ou je reste ici à pêcher des moules ? »

Gwenaël le dévisagea, intrigué. « Vous êtes apprenti aussi ? Vous êtes pas un peu vieux ?

- De quoi ?!

- Remarquez, je juge pas, on a tous des parcours de vie différents et chacun apprend à son rythme. Par contre moi, si je note trois apprentis pour le même druide, ça va faire louche quand même, vous comprenez ?

- Mais je suis pas apprenti, merde à la fin ! s'étrangla le Fourbe.

- Bah si vous êtes pas apprenti et que votre nom n'est pas dans la liste, je suis désolé mais vous allez pas pouvoir passer. Ah non, si, je sais ! » La lueur qui anima soudain les yeux de Gwenaël fit penser à Merlin qu'il avait enfin reconnu le grand enchanteur du Nord si redouté par ses pairs, mais les mots qui suivirent tuèrent cette notion dans l'œuf. « Vous venez tout juste d'arriver sur le territoire du royaume de Logres et vous avez pas encore eu l'occasion de contacter le bureau de recensement pour être inscrit au registre des êtres magiques. Donc vous êtes pas sur la liste de diffusion, donc vous avez pas reçu d'invitation à votre nom. J'ai bon ?

- Mais j'y suis inscrit, sur le putain de registr-euh ! rugit Elias, outré. Votre père savait pas encore marcher que j'y étais déjà inscrit depuis des lustres dans ce foutu machin !

- Ho, hé, ho, on va pas s'énerver, tout va bien, pacifia Merlin en mettant une main sur l'épaule de son compagnon pour le calmer – et le retenir, au cas où. C'est sûrement un oubli d'envoi, ou alors votre invitation s'est perdue en chemin, pas de quoi en faire une jaunisse. Notre jeune ami va aller consulter le registre et je suis sûr que le malentendu sera levé quand il y verra votre nom, mhm ? On fait comme ça ? »

La dernière question au ton appuyé était adressée à Gwenaël. Effrayé par la réaction d'Elias, le jeune homme déglutit avec difficulté et hocha la tête avant de s'éloigner prestement vers les bois qui bordaient la plage, laissant des empreintes difformes dans le sable dans sa précipitation.

« Commence à doucement me passer la rate au presse-purée, lui, grommela le sorcier recalé avec une mauvaise humeur si puérile que Merlin eut un léger rire.

- Allez, calmez-vous, tout va s'arranger très vite. On sera attablés autour d'un tonneau de vin avant que vous vous en rendiez compte.

- On y serait déjà, si je l'avais balancé au large la première fois qu'il m'a pas trouvé dans la liste.

- Au pire, on peut dire que vous êtes mon apprenti…

- Oui, bien sûr, et moi je vous dirais qu'on peut aussi enlever nos godasses et aller marcher pieds nus sur les gros oursins là-bas. Mais c'est pas pour autant que c'est une idée intelligente.

- Les filles, nouveau plan, on va laisser cet abruti ici et on le récupèrera au moment de rentrer à Kaamelott. Ça lui apprendra à être pénible et malpoli. » Le coup de coude qu'Elias logea entre ses côtes fit siffler le druide. « Et violent, par-dessus le marché. »

Quand Gwenaël réapparut, il portait dans les bras un lourd grimoire dont les pages abîmées avaient subi les ravages du temps et de l'humidité. Sur son visage, un sourire victorieux éclairait ses traits.

« Voilà, j'ai trouvé d'où vient le problème ! » annonça-t-il aussi fièrement que s'il venait de gagner un tournoi. Vous allez voir, c'est tout con !

- Qu'est-ce que je disais ? fanfaronna Merlin, satisfait. L'administratif, on s'en fait toute une montagne, mais la plupart du temps c'est assez simple à démêler.

- Bah voyons, c'est certainement pour ça que c'est moi qui me tape tout seul les réunions budgétaires et les factures des fournisseurs, railla Elias.

- Euuuh oui, non mais là c'est parce qu'en fait… non mais c'est pas le sujet, balbutia le druide, piégé, avant de se tourner de nouveau vers Gwenaël. Vous disiez que vous aviez trouvé d'où vient l'erreur ?

- Oui, c'est tout bête ! Alors, attendez voir que je retrouve la ligne… là ! » Le jeune apposa son doigt sur le papier jauni par les siècles et plissa les yeux pour déchiffrer les pattes de mouche. « Selon nos dernières informations, l'enchanteur Elias de Kelliwic'h est décédé au début de l'an 475. Voilà, c'est logique, vous avez pas reçu d'invitation parce que… ben parce que vous êtes mort, en fait. »

Un silence pesant s'abattit sur le petit bras de plage. Tous les regards se tournèrent vers Elias, qui soupira lourdement et se passa une main sur le visage pour rassembler ses esprits. « Mais c'est pas vrai…

- Mais si c'est vrai, je vous assure ! C'est marqué là dans la colonne des statuts, regardez : « Elias de Kelliwic'h, dit le Fourbe, grand enchanteur du Nord, meneur des loups tatati tatata, mort par immolation suite à une erreur de manipulation, dans son laboratoire de la forteresse de Kaamelott au cours de l'exercice de ses fonctions ». J'invente rien ! »

La grimace contrite sur le visage d'Elias convoyait très bien son appréciation quant à l'épitaphe qui lui avait été consacré. Que sa mort, aussi fictive soit-elle, soit inscrite dans les annales comme la résultante d'une malheureuse erreur avait du porter un coup à son égo surdimensionné.

« Oui… non mais je vois ce que vous voulez dire, mais vous voyez bien que c'est pas vrai. Je suis là, je suis pas mort.

- Vous êtes en train de me dire qu'il y a une erreur dans le registre ? demanda Gwenaël en levant un sourcil dubitatif, comme si la notion même était absurde.

- Bah oui. Enfin non, non, pas vraiment… c'est vrai qu'à une époque c'était plus ou moins l'objectif recherché, qu'on me croit mort. Mais c'est fini tout ça.

- Vous vous êtes fait passer pour mort ? s'étonna Mehgan. Pourquoi ? Et comment ça se fait qu'on en ait jamais entendu parler ?

- Pourquoi, pourquoi, parce que j'avais pas bien le choix, voilà ! s'agaça Elias en commençant à tripoter son bâton de cette façon nerveuse qui signifiait qu'il n'appréciait absolument pas la tournure de la conversation. C'était le seul moyen d'échapper à Lancelot, votre mère et leur tripotée de requêtes tordues ! Comme ils étaient pas chauds pour me laisser démissionner proprement, j'ai du improviser. Et vous en avez jamais entendu parler parce que… parce que ça vous regarde pas, déjà, et ensuite… zut.

- C'était quoi les requêtes tordues ? s'enquit Mehben, curieuse malgré la froideur de la réponse.

- Alors, là aussi : zut ! aboya le sorcier. Vous comptez tous me râper les noyaux le reste de l'après-midi ? Non ? Bon ! Alors maintenant on corrige le foutu registre et on passe à autre chose, parce que ça commence à bien faire !

- Minute ! Pas si vite ! interrompit Gwenaël en fronçant les sourcils et en adoptant un air hautement suspicieux. Qu'est-ce qui me prouve que c'est vraiment vous ?

- J'vous demande pardon ?

- Qu'est-ce qui me prouve que vous êtes bien Elias de Kelliwic'h, le Fourbe, meneur des loups de je sais pas quoi et tout l'orchestre ? » Le jeune homme referma son grimoire dans un claquement et tenta de prendre une posture inflexible. « Je suis désolé mais sans preuve, moi je peux pas vous laisser passer. »

Dangereusement silencieux, Elias porta ses mains jointes à son visage en un pantomime de prière et ferma les yeux. Merlin n'aurait pas su dire à quelle divinité le sorcier était en train de réclamer de la patience mais ce qui était sûr, c'était qu'elle allait devoir agir vite. A en juger par les tendons de son cou à la limite de la rupture, l'enchanteur était au bord de l'implosion.

« Allez me chercher un membre du Conseil. Maintenant, ordonna-t-il sans ouvrir les yeux et avec à peine assez de calme pour contenir sa bouillonnante colère.

- Un membre du Conseil ? Mais qui ?

- Le premier qui passe. N'importe qui, pourvu qu'il soit plus vieux que vous et en mesure de raccorder ma tronche avec mon nom. Parce que là, vous vous en rendez pas compte, mais vous êtes en train de faire une connerie gros modèle. Sans déconner allez me chercher quelqu'un, avant que je m'énerve. »

Gwenaël ouvrit la bouche comme pour protester, mais un regard glacial suffit à le renvoyer trottiner de nouveau en direction des arbres, grimoire sous le bras.

« Pourquoi il faut toujours qu'ils foutent un gamin à l'entrée ? cracha Elias, irrité, tout en donnant des coups rageurs dans le sable du bout de sa botte.

- Bah ça permet aux petits jeunes de mettre une tête sur tous les noms qu'ils se farcissent à apprendre dans les bouquins, répondit Merlin en haussant les épaules. C'est formateur, j'imagine. Vous l'avez jamais fait, vous, quand vous étiez petit ?

- Non, excusez-moi, non, j'ai jamais fait le planton à l'entrée des fêtes débiles quand j'avais son âge ! J'étais avec mon père – qui soit dit en passant avait autre chose à foutre que venir tailler le bout de gras avec tous les renifleurs de mousse du royaume – et je passais plus de temps à la chasse au dragon qu'à la reconnaissance faciale de tous les traîne-patins du bled qui se prétendent magiciens parce qu'ils arrivent à faire bouger deux cailloux à dix pieds de distance. Pardon de pas avoir les mêmes missions, hein !

- Oui, bon, ça va peut-être aller comme ça, la frime… allez pas vous faire un claquage…

- Parce que quand vous aviez l'âge de ce type, vous chassiez le dragon ? demanda Mehgan, abasourdie et un brin déconfite. Moi j'arrive même pas à sortir un sort de boule de lumière, alors… »

Face au désespoir de son apprentie, la colère d'Elias retomba comme un soufflet au fromage mal dosé et sa voix perdit tout son mordant. « Oui, non mais c'est pas pareil… faut remettre les choses dans leur contexte, moi j'étais… et puis vous, ça fait pas longtemps, c'est pas non plus comme si… euh…

- Comme si quoi ?

- C'est pas pareil, c'est tout ! Et puis on parle pas de moi ni de vous, on parle du gamin, là ! Celui à qui je vais finir par cramer la gueule avant la fin de la soirée !

- Ah non, hein ! contesta Merlin. On vient tout juste d'arriver, vous allez pas déjà commencer à vous mettre tout le monde à dos ! Et je vous rappelle que l'usage de la magie à des fins offensives est interdit dans le périmètre de la fête, alors méfiez-vous !

- Bien dommage, marmonna le Fourbe avant de tourner la tête vers les deux silhouettes qui se détachaient de la lisière des arbres pour s'engager sur le bras de sable. Ah, putain, enfin ! »

Merlin n'eut aucun mal à reconnaître les longues tresses blanches et la robe écarlate de Kenann, un des druides les plus âgés du Haut Conseil. Ce dernier se pressait à la suite de Gwenaël et, à la vue du petit groupe qui attendait sur le seuil métaphorique de la plage, ouvrit de grands yeux effarés et manqua de trébucher sur les algues.

« Monsieur Elias ! glapit-il en arrivant à portée de voix. Mes aïeux, c'est bien vous !

- Ah bah quand même, c'est pas dommage ! lâcha le principal intéressé. Vous pouvez dire à votre cerbère de nous laisser passer ou il faut que je foute le feu à son slibard ?

- Non non, bien sûr, venez, venez ! Toutes mes excuses pour ce malentendu, je suis vraiment désolé, c'est… excusez le petit, il est tout jeune, il ne vous a pas reconnu.

- Ouais, ben je pense que ça lui arrivera plus jamais, » grogna l'enchanteur en s'avançant enfin sur le sable.

Irrité d'être ainsi pris à défaut, Gwenaël se renfrogna. « Mais j'ai suivi le protocole, moi ! J'ai fait comme vous m'avez dit, m'sieur Kenann, j'ai appliqué la procédure ! En plus c'était votre écriture, dans le registre, je la reconnais quand même. C'est vous qui avez noté qu'il était mort-

- Oui, oui, ben je me suis gouré manifestement ! interrompit précipitamment le vieux druide. C'est pas tellement la peine d'y passer trois jours !

- Je dis juste que si on vérifie pas les infos avant de les noter, forcément-

- Non mais bouclez-la, à la fin ! Aggravez pas votre cas non plus ! Tenez, ce qu'on va faire, vous me donnez ça, » Kenann subtilisa le rouleau de parchemin et la plume qui dépassaient de la poche de Gwenaël, « et vous allez faire un tour pour vous aérer la cervelle. Non mieux, mieux ! Vous guidez monsieur Elias et ses compagnons jusqu'à la table des boissons et vous leur servez ce qu'ils voudront. C'est bien le moins que vous puissiez faire, après les avoir fait poireauter comme ça !

- Kenann, c'est pas nécessaire, assura Merlin que la compassion avait saisi en voyant les épaules du petiot s'affaisser et sa mine réjouie de plus tôt disparaître. On va se débrouiller, vous bilez pas.

- J'insiste ! C'est quand même… ah mais tiens, Merlin ! Alors, ça biche ?

- Ça va pas trop mal, merci.

- J'ai envoyé l'invitation par politesse, parce que je sais que vous et les voyages en bateau c'est pas la joie, alors je savais pas trop… mais ça fait plaisir de vous voir, je suis bien content ! » Le druide aux dizaines de tresses se fendit d'un sourire affable et pointa Elias et Merlin de sa plume en faisant quelques allers retours entre les deux. « Je vous vois arriver ensemble, je voudrais pas mettre les pieds dans le plat, mais du coup… tous les deux, depuis le temps, vous êtes toujours… ?

- Toujours aussi emmerdés par les questions indiscrètes, oui, bien vu, grogna Elias. Y aurait moyen d'arrêter de discutailler et d'amorcer le mouvement ? »

Guidés par un Gwenaël toujours un peu bougon, la petite troupe laissa derrière elle l'étroit bras de plage parsemé d'algues échouées pour s'enfoncer dans la forêt côtière. Sous leurs bottes le sol était meuble, délicat mélange de terre, de sable et d'une généreuse couche d'aiguilles de pin. Merlin se demandait comment Gwenaël parvenait à y marcher pieds nus le jeune homme ne manifestait en effet aucun inconfort à piétiner le tapis piquant alors qu'il ouvrait la voie parmi les troncs.

Un petit ressaut rocheux, un passage à gué, et ils arrivèrent finalement au lieu choisi pour la fête. Nichée entre deux affleurements rocailleux qui s'enfonçaient dans la mer – masquant la vue depuis la côte de part et d'autre – la plage de sable blanc était large et à peine inclinée, laissant les dernières vagues de la marée montante s'étaler paresseusement sur toute sa largeur. En retrait, une grande et dense forêt de résineux avançait jusqu'à la moitié des affleurements rocheux, pour se faire plus clairsemée à mesure que le sable lui grignotait du territoire.

A l'interface entre ces deux environnements, à l'abri de quelques grands pins, des magiciens de tous horizons s'échangeaient avec gaieté les dernières nouvelles du monde – ou les ragots les plus croustillants, ce qui était déjà plus probable, de l'expérience de Merlin – une coupe à la main. Leurs silhouettes colorées, du rouge au bleu en passant par l'émeraude, se détachaient du sable comme des lampions un soir de fête de village. Toutefois, en apercevant la petite troupe de nouveaux-venus, les têtes se tournèrent et les rires se muèrent en chuchotements. A l'inverse de Gwenaël, ces lascars-là avaient bien reconnu Elias soit ça, soit ils étaient en train d'examiner les deux charmantes apprenties qui venaient de débarouler sur la plage. Cette seconde option plaisait moyennement à Merlin.

Par chance, à en juger par la façon qu'avaient leurs confrères à détourner le regard à mesure qu'ils avançaient, il semblait plutôt que le grand enchanteur du Nord était l'objet de toute cette attention. Evidemment.

« Pourquoi tout le monde vous regarde un peu de travers, tont- euuuuh m'sieur Elias ? se ravisa bien vite Mehgan devant le regard noir d'avertissement de son précepteur.

- Ils ont tous la trouille de lui, répondit simplement Merlin en faisant quand même un effort pour sourire aux druides qu'il connaissait. Vous l'avez pas bien connu, vous étiez trop petites, mais avant toute cette histoire avec Lancelot, c'était un sacré terrible. » Le sorcier choisit de ne pas faire de commentaire mais le druide aurait du être aveugle pour louper l'œillade courroucée lancée dans sa direction. « Vous aviez pas eu peur, à votre première leçon de magie ?

- Bah… non, fit Mehben en haussant une épaule, interloquée par un jeune enchanteur qui trébucha sur ses robes dans sa hâte de s'éloigner. Enfin en tout cas, moi non, après…

- Non mais moi non plus, confirma Mehgan.

- Ah… bon ben tous ceux-là, faut croire qu'ils ont encore bien les miquettes. Ou alors ils pensent voir un revenant, c'est vrai que pas mal de gens doivent encore penser que vous êtes mort.

- Ils ont qu'à venir vérifier, les lopettes, je les attends, siffla Elias entre ses dents. On verra qui sera plus proche de la mort entre eux et moi quand ce sera fini.

- Elias…

- Ouais, ouais, je sais. Pas se mettre tout le monde à dos, j'ai compris. Sauf que sans un demi-gallon d'alcool dans le sang, ça va être compliqué, j'préfère prévenir.

- Vous allez pas vous mettre la tête à l'envers devant les petites, quand même ? chuchota discrètement Merlin à l'oreille de son compagnon. De quoi ça va avoir l'air ?

- Très juste… Hé, machin ! »

Gwenaël, toujours cinq pas devant, interrompit sa marche et se retourna, interloqué.

« Moi ?

- Bah oui, qui d'autre ? railla l'enchanteur. Vous allez accompagner ces demoiselles et les présenter aux jeunes gens de votre âge, comme ça vous pourrez discuter entre novices, que ça vous profite à tous. »

Au moins aussi surpris que les deux sœurs, Merlin haussa des sourcils éberlués. « Ah bon ?

- Eh oui. De toute façon vous auriez voulu quoi, qu'elles nous filent le train toute la soirée ? Nan, elles ont mieux à faire que de traîner avec des vieux comme nous. » La main d'Elias décrivit un geste de balayage vers le gros des attroupements, comme pour chasser un essaim de mouche. « Allez-y, promenez-vous, amusez-vous, faites connaissance. C'est à ça que ça sert, après tout. Et en cas de pépin vous revenez me chercher, ça fait longtemps que j'ai pas foutu le feu au cul de quelqu'un. Ce sera avec grand plaisir. »

Gwenaël eut le plus grand mal à soutenir l'expression limite carnassière et chargée de promesses d'Elias il hocha fébrilement la tête et incita d'un geste Mehben et Mehgan à le suivre en direction d'un petit groupe qui s'était installé près d'un amas rocheux. Les jeunes apprenties concertèrent une dernière fois leurs aînés du regard puis, résignées mais enthousiastes, partirent à la suite du jeune mage en robes rouges.

« Et me foutez pas la honte, hein ! cria Elias à l'attention des trois jeunes. J'ai Merlin pour ça ! »

A mesure qu'elles s'éloignaient, Merlin sentait un étrange sentiment de vide s'installer. Il fut pris d'une envie soudaine et inattendue de les appeler, d'exiger qu'elles reviennent auprès de lui pour faire taire l'inquiétude qui avait pris naissance dans sa poitrine au moment où elles s'étaient détournées. Il n'avait pas prévu de leur interdire de profiter de la fête de leur côté, absolument pas seulement, il aurait préféré attendre un peu plus de cinq minutes avant de leur lâcher la main dans ce milieu qu'elles ne connaissaient pas.

Sans compter qu'il y avait certainement dans le lot quelques jeunes mages aux longues dents qui verraient sûrement d'un très bon œil l'arrivée des deux charmantes ingénues…

« Ho, Merlin ? »

La voix d'Elias tira le druide de ses pensées. « Pardon, j'ai pas entendu.

- Allez pas me prendre pour un cèpe, vous écoutiez pas, plutôt. » L'enchanteur le scruta quelques instants, intrigué. « Qu'est-ce que vous avez, à regarder les gamines comme ça ?

- Comme quoi ?

- Comme si elles allaient soudainement disparaître pour toujours. Vous avez pas besoin d'avoir constamment le nez dessus, vous êtes au courant ? Elles ont plus sept ans.

- Facile à dire pour vous, rétorqua le druide, irrité. Vous les avez pas connues quand elles avaient sept ans, justement. Moi si, alors si j'ai envie de me faire du mouron, je fais encore ce que je veux !

- D'accord, d'accord, mollo les basses ! abdiqua Elias. Je savais pas que c'était à ce point... »

Bien entendu, l'enchanteur ne pouvait pas se douter. Il était à des lieues de réaliser à quel point Mehben et Mehgan avaient été importantes pour la santé mentale de Merlin, toutes ces années dans les galeries sans voir le soleil. Bien des matins, elles avaient été sa principale, voire son 'unique raison de se lever. Il leur apprenait à lire, à écrire ou encore à reconnaître les plantes utiles. Les jours difficiles, par exemple lorsqu'une patrouille saxonne faisait en sorte qu'un ou plusieurs de leurs camarades manquent pour toujours à l'appel, les jeux remplaçaient les leçons. Cache-cache, chat perché, charades... en détournant l'attention des petites de leur chagrin, Merlin avait gardé le sien à distance.

Et puis les gamines avaient grandi. Les inquiétudes nées de leurs corps en plein développement, c'était à la porte de Merlin qu'elles étaient venues les déposer. Karadoc et Perceval, malgré toute leur bienveillance, étaient bien trop ignorants des choses de la vie pour leur expliquer quoi que ce soit. Si une des filles étaient venue leur demander pourquoi elle s'était mise à saigner à chaque nouvelle lune, ils se seraient plutôt mis en quête d'un assassin planqué quelque part dans leur réseau souterrain. Bienveillants, mais à côté de la plaque.

Merlin avait toujours fait son possible pour aider les deux sœurs, et lorsqu'elles furent en âge de voir à travers ses sourires forcés et de comprendre à quel point il était malheureux, coincé sous terre, elles l'avaient aidé en retour. Elles prenaient sa défense devant Karadoc et Perceval, à chaque fois que les deux corniauds lui demandaient un sort qu'il était bien entendu incapable de produire. Elles bravaient l'interdiction de sortie pour lui ramener des plumes, posant des dizaines de questions passionnées sur l'oiseau qui les avait perdues il répondait à chacune d'entre elles, non sans les avoir sermonnées au préalable pour les risques insensés qu'elles prenaient.

Elias avait beau avoir fait une place pour Mehben et Mehgan dans son cœur – même s'il ne l'admettrait probablement jamais, ou alors dans très longtemps et sous l'emprise d'un demi-tonneau de vin – il était loin d'avoir noué des liens aussi complexes que ceux qui unissaient le druide aux deux friponnes qui, hier encore, venaient trouver refuge sous sa cape et se cramponnaient à ses mains à chaque dispute tonitruante des Semi-Croustillants.

Elles vieillissaient bien trop vite. Il détestait ça.

« Vous croyez pas que vous êtes un peu trop protecteur, non ? » demanda Elias, redirigeant l'attention de son compagnon sur lui plutôt que sur le petit groupe d'apprentis. Il n'y avait pas d'accusation dans sa voix, simplement une affection amusée.

« Je suis protecteur juste ce qu'il faut, répliqua Merlin. Elles ont eu assez de barouf comme ça dans leur vie, pas besoin d'en rajouter, merci bien.

- Alors sur le principe, je suis d'accord, mais dans le contexte je vois pas bien ce qui vous inquiète. » Elias écarta un bras pour englober d'un geste la plage entière. « Vous admettrez que les dangers ne sont pas très nombreux, par ici. Au pire, elles risquent juste de s'ennuyer à mourir si jamais ce trouduc d'Erwann vient leur raconter comment il arrive à cultiver de la mousse comestible.

- D'abord, figurez-vous que la mousse d'Erwann est très nutritive et elle peut aussi servir de pansement antiseptique, ce qui est bien pratique quand on habite à un endroit tellement humide que rien ne pousse à part la mousse, alors un peu de respect Môssieur Carnage et Destruction. En plus, elle a le même goût que le citron. » Merlin ne se laissa pas démonter par le roulement d'yeux ironique d'Elias et pointa du doigt l'attroupement de jeunes près des rochers, où Gwenaël était manifestement en train de faire les présentations. « Et ensuite, vous savez très bien comment s'occupent les apprentis à ce genre de fête, passé une certaine heure et une certaine quantité d'alcool. Faites pas celui qui sait pas, non plus. »

L'enchanteur du Nord suivit la direction indiquée du regard et haussa une épaule. « Peut-être bien. Mais elles sont pas débiles, les petites, sans compter qu'elles sont mariées à de futurs chevaliers. Si on leur permet pas de prendre leurs propres décisions, comment vous voulez qu'elles en tirent des leçons ? » Puis il ajouta, un chouya plus doucement : « Je sais que vous aimez pas penser à ce genre de chose, mais même vous devez accepter qu'elles sont adultes maintenant. Il faut leur lâcher la main.

- Je sais, soupira Merlin, bien obligé d'admettre que les mots d'Elias sonnaient juste. Je sais. C'est pas que je veuille les empêcher de tracer leur route, elles sont bien assez intelligentes pour savoir ce qui est bon pour elles, c'est juste...

- Que ça vous inquiète et que vous aimez pas ça, j'ai bien compris. Bon, ben si je peux pas vous convaincre de pas vous faire de mouron, arrêtez au moins de fixer les jeunes comme si vous vouliez leur faire tomber la foudre sur le coin du museau. Déjà, parce que vous seriez pas capable, et aussi parce que vous flanquez un peu les jetons.

- Moi je fais peur ? » La notion transperça le voile d'appréhension dans l'esprit de Merlin et il se surprit à sourire. « Depuis quand c'est moi qui fais peur, de nous deux ?

- Bah depuis que vous avez adopté les deux gamines là-bas, à une vache près. Vous vous en souvenez peut-être pas, mais vous étiez vachement sec avec Petrok et Gareth au tout début. Si vous avez oublié, eux s'en souviennent, c'est pas possible autrement. » Le sourire d'Elias prit des reflets mutins. « Bon, assez discutaillé, c'est l'heure d'aller faire le tour des copains pour voir ce qu'ils ont bricolé dans leur coin depuis tout ce temps.

- Ah parce que vous faites ça, vous, maintenant ? s'étonna Merlin devant tant de sociabilité.

- Evidemment que non, soyez pas con, je parlais pour vous. Le seul copain qui m'intéresse, c'est celui qui est sur la table là-bas.

- Bah, où ça ? Y a personne sur la table.

- Mais si, celui-là, là ! Il est petit, gros, et y a marqué « Hydromel » dessus.

- Ah ouais d'accord... bon ben j'y vais alors. On se retrouve plus tard ?

- Voilà. Et me cherchez pas au fin fond de la forêt, j'aurai probablement pas bougé. Parce qu'entre le glandu qu'ils ont foutu à l'entrée et vos angoisses existentielles de mère poule, je vous garantis qu'il va me falloir quelques coupes pour aider à faire passer la soirée. »