Note : et nous voici partis pour le final ! Il devrait y avoir trois parties, et ensuite clap de fin :)

Résumé du chapitre : le mariage druidique du siècle.


== La Cérémonie – Partie 1 ==

XXXXXXX Trois semaines avant la cérémonie XXXXXXX

Après plusieurs jours de pluie punitive, le soleil breton s'était décidé à faire une apparition, histoire de prouver qu'il existait toujours. Pâle et bien incapable de chasser l'humidité qui dégoulinait de chaque surface, il trônait dans le ciel matinal au mépris des nuages menaçants qui n'étaient pas partis bien loin. Une force tranquille, point de repère éternel et immuable face à l'adversité.

A la fenêtre du laboratoire, Merlin observait les rayons se refléter sur les flaques de la cour, une tisane fumante à la main. Si sa saison préférée restait le printemps, avec la renaissance de la nature et le retour des températures douces, il admettait volontiers que l'automne n'était pas dénué d'un certain charme. D'une jolie poésie. La canopée au feuillage orangé. La délicieuse soupe de courge des cuisines. La ribambelle de nouveaux champignons qui apparaissaient chaque jour dans la forêt, presque par magie…

« Putain de merde, ça pique, j'en peux plus, c'est insupportable ! »

… sans oublier les enchanteurs privés de barbe et de patience.

« Qu'est-ce qui vous arrive encore ? soupira Merlin en faisant le deuil de son petit cocon de sérénité, sans toutefois se retourner.

- Vous savez très bien ce qui m'arrive ! rétorqua Elias depuis sa position, quelque part près de la cheminée. Ça fait trois jours que je vous le dis, ce qui m'arrive !

- Si ça fait trois jours et que rien ne change, je vois pas bien l'intérêt de continuer à râler.

- Merde, là, ça vous va comme ça ?! »

Merlin poussa un nouveau soupir et prit une longue, longue gorgée de tisane. S'il avait su avant de commencer ses machinations qu'Elias subissait une repousse de barbe aussi gracieusement qu'un bébé vivait la pousse de ses dents, il aurait réfléchi à deux fois avant de lancer cette histoire de pari stupide. La victoire c'était sympa sur le moment, mais si derrière il fallait se frapper des jours et des jours de ronchonnements interminables… merci bien.

« Vous avez essayé l'huile de camomille que je vous ai donnée hier ? demanda-t-il avec tout le calme de l'adulte qui tente de raisonner un enfant capricieux.

- Oui, mais ça marche pas !

- Comment ça ?

- Ça marche pas, c'est tout, j'vois pas comment le dire autrement ! Je l'ai bu en entier votre mixture puante, et rien. J'aurais arrosé les fleurs avec que ça aurait eu le même effet. Encore une de vos réussites, tiens...

- Mais… c'était pas pour boire ! Il faut l'appliquer là où ça démange, sinon c'est sûr que ça risque pas de fonctionner ! »

Elias cessa un instant de se gratter furieusement les joues pour dévisager Merlin, interdit.

« Vous déconnez ?

- Mais non ! Qu'est-ce que vous êtes allé boire ça, c'est complètement contre-intuitif !

- Vous me tendez une fiole, moi réflexe, je bois ! se défendit l'enchanteur. Si vous me dites pas tout, aussi ! » Et puis, après un instant d'hésitation : « C'est toxique, l'huile de camomille ?

- Est-ce que je sais, moi ? Vous êtes le premier que je vois en boire. Remarquez, si vous l'avez bue hier et que ça vous a rien fait, c'est que ça doit pas être bien dangereux. Par contre c'était mon seul flacon, je pourrai pas en ravoir avant le marché aux fleurs de la semaine prochaine et d'ici-là normalement vous aurez plus de problème.

- Ah ben bien… »

Elias maugréa quelques mots supplémentaires dans sa barbe – ou plutôt, sa désolante absence de barbe – avant de recommencer à racler ses ongles sur toute sa longueur de sa mâchoire, au point de lui faire prendre une jolie teinte écarlate. Merlin ne serait pas surpris que des lambeaux de peau irritée n'en viennent à se décoller sous les assauts acharnés du Fourbe. C'était vraiment déstabilisant, que le bonhomme parvienne à endurer les blessures les plus vicieuses avec un stoïcisme remarquable mais perde son sang-froid face à un inconfort aussi mineur que passager.

« D'ailleurs, ce serait bien si vous veniez avec moi, cette fois. »

Une nouvelle fois, Elias interrompit sa méthodique lacération pour regarder Merlin.

« Venir ? Où ça ?

- Au marché aux fleurs.

- Au marché aux fleurs ? Ben voyons, j'allais le dire ! Et sans indiscrétion, on peut savoir en quel honneur j'irais me promener là-bas ?

- En l'honneur que si vous avez pas changé d'avis, on se marie dans trois semaines, et que ce serait peut-être le moment qu'on se mette d'accord sur la décoration florale.

- La décoration florale, mais qu'est-ce que vous bavez, encore ? grommela le plus jeune. On a convenu de faire ça sur les bords du lac, en pleine forêt, des fleurs vous en aurez partout autour de vous, ça vous suffit pas ?

- Alors déjà, non, je pense qu'il n'y aura pas des fleurs « partout autour de moi » comme vous dites. Je sais pas si vous avez mis le nez hors du château récemment mais je vous signale que l'automne est déjà bien entamé, c'est plus vraiment la saison des pâquerettes. »

Elias eut un reniflement railleur. « Ah oui mais à ce moment-là, mon pinson, fallait choisir une autre date. Qu'est-ce que j'y peux, moi, si le froid tue les plantes ?

- Mais j'ai jamais dit que vous y pouviez- bon, bref, on s'en fiche, c'est pas le sujet. » Merlin se frotta les yeux de sa main libre. Il était bien trop tôt pour une engueulade. « La semaine dernière, quand je vous ai demandé si vous vouliez qu'on fasse un point sur le déroulement de la cérémonie, vous m'avez dit que vous en aviez pas besoin parce que vous avez fait des recherches de votre côté.

- Oui, et alors ?

- Et alors si vous avez vraiment fait des recherches, vous avez du voir que les fleurs utilisées pour décorer le lieu de la fête et tresser les couronnes des mariés ne sont jamais choisies au hasard. Ou alors, et je pense que c'est plutôt ça que vous avez fait, vous vous êtes contenté de survoler l'essentiel sans même vous rappeler que le druidisme est une tradition orale et que ce qu'on trouve dans les bouquins ne représente même pas la moitié de toutes les coutumes existantes. Je me trompe ? »

A en juger par le détournement de regard contrit d'Elias et sa tendance subtile à balader son poids d'une jambe à l'autre, oui, c'était bien ce qu'il avait fait.

« Moi c'est pas tant la cérémonie que la finalité qui m'intéresse, marmonna-t-il. Je me suis dit qu'à partir du moment où je connaissais les grandes lignes, y avait pas vraiment moyen de passer pour un glandu.

- Croyez-moi que si vous choisissez des fleurs d'aconit ou même de la valériane pour faire ma couronne parce que vous vous dites que c'est joli, vous allez passer pour autre chose qu'un glandu, je vous le garantis. »

Elias digéra ces dernières paroles en silence, songeur, avant de venir s'installer à l'établi le plus proche de Merlin. « Bon, d'accord, je veux bien que vous me fassiez un topo.

- Là maintenant ?

- Ben oui, pas demain.

- Mais vous aviez pas du boulot ?

- Tout fini hier. J'voulais éventuellement faire un point sur le budget mais ça peut attendre. » L'enchanteur piocha un bout de parchemin vierge dans une boîte au bout du plan de travail et attrapa une plume et un encrier. Studieusement, il inscrivit « Mariage » en haut de sa page et leva le nez pour constater avec surprise que Merlin n'avait toujours pas bougé. « Bon alors, vous vous grouillez ? On se marie dans trois semaines, j'vous rappelle. »

Ravalant une pique sur l'audace et la mauvaise foi dont son promis s'échinait à faire preuve, le druide prit place en face d'Elias, refermant ses deux mains autour de sa tasse encore fumante pour réchauffer ses doigts tandis qu'il organisait ses pensées.

« Un mariage druidique, commença-t-il enfin, n'a rien à voir avec ces mariages chrétiens modernes qu'on voit fleurir un peu partout. C'est une vraie fête, une célébration de l'amour et de la vie, pas juste une réunion de constipés qui se mettent en rond pour signer deux bouts de papier. Non seulement on se fait chier, mais y a même pas de musique, le prêtre épilogue pendant des plombes, et alors du temps où c'était le Père Blaise qui faisait ça-

- Hé, ho, stop ! intervint Elias. Il me semble pas que j'ai demandé une comparaison entre mariage druidique et mariage chrétien, alors si on pouvait revenir au sujet…

- Oui, bon… la cérémonie elle-même est courte et pas trop compliquée, elle ne représente qu'une petite partie de la célébration, en vrai. Si ça peut vous rassurer, c'est le seul moment de la journée où vous serez vraiment le centre de l'attention. Pour tout le reste du temps les gens auront mieux à faire.

- C'est-à-dire ?

- Je vous ai dit, c'est une vraie fête. Il y aura de la musique, de la danse, des jeux… mais on va commencer par le début, ce sera plus simple. » Merlin se racla la gorge et s'accorda une bonne gorgée de tisane avant de poursuivre. Il allait en avoir besoin. « A partir de la veille au soir jusqu'à l'échange des vœux, on n'aura plus le droit de se voir, et il faudra qu'on arrive séparément sur le lieu de la fête. Ça va être la première étape de la journée. Nos familles respectives – enfin dans notre cas à nous, les gens qu'on aura choisis – se chargeront de l'accueil des invités et aussi de nous filer un coup de main dans la tente des mariés, si besoin.

- On aura une tente sur place ?

- Bien sûr que oui. On va quand même pas se balader dans la clairière avec notre tenue de mariage là où tout le monde, y compris l'un l'autre, pourrait nous voir. Donc on a une tente, et on n'en sortira qu'au début de la cérémonie à proprement parler. Pour le reste de la fête, généralement, la tente devient un genre d'espace privatif pour les mariés, si jamais ils veulent souffler un peu ou… bah, prendre un peu d'avance sur la nuit de noces. »

Elias faisait mine d'inscrire consciencieusement les informations sur son parchemin, avec un professionnalisme bien trop prononcé pour la nature de la conversation. Difficile de savoir avec la teinte déjà écarlate de ses joues ce que l'enchanteur pensait de cette dernière coutume.

« Mais je comprends pas, comment on est sensés éviter de se croiser si on doit partager la même tente ? demanda le magicien brun.

- La tente est divisée en deux par une toile ou un rideau. On aura chacun un côté, avec interdiction de passer d'un à l'autre, mais en revanche on aura le droit de se parler.

- Bon, ben ça au moins c'est rassurant, si jamais je panique vous serez pas trop loin.

- Vous avez aucune raison de paniquer, tout va très bien se passer, rassura Merlin en tendant une main pour tapoter celle d'Elias qui n'était pas occupée à gribouiller à toute allure.

- Mhmm… bon, et on en sort quand, de cette tente ?

- Quand c'est l'heure de commencer la cérémonie. On vérifie une dernière fois que notre tenue est bien mise, on met la couronne de fleurs- ah ben voilà, puisqu'on en parle. Les fleurs. Il y en aura de deux sortes : celles qu'on va mettre un peu partout sur les tables, les chaises, ou même à disposition des invités, et celles qu'on va utiliser pour faire nos couronnes de fleurs.

- Ça peut pas être les mêmes ? Franchement, ce serait plus simple, on choisit une fois et c'est bon.

- C'est pas le problème, vous allez comprendre. Vous savez que chaque fleur a une signification propre dans le monde druidique, pas vrai ? »

Le hochement de tête d'Elias était bien trop alambiqué pour traduire une quelconque assurance.

« Vaguement… enfin, j'ai des notions, mais de là à me frapper l'apprentissage de tout le bordel botanique…

- Bah il va falloir vous pencher dessus un minimum si vous voulez pas vous viander. Les fleurs servent à faire passer un message, à donner le ton des festivités. Par exemple, quand Mehgan et Gareth se marieront, s'ils font ça au printemps ils pourront très bien utiliser des primevères, symbole d'amour naissant et d'espérance, ou alors un mélange de roses blanches et jaunes, pour la joie et l'innocence. Pour les couples plus âgés, comme nous, ce serait pas atypique de trouver des iris, pour la confiance, ou d'autres fleurs qui traduisent un amour plus mature. Pour les couronnes, c'est la même chose : on cherche à faire passer un message mais cette fois-ici à un niveau plus personnel, comme une déclaration l'un envers l'autre. Traditionnellement, on est censés fabriquer chacun la couronne de l'autre et ne se les échanger que juste avant la cérémonie, dans la tente d'habillage. Une petite surprise, pour voir un peu ce que l'autre pense vraiment de nous et sa propre vision de l'union à venir.

- Attendez, mais moi j'y connais rien, à vos histoires de fleurs ! s'écria Elias, désemparé devant la masse d'informations. Comment je suis sensé bricoler une couronne qui veuille dire quelque chose à ce niveau de détail ? C'est carrément trop compliqué votre truc, vous auriez du me prévenir plus tôt !

- J'ai essayé ! Mais comme toujours, môssieur Elias n'en a fait qu'à sa tête ! « Oui, j'ai pas besoin qu'on m'explique, je sais déjà tout, je suis le plus fort, et bla et bla… »

- Oui ben ça va, vous auriez pu insister un peu plus aussi, c'est vous le druide, pas moi ! Et puis c'est si grave que ça si je me goure et que je choisis des fleurs qu'il faut pas, comme votre exemple de tout à l'heure ? L'aconit et la valériane, c'est ça ?... Qu'est-ce que ça voudrait dire ?

- Avec l'aconit on est côté remords et vengeance, et avec la valériane on est plutôt sur du chagrin intense sur fond de cœur brisé. En gros si vous me faites une couronne avec ça, le message c'est « Vous m'avez bien pourri la vie, vous perdez rien pour attendre. » Vous admettrez que question symbolique, c'est pas jojo. »

Voir le visage presque imberbe d'Elias se décomposer évoqua à Merlin la mine dépitée que tirait Yoan chaque hiver, quand le garçonnet enrhumé comprenait qu'il n'allait pas échapper à son traitement au souffre.

« Ah ouais, quand même, murmura l'enchanteur. J'ai vraiment moyen de foirer, en fait.

- Pour être honnête, seuls les druides et les quelques invités versés dans le langage des fleurs le remarqueraient, tempéra Merlin avant qu'Elias ne se mette à trop cogiter sur ses lacunes dans le domaine botanique. Pour la plupart des gens comme Léodagan ou Gareth, une fleur c'est une fleur, point. Ne vous inquiétez pas, pour tout ce qui est décoration on choisira ensemble, et pour le reste vous n'aurez qu'à dire au marchand le message que vous voulez faire passer, ils s'y connaissent généralement assez bien et ils vont feront une sélection adaptée selon ce qu'ils ont en stock. Ça va aller.

- Si vous le dites… bon, on s'échange les couronnes de fleurs, d'accord. Et après ?

- Après, une fois qu'on est prêts, on sort de la tente par les côtés opposés et on se rejoint devant le druide officiant. Normalement, le marié arrive en premier et sa future épouse est escortée par son père depuis l'autre côté. Là il va falloir qu'on adapte, je vais réfléchir encore un peu mais je pense que le mieux serait qu'on arrive en même temps au point de rencontre. De là, Gwenaël fera un petit discours, comme le veut le protocole-

- Je suppose qu'il sera ravi, grommela Elias en triturant les fils de sa plume.

- -et ensuite chaque témoin viendra nouer un ruban autour de nos mains pour les lier.

- Ah, là j'ai. Treize témoins, treize rubans. Ils attachent tout ça chacun leur tour, on s'échange les alliances, et après c'est fini.

- Pas tout à fait, précisa Merlin avec un sourire indulgent. Chaque témoin vient nouer un ruban, c'est vrai. Ceux qui le souhaitent peuvent profiter de l'occasion pour dire quelques mots, la plupart du temps en rapport avec la couleur du ruban qu'ils viennent attacher.

- Des couleurs ? répéta Elias, de nouveau déstabilisé. J'ai juste lu treize rubans, moi, il a jamais été question de couleurs.

- Et pourtant si. Chaque couleur représente une facette du mariage, ou quelque chose que l'on va souhaiter aux mariés, comme le bonheur ou la longévité.

- Vous pariez combien que cet abruti de Perceval va se ramener en nous souhaitant d'avoir beaucoup d'enfants ?

- Je parie plus rien avec vous, regardez où ça vous a mené. » Mais Merlin devait bien reconnaître que la situation était de l'ordre du possible. Voire de l'inévitable. « Une fois que les treize rubans sont noués, on peut passer à l'échange de vœux.

- Encore des vœux ? Rho non mais ça va bien maintenant, entre la couronne de fleurs et les rubans, vous pensez pas que le message est un peu redondant à force ?

- Je vous l'ai dit : un mariage druidique, c'est avant tout une célébration de l'amour sous sa forme la plus pure. C'est une journée dédiée à la promesse qu'on se fait de lier nos vies à jamais, c'est quand même pas rien. Ça mérite qu'on prenne le temps, non ?

- J'entends bien, et sur le principe je suis d'accord, mais est-ce qu'on a vraiment besoin d'étaler tout ça, ouvertement… devant tout le monde…

- C'est ça qui vous embête, hein ? demanda le magicien blanc, sans mordant, en douceur. Tous ces gens qui vont bien être obligés de constater que vous avez un cœur, là-dessous, capable d'aimer comme n'importe lequel d'entre eux, pauvres mortels. »

Elias laissa échapper un bref souffle d'air dédaigneux par le nez, comme pour balayer l'affirmation de Merlin, mais jamais ses doigts ne cessèrent de danser nerveusement à la surface de l'établi. Au bout de quelques instants de silence prostré, il se décida enfin à lever ses yeux bleu-gris vers son promis.

« Peut-être, admit-il. Je sais pas. Ce genre de truc, c'est pas franchement la spécialité de la maison.

- Ne vous inquiétez pas, personne ne s'attend à ce que vous composiez une balade épique en mon honneur, assura Merlin sans pouvoir se défaire d'un sourire quelque peu attendri. Quelques mots suffiront, il n'y a pas d'exigence à ce niveau-là. Ce que vous ne voulez pas dire en public, vous êtes tout à fait libre de le dire plus tard, en privé. Ensuite une fois que c'est fait, on s'échange les alliances, un petit baiser pour sceller tout ça et hop ! Direction le buffet.

- … un petit quoi ?

- Je me doutais que vous alliez tiquer là-dessus aussi… » Merlin laissa courir un doigt sur le rebord de sa tasse désormais à moitié vide, hésitant. « Il faut voir ça comme la signature d'un contrat oral. A la fin de la cérémonie, il est attendu que les mariés... s'embrassent. »

Les sourcils d'Elias grimpèrent haut sur son front. « Devant tout le monde ?

- Devant tout le monde. Attention, hein, là encore personne ne s'attend à un roulage de galoche spectaculaire. Mais c'est vrai que la durée, la nature et même le placement du baiser ont une signification précise, comme pour les fleurs. Selon comment c'est fait, il y a moyen de convoyer un message différent de celui qu'on veut faire passer.

- Génial, encore une chose que je peux foirer… bon, comment on est sensés s'embrasser, alors ?

- Ben si on prend en considération notre âge, la nature de notre union et le fait qu'on vit déjà sous le même toit… un bref baiser sur le coin des lèvres suffit.

- Ah bon ? » Merlin hallucinait peut-être, eu égard à l'heure matinale, mais Elias avait presque l'air déçu. « D'accord… Et là encore si jamais je me rate, qu'est-ce qui pourrait arriver ?

- Pour le coup rien de bien méchant, rassurez-vous. Des ragots, des potins échangés aux réunions druidiques. Du classique. Par exemple si on s'embrasse sur la joue, on sous-entend que la relation est amicale mais avec un brin de distance, limite platonique. Et si moi, le plus vieux, je vous embrasse sur le front, là on est carrément sur un rapport de protectorat, voire de tutelle. Je vous laisse imaginer ce qui peut se raconter derrière au Rassemblement du Corbeau… »

Le grand enchanteur du Nord grimaça et gratta quelques mots empressés sur son bout de parchemin qui commençait à être bien chargé. A priori, il imaginait parfaitement.

« Si ça vous tire vraiment souci, on pourra s'entraîner avant, glissa Merlin avec un haussement de sourcils suggestif.

- Vous croyez que je vous vois pas venir ? rétorqua Elias en lui renvoyant son sourire mutin, le premier de la journée. Mon père m'a mis en garde contre les salopards de votre espèce. N'escomptez pas vous approcher de ma vertu avant qu'on soit bel et bien mariés, sauvage.

- Ça valait le coup d'essayer.

- Ben voyons… bon, pour revenir au sujet, après le baiser c'est fini ?

- La cérémonie est finie, oui. En revanche, les festivités ne feront que commencer, et il va y en avoir beaucoup sur l'après-midi. Entre la bouffe, les boissons, les chants et les jeux, la clairière va être bien animée, c'est moi qui vous le dis. Rien ne nous oblige à participer à tout bien sûr, et je sais bien que vous préfèreriez vous terrer dans la tente jusqu'au moment de rentrer au château, mais il faut quand même qu'on soit présents à quelques moments. Ne serait-ce que pour recevoir les félicitations de tous ceux qui voudront nous les présenter. Une petite danse ou deux, ça peut pas faire de mal, aussi.

- Oui, ben ça vous voyez, je vous regarderai depuis le côté, fit Elias en levant les yeux au ciel. A ce stade j'aurai déjà suffisamment donné comme ça, c'est bon, merci bien les cousins. »

Il apparut à Merlin qu'il avait omis un détail assez important concernant le déroulement de la journée. Un détail qui n'allait pas vraiment être du goût de l'enchanteur mais qui était déjà pour le druide une grande source d'amusement.

« Ah, oui, j'ai oublié de vous dire… vous vous souvenez, les rubans ?

- Oui, eh ben ?

- Ils restent noués autour de nos mains pendant toute la durée des festivités, on aura le droit de les retirer qu'au moment de la nuit de noces. Donc pour toute la journée… on est plus ou moins attachés ensemble. »

Une nouvelle fois, les traits du Fourbe s'effondrèrent et ses yeux s'écarquillèrent légèrement sous le coup de la réalisation. « Mais alors… si vous allez danser…

- Vous dansez aussi. Eh oui. C'est comme ça.

- … sinon, c'est trop tard pour choisir un mariage chrétien ? »


XXXXXXX Deux semaines avant la cérémonie XXXXXXX

« Le tailleur est là ! » claironna Mehgan en entrant dans la petite cour en contrebas du laboratoire. « Le temps d'installer sa charrette aux écuries et il arrive ! »

Merlin et Mehben levèrent le nez des jeunes pieds d'ail des ours qu'ils étaient en train de mettre à l'abri pour l'hiver.

« Déjà ? s'étonna le druide. On n'avait pas dit en début d'après-midi ?

- Il s'est libéré plus tôt, de ce que j'ai compris. Pourquoi, tonton Elias n'est pas là ?

- Si si, il est à l'intérieur. Mais bon vous savez comment il est sur les horaires… si on le cueille alors qu'il est au beau milieu d'un truc, il va sûrement râler que ça fout en l'air ses plans pour la journée. A tous les coups, il va lui dire de repasser plus tard.

- Ho mais c'est pas le livreur de patates, là, tout de même ! grommela Mehgan en posant ses mains sur ses hanches. C'est le type qui va lui faire sa tenue de mariage ! Il va bien faire un effort, non ?

- J'vous dirais bien que oui… sauf que je le connais. Je suis même sûr qu'il va insister pour continuer à bosser pendant la prise de mesures et les essayages.

- Ah, ça, il en est bien capable, » admit Mehben depuis le tabouret où elle continuait à transvaser de jeunes plants dans des pots plus larges.

Mehgan poussa un soupir consterné indigne de son jeune âge et se pinça l'arête du nez.

« Bon, laissez-moi faire, je m'en occupe, déclara-t-elle.

- Il vaudrait peut-être mieux que ce soit moi qui aille lui parler, commença Merlin tout en attrapant un chiffon pour essuyer ses doigts recouverts de terre humide.

- Non. Je m'en occupe. Et de toute manière, vous n'avez pas le droit de voir sa tenue avant la cérémonie, souvenez-vous.

- Mehgan, elle n'existe même pas encore la tenue, aujourd'hui c'est juste pour mesurer et choisir le tissu, ça compte pas. Vraiment, je pense que ça serait mieux si c'était moi qui-

- Je m'en fous, je m'en occupe, lança obstinément la jeune femme en prenant la direction de l'escalier. Quand le tailleur arrivera, vous serez gentil de bien vouloir le faire monter au labo, d'ici là j'espère avoir convaincu môssieur Joie-de-Vivre de poser ses micmacs suffisamment longtemps pour permettre au brave homme de faire son boulot. Mieux vaut qu'il commence par le plus dur, vous à côté, ce sera du gâteau. »

Avant que Merlin ne puisse protester de nouveau, Mehgan ouvrit la porte du laboratoire pour s'y engouffrer, refermant fermement le battant derrière elle. Hésitant, le druide lança un regard en coin vers Mehben, qui secoua la tête.

« Ah non mais c'est votre faute aussi, elle est comme ça depuis que tonton Elias et vous nous avez choisies comme témoins principaux, indiqua la jeune femme. Elle parle tellement que du mariage et elle veut tellement que tout soit parfait que j'arrive plus à rester dans la même pièce qu'elle plus de dix minutes. Elle me fatigue, j'ai plus la force. »

Merlin offrit à sa nièce adoptive un sourire désolé. A l'aube de son huitième mois de grossesse, il était évident que Mehben ne se sentait pas le courage de s'investir au même point que sa sœur. C'était bien pour ça qu'il l'avait choisie au lieu de la laisser à la merci d'Elias ; il avait beau aimer l'enchanteur au-delà de toute commune mesure, il savait combien le caractère de cochon du bonhomme pouvait s'avérer éreintant. La tâche qui reposait sur les épaules de Mehgan n'était pas des plus aisées, même si la jeune femme semblait la prendre très à cœur.

« Vous inquiétez pas, je compte pas vous donner du boulot en plus, assura-t-il. Je vais attendre ici sagement que le tailleur arrive et je le laisserai faire tout ce qu'il a besoin de faire, c'est promis.

- Franchement, merci. »

Le tailleur ne tarda pas à arriver. C'était un grand gaillard, à la corpulence assez fine mais dont les avant-bras aux muscles noueux trahissaient son goût pour le travail manuel. Une cordelette à nœuds jetée autour du cou, il portait sous un bras plusieurs rouleaux de tissus colorés d'épaisseurs variables. De sa main libre, il maintenait bloqué contre son torse une sorte de registre et un pied à coulisse.

Le nouveau-venu suivit la direction indiquée par Merlin et entra dans le laboratoire. Les deux heures suivantes, par miracle, s'écoulèrent sans incident majeur. Exception faite d'un haussement de ton franc et d'un unique bruit de bocal brisé durant la première demi-heure, aucune catastrophe ne fut à déplorer.

Lorsque le tailleur émergea enfin de l'antre du dragon, il était toujours entier. Un peu pâlot sur les bords et les lèvres pincées en une fine ligne exaspérée, mais entier.

« Bon, à nous maintenant, annonça-t-il d'une voix bourrue en déposant tout son barda sur un établi extérieur. Là aussi il va falloir qu'on se fâche avec la jeune fille ci-présente ou on peut espérer un minimum de comportement adulte ? »

Merlin laissa échapper un bref éclat de rire éraillé. Manifestement, face aux efforts conjugués de Mehgan et du tailleur, Elias n'avait pas eu le dessus.

« Non, rassurez-vous, je baisse les armes ! sourit-il en présentant ses paumes ouvertes en signe de paix. Désolé s'il vous a donné du fil à retordre, je sais qu'il peut se montrer un peu pénible parfois.

- Un peu pénible ? C'est largement sous-évalué ! Franchement, je vous souhaite bien du courage pour la suite. »

En gage de pénitence pour ce qu'Elias avait du faire subir au malheureux artisan, Merlin se plia à toutes ses demandes avec toute la docilité dont il pouvait faire preuve. Il tendit les bras quand c'était demandé et resta le plus immobile possible alors que le tailleur promenait sa cordelette de mesure autour de sa taille, en travers de son torse, le long de ses cuisses, notant les valeurs au fur et à mesure sur un bout de parchemin. Il imagina l'air constipé qu'Elias avait du afficher, soumis au même traitement, et dut se mordre les lèvres pour ne pas pouffer de rire.

Il allait être d'une humeur exécrable, le Fourbe. A tous les coups, il allait passer la soirée à ronchonner qu'on l'agressait en lui imposant une proximité prolongée avec un parfait inconnu qui n'avait même pas la décence de respecter les horaires convenus au préalable. Sa barbe venait tout juste d'arrêter de l'incommoder, il fallait bien qu'il trouve une nouvelle raison de râler.

« Moi je trouve que ça change, avait remarqué Merlin la veille en observant les joues de son compagnon qui commençaient à retrouver leur allure. Ça vous rajeunit, vous faites quarante ans de moins.

- Ouais, parce qu'on a carrément besoin de ça, creuser encore plus l'écart d'âge entre nous deux, avait ironisé Elias.

- Vous pourriez continuer à raser, ça me dérange pas.

- Moi, ça me dérange. Au-delà du fait que je ressemble à un poussin, il y a cette entaille laissée par une certaine salope au tournoi que j'arrive pas à regarder dans le miroir sans avoir des envies de meurtre. Alors merci mais non merci, la barbe repousse pour me masquer tout ça, point final.

- Ah… » Merlin avait laissé passer quelques secondes de silence, avant de reprendre sur un ton plus léger. « Et si moi je me rase la barbe ? Pour le coup, question écart d'âge, ça va dans le bon sens.

- Vous faites ça, j'annule le mariage. Sans déconner, j'le fais. »

Bien sûr, Merlin avait proposé ça pour rire, il ne l'aurait jamais fait. Tout comme Elias n'aurait jamais annulé la cérémonie pour une raison aussi futile. Certainement.

Enfin probablement pas, quoi.

« On est bons pour les mesures, annonça le tailleur, tirant le druide hors de ses pensées. Vous pouvez baisser les bras. Vous êtes mieux bâti que votre collègue là-haut, il va falloir que j'aille chercher plus de tissu dans ma charrette, mais vous pouvez déjà regarder les couleurs que j'ai ici. »

Instinctivement, l'œil de Merlin se laissa attirer par un blanc presque pur, à peine cassé. Il fit rouler le tissu entre ses doigts ; la finesse et la douceur de la matière lui firent lever un sourcil surpris.

« C'est pas de la laine, ça, se murmura-t-il à lui-même.

- Vous avez l'œil, acquiesça le tailleur, appréciateur. C'est une étoffe qui vient tout droit des grands empires à l'Est, là-bas. Mon frère a sa boutique en Aquitaine, parfois il arrive à faire commerce avec une caravane quand il y en a une qui passe et il nous en prend quelques rouleaux. Ils appellent ça le xylon, j'crois bien.

- C'est tellement doux… quel genre d'animal produit ça ?

- C'est ça le plus drôle : ça vient pas d'une bête mais d'une petite plante. Là-bas ils la cultivent sur des lieues et des lieues, ils font tous leurs vêtements avec ça. Alors c'est sûr que ça tient moins chaud que la laine de mouton, c'est adapté aux températures de chez eux hein, mais je me suis dit qu'en chemise d'été ça conviendrait peut-être pour ici. »

Le bonhomme connaissait son affaire et ne manquait pas de flair. Le tissu divinement doux et résistant pouvait faire une sérieuse concurrence aux vêtements en chanvre rigides et aux tenues en lin fragiles que les bretons revêtaient quand ils n'arrivaient plus à supporter leurs habits de laine, en été. Mais avec des propriétés comme celles-ci et s'il venait de l'autre bout du monde connu…

« Il doit coûter assez cher, quand même, marmonna le druide en reposant l'étoffe à regret.

- J'ai pas le droit de vous parler tarif. Ordre du roi Arthur. C'est lui qui règle la note, qu'il m'a dit. »

Quelque part sur le royaume de Logres, il devait bien y avoir au fin fond d'une forêt une chouette avec des yeux plus ronds que ceux qu'ouvrit Merlin à cette annonce.

« Mais… on s'est jamais mis d'accord sur ça ! bégaya le druide.

- Vous verrez ça directement avec lui, moi j'ai juste interdiction de vous donner la facture ou même de parler pognon sous peine de finir au cachot. Et comme je fais pas confiance à mes feignasses de fils pour faire tourner la boutique si on me met au trou, bah moi de mon côté, le choix est vite fait. »

Merlin demeura sans voix un long moment, sidéré. Par tous les Dieux de cette terre et des autres… quelle mouche avait piqué Arthur ? Non pas que la surprise était désagréable, loin de là, mais le roi avait déjà exigé de prendre à sa charge les dépenses de nourriture et de boissons, sous prétexte qu'il n'y « avait plus eu de fête à Kaamelott depuis bien longtemps, et ne venez pas me parler de ce tournoi stupide où on se bat à coups de charades, vous serez gentil. » Le geste était déjà suffisamment généreux, il n'y avait aucun besoin de pousser la chose encore plus loin.

S'agissait-il là d'une façon pour le roi de remercier ses magiciens pour les services rendus au royaume et, à certaines occasions, à la famille royale directement ? Ou était-ce une énième manière pour Arthur de se racheter pour toutes ces années à vouloir transformer un druide en enchanteur et à gueuler lorsque le résultat n'était évidemment pas au rendez-vous ? Merlin n'aurait pas su dire.

Mehben, de son côté, ne s'attardait pas à ce genre de détail. La jeune femme installa son tabouret devant les rouleaux de tissus et se frotta les mains, un large sourire au visage.

« Si c'est Kaamelott qui régale, alors c'est parti ! »

Le choix final se porta sur la douce étoffe blanche venue de l'Est, doublée pour faire face à l'air frisquet de novembre, avec une longueur de tissu bleu roi pour tenir l'ensemble fermé à la taille. Parmi les modèles dessinés dans le gros volume que le tailleur avait apporté, Merlin se décida pour de simples surpiqures droites, du même bleu que la ceinture. Devant l'insistance de Mehben, le druide accepta la proposition de l'artisan de border le col de l'habit avec de la fourrure de lièvre, blanche également.

« C'est mon petit dernier qui les élève, pour la viande, » précisa l'homme avec un brin de fierté tout en remballant son attirail. Il reviendrait dans deux semaines avec les tenues terminées, pour les derniers ajustements éventuels. « On garde la peau pour les ornements, les doublures ou pour faire des couvertures. C'est marrant, j'ai jamais rien pu en faire, de ce gamin. Il a jamais su tenir une aiguille, c'est à peine s'il sait compter jusqu'à vingt et il a pas une seule fibre commerçante. Par contre qu'est-ce qu'il est doué avec ses bêtes, vous verriez ça… un drôle de truc, les gosses, ils sont toujours là où on les attend pas.

- Ah ça c'est certain, ne put qu'acquiescer poliment Merlin.

- Vous en avez ? »

Un pincement au fond de ses entrailles. Le druide choisit de l'ignorer.

« Non, admit-il en espérant de tout cœur que la mélancolie ne transparaissait pas dans son ébauche de sourire. Je n'ai pas cette chance.

- Ah… bah au moins, vous êtes tranquille ! »

Tranquille…

Oui. C'était une façon de voir les choses.


Note : bravo à ceux qui auront reconnu le coton (nommé à l'époque xylon, entre autres termes), dont la culture au temps des légendes arthuriennes se limitait à l'Inde mais dont le commerce a commencé tout doucement à rejoindre l'ouest de la Méditerranée au Ier siècle.