Chapitre 7

Willie reprit son travail. Les conditions n'étaient plus aussi dures, car plusieurs pilotes se montraient amicaux à son égard. Alors pourquoi se sentait-il aussi malheureux ? Il tenta d'approcher Tori, mais il ne réussissait pas à la voir seule, car elle se tenait volontairement à l'écart. Lors d'une tentative pour l'inviter à sortir avec lui, Tori répondit en souriant :

« Je ne veux pas être une source de conflit avec ta copine. »

Mais quand Willie essaya de lui expliquer que Michelle n'était pas ce qu'elle croyait, elle l'arrêta fermement.

-« Il n'est pas question que je me mêle de ta vie privée. »

Une discrétion qui était surtout un moyen de le rejeter. Willie se résolut à clarifier son existence. Il s'en voulait de peiner Michelle, mais il n'avait plus le choix. Ils ne s étaient pas revus depuis plusieurs jours, et elle avait déjà pressenti la rupture. Elle la prit mal, cependant, mais il la connaissait assez pour se douter qu'elle passerait vite à autre chose. Il se sentit plus libre après cette conversation et décida de parler enfin à Tori. Il devait savoir ce qu'elle ressentait pour lui, il ne laisserait pas s'écouler un jour de plus dans cette incertitude.

C'était samedi soir. Willie prit son courage à deux mains et alla sonner chez les Spandau. Richard Spandau ouvrit la porte.

-« Oui, capitaine Sharp ?

-Pardon de vous déranger. Je voudrais parler à Tori.

-Je suis navré, elle est sortie. »

Willie laissa paraître sa déception, puis eut une inspiration :

-« Vous allez trouver ça stupide, mais j'aurais besoin d'un conseil... en matière de femme. »

Le général eut un sourire indulgent. Il appréciait Sharp depuis qu'il avait secouru sa fille, et croyait en leur amitié sincère.

-« Un petit problème avec votre fiancée ? Bon, vous connaissez la Tour Morris, au centre ? Au seizième étage, il y a une salle de réception. Une amie de Tori y fête son mariage.

-Merci, mon général. »

Willie se rendit en ville. Il ne se laisserait arrêter par personne, ce soir. Il parlerait à Tori. Il voulait savoir.

Il débarqua en pleine réception nuptiale. Il n'était pas en costume et se fit rapidement remarquer. Il chercha Tori des yeux mais ne la vit nulle part. Le marié s'approcha :

-« Puis-je vous aider ? Vous vous êtes perdu ?

-Pardonnez-moi d'arriver sans invitation. Je cherche Tori Spandau. C'est urgent. »

Le marié scruta à son tour la salle.

-« Curieux... Je ne la trouve pas. Attendez. »

Il alla s'entretenir avec sa jeune épouse, éblouissante dans sa robe de mariée traditionnelle. Willie reconnut Alison.

-« Bonsoir, Willie, dit-elle avec surprise. J'avais proposé à Tori de vous amener, mais elle m'a dit que vous étiez en froid, dernièrement.

-C'est exact, et je veux justement que cela cesse le plus rapidement possible. Mais j'ignorais que c'était votre mariage, ce soir. Je vous prie de pardonner mon intrusion.

-Cela ne fait rien. Je suis sûre qu'elle sera contente de vous voir. Elle m'a dit qu'elle voulait prendre l'air. Vous la trouverez sûrement sur le toit.

-Merci infiniment. »

Willie bondit jusqu'à l'ascenceur et appuya sur le dernier étage. Il sentait la tension l'envahir, la même qu'il ressentait en entrant dans son cockpit. Il avait l'impression que sa vie allait se jouer en quelques minutes, comme lors d'une mission. La Tour Morris était couronnée d'une terrasse qui donnait sur le centre de Houston. La nuit était douce et plusieurs couples admiraient la vue. Willie chercha Tori quelques instants avant de l'apercevoir, seule, appuyée au rebord de pierre. Il s'avança vers elle et ne l'appela que lorsqu'il fut juste derrière elle. Elle se retourna et parut très étonnée.

-« Ton père m'a dit où te trouver », dit Willie, devançant la question.

Elle le regardait en silence, et lui ne trouvait pas les mots. Ils étaient face-à-face, et leur manque de communication les paralysait, les empêchait de franchir tout ce qui les séparait. Willie fut traversé par le doute. La pensée le traversa qu'il avait inventé de toutes pièces des sentiments entre Tori et lui, que rien de tout ça n'existait, qu'il allait au-devant d'un échec cinglant. Mais il se rappela aussi qu'il avait beaucoup souffert, les mois passés, et que jamais il ne revivrait ça.

-« Je suis venu te dire... »

Elle le regardait toujours, mais un léger sourire entrouvrit ses lèvres et la fit paraître moins sévère. Il considéra son visage expressif, ses yeux profonds, et trouva la force.

-« Je suis venu te dire que tout est fini entre Michelle et moi, que ça n'a jamais été sérieux...

-Cela ne me regarde pas, rétorqua spontanément Tori, avec un mouvement de recul.

-Si, ça te regarde. Je veux que tu saches que je n'ai fait que des erreurs, ces derniers temps et que je le regrette. Il y a eu beaucoup de malentendus entre nous et il faut que ça cesse. »

Tori semblait très embarrassée. Elle s'efforça de sourire à nouveau.

-« Nous pouvons rester amis, quoi que tu fasses de ta vie privée.

-Je veux rester ton ami, quoi qu'il arrive. Je ne veux pas te perdre. »

Elle eut un mouvement de la nuque pour cacher son visage derrière ses longs cheveux et il devina qu'elle rougissait. Il attachait sur elle son expression concentrée et ardente, toujours un peu troublante.

-« Moi aussi, je voulais te dire... » commença-t-elle avec gêne.

Il la regarda d'un air interrogateur et elle sourit.

-« Je ne t'ai pas réellement remercié de m'avoir sauvée la vie, il y a deux semaines. J'espère que tu ne me crois pas ingrate... »

Il fit un geste de protestation, mais elle l'arrêta en posant une main sur son bras.

-« Laisse-moi finir. Tu n'aurais jamais dû faire ça. Non seulement tu aurais pu être tué, mais même une blessure aurait pu briser ta carrière. Je sais que tu as agi par devoir, mais je ne t'ai pas remercié comme j'aurais dû, du fond du coeur ».

Tori attachait sur lui un regard de reconnaissance fervente. Willie eut un éblouissement... Il baissa à demi les paupières pour cacher les trop chaudes lueurs de son regard et dit avec calme :

-« Je n'ai pas agi par devoir. Je voulais te protéger, parce que je ne peux pas supporter l'idée qu'il t'arrive quelque chose. Et je crois que tu m'as déjà remercié. »

Elle le fixa sans comprendre. Willie continua :

-« J'ai passé une nuit à l'hôpital, après avoir reçu la balle. Vers le matin, j'ai fait un curieux rêve. Tu étais là, tu t'es penchée sur moi. »

Il observait sa réaction. Elle avait l'air à la fois étonnée et effrayée. Elle retira vivement sa main. Willie poursuivit, d'une voix un peu basse où passait un accent passionné :

-« Tu m'as embrassé sur le front et tu as dit quelque chose. Je suis sûr que ce n'était pas un rêve. Tu étais vraiment là. Que m'as-tu dit ce matin-là, Tori ? Je veux l'entendre de nouveau.

-Je ne sais pas de quoi tu parles. Tu as rêvé. »

Elle voulut s'éloigner mais Willie la saisit par le poignet qu'il serra sans lui faire mal.

-« Je ne te laisserai pas partir, dit-il doucement. J'ai besoin de savoir. Tori, réponds-moi, je t'en prie. »

Elle avait la gorge serrée et elle ne pouvait plus articuler le moindre son. Elle voulait s'enfuir, mais il l'en empêchait. Elle le regarda, éperdue. Il lui sourit tendrement. Il savait, à présent.

-« Non, ne dis rien. Je sais, Tori, je sais... »

Il l'attira dans ses bras et l'étreignit fortement. Elle laissa sa tête reposer sur son épaule et ferma les yeux. Il la tint serrée dans ses bras de longues minutes, savourant son bonheur. Lorsqu'il sentit qu'elle abdiquait toute résistance, il se pencha et l'embrassa.

Ses lèvres étaient douces et chaudes. Leur baiser très tendre alluma quelque chose en Willie, quelque chose qu'il n'avait jamais ressenti auparavant. Un souffle puissant le traversa et le fit vibrer. Il lui sembla qu'il brûlait et crépitait, soulevé par une ivresse irrépressible. A grand peine, il se détacha de Tori. Il vit que son visage reflétait le même trouble et la même passion. Tori s'efforça de retrouver son calme, alors qu'elle était encore profondément bouleversée. Ils échangèrent un sourire, un regard où passa toute leur amoureuse émotion. Willie eut peur d'être submergé par le désir. Les mots brûlants, les mots de passion qu'il n'avait jamais adressés à aucune femme, montaient à ses lèvres. Une ivresse inconnue l'envahissait. Il murmura :

-« Je t'attendrai demain, à trois heures, devant le Center Plaza. Nous irons nous balader, tous les deux. »

Tori acquiesça et le suivit des yeux, alors qu'il quittait la terrasse. Il se retourna pour la regarder encore avant que l'ascenceur ne se referme. Il voyait son visage lumineux, ses yeux éclairés par une flamme intérieure, et il pensa : « Nous sommes ensemble. Enfin. »

TBC