Chapitre 9
Les astronautes de Delta II s'apprêtaient à partir. La veille du décollage, Richard Spandau rendit publique la liste des astronautes sélectionnées pour la mission suivante, Delta III. L'équipage serait commandé par Ken Martin, dont ce serait le dernier vol ; il prendrait ensuite une retraite bien méritée et deviendrait un des cadres techniques de la NASA. Il irait dans l'espace avec Matthew Law et Peter Jensen. L'équipage de réserve comprendrait Albert Gore, Daniel Bligh et Willie Sharp. Ce dernier accueillit sa nomination avec un visage fermé, qui étonna les autres pilotes. Cela n'avait même pas l'air de lui faire plaisir. Certes, tout le monde savait que son histoire avec Tori Spandau était terminée, mais personne ne croyait qu'une histoire de cinq semaines pouvait sérieusement affecter le séducteur patenté qu'était Sharp. Puis tous les regards se tournèrent vers Cap Kennedy où Delta II était sur le pas de tir. Toute activité sembla cesser à la NASA, hormis en salle de contrôle, où quatre équipes de dix ingénieurs se relayaient toutes les six heures.
Tori en faisait partie, et son père restait avec les grands pontes de la NASA, à proximité des écrans de surveillance. Les astronautes et les pilotes se réunissaient par petits groupes, pour discuter ou faire du sport ou jouer aux cartes. La vie quotidienne était suspendue jusqu'au retour de la navette. Pourtant, la mission n'était pas des plus palpitantes : les trois astronautes rejoignaient la station orbitale internationale et recueillaient les résultats d'expériences en cours, avant de repartir. La station était actuellement occupée par un Chinois, un Russe, un Français et un Italien. Les Américains ne feraient donc que passer.
Willie resta chez lui, le plus souvent allongé, les yeux fixés sur le plafond. Il ne voulait pas sortir, pour ne pas passer devant les fenêtres de Tori. Il balançait entre rage, incompréhension et désillusion. Il ne pouvait croire qu'il s'était à ce point trompé sur elle. Comment avait-elle pu être merveilleuse pendant des mois, puis devenir si cruelle en un instant ? Elle lui avait apporté plus de bonheur en cinq semaines qu'il n'en avait eu durant toute sa vie, et elle avait tout réduit en miettes. Malgré lui, toutes les nuits, son corps réclamait celui de Tori.
Delta II revint sans encombres. La NASA enchaîna sur la préparation de Delta III et les astronautes entrèrent en formation accélérée. Willie faisait partie de l'équipage de réserve, et il y avait fort peu de chances pour qu'il parte cette fois dans l'espace. Mais, au cas où, il devait être prêt. L'équipage de réserve subissait le même entraînement que les titulaires, en présence des ingénieurs de la salle de contrôle, dans le simulateur. Willie voyait Tori quotidiennement, et sa souffrance devint intolérable. Ils ne se regardaient pas, ne se parlaient quasiment jamais, mais ne pouvaient continuellement s'éviter. Tori était pâle et fixait obstinément sa console. Willie s'efforçait de ne penser qu'à sa mission. Ken Martin, commandant de l'équipage principal, assistait aux simulations. L'ingénieur au poste de Capcom dit au micro :
« Vous êtes distrait, Sharp. Ce n'est pas ce que je vous avais demandé. »
Willie s'excusa. Martin jeta un coup d'oeil à Tori qui, les lèvres serrées, gardait son impassibilité. A la fin de la séance, Tori posa ses écouteurs et partit rapidement. Ken, au lieu d'attendre les astronautes pour discuter avec eux de la mission, comme c'était la coutume, suivit la jeune femme. Il la prit par le bras.
- « Tori, est-ce que tout va bien ?
- Mais oui, pourquoi ? » dit-elle avec un peu de lassitude.
Elle se dégagea et continua sa route. Ken eut l'air chagriné, mais il retourna en salle de simulation.
Plusieurs jours passèrent. Après une séance, Martin, Law et Jensen sortirent de la navette de simulation.
- « Tu n'as pas l'air ravi, Ken, observa un des ingénieurs.
- Mon alunissage n'était pas parfait.
- Ken est un perfectionniste , ajouta Tori en souriant.
- Enfin un sourire de notre GUIDO ! » plaisanta Peter Jensen.
Tori haussa les épaules et lui rétorqua qu'un GUIDO devait gui-der et non faire le gui-gnol. Tout le monde rit. L'équipage de réserve s'avança vers le simulateur. L'équipe d'ingénieurs changeait, elle aussi. Tori et Willie se croisèrent à la porte. Il s'effaça pour la laisser passer. Ils se frôlèrent sans se regarder. Ken les observait attentivement. En sortant à son tour, quelques minutes plus tard, il se mit à la recherche de Tori. Elle avait quitté le centre mais, lorqu'il téléphona chez elle, personne ne répondit. Ken interrogea quelques personnes ; aucune ne savait où elle était allée. Il songea tout à coup qu'il savait peut-être où Tori s'était réfugiée.
Ken retrouva Tori dans une petite crique déserte, au bord du golfe du Mexique. C'était un endroit où ils se fixaient rendez-vous, du temps de leur liaison. Tori était assise face à la mer, les yeux dans le vague. Elle sursauta quand Ken vint s'asseoir à côté d'elle.
- « Je savais que je te trouverai ici. Je viens moi-même assez souvent quand je vais mal.
- Moi aussi, j'ai gardé cette habitude. C'est étonnant que nous ne nous soyons jamais croisés.
- Probablement parce que tu allais bien, ces derniers temps... Tori, que t'arrive-t-il, tout à coup ? Tu as l'air tellement triste.
- Je ne vais pas te raconter mes problèmes.
- Bien sûr que si. Je suis ton ami. Je veux te voir heureuse, même sans moi. »
Tori rougit. Ken passa le bras autour de ses épaules.
- « Tori, je sais ce que toute la NASA sait. Tu es sortie avec Sharp puis vous avez rompu rapidement. Je vous observe depuis quelques jours. Vous êtes malheureux, tous les deux. Que s'est-il passé ?
- Je n'ai pas envie d'en parler, Ken. »
Ils contemplèrent la mer en silence. Ken lui parla un moment de la mission Delta II, qui devait se poser sur la Lune pour recueillir des nouveaux échantillons. Ensuite, il prendrait de la retraite.
- « Tu te souviens, Tori, que nous nous sommes séparés parce que je ne voulais pas briser ma carrière d'astronaute. J'arrêterai très bientôt. Tu ne veux pas envisager de venir vivre avec moi ?
- Non, dit Tori doucement. Toi et moi, c'est de l'histoire ancienne.
- La NASA nous a séparés. C'est elle aussi qui t'a séparée de Sharp ?
- Ken, je t'en prie... »
Elle fondit en larmes. Ken la serra dans ses bras et la berça contre lui. Il la supplia encore de lui parler. Tori céda et lui raconta tout. Ken la tenait toujours dans ses bras.
- « Tori, tu es lâche. Tu as eu peur qu'il te rejette, alors tu as décidé de le rejeter.
- Cela n'aurait rien changé.
- Sans doute pas, mais la situation serait beaucoup plus claire pour lui. Tu lui dois la vérité.
- C'est trop tard. »
Devant son air buté, Ken n'insista pas. Il la savait orgueilleuse et obstinée. Il ajouta seulement :
- « C'est très injuste, et j'ai horreur des injustices.
- Ken, je veux ta parole que tu ne diras rien à Willie.
- Je ne lui dirai rien. »
Ils restèrent dans la crique, à l'abri de tous.
Quelques jours plus tard, Matt Law dit à Ken que le capitaine Sharp l'impressionnait par sa maîtrise. Il se disait persuadé que sa nomination comme titulaire ne tarderait pas, et s'expliquait mal pourquoi il avait été écarté aussi longtemps. Il oubliait volontiers qu'il avait, lui aussi, contribué à l'isolement de Sharp. Ken préféra ne pas le lui rappeler et dit seulement que, après sa rupture avec Tori, Sharp se raccrochait à son avenir professionnel.
« Toi qui es un ami de Tori, sais-tu ce qui s'est passé entre eux ? » questionna Law, toujours curieux et, comme sa femme, avide de potins.
Ken fit semblant d'hésiter puis se lança :
- « C'est à cause de Richard Spandau... Mais si je te raconte ça, ça doit rester entre nous.
- Naturellement », affirma Law.
Ken fut alors sûr que toute la NASA serait au courant dans quelques jours. Cela prit en fait un peu plus de temps. L'histoire colportée par Law semblait incroyable et les astronautes hésitaient à la répandre. Cependant, ils finissaient par en parler entre eux. La plupart étaient de gentils garçons et ils aimaient bien Tori. Ils se sentaient désolés pour elle et la plaignaient pour son sacrifice. Plus d'un se dit : « Si j'avais été à la place de Sharp, et que Spandau m'ait fait ce chantage, qu'aurais-je choisi ? »
Comme Ken l'escomptait, toute l'histoire arriva finalement aux oreilles de Willie. Il s'était attardé dans le gymnase pour affiner sa préparation physique et, quand il rejoignit les vestiaires, il ne restait plus que deux pilotes qui rangeaient leurs affaires. Willie ne les aimait guère et il se rhabilla sans être vu, pour éviter de leur parler. Il entendit soudain le nom de Tori.
- « Marilyn Law m'a dit qu'elle la trouvait bizarre, en ce moment, dit un des deux hommes.
- Sais-tu ce que dit Martin ? Que le général Spandau a obligé sa fille à se séparer de Sharp.
- Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
- Il aurait dit à Tori que jamais il ne nommerait Sharp à une mission tant qu'elle sortirait avec lui. Tu sais, à l'époque où tout le monde pensait que Sharp se servait d'elle, parce qu'il n'arrivait pas à être nommé... Bref, le général a ajouté que si elle rompait, il favorisait la carrière du capitaine.
- C'est immonde ! Alors ça explique pourquoi Sharp est réserviste. Et lui, il est au courant que...
- Je ne sais pas. Je n'aime pas beaucoup Sharp, ce n'est pas un secret, mais ce que Spandau a fait est vraiment ignoble. »
Willie avait écouté sans faire un geste. Quand les pilotes eurent quitté les vestiaires, il s'assit et prit sa tête dans ses mains. Il refoula ses pulsions violentes et décida d'en avoir le coeur net. Il se mit à la recherche de Ken Martin. Il le croisa dans un couloir de la base et l'intercepta assez brutalement. Ken le regarda avec un demi-sourire. Il attendait cette confrontation depuis quelques jours. Mais il refusa de répondre aux questions de Willie.
- « Ce n'est pas mon rôle de vous apprendre quoi que ce soit sur votre vie privée.
- Il semblerait que tout le monde soit au courant sauf moi !
- La NASA est incapable de garder un secret. Vous devriez aller voir Tori. Vous avez des choses à vous dire. »
Willie sentit l'excellence du conseil. Il avait eu souvent envie, depuis leur rupture, d'aller lui réclamer une explication. Mais la voir lui faisait trop mal, et il ne voulait pas se conduire comme Julian Aron, qui avait harcelé Tori après leur rupture. Cette fois, les mots lui brûlaient les lèvres.
Tori était sortie ce soir-là. Willie se posta près de sa fenêtre et attendit son retour. Il lui tenait fictivement de grands discours où il lui arrachait la vérité, l'amenait à renouer avec lui, et ils terminaient la nuit dans les bras l'un de l'autre. Il réalisa que jamais il ne s'était résigné à la rupture et qu'il voulait retrouver Tori. Willie était doté d'une volonté inflexible et orgueilleuse. La passion, chez une nature de cette trempe, se révélait indomptable.
Il vit enfin la voiture de Tori apparaître et il s'empressa de traverser la rue déserte. Il rattrapa Tori dans l'allée de son jardin, et affronta son regard glacial.
- « Je veux te parler, commença-t-il sans se laisser démonter.
- Il est tard, et moi je veux aller dormir.
- Réponds d'abord à ma question. Est-ce que ton père a promis de me nommer astronaute si tu rompais avec moi ? »
Tori fut saisie de stupeur. Elle ne s'attendait pas à cette question, et son trouble fut révélateur pour Willie. Il sentit que toute colère en lui avait disparu ; il restait un intense soulagement et l'espoir de retrouver ce qu'il avait perdu.
- « Qui t'a dit ça ? Ken Martin ?
- Ken Martin a refusé de me dire quoi que ce soit. Mais, toi, je ne te laisserai pas te défiler. Tori, est-ce vrai ?
- Oui.
- Tu aurais dû m'en parler.
- A quoi bon ? En sautant une étape, nous avons gagné du temps. »
Ils se faisaient face, à bonne distance. Le réverbère était éloigné et leurs visages restaient plongés dans la pénombre. Tori songea que leur histoire était faite de discussions au clair de lune.
- « Je ne suis pas d'accord, reprit Willie. Nous étions ensemble, nous devions affronter ce problème ensemble.
- Il n'y avait pas d'autre solution à ce problème. Mon père ne revient jamais sur ce qu'il dit. Il s'en flatte car il est persuadé que c'est une marque de caractère.
- Il ne sera pas toujours directeur des vols.
- Il peut marquer sur ton dossier ce qu'il faut pour que tu n'aies plus la moindre chance de devenir astronaute. Crois-moi, j'ai étudié tous les aspects de la question. »
Merveilleux aveu qui amena un tendre sourire sur les lèvres de Willie. Tori ne le vit pas ; lasse, elle se laissa tomber sur la pelouse et ramena ses jambes contre elle en frissonnant. Willie s'assit aussitôt près d'elle.
- « Il ne t'est jamais venu à l'idée que je préférais rester avec toi plutôt que devenir astronaute ?
- Oh voyons ! s'exclama Tori avec incrédulité. Nous en avons souvent parlé. Etre astronaute, c'est ton rêve depuis toujours. Tu as travaillé dur pour ça. Tu endures les pires avanies depuis un an pour ça. Ne te mens pas.
- Alors tu décides à ma place, tu choisis ma vie. De quel droit ?
- C'est le meilleur service que je pouvais te rendre. Lève la tête et regarde l'espace. C'est ce que tu veux, plus que tout au monde. Tu me l'as dit textuellement. »
Willie pouvait lire dans les yeux magnifiques la torture qui broyait en ce moment le coeur de Tori. Il se sentit soulevé d'émotion.
- « A l'époque où je t'ai dit ça, nous n'étions pas encore ensemble. Laisse-moi reformuler ma phrase : je donnerais tout pour être astronaute, sauf toi.
- Tu ne sacrifrirais pas ton avenir pour une aventure.
- Ferais-tu exprès d'être désagréable ? soupira Willie. Ce n'est pas une aventure pour moi. Et toi ? Réponds, Tori, restais-tu avec moi pour passer le temps ?
- Tu sais que non.
- Tori, qu'est-ce que je suis pour toi ? »
Elle garda le silence, les yeux obstinément fixés sur l'herbe qu'elle agrippait entre ses doigts. Il posa la main sur sa joue et la força à lever la tête.
- « Je t'aime, lui dit-il enfin. Je ne te l'ai pas dit assez. C'est ma faute : si tu avais été convaincue de mon amour, tu aurais répondu à ton père que rien ne pouvait nous séparer.
- Willie... »
Tori avait presque le vertige mais elle voulait garder sa lucidité.
- « Si à cause de moi, tu ne réalises pas tes rêves, tu me le reprocheras toujours.
- Non, bien sûr que non. C'est mon choix et je l'assumerai. La seule chose que je devrais te reprocher, c'est d'avoir décidé de te sacrifier sans m'en parler. Mais je ne le ferai pas. Je considère que c'est une preuve de ton amour. »
Elle ferma les yeux. Il lui caressa la joue tendrement.
- « Tu accepterais de partager la vie d'un modeste pilote qui ne mettra jamais les pieds dans une navette ?
- J'ai peur que tu sois malheureux.
- Je suis très malheureux que tu m'aies quitté. M'entraîner pour Delta III ne me faisait plus rien. J'ai besoin de toi.
- Je te demande pardon, je n'ai jamais voulu te faire de mal.
- Ce que tu as fait pour moi est magnifique. Mais ne recommence pas ! »
Ils se sourirent. Ils formaient de nouveau un couple. Willie fut pris d'une impulsion et se pencha vers elle, plongeant avidement dans ses yeux.
- « Si je quitte la NASA et que je retourne en Alabama, tu me suivrais ? »
Tori hésita brièvement. Elle n'avait jamais envisagé cette hypothèse. Mais elle fut emportée par la certitude de ne pouvoir vivre sans lui désormais.
- « Oui. Je te suivrais où tu voudras.
- Tori, veux-tu m'épouser ? »
Elle le regarda avec stupéfaction et sentit un frémissement d'effroi et de bonheur courir en elle.
- « Tu me connais à peine !
- Depuis un an. Je t'observe et je t'aime depuis un an, cela me suffit. Je te demande de croire à mon amour et de devenir ma femme. »
Il lui tendit la main, elle la prit et son visage refléta un grand bonheur.
-« Je t'aime, Willie. Je veux partager ma vie avec toi. »
Ils échangèrent un long baiser très tendre. Il la releva et l'embrassa encore.
- « Va dormir, ma chérie. Et promets-moi que tu ne changeras pas d'avis d'ici à demain matin.
- Je te promets que tu n'auras pas de mauvaise surprise !
- J'irais parler à ton père demain soir. Non, ne t'inquiète pas, je ne vais pas le frapper, juste lui demander ta main. J'imagine qu'il aime qu'on y mette les formes.
- Il ne va pas te féliciter.
- Je m'y attends. Je crois que cette scène sera très amusante. »
Tori éclata de rire. Willie la garda dans ses bras encore quelques instants. Il n'arrivait pas à la laisser partir. Quand il s'y résigna, il la suivit des yeux jusqu'à ce qu'elle passe la porte. Tori s'endormit avec peine, transportée par le bonheur de penser que Willie l'aimait et qu'ils ne se quitteraient plus. Un avenir nouveau s'ouvrait tout à coup devant elle, puisqu'elle avait toujours repoussé l'idée du mariage.
Quand Tori retrouva son père le lendemain matin, elle avait un air heureux qu'il remarqua tout de suite. Il n'eut pas de soupçon et pensa avec soulagement qu'elle se remettait de ses déboires sentimentaux. Tori ne lui parla de rien et partit normalement au centre spatial. Les astronautes travaillaient ce jour-là en apesanteur, et Tori ne les vit pas de toute la journée, ce qui lui laissa le temps de calmer les battements désordonnés de son coeur. Willie, de son côté, se concentra mieux sur sa tâche. Il se disait que c'était la première et la dernière fois qu'il accomplissait un travail d'astronaute, mais il ne ressentait aucune tristesse. Lorsqu'il termina et ôta sa combinaison, il vit Ken Martin qui discutait avec Dan Truman, le directeur de la NASA, à quelques mètres de lui. Il attendit qu'ils aient terminé et s'approcha de Ken. Celui-ci l'interrogea tout de suite :
- « Avez-vous trouvé des réponses à vos questions, capitaine ?
- Absolument, et des réponses parfaites. »
Ken sourit.
- « Etes-vous satisfait de votre entraînement ?
- Oui, mais il semble désormais que je ne serai jamais astronaute.
- J'en suis navré.
- Ne le soyez pas. Je gagne au change.
- J'en suis certain, et je m'en réjouis pour vous.
- Merci commandant. »
Ils se serrèrent la main. Ken pensa que Willie ignorait tout des les liens qui l'avaient jadis uni à Tori et qu'il ne devinait pas la souffrance qui le frappait en plein coeur, à ce moment même.
Les astronautes rejoignirent la salle de contrôle pour un briefing rapide, avec les ingénieurs. Pendant que Truman parlait, Willie et Tori ne se quittaient pas des yeux. A la fin de la réunion, Willie s'approcha de la jeune femme, sous les yeux interloqués de l'assistance.
- « Crois-tu que ton père soit chez lui ?
- Sûrement, dit Tori en consultant sa montre.
- Allons-y. »
Ils quittèrent la pièce ensemble. Les ingénieurs échangèrent un coup d'oeil. Ils trouvaient leur relation très compliquée. Les deux jeunes gens rejoignirent la banlieue de Timber Cove. Tori sortit sa clé et ouvrit la porte d'entrée.
-« Papa ! lança-t-elle. Tu as de la visite ! »
Richard Spandau se leva de son fauteuil et eut l'air très surpris de voir Willie venir à sa rencontre. Tori esquissa un sourire et dit :
- « Je vous laisse.
- Je vous préviens, capitaine Sharp, que je n'ai pas l'intention de discuter avec vous de la sélection ou de la non-sélection des astronautes, dit d'emblée le directeur des vols.
- Je ne viens pas pour cela, mon général.
- Ah non ? »
Willie réprima un sourire devant le trouble de son supérieur.
« J'ai l'honneur de vous demander la main de votre fille. »
Spandau ne manifesta aucun sentiment. Il resta impavide et froid. Willie soutint son regard.
-« Asseyez-vous, capitaine », dit-il enfin.
Les deux hommes prirent place face à face. « Le combat va commencer », songea Willie, et il se sentit prêt.
- « Naturellement, Tori est au courant de votre démarche ?
- Je me suis permis de lui faire directement ma demande.
- Et elle a accepté ?
- Oui.
- Pardonnez mon indiscrétion, mais je vous croyais séparés.
- Plus depuis hier soir. »
Spandau fixa le pilote et martela :
- "Ne croyez pas que je changerais d'avis à votre sujet. Si vous persistez à rester avec ma fille, vous ne serez jamais astronaute !
- Je l'ai bien compris. Je vous assure que je ne suis pas avec Tori par intérêt, mais je sais que vous ne me croirez pas. Gardez votre opinion, vous ne pourrez plus nous séparer.
- Vous renoncez donc à une carrière dans la NASA ?
- Je ne renonce pas. Je continuerai à me battre pour être le meilleur pilote. Vous n'aurez pas d'autre motif de m'écarter que celui de votre antipathie pour moi. »
Ils s'affrontaient du regard, avec la même détermination. Il y eut un long moment de silence. Tori revint dans la pièce, un peu inquiète. Son père se tourna aussitôt vers elle.
- « Tori, tu as bien réfléchi ?
- Papa, s'il te plaît...
- Vous vous connaissez à peine. C'est beaucoup trop soudain.
- Tu as épousé maman six mois après l'avoir rencontrée.
- Ma chérie, ne me laisse pas seul, supplia Spandau qui eut soudain l'air très ému. Je ne pourrais pas me débrouiller sans toi. »
Tori resta interdite, et ses yeux reflétèrent l'angoisse. Willie intervint :
-« Naturellement, vous verrez Tori aussi souvent que vous voudrez, et elle pourra s'occuper de vous comme avant. Je ne vous séparerai pas. »
Elle lui sourit tendrement, et il résista à l'envie de l'embrasser tout de suite. « Je le fais pour toi », disaient ses yeux. Spandau sentit qu'il était vaincu. Il dit enfin :
- « Même si je vous dis que je suis contre ce mariage, ça ne vous arrêtera pas, n'est-ce pas ?
- Alors j'ai ta bénédiction ? interrogea Tori.
- Tu as ... ma permission.
- Merci, mon général », conclut Willie en se levant, sans tendre la main.
Tori l'accompagna jusqu'à la porte. Willie sortit de sa poche un écrin et le lui tendit. Souriante, elle l'ouvrit et découvrit la bague ornée d'un diamant. Les yeux brillants, elle le remercia d'un fougueux baiser. Son père les regardait depuis le couloir, le visage fermé.
TBC
