Voilà le nouveau chapitre ! Merci à ceux qui me suivent dans cette histoire, et aux quelques curieux qui prennent le temps de me lire :) Ce chapitre marque le début des choses sérieuses, en particulier pour l'un des personnages... Bref, ça avance tranquillement, mais sûrement. N'hésitez pas à commenter !
Sur ce, bonne lecture !
Chapitre 5
Il pleuvait lourdement lorsque le taxi se gara devant les portes de l'institut psychiatrique. À peine Tomie mit-elle un pas dehors que le vent cingla son visage comme une paire de gifles. La nuit tombante donnait à l'édifice un air lugubre qui s'accentuait avec la tempête naissante.
– Ne trainons pas », lança Ango en l'abritant du mieux possible sous son parapluie balloté par les rafales.
– Tu viens aussi ? » demanda-t-elle.
– Juste ce soir…
Sakaguchi Ango.
Avec son costume brun trop grand et ses lunettes trop rondes, il avait l'air d'un rat de bibliothèque qui n'osait se confronter au monde qu'à travers les livres. Et Tomie s'aperçut très vite que sa première impression n'était pas si éloignée de la vérité.
Elle aimait la maladresse d'Ango. Sa susceptibilité. Cette nervosité persistante qui le faisait transpirer sous ses costumes impeccables. Son génie, elle le laissait aux autres, aux grands qui s'en faisaient un outil. Elle n'en avait jamais eu besoin.
Tomie avait trouvé en la personne d'Ango un ami et confident. Elle n'avait jamais eu peur de venir le trouver, lorsqu'il terminait tard le soir et s'écroulait presque de fatigue sur le perron du ministère, pour lui prêter son épaule et le laisser s'y appuyer un peu. Des deux, elle était la plus solide et lui le plus malin. Ça avait toujours été comme ça, et ça ne leur avait jamais posé problème. Elle le savait sensible, et lui trop imprudente. C'est pourquoi sans même sans rendre compte, avec l'automatisme et le naturel des amitiés qui vont de soi, ils avaient décidé de compter l'un sur l'autre sans rien demander en retour. Ça avait fonctionné pendant un an, peut-être un peu plus, jusqu'à ce que son monde à elle disparaisse brutalement et se mette à s'effriter comme un mur de sable.
Sakaguchi Ango était revenu avec son costume trop grand et ses lunettes trop rondes. Il sentait toujours le tabac et la poussière des pages boucanées jusqu'à l'usure mais elle, elle ne voyait plus en lui qu'un étranger.
Sakaguchi Ango était mort avec ce qui restait d'elle, même si lui, on ne l'avait jamais tué.
– Juste une…
Malgré la pluie et le froid qui le faisait trembler sous son imperméable, le petit fonctionnaire la laissa terminer sa cigarette avec une patience résignée.
– Je ne savais pas que tu fumais.
– Disons que j'ai pris le relai puisque toi tu as arrêté.
– Comment tu sais ?
– L'odeur de tabac sur tes vêtements n'est pas la tienne.
– Ah ? » dit-il en écartant le col de son manteau pour renifler celui de sa chemise.
– Ne cherche pas… Je sais que les employés du ministère fument comme des pompiers.
– C'est vrai…
Toujours ce sens démentiel de l'observation. Bien que cette capacité l'ait toujours pris au dépourvu, Ango était heureux que la jeune femme ait au moins gardé une part de ce qu'elle était avant. Juste une. Quant au reste… Il sortit son whisky de poche et but une gorgée pour ne pas y penser.
– Ah ça c'est nouveau », fit remarquer Tomie en désignant la petite bouteille en étain qu'il serrait entre ses doigts.
– Après le tabac l'alcool…
– Et ensuite le sexe.
– Pour qui tu me prends ?
– Un homme tout ce qu'il y a de plus humain. Depuis quand tu n'as plus touché une femme ?
Sa vision se brouilla et il sentit le sang lui monter aux joues.
– Je… je…
La lumière d'un néon sali par l'usure, dans la chaleur d'une journée d'été. Cette odeur de corps et de naphtaline qui semblait avoir imprégné jusqu'aux murs…
– Comment s'appelait-elle ?
– Daphnée…
Il n'y était allé qu'une seule fois, quelques mois après le départ de la jeune femme pour Tokyo. Le rouge des tentures et le dessin de ses formes qui apparaissaient sous les lingeries transparentes, il s'en souvenait comme s'il les avait encore sous les yeux. C'était un plan de Dazai, au temps où il bossait pour la mafia. Lui et Nakahara s'y faisaient une sortie de temps à autre pour s'amuser, bien qu'à sa connaissance, Dazai n'ait jamais consommé. Il se contentait de siroter un verre de sake pendant que son acolyte faisait résonner toute la maison close des cris de sa partenaire. Après une journée particulièrement chargée et une grosse frayeur qui avait failli lui couter la vie, Ango avait finalement accepté de les y accompagner. Oda ne fut pas de la partie, trop attaché à ses principes, et lui avait tenté de soulager sa conscience en se répétant que ce n'était là qu'un moyen de s'intégrer d'avantage à la mafia et de se perfectionner dans son rôle d'agent double. Mais après quatre verres de sake, et certainement poussé par Dazai, il avait fini par céder aux avances de Daphnée, aussi surnommée le lotus, pour une raison qu'il avait tôt fait de découvrir. Daphnée, c'était l'odeur du parfum bon marché, le rose un peu délavé d'un soutien-gorge, des lèvres aussi douces qu'un pétale de fleur, et le plaisir de s'oublier l'espace d'une nuit. Rien que d'une nuit…
– C'était bien ?
– Je… quoi ?!
– Tu es tout rouge.
Elle souriait, de ce sourire carnassier et presque malsain qu'elle adoptait désormais comme un masque. Tomie souriait aussi avant, et elle riait, d'un rire simple, franc, clair comme le son d'une cloche. Peut-être était-ce l'éclat des joues et des lèvres de Daphnée qui faisaient ressortir davantage encore la grisaille de son teint. Ango plissa les yeux, à la recherche de son visage qui se détachait à peine du crépuscule et se fondait avec la nuit naissante comme s'il en faisait partie. Il s'aperçut soudain qu'il s'était rapproché de son ancienne acolyte, et avait doucement saisi son avant-bras.
– Ne pars plus… », parvint-il à dire.
– Dis ça à des femmes comme Daphnée » répliqua-t-elle sèchement en se dégageant.
Son regard était froid comme la glace.
Sans un mot, Tomie jeta son mégot et se dirigea vers l'entrée, où un infirmier les attendait. Ango réalisa quant à lui qu'il l'avait belle et bien perdue, et que rien ni personne ne pourrait lui ramener la Tomie qu'il avait aimée.
– Fais voir.
Atsushi tendit maladroitement les quelques notes qu'il avait prises aux archives et laissa Kunikida les passer au crible de son œil expert.
– C'est tout ?! Il n'y avait rien d'autre ? » marmonna ce dernier après seulement quelques secondes.
– Rien… on a cherché partout, on a même demandé, mais les archives ne mentionnent qu'un accident, et la date du décès.
– C'est fâcheux.
Atsushi sentit ses épaules se raidir et ne put s'empêcher de baisser la tête en envoyant un regard désolé à son collègue.
– Je n'ai pas été très utile sur ce coup-là…
Kunikida le fixa sans surprise, désormais habitué aux tendances dépréciatives du jeune homme.
– Tu as fait ton boulot », dit-il simplement. « Kyouka n'est pas avec toi ? »
– Je voulais l'emmener aux archives, mais Yosano tenait absolument à faire son shopping avec elle.
– Ah oui, nous sommes lundi… remarque il vaut peut-être mieux qu'elle ne fréquente pas trop ce… genre d'endroit.
Dozen les avait emmenés dans la partie la plus ancienne de l'institut, réservée aux conférences et à la recherche, et de ce fait interdite aux patients, mais même ici, l'odeur de détergeant était omniprésente. Atsushi était arrivé en milieu d'après-midi, et les trois agents avaient demandé à rester seuls un moment pour pouvoir faire le point sur les derniers événements.
– C'est quand même très louche cette histoire de dossier », réfléchit le jeune détective. « Et qu'a fait Dozen après ça ? »
– Il nous a rapidement évoqué ce que le dossier contenait mais il ne se rappelait plus des détails. Cela concernait apparemment le cas d'une jeune femme atteinte des mêmes symptômes qu'Akechi-san. Elle serait restée enfermée pendant plusieurs mois dans son délire avant de se donner la mort.
– Vous pensez que c'est ce qui aurait pu arriver à Akechi ?
– Si c'était le cas nous aurions retrouvé son corps.
– À la bonne heure ! » s'exclama Dazai, jusqu'alors silencieux, les yeux rivés sur la fenêtre. « Nous avons de la visite ! »
Et comme pour confirmer ses dires, un léger frappement vint résonner contre la porte, avant que celle-ci ne s'ouvre sur les silhouettes de Dozen, Tomie Yamazaki, et d'un homme en costume brun et au yeux cerclés de grosses lunettes.
– Sakaguchi Ango », se présenta-t-il. « Agent spécial au bureau du ministère. J'aimerais faire le point avec vous sur les premiers résultats de l'enquête. »
Deux infirmiers suivirent les nouveaux venus, et installèrent sur la table un plateau chargé d'une théière, de six tasses et d'une assiette de gâteaux.
– Si cela ne vous gêne pas, j'aimerais assister à votre premier rapport », lança Dozen. « Il s'agit tout de même de mon patient. »
– Je vous en prie » acquiesça Kunikida tout en adressant un coup d'œil à Dazai qui hocha discrètement la tête.
– Nos premiers résultats sont plutôt maigres », déclara l'agent, une fois tout le monde assis. « Kogoro Akechi a disparu de sa cellule il y a quatre jours, entre minuit et une heure du matin. Nous savons que l'infirmer chargé de surveiller le couloir y donnant accès s'était absenté quelques minutes pour… disons… prendre du bon temps avec une patiente. Un autre infirmier a également avoué qu'il n'avait pas administré à Akechi-san sa dose de calmants ce soir-là, afin de la vendre au marché noir. Les deux suspects sont actuellement en garde à vue, mais leur interrogatoire ne nous a rien appris de plus. D'après les rapports médicaux, et dites-moi Dozen-san si je me trompe, Kogoro Akechi semblait souffrir d'une sorte de délire hallucinatoire dans lequel des espèces de monstres voulaient le poursuivre. »
– Des papillons », corrigea Tomie. « Il voyait apparemment des papillons. »
– C'est exact. Il apercevait également sa femme, décédée dans un incendie il y a de cela plusieurs années, et un… un monstre, qui voulait apparemment le tuer, c'est ça docteur ?
– Oui. Akechi-san était persuadé que cette créature voulait s'en prendre à lui. Il la décrivait comme un grand homme en noir qui sortait des nuées de papillons.
– Ces papillons qu'Akechi-san voyait », intervint Tomie. « C'était bien des papillons de nuit ? »
– Oui, mais je ne vois pas en quoi c'est important…
– Pour rien, c'est juste pour m'aider à me représenter la chose.
– Bien », reprit Kunikida. « Nous avons fouillé la cellule du patient mais n'y avons rien trouvé. Le seul élément notoire était une étrange odeur qui le suivait apparemment et l'a obligé à changer trois fois de cellule. »
– Et vous oubliez les notes », signala Dozen.
Les notes codées trouvées sous le matelas. Dommage. Kunikida s'était mis d'accord avec Dazai pour les cacher encore quelques temps au ministère et à Yamazaki.
– Nous avons trouvé des notes, griffonnées à la hâte sous son matelas, mais nous en ignorons le sens. Nous ne savons pas non plus comment le patient aurait pu se procurer du papier et un crayon, puisque selon Dozen-san, il n'était pas censé en avoir en sa possession. Plusieurs autres soignants l'ont confirmé.
– Je peux voir ces notes ? » demanda tout à coup Tomie dont le regard venait de s'allumer d'une étrange lueur.
– Nous les avons remises à l'un de nos agents pour les décoder, mais nous vous tiendrons au courant dès qu'il les aura déchiffrées.
– Et comment le personnel décrivait-il Akechi-san », s'enquit Ango sans détacher les yeux de son calepin.
– Comme quelqu'un de très perturbé et de sans arrêt effrayé », répondit Dozen. « Dans ses moments de lucidité, il était apparemment quelqu'un de jovial et d'attentif aux autres. Les aide soignants ne le décrivent pas en tout cas comme quelqu'un de violent, mais plutôt comme un perpétuel angoissé. »
– A-t-il eu un comportement inhabituel au cours des derniers jours ?
– Pas vraiment. Même s'il semblait effectivement plus angoissé que d'ordinaire. Il avait demandé à ce qu'on double la dose de calmants la nuit pour l'aider à dormir.
– Donc il avait conscience de son délire ?
– Ça dépendait des moments… là nous étions dans une phase d'entre-deux, mais ce n'était pas la première fois.
– Je vois.
– Nakajima Atsushi, ici présent », reprit Kunikida, « a aujourd'hui consulté les archives au sujet de la mort de la femme du patient. Elle serait morte dans un incendie provoqué par une explosion de gaz dans l'immeuble d'à-côté. Akechi-san n'était pas présent lors des événements. »
– On l'a tuée », le coupa Tomie.
– Pardon ?
Son regard gris se leva vers lui et le fixa sans ciller. Kunikida déglutit malgré lui.
– Akechi était persuadé qu'on avait assassiné sa femme. Que la fuite de gaz n'avait pas été provoquée par accident. Cette idée l'obsédait.
– Donc vous suggérez qu'il avait commencé à perdre la raison à cause de la mort de sa femme ? » demanda Dozen.
– Ce n'est pas ce que j'ai dit. S'il y avait eu accident, Akechi l'aurait accepté, mais il avait flairé autre chose.
– Qu'est-ce que ça change ? » intervint pour la première fois Dazai.
– Ce n'est qu'un détail.
Le regard qu'il s'adressèrent n'échappa pas à Kunikida qui vit dans celui de Tomie une haine si pure qu'elle en était presque palpable. Dazai feignit l'indifférence, mais il avait vu la lumière qui avait traversé ses yeux. Comme s'il la défiait…
Des papillons de nuit, une épouse assassinée, des infirmiers négligents et un monstre tout droit sorti d'un conte pour enfant… voilà de quoi lui provoquer une belle insomnie.
Des affaires étranges ou tordues, Ango en avait vues, et même résolues, mais jamais de cette ampleur. La disparition de Kogoro Akechi accumulait un tel nombre d'incohérences et de bizarreries qu'elle semblait tenir à la fois du roman policier et du conte horrifique. Ango frissonna en essayant de se représenter cet être en noir entouré de ses nuées de papillons. Il avait toujours détesté les insectes.
Une fois le point sur l'affaire terminé, il avait demandé à ce qu'un infirmier le raccompagne à l'entrée de l'institut pour attendre son taxi. Tomie ne lui avait alors adressé qu'un léger signe de main, pas même un regard, avant qu'il ne la laisse avec les détectives armés.
– Allez ! » s'encouragea-t-il en bravant le froid et la pluie, de plus en plus forte. « Plus qu'à faire ton rapport à Santouka et tu pourras rentrer chez toi ! »
– Ce sera une première ! » ironisa une voix familière dans son dos.
La silhouette de Dazai émergea de l'obscurité et son visage, éclairé par la braise d'une cigarette, semblait encore plus lugubre qu'aux temps de la mafia. « On ne te paye plus tes heures supplémentaires ? »
– Bien sûr que si » rétorqua Ango. « C'est juste qu'avec Tomie dans les parages, je suis déchargé d'une certaine quantité de travail. »
– J'étais sûr que vous travailliez ensemble.
– On essaie…
Le clapotis de l'eau sur le sol et contre les murs fut leur seule parade au silence qui s'était insinué entre eux.
– Tu la connais depuis combien de temps ? » murmura finalement Dazai.
– Depuis qu'elle est sortie de l'école de police.
– Je te savais capable de bien mentir, mais pas à ce point…
– Qu'est-ce que tu veux dire ?
– Avoir sympathisé, accepté de boire des coups, joué à l'amitié tout en sachant ce que je lui avais fait, c'est du grand art.
– C'est parce que je savais qu'elle était toujours en vie.
– Pourquoi tu n'en as pas profité dans ce cas ? Pour me blesser ? Me tuer ? Tu aurais pu avoir ta vengeance, et tu n'as rien fait pour ç…
À son regard, Ango su que Dazai avait compris.
– Donnant donnant », dit-il, tandis qu'une violente rafale balayait les feuilles mortes et fit voler les pans de leurs imperméables.
Du sang. Du sang partout. Sur ses mains, sur ses genoux.
Dans la lumière du crépuscule, le garçon serrait une dernière fois contre lui le corps de celui qui fut son seul et véritable ami. Et lui l'avait regardé. Il avait regardé la détresse dans ses yeux, les tremblements dans ses mains, la sueur qui roulait sur ses tempes. Il avait écouté la panique dans sa voix, sa respiration sifflante et saccadée tandis qu'Oda Sakunosuke rendait son dernier souffle. Mais il n'avait senti rien d'autre qu'un goût de bile dans sa gorge.
Ango n'avait jamais souhaité la mort d'Oda. Ou du moins si, au début, avant de comprendre qu'il était en train de sacrifier un homme bien. Ougai en avait fait un pion maitre dans sa quête de pouvoir. Lui l'avait bien compris, mais l'avait laissé faire après avoir vu le lien qui unissait le mafieux à Osamu Dazai.
Du sang, du sang partout. Sur ses mains, sur ses genoux.
Osamu Dazai n'avait longtemps été qu'un nom récurrent dans ses registres et les rapports qu'il classait méthodiquement, avant de devenir le visage d'un monstre et d'un assassin.
Ce jour-là, Ango n'avait même pas eu le temps de crier. Il avait vu Dazai sourire alors qu'elle était à terre, à ses pieds, couverte de fioul, et redressait face à lui son visage trempé de larmes et de sang.
Du sang. Du sang partout. Sur ses mains, sur ses genoux.
Une étincelle s'était alors échappée de ses doigts et tout avait pris feu. Tout. Le monde n'avait été qu'un immense charnier mû par le bruit et la fureur, un trou noir où seule la folie avait encore sa place.
Ce jour-là, Osamu Dazai avait assassiné de sang froid Tomie Yamazaki, ainsi que ses deux supérieurs hiérarchiques.
Ce jour-là, et contre toute attente, le petit gratte-papier aux lunettes rondes devint aussi le meilleur agent double du ministère.
Ango avait œuvré pendant deux ans dans le seul but de se venger, mais la mort de Sakunosuke Oda n'avait fait qu'accroître ce poids tapi tout au fond de lui, et qui le rongeait comme un cancer. Parce que cette mort, il n'en avait pas voulue. Parce qu'il avait sacrifié un homme de bien pour un démon qui s'efforçait de devenir un ange.
– C'est… c'est toi qui a…
Fait très rare, la voix de Dazai s'était mise à trembler.
– J'ai tout fait pour empêcher ça, mais la machine était déjà lancée, et je ne pouvais plus l'arrêter…
Soupir, et le silence envahit de nouveau la nuit. En pivotant, Ango vit l'ancien mafieux souffler un nuage de fumée dans la pénombre montante, les yeux levés vers le ciel.
– On ne peut pas changer le passé », dit-il simplement.
– Montrez-moi les notes.
Kunikida sentit son visage se crisper avant d'agiter la tête et de lever les mains dans un signe d'impuissance.
– Je vous l'ai dit », lança-t-il avec calme. « Nous les avons remises à l'un de nos agents. »
– Edogawa Ranpo ? Je l'ai eu au téléphone tout à l'heure. Il ne les a pas.
Cette fois l'agent ne put dissimuler sa confusion.
– C… comment avez-vous su ? » balbutia-t-il.
Atsushi observait l'échange avec un visage interdit. Tomie lui inspirait visiblement une fascination mêlée de répulsion.
– Je vous ai vu remettre les notes à Dazai hier. Je me doutais qu'il les garderait, mais j'ai quand même pris la peine de vérifier, et votre Ranpo ment vraiment trop mal pour ne pas se faire avoir. Avec ça, vu la tête que vous tirez, je pense que Dazai les a toujours sur lui mais qu'aucun d'entre vous ne sait quoi en faire.
– C'est… vraiment très impressionnant » admit Kunikida.
Une goutte de sueur ruisselait le long de sa tempe.
– Vous pouvez me faire confiance », reprit-elle en plongeant ses pupilles grises dans les siennes. « Moi non plus je n'ai pas tout révélé à Ango. »
– Vous êtes du ministère pourtant.
– Oui, mais je pense que l'on me cache des choses là-bas, notamment à propos d'Akechi. Faisons un marché voulez-vous ?
– Dites toujours.
– Vous me donnez les notes et je vous montre ce que j'ai trouvé, dissimulé dans le parquet de Kogoro Akechi.
Un amas de chiffres, de lettres, une combinaison incompréhensible de différents alphabets, c'est là tout ce que Tomie put tirer des feuillets que Dazai consentit à lui remettre.
– Ça n'a aucun sens » finit-elle par admettre sous le regard attentif des trois détectives.
– J'ai planché toute la nuit dessus », maugréa Dazai avec un air exagérément affligé. « S'il était possible d'en dégager quelque chose au premier coup d'œil je l'aurais quand même vu. »
Certes.
Ses doigts se crispèrent tandis que ses yeux parcouraient une nouvelle fois les notes sans y trouver le moindre indice. L'écriture était celle d'Akechi, cela ne faisait aucun doute, mais quant au sens…
– Il y a plus étonnant encore », dit Kunikida en s'avançant vers elle. « Ces feuillets ne sont pas ceux que nous avons trouvés hier dans la cellule d'Akechi. Ils proviennent du bureau du docteur Dozen. »
– Comment ça ?! » s'exclama Atsushi, dont l'étonnement redoubla celui de la jeune femme.
– Dazai et moi avons fouillé son bureau pendant qu'il s'absentait, et voilà ce que nous y avons trouvé !
– Ce n'est pas une copie pourtant », s'étonna Tomie. « Les notes ont été prises au crayon de papier. C'était le cas des autres feuilles ? »
– Oui », répondit Dazai. « Et les suites sont exactement les mêmes, à l'exception d'un détail. »
Sans trop s'approcher, il désigna le bas de la dernière page.
– C'est une adresse…
– Elle remplace le message « run away ».
– Et vous comptiez m'en informée un jour ?
Les deux détectives se concertèrent et le regard qu'ils échangèrent ne laissa pas de place au doute.
– Pas vraiment… » admit Kunikida.
– Pour la peine », reprit Tomie, en saisissant son sac à main et en récupérant la boîte à musique qui se trouvait à l'intérieur. « Voilà ce que j'ai trouvé chez Akechi. J'ai dû démonter le parquet pour mettre la main dessus. »
Pendant que les trois détectives examinaient l'objet, elle se replongea dans l'étude des feuillets laissés par son mentor. Certains signes étaient bien en kanjis, mais d'autre en alphabets latin, arabe , cyrillique ou encore grec C'était à n'y rien comprendre. Tomie se souvenait d'Akechi comme d'un homme cultivé et curieux, mais il était loin d'être un expert en linguistique et encore moins en cryptographie. Les codes étaient d'ailleurs ce qu'il détestait le plus, et il avait pris l'habitude de tous les refourguer à un expert qu'il s'était dégoté sur le marché noir.
– Mais oui ! » s'exclama-t-elle, s'attisant par la même l'attention de Kunikida, Atsushi et Dazai.
– Oui quoi ?… » demanda le premier.
– Je sais qui peut nous déchiffrer ça !
– Sérieusement ?!
– Oui ! J'espère juste qu'il est encore en vie…
– Comment ça ?
– Ba c'est que… même à l'époque, il n'était plus de la première fraîcheur…
– Je vois… et sinon pour ce truc », il saisit la boîte à musique. « Qu'est-ce que ça veut dire ? On a indice ? On sait au moins d'où ça vient ? »
– Non. Je n'ai trouvé aucun artisan qui utilise ce poinçon. Quant à la boîte elle-même, un expert m'a dit qu'elle devait avoir dans les cinquante ans, mais je n'en sais pas plus, et je n'ai aucune idée des raisons pour lesquelles Akechi gardait cet objet chez lui. Mais une chose est sûre, il a pris toute les précautions pour que personne ne la découvre jusqu'à aujourd'hui.
– Personne à part vous », fit remarquer Atsushi.
– Akechi avait confiance en moi. Il savait que je la trouverai.
– Et il devait savoir que vous connaissiez la personne capable de déchiffrer ça », poursuivit Kunikida. « Il faut trouver cet individu le plus vite possible. »
– Laissez-moi les notes et je m'en charge dès demain.
– J'appelle un taxi ! » lança Atsushi en s'élançant dans le couloir.
– La société est formelle » leur affirma l'infirmer avec son teint cireux et son haleine mentholée. « Pas de taxi avant que la tempête ne se soit calmée. »
Dehors, la pluie cinglait les vitres avec une violence presque agressive, et le vent faisait trembler les charpentes de tout l'institut. Dans les couloirs tout blancs, quelques fous s'étaient mis à hurler.
– Ne me dites pas qu'on va devoir rester là… » gémit Atsushi.
– Dozen-san a fait installer des lits dans la salle de conférence où vous vous trouviez tout à l'heure. Elle est chauffée et vous y serez à l'écart des patients.
– Trop aimable », maugréa Dazai en se grattant la tête.
– De toute façon nous n'avons pas le choix », conclut Kunikida. « Ce n'est qu'une nuit après tout… »
– Ce n'est qu'une nuit », répéta Tomie.
– Dozen-san m'a dit qu'il vous réservait un cabinet si vous désiriez plus d'intimité », reprit l'infirmier avec un étrange regard.
– Merci, mais je préfère encore rester avec ces messieurs.
– Sage décision… » souffla Kunikida.
De retour dans la salle boisée où ils avaient passé une grande partie de l'après-midi et de la soirée, tous les quatre acolytes découvrirent qu'un feu avait été allumé dans la cheminée, et crépitait joyeusement aux côtés d'une marmite fumante.
– Nous n'avons malheureusement que des restes à vous proposer, mais la soupe est chaude et date d'aujourd'hui.
– Ça fera l'affaire, merci.
Quatre lits de camp les attendaient, alignés devant la cheminée, chacun flanqué d'un oreiller et d'une couverture.
– Dozen s'occupe de ses patients je suppose ? » demanda Tomie.
– En effet.
– Vous le remercierez pour nous.
– Mais très certainement.
Ils dînèrent dans un silence morne, seulement rythmé par le crépitement du feu et de la pluie contre les carreaux. Parfois, une rafale faisait trembler les vitres ou claquer un volet, occasionnant un sursaut à Atsushi, dont les regards anxieux n'échappèrent à personne.
– Tu es inquiet pour Kyouka ? » demanda finalement Dazai.
– Oui… je lui ai envoyé un message, mais je n'aime pas la laisser toute seule le soir.
– Allons bon, elle pourrait affronter une armée de psychopathes sans lâcher une goutte de transpiration !
– Je sais… mais il lui arrive d'avoir des idées noires quand elle est toute seule…
– Ce n'est qu'une nuit », répliqua l'agent. « Elle s'en sortira très bien. »
– C'est pourtant vous qui m'avez demandé de la protéger…
– Tâche dont tu t'es parfaitement acquitté jusqu'à maintenant ! Mais si ça peut te rassurer, j'appelle Yosano.
– Je crois que c'est mieux…
Dazai qui s'inquiétait pour une petite fille… On avait tout vu.
Tue-le.
Une nuit dans la même pièce que lui, en pleine tempête, c'était l'occasion rêvée.
Tue-le.
Tomie serra très fort le manche de sa canne et la lame qui se trouvait à l'intérieur. Ça ne servirait à rien de le tuer maintenant. Pas avant de savoir ce qu'il était advenu d'Akechi. Par ailleurs… elle avait le sentiment qu'un meurtre trop propre et trop rapide ne conviendrait pas à un individu tel que lui. À elle non plus du reste. Elle voulait le voir souffrir. Souffrir. Souffrir. Souffrir. Autant qu'elle avait souffert. Les années dans la grisaille, la solitude, l'horreur lorsque dans un moment de lucidité, elle ne se voyait plus que l'ombre d'elle-même…
Je te hais.
Ce maudit sourire qui ne disparaissait jamais et qu'il arborait toujours et plus que jamais… Pourquoi fallait-il que lui, la vie l'ait épargné ?…
Tomie étouffa un cri lorsqu'une douleur aiguë traversa sa jambe gauche. Elle réalisa soudain que son front s'était couvert de sueur et que ses mains tremblaient.
– Excusez-moi », marmonna-t-elle en se trainant hors de la pièce, le dos droit et la démarche raidie par la douleur.
L'infirmer leur avait indiqué la présence d'une salle d'eau au bout du couloir. Les dents serrées, Tomie glissa sa main libre dans l'une de ses poches et en sortit un boitier en étain qu'elle serra très fort contre sa poitrine.
Pas maintenant bordel…
Des crises, voilà quelques semaines qu'elle n'en avait pas eues, mais il semblait que l'exercice physique ne lui réussisse pas… Lorsqu'elle atteignit enfin la porte des toilettes, la jeune femme s'assura que le verrou soit bien fermé avant de se laisser glisser par terre, sur le carrelage gris et glacial. Le souffle de plus en plus court, elle ouvrit la boîte et en sortit une seringue qu'elle remplit d'un liquide transparent, avant de l'injecter sans préambule dans sa cuisse. Son collant fut percé dans l'opération, mais peu lui importait. La douleur fut sans précédent et lui arracha un cri rauque, avant qu'un froid ne se répande à l'intérieur de sa jambe. Alors seulement, elle se rendit compte que ses cheveux collaient de sueur sur son front, et que ses joues étaient humides de larmes. Incapable de se maitriser davantage, Tomie laissa échapper un long sanglot et replia sa jambe valide contre son visage. Voilà ce que cachait son masque moqueur et ses silences, ce qu'Ango s'obstinait à ne pas comprendre. Voilà tout ce qui restait d'elle. Un amas de chair que seule la drogue savait apaisée. Une conscience brisée par la douleur.
Alors, quand le cri résonna dans le couloir qui menait aux toilettes, elle crut que ça aussi, c'était dans sa tête.
– Compte sur moi », dit simplement Yosano avant de raccrocher.
L'efficacité était une qualité que Dazai appréciait particulièrement, et que la jeune médecin maitrisait à merveille. Pas besoin de blabla ou d'épanchements. Action, réaction. Au fond, il n'y avait qu'Atsushi qui n'avait pas encore intégré ce mécanisme à l'Agence des détectives armés, mais c'est ce qui lui donnait aussi son charme.
« Bien qu'une paire de gifle ne serait pas de trop parfois… » songea Dazai en se remémorant la dernière crise de nerfs du jeune homme.
Si tu commences à remettre en cause ta propre existence, ta vie deviendra un véritable enfer.
La vision du visage couvert de larmes de son protégé l'avait étrangement marqué. Ce n'était pas de la pitié, non, et encore moins de l'empathie. C'était comme s'il avait vu dans un miroir le reflet de son propre cœur. Il avait détesté ça. Au moment où Atsushi s'était effondré tout tremblant à ses pieds, il l'avait haï plus que tout au monde, tout comme il l'avait haïe elle, lorsqu'elle l'avait supplié de l'épargner.
Arrête de me regarder comme ça.
Son regard de merlan frit et son sourire si bienveillant, mon dieu ce qu'il les avait détestés et ce qu'il les détestait encore. Rien qu'à la voir, Dazai avait envie de vomir.
– Bien ! » clama-t-il tout haut en reprenant le chemin de la salle de conférence.
Il avait carrément dû retourner dans le hall d'entrer pour pouvoir appeler Yosano. Impossible de capter sinon. Et ce n'est pas comme si l'idée de passer une nuit forcée dans un asile de fous l'enchantait.
Au détour d'un couloir, un gémissement résonnait parfois, suivi d'une plainte étouffée, comme une mélodie macabre à laquelle on ne prête même plus attention. Le bruit d'un ustensile, le juron d'un infirmier et le roulis du chariot de service se frottaient de temps en temps au silence profond des couloirs tandis que là-bas dehors, le vent hurlait à s'en briser les cordes vocales. Il y avait là de quoi tourner un bon film d'horreur…
En évitant un brancard laissé à l'abandon, Dazai vit soudain son regard attiré par une forme noire, diaphane, et tourna la tête lorsque la lumière s'éteignit brusquement.
– Eh merde…
L'installation électrique devait bien dater de l'avant-guerre… pas étonnant que les plombs aient sauter.
Un grondement résonna dehors. L'orage.
– Pas de doute, on est bien dans un film d'horreur.
Sans perdre son calme, l'agent sorti son portable et activa l'option lampe de poche, illuminant ainsi une partie du couloir d'un faisceau blanchâtre. Il avança de quelques pas, avant qu'un léger bruit ne fasse frémir son oreille, et n'attire de nouveau son attention vers les ombres qui l'entouraient. Un chuchotement, ou un frottement… non. Ses doigts tressaillirent.
Un battement d'ailes.
D'un mouvement sec, il braqua la lampe sur l'autre extrémité du couloir. Rien. Et pourtant… le son était bien là, tout proche, quelque chose qui grouille. Juste à côté !
Dazai braqua cette fois le faisceau de son portable sur le mur et étouffa un cri.
Des papillons.
Des centaines de papillons.
Agglutinés les uns contre les autres.
Des papillons de nuit.
Akechi n'avait donc pas rêvé. Akechi n'était pas fou !
Soudain fébrile, Dazai recula et attendit de s'être suffisamment éloigné pour se retourner et commencer à courir.
Il y avait définitivement quelque chose de louche. Et ce n'était pas dans la tête d'Akechi. Il en était désormais certain !
Son pieds buta soudain contre un objet qui fut propulsé en avant et ricocha contre un mur. L'écho sembla résonner dans tout l'édifice, avant que le silence n'envahisse de nouveau l'espace jusqu'au plafond. Dazai n'entendit alors que sa respiration, et baissa lentement les yeux. Dans le faisceau de sa lampe gisait la boîte à musique que Yamazaki leur avait montrée, le couvercle ouvert, et le mécanisme à moitié cassé par l'impact.
Quelqu'un jouait avec eux.
Tout en jetant un œil alerte autour de lui, Dazai s'approcha lentement et tendit la main vers l'objet. À peine ses doigts l'eurent-ils frôlé que le mécanisme s'activa et laissa s'échapper une mélodie. Elle était désaccordée à cause du choc, mais l'on pouvait tout de même en deviner les notes, le timbre, et…
Il n'est que seize heures et dans le gris de l'hiver sa voix…
Dazai étouffa un gémissement lorsque ses oreilles commencèrent à siffler.
Sa voix comme un voile de givre et de lumière…
Il sentit ses genoux percuter le sol sans comprendre pourquoi il était tombé, les mains sur le crâne pour l'empêcher d'exploser.
Sa voix n'existe plus…
Une goutte de sueur roula sur sa tempe et lorsqu'un éclair fendit le ciel, il eut l'impression qu'une flèche de glace s'était fichée entre ses yeux.
À la place et dans sa bouche…
Il redressa la tête en l'entendant de nouveau, le bruissement, et recula lorsqu'il les découvrit à peine à quelques centimètres de lui.
Des papillons.
Des centaines et des centaines de papillons.
Agglutinés tout autour de lui, chemin vers le néant.
C'est la mort qu'il reconnaît.
Le souffle lui manquait de plus en plus, il avait l'impression d'être consumé de l'intérieur, et lorsque la voix résonna de nouveau dans ses oreilles, Dazai ne reconnut même pas son propre cri.
– Atsushi !
Le jeune homme s'était à demi assoupi auprès du feu lorsque la voix de Kunikida le réveilla. Il redressa la tête, avant de réaliser que l'appel venait du couloir. La pièce était plongée dans la pénombre, uniquement éclairée par le feu de cheminée, et derrière la porte entrouverte, on devinait la froideur des murs laissés au ténèbres.
– Qu'est-ce qui se passe ? » marmonna-t-il en enfilant ses chaussures.
– Dépêche-toi ! » hurla de nouveau l'agent.
L'obscurité était presque assommante et en activant l'interrupteur, le jeune homme s'aperçut qu'il ne marchait pas. Un éclair fendit soudain le ciel et la pénombre, suivi d'un bruit de tonnerre qui le fit se recroqueviller sur lui-même.
– Bon sang… » entendit-il marmonner dans le noir.
– Kunikida ? Où êtes-vous ?
– Avance… j'essaie de retrouver ma lampe de poche…
Il se souvint s'être assoupi, juste après le repas, près de la cheminée, absorbé par la lueur dansante des flammes sur les murs. C'était comme de grands serpents qui léchaient les tapisseries et mordaient les motifs vieillis… Tomie avait alors murmuré deux mots d'excuse et s'était retirée… Dazai était parti faire un tour… combien de temps s'était écoulé depuis ?…
– Je l'ai ! » lança Kunikida, juste avant qu'une lumière vive n'illumine le couloir et éblouisse le jeune homme.
– Où sont Yamazaki-san et Dazai-san ? » demanda Atsushi, à moitié aveuglé par le faisceau lumineux.
– Je ne sais pas pour Tomie, mais Dazai…
Dazai… était là. Assis face à son coéquipier. À demi couché plutôt. Dazai haletait, comme si quelque chose l'avait blessé, les yeux clos, la bouche à demi-ouverte.
– Dazai-san ! » s'exclama Atsushi en réalisant ce qu'il avait sous les yeux. « Que s'est-il passé ? Encore une tentative ? »
En s'agenouillant auprès de son mentor, il réalisa que le front de l'agent était couvert de sueur.
– Il est brulant !
– J'ignore ce qu'il s'est produit », marmonna Kunikida. « Mais je ne crois pas que ce soit une tentative. C'est son cri qui m'a alerté. Je… je ne l'avais jamais entendu crier comme ça. On aurait dit que quelque chose s'en prenait à lui. »
Après un bref coup d'œil, Atsushi put cependant constaté que l'agent ne semblait pas physiquement blessé. Qu'est-ce qui aurait pu mettre Dazai dans cet état ? Lui d'ordinaire si stoïque ? Lui qui était capable de joyeusement chantonner quand une bombe était sur le point d'exploser à deux mètres de lui, et de rire lorsqu'un individu peu recommandable braquait un revolver sur sa tempe.
En croisant le regard de Kunikida, Atsushi comprit qu'il était aussi perplexe que lui.
– Que se passe-t-il ? » demanda soudain une voix derrière eux.
Yamazaki Tomie se tenait courbée sur sa canne, le regard éteint et le visage cireux derrière les mèches qui tombaient devant ses yeux.
– J'ai entendu quelqu'un crier » poursuivit-elle d'une voix mécanique.
Atsushi était naïf. Il ne pouvait le nier. Il avait même un côté candide qui faisait souvent sourire les membres de l'agence, et le faisait passer à leurs yeux pour un éternel gamin. Pourtant, même lui ne put ignorer l'ombre qui traversa les yeux de Tomie Yamazaki lorsqu'elle reconnut le visage inconscient de Dazai. L'espace d'un bref instant, la jeune femme avait pris les trait d'un serpent prêt à bondir sur sa proie…
Review ? :3
