Bonjour à tous ! Voilà la suite ! Elle a mis un peu de temps à arriver, mais comme j'ai la chance de ne pas avoir de poste en ce moment et de mesurer chaque jour le sens du mot "inutilité" appliqué à moi-même au sein de mon établissement (tu la sens l'ironie ?), et bien j'ai au moins le temps d'écrire ! Quelques grosses révélations dans ce chapitre (le dialogue entre Tomie et Ango m'a fait de sacré nœuds de cerveau, donc je préfère vous prévenir...), et un peu de Sukoku à la fin. Ouais... j'avais prévenu que je n'en ferai pas, mais je sais que ça vous fait plaisir ^^ et puis on ne peut pas traiter le personnage de Dazai sans aborder un minimum sa relation avec Chuuya. Quand même.

Sur ce, bonne lecture à vous ! N'oubliez pas de laisser un petit commentaire pour encourager une prof désespérée, et qui n'a strictement rien d'autre à foutre ^^


Chapitre 10.

Kunikida Doppo aimait non seulement que chaque chose soit à sa place, mais aussi qu'elle soit faite en temps et en heure. Bien que ses collègues le prennent pour un bourreau de travail, et qu'il puisse régulièrement leur donner raison, il appréciait aussi la détente. Mieux encore, la détente méritée, au moment approprié. Le soir par exemple, juste après le dîner. Ce que ses collègues ne savaient pas non plus, c'est qu'il était grand mélomane, en vertu de quoi, Kunikida s'était concocté un programme très minutieux de musique classique en fonction des jours de la semaine.

Le lundi, c'était du Bach. Père de la musique occidentale. Rien de mieux pour se remettre du stress de début de semaine.

Le mardi, du classicisme : une symphonie de Mozart, bien carrée, bien millimétrée.

Le mercredi, à la fois plus calme et plus mélancolique : une sonate de Brahms.

Le jeudi : du Beethoven. Bien musclé pour affronter la fin de semaine.

Le vendredi, musique baroque et vin rouge pour célébrer le weekend. L'apanage des gens comme lui, ceux qui ont du goût.

Le samedi : Wagner. Ni plus ni moins.

Le dimanche, enfin, musique de chambre. Cela faisait deux ans qu'il écoutait en boucle le Voyage d'Hiver de Schubert, et qu'il en pleurait presque. C'était son côté romantique.

Ce programme, Kunikida y tenait comme à son carnet d'idéaux, parce qu'il voyait dans la musique une incarnation parfaite d'un duo de qualités très rares, et dont il se gratifiait lui-même : le génie et la sensibilité. La musique, c'était l'expression aphone du cœur dans toute sa pureté. Ce dont ce monde moderne manquait parfois un peu trop.

En cette soirée de mercredi, il avait légèrement dérogé à son programme pour écouter, non pas une sonate, mais une symphonie de Brahms. La numéro 3. Sa préférée. Il pouvait presque suivre des yeux les feuilles d'automne se poser doucement sur le miroir d'un étang, sous un soleil couchant et déjà trop pâle. Il pouvait compter les petits ronds formés par les pas d'une araignée d'eau nostalgique de l'été. Les odeurs de mousse, le souffle de la bise, le tintamarre assourdissant et soudain très désagréable d'une… d'une basse ?

Kunikida ouvrit brusquement les yeux. La musique venait de l'étage du dessus, et cognait contre les lattes du plafond comme un tambour tandis que ce qui ressemblait au gémissement d'un chien qu'on égorge venait couvrir les sublimes notes de Brahms.

– DAZAI !


– Il te reste de la sauce…

En sentant le rouge lui monter au visage, Atsushi pivota légèrement et leva une main vers la joue de sa jeune coéquipière, où subsistait une petite tâche de sauce miso.

– Je vais le faire », souffla Kyoka en s'écartant légèrement. Ses joues aussi avaient rosies.

La pluie battait sur la toile de leur parapluie tandis que les deux agents se fixaient du regard, un peu hébétés. Ils restèrent ainsi quelques instants, immobiles et silencieux, avant de se remettre en route, comme si de rien n'était. Kyoka aimait bien manger en ville, et Atsushi avait pensé qu'il était plus que temps de se changer les idées. Il connaissait une gargote où les ramen n'étaient pas chers, mais excellents, et tout deux s'en étaient fait un ventre.

– J'ai assez mangé de ramen pour toute une vie je crois », lança-t-il en se tâtant le ventre.

En guise de réponse, Kyoka lui rendit son sourire.

La nuit tombait lorsqu'ils aperçurent la silhouette des dortoirs dans la brume automnale. Le terrain vague qui leur servait de parking s'était transformé en une immense marre de boue qu'ils durent éviter en longeant les étages inférieurs jusqu'aux escaliers.

– Mm. Dazai a encore fait des siennes », marmonna Atsushi en levant les yeux.

En effet, et comme cela arrivait au moins deux fois par semaine, Kunikida tambourinait furieusement à la porte de l'ancien mafieux.

– DAZAI ! OUVRE TOUT DE SUITE OU JE DÉFONCE TA PUTAIN DE PORTE !

Cette fois, le motif de sa colère semblait trouver son origine dans l'immonde raffut qui s'échappait de l'appartement.

– On dirait bien que Dazai a investi dans une enceinte… » marmonna Atsushi en grimpant les marches.

– Ou dans une usine de torture… » rétorqua Kyoka.

À peine arrivés aux côtés d'un Kunikida furibond, les jeunes agents entendirent le son du loquet et virent la porte s'ouvrir sur le visage de Dazai, vêtu d'un curieux sweet noir à tête de mort.

– Où est-ce que t'es allé dénicher ça ? » l'invectiva Kunikida.

– Dans une poubelle de la rue d'à-côté. Il est sympa, non ?!

– C'est dégueulasse.

– Moi je trouve qu'il me va bien !

– Tu l'as lavé au moins ?

– Comment peux-tu en douter ?

– Je sais pas… l'état de ton appart peut-être ?

À ces mots, Atsushi jeta un œil de l'autre côté de la porte et aperçut une pile de boîtes de conserve empilées contre un mur, à côté d'une douzaine de bouteilles de sake. Des magasines jonchaient le sol, autour d'un futon qui semblait traîner là depuis des semaines.

– C'est quoi cette musique de merde ? » enchaîna Kunikida avant qu'il ne puisse se livrer au moindre commentaire.

– Du métal ! » répondit fièrement Dazai en montrant du doigt une pile de CD poussiéreux.

– Ça aussi tu l'as déniché dans la poubelle ?

– Ça allait sans doute de paire avec le sweet ! Écoute-moi plutôt cette énergie !

Sur ces mots, une voix criarde s'éleva des enceintes et fit trembler tous les murs, faisant grimacer au passage les trois agents.

– C'est une putain de purge ! » se plaignit Kunikida avant de saisir son collègue par le col. « Et sans parler de tes goûts musicaux de merde, est-ce que je dois te rappeler ENCORE UNE FOIS les règles du voisinage ? »

– Aucune ne stipule qu'on ne peut pas écouter de musique.

– TANT QUE ÇA NE RÉSONNE PAS DANS TOUT LE QUARTIER !

– Là tout de suite c'est toi qu'on entend dans tout le quartier… », tenta Atsushi pour calmer son collègue.

– J'EN AI RIEN À FOUTRE !

Reportant son attention sur le visage de Dazai qui le lorgnait avec un grand sourire, Kunikida réajusta ses lunettes et prit une profonde inspiration.

– Dazai », reprit-il d'une voix plus calme. « Si tu ne baisses pas le volume, je défonce ta porte, ta sono, et je repeins les murs de ton appart avec ton sang. »

– Ça c'est métal ! » se gaussa l'agent avant de se prendre sa porte dans la figure.

– Crétin… » marmonna Kunikida sans prêter attention à ses jeunes collègues qui s'écartèrent pour le laisser passer.

Atsushi et Kyoka le regardèrent redescendre chez lui avec un mélange d'amusement et de lassitude. Ce genre de saynète était désormais si fréquent qu'il devenait évident que Kunikida se laissait mener par le bout du nez par les caprices de son coéquipier.

– Je me demande… » murmura Kyoka, les yeux perdus dans le vague.

– Quoi ?

– Si Kunikida ne fait pas exprès des fois…

Atsushi lui jeta un regard perplexe qu'elle ne sembla pas noter.

– Pourquoi est-ce qu'il ferait ça ?

– Je ne sais pas…

Mais le fait est que derrière la porte, et à un volume désormais raisonnable, on entendait Dazai chantonner.


Ça pue. Ça pue la mort, la maladie, la merde.

Tomie tente de réguler son souffle mais l'effort l'oblige à inspirer de grandes bouffées d'air. Elle a envie de vomir. L'eau lui monte jusqu'aux genoux, si on peut appeler ça de l'eau. Il fait encore plus froid que dans son cachot.

Contre sa nuque, elle peut sentir le souffle très faible et brûlant du garçon. À chacune de ses sollicitations, Dazai réagit de moins en moins. Il est en train de partir, elle le sent. Il faut faire vite.

Des voix résonnent soudain contre l'humidité des murs, derrière eux. L'écho ne lui permet pas de savoir à quelle distance exactement se trouvent leurs poursuivants, mais dans tous les cas, il ne faut pas trainer.

En serrant les dents pour lutter contre la fatigue et le froid, Tomie réajuste le corps du garçon sur son dos et redresse les jambes pour qu'elles ne flanchent pas. Avancer. Encore. Et encore. Et encore.

Ce n'est plus très loin », souffle-t-elle, davantage pour elle-même que pour lui. Elle sait qu'il ne l'entend plus.

L'air est si froid… Le soleil, elle en a oublié jusqu'au souvenir. Tomie trébuche soudain et entend les voix se rapprocher. Le faisceau d'une lampe de poche vient se braquer dans ses yeux et l'éblouit, tandis que deux silhouettes se détachent de la pénombre.

Non.

Pas encore. Pas ce cauchemar…

Plutôt mourir.

L'intuition du désespoir lui fait repérer un petit caniveau, juste à sa droite, qui s'enfonce dans la puanteur et l'obscurité. Alors, avec ses dernières forces, avant que les autres ne puissent poser leurs grandes pattes sur elle et s'en prendre encore à Dazai, elle se laisse rouler sur le côté, et pousse sur ses jambes pour s'y engouffrer, tête la première.

L'eau viciée remplit ses narines jusqu'aux poumons avec une vigueur infâme. Persuadée de vivre ses derniers instants, Tomie agrippe le bras du garçon et l'attire contre elle pour que le courant ne les sépare pas. D'une détente, elle tente d'atteindre la surface et parvient à peine à inspirer une bouffée d'oxygène avant d'être emportée de nouveau. Sur quelle distance ils ont été trainés, combien l'eau bourbeuse a malmené son corps et ses poumons, elle l'ignore, et lorsqu'elle entend la voix d'Akechi l'appeler de très loin, Tomie croit encore rêver. Elle se dit que sa descente aux enfers glacées n'est que le fruit d'un long cauchemar, qu'elle va bientôt rentrer à la maison, prendre un bon bain et lire toute la soirée, bien au chaud. Que le lendemain, elle rirait de nouveau autour d'un café, tarauderait ses chefs pour les accompagner en mission et pesterait encore une fois sur la noirceur de l'homme. Comme toujours. Parce que rien ne changerait. Parce qu'il n'y avait aucune raison que ça change.

C'est ce qu'elle se dit avant de réaliser qu'elle est sûrement morte. La dernière chose qu'elle voit, c'est le visage du garçon dans l'épaisseur de la nuit. La masse sombre de ses cheveux sur ses joues si pâles qu'on le dirait fait de papier. Ce garçon qu'elle a voulu sauver, même au prix de sa propre vie.


– Dazai…

Tomie réalisa qu'elle l'avait dit tout haut lorsqu'elle reconnut le visage d'Ango, et qu'elle lut la lueur dans ses yeux. Sa peau était moite, sa tête lourde. Elle avait l'impression d'avoir dormi pendant des jours.

– Ne bouge pas », murmura Ango en portant un verre d'eau à ses lèvres et en la soulevant légèrement pour qu'elle puisse boire. « Ça va ? »

– Je crois…

À mesure que ses yeux s'adaptaient à la lumière ambiante, elle reconnut la tapisserie vieillotte qui couvrait les murs de l'appartement du fonctionnaire. Une petite lampe de chevet grésillait à son chevet, et éclairait le blanc passé du futon où elle était étendue. Tomie remarqua que l'imperméable beige d'Ango était étendu sur un fil qui traversait la pièce de part en part, et lui servait sans doute à faire sécher ses lessives, à côté d'une étoffe mauve qu'elle reconnut comme sa robe en soie de Chine, et s'aperçut soudain qu'elle était vêtue d'un pyjama.

– C'est… c'est ma voisine qui t'a changée… » bredouilla Ango en baissant précipitamment les yeux.

– Je vois…

Elle fit mine de ne pas voir le rouge qui lui était monté aux joues. C'était trop insultant pour elle. En montant les mains vers ses tempes pour les masser lentement, Tomie tenta de mobiliser ses souvenirs, mais dans sa tête, il n'y avait que la boue et la pluie. L'ombre d'un papillon peut-être…

– Qu'est-ce que je fais là ? » finit-elle par demander.

– Je t'ai trouvée, inconsciente, dans la cabine téléphonique à côté de ton hôtel. Tu ne te souviens de rien ?

– Tout s'emmêle… » reportant les yeux vers lui, elle le fixa avec cette neutralité résignée qui avait teinté toute sa vie après l'accident. « J'ai rêvé de Dazai. Du jour où je l'ai sauvé. »

Ango soupira. Un rictus s'était formé sur le coin de ses lèvres, et Tomie vit ses doigts s'agripper au tissu de son pantalon.

– Le jour où on vous a retrouvés à la sortie des égouts ? » murmura-t-il d'une voix blanche.

– Tu n'étais pas là.

– Akechi m'en a suffisamment parlé.

Pour la jeune femme, il ne restait de cet instant que le souvenir de la peur, du froid écumant sur sa peau, de l'eau glacée dans ses poumons, et de la certitude qu'elle allait y rester. On lui avait raconté plus tard, bien plus tard, qu'Akechi avait fait équipe avec la Mafia pour la retrouver, et qu'ils l'avaient découverte dans une marre de boue, à l'entrée de l'une des principales bouches d'égouts de la ville, trempées jusqu'aux os, couverte de bleus et de sang, le corps de Dazai serré contre elle. Encore une fois, c'est Akechi qui l'avait ramenée, mettant ainsi fin au très court accord qu'il avait accepté de nouer avec le monde de la nuit. Elle était restée deux semaines à l'hôpital. Assez pour se remettre de la commotion cérébrale et des bleus qu'elle avait encaissés pendant sa traversée des égouts. Sans parler des montées de fièvre. Et pendant ce temps, elle n'avait cessé de réclamer des nouvelles de Dazai, de prier pour qu'il soit toujours en vie, même si à l'époque, déjà, elle ne croyait en rien. On ne lui avait rien dit, tout simplement parce qu'on n'en savait rien.

À l'unisson d'Ango, Tomie soupira.

Dazai avait bel et bien survécu et lui avait fait payer sa naïveté. C'était simple. C'était tout.

– Et sinon, qu'est-ce que je fais là ? » répéta-t-elle en tentant d'ignorer la douleur qui parcourut sa cuisse.

– Tu as été attaquée, à ton hôtel, par… par quelque chose…

À la lumière de la lampe de chevet, le visage d'Ango lui sembla tout à coup très pâle, et la douleur dans ses yeux s'était transformée en une forme d'interrogation mêlée d'angoisse.

– Par quelque chose ?… » souffla Tomie en se rappelant peu à peu de sa fuite dans la nuit glaciale.

Là, dans ce local à ordures, à la lumière d'un tir… ce visage qu'elle avait aperçu l'espace d'une demi-seconde…

– C'était lui », frissonna-t-elle, l'oeil soudain vaseux. « Le monstre aux papillons. »

Il l'avait trouvée… s'était introduit dans sa chambre pour y répandre son odeur de cadavre en putréfaction. Elle l'avait vu, la lueur dans ses yeux, sa silhouette cambrée qui se déplaçait comme une araignée dans la pénombre. Son visage…

– Tomie ?

À son chevet, la lampe grésillait toujours tandis que quelque part dans la nuit résonnait le moteur d'une voiture de passage. Elle était là, de nouveau, dans cette chambre aux odeurs de poussière et de papier. Ce n'est qu'en sentant la boule qui s'était formée dans sa gorge que Tomie réalisa que ses mains tremblaient, et qu'une pellicule de sueur s'était formée sur sa peau.

– Il existe… » souffla-t-elle.

– Qui ? De quoi tu parles enfin ?!

Ango avait pressé ses mains contre ses épaules, son visage tout près du sien. Elle pouvait sentir son souffle, très rapide, sur ses joues.

– Du monstre dont parlait Akechi. Celui qui l'a soit-disant rendu fou, et qu'il voyait se détacher de nuées de papillons.

– Eh bien quoi ?

– Il existe Ango. Je ne sais pas comment c'est possible, mais cette chose est réelle. Elle est là, quelque part, et elle est liée à cette maison sur laquelle Akechi enquêtait.

À ses mots, le teint du fonctionnaire vira au blanc, et Tomie se demanda l'espace d'un instant s'il n'allait pas faire un malaise à son tour.

– Cette maison… où on a trouvé les cadavres… » souffla-t-il en tentant visiblement de remettre ses idées au clair. « Akechi enquêtait dessus ?… »

– L'adresse figurait sur les notes qu'il nous a laissées c'est l'hypothèse la plus simple qu'on puisse en tirer », confirma la jeune femme.

– Mais… depuis quand ?… personne au ministère n'était au courant de cette enquête…

– Parce qu'elle le concernait sans doute personnellement.

– Comment le sais-tu ?

Tout en l'invitant doucement à se rasseoir, Tomie ferma les yeux et inspira longuement. Il était grand temps de mettre les choses au clair.

– Akechi a été envoyé à l'asile pour deux raisons », commença-t-elle. « 1. parce qu'il disait voir ce monstre, l'horreur aux papillons 2. parce qu'il voyait le cadavre de sa femme. On sait aujourd'hui que le monstre est réel, qu'il n'est pas le fruit d'hallucinations comme le maintiennent les médecins. Et si c'était aussi le cas pour sa femme ?

– La femme d'Akechi est morte… ça doit faire au moins dix ans…

– Je sais qu'elle est morte. J'ai suffisamment côtoyé Akechi pour le savoir », rétorqua sèchement Tomie. « Mais je sais aussi que les circonstances de sa mort sont très obscures et qu'il était littéralement hanté par la perte de sa femme. À mon avis, Akechi a dégagé de nouveaux éléments, et ce sont eux qui l'ont conduit au manoir.

– Donc tout tournerait autour de la mort de sa femme ?

– C'est mon hypothèse. Et ça expliquerait pourquoi il a enquêté en cachette.

Ango la fixait sans un mot, le regard écarquillé. D'un geste lent, il retira ses lunettes et essuya le filet de sueur qui avait roulé sur sa tempe.

– Tomie… », souffla-t-il en baissant les yeux. « Il y a quelque chose que tu ne sais pas. »

– Tu comptes enfin me dire pourquoi l'appartement a été en partie vidé ?

Une lueur de surprise traversa son visage, très vite suivie d'un léger sourire.

– J'avais oublié que tu comprenais si vite.

– On ne me la fait pas à moi.

– Je sais.

De nouveau, il leva la tête vers elle, et Tomie distingua dans ses traits une forme de lassitude mêlée de tristesse et d'amertume.

– Alors dis-moi », murmura-t-elle. « De quoi le ministère ne veut-il pas me tenir informée ? »

– Avant de… d'être interné… Akechi avait été mandaté sur une affaire, une vieille affaire, qui impliquait des expériences clandestines sur des expatriés européens.

– Quoi ?!

Elle n'avait pu s'empêcher de crier. Des expériences clandestines… cela ressemblait trop aux pratiques de ce fameux B.S, lui même d'origine européenne.

– Il s'avère que ces expériences étaient menées par un médecin aux méthodes peu recommandables, et devenu par la suite… je te le donne en mille…

– Le boss de la Mafia portuaire », compléta Tomie.

– Ougai Mori », confirma Ango.

– Donc l'enquête a été suspendue j'imagine ?

– Ce genre de… faux pas arrive régulièrement. La plupart des crimes de cette ville sont liés à la Mafia, et depuis les accords entre Mori et Santouka, le ministère n'a presque plus son mot à dire sur les affaires liées aux super-pouvoirs.

– En gros vous êtes devenus les toutous de la Mafia », ricana l'ex-policière. « Les limiers corrompus chargés d'éliminer les gêneurs, sous prétexte de faire la loi. »

Plus accablé que jamais, Ango n'acquiesça qu'à moitié.

– Nous évitons la confrontation au profit de la coopération », tenta-t-il. « Mais la justice et la paix restent notre priorité, et force est de constater que l'instance la plus à même de rendre cette ville prospère aujourd'hui et pour les années à venir n'est autre que la Mafia. J'ai travaillé pour eux pendant deux ans. Je sais de quoi je parle. »

– Oh donc j'imagine que des broutilles comme le trafic humain, la prostitution, la drogue, ne te gênent plus désormais ! Ça fait partie du grand décor de la Prospérité. »

– Nous continuons à lutter contre, mais tant que Mori remplit sa part du marché et protège cette ville nous n'avons pas de raison de nous en prendre à lui. Les Mafieux aux super-pouvoirs sont trop dangereux pour se les mettre à dos, et en ce qui concerne les débordements… l'Agence des Détectives Armés est là pour ça…

– Mais lorsqu'une affaire met sur le tapis les crimes passés de Mori, on passe l'éponge ?

– C'est ça.

Shame on you », siffla Tomie. « Comment osez-vous vous investir d'une quelconque responsabilité judiciaire quand vous coopérez avec les pires ordures qui soit sous couvert de maintenir la paix ? »

– C'est ce qu'on appelle de la diplomatie.

– Tu as bien changé Ango.

Du temps où il flânaient ensemble, il aurait certainement fondu en larmes. Désormais seul le léger affaissement dans ses traits, ainsi que la petite crispation de ses lèvres témoignaient de son désarroi. Ango savait plus que se contrôler : il cachait ses émotions, ses états d'âmes et peut-être même ses principes avec une froideur que seule la Mafia avait pu lui enseigner. Tomie déglutit.

– C'est pour moi que tu les as rejoints ?…

– La Mafia ? » Un sourire très léger, très triste, se dessina sur ses lèvres. « Oui. »

– Pourquoi ?

– Parce que je voulais te venger.

Elle ne sut quoi répondre. Quelque chose lui serrait la gorge.

– Et… tu as réussi ?… » murmura-t-elle.

– Pas vraiment…

– Comment ça ?

Le regard d'Ango reflétait une indicible tristesse.

– Je te le dirai un jour. C'est promis, mais… pas maintenant. Maintenant il nous faut nous concentrer sur Akechi.

– C'est vrai.

Et quelque part, c'était un soulagement de ne pas savoir.

– Donc », reprit la jeune femme en se redressant. « L'affaire sur laquelle travaillait Akechi. Que s'est-il passé ? »

– Tu le connais », rétorqua Ango. « Quand nous lui avons demandé d'oublier cette affaire, il a réagi comme toi. Tel maître, tel élève. » Il sourit en lui adressant un clin d'oeil. « Donc il a gardé des documents. On ignore ce qu'ils contenaient, ce qu'il en a fait et pourquoi il les a gardés, mais il est allé assez loin pour obtenir un entretien avec le boss de la Mafia portuaire. Personne ne sait ce qu'il s'est dit là-bas, mais le fait est que deux mois plus tard… Akechi sombrait dans la folie… »

Tomie crut qu'elle allait de nouveau tourner de l'oeil.

– Et tu me dis ça seulement maintenant ?!

Le souffle court, elle se redressa brusquement pour attraper Ango par le col et attirer son visage à quelques centimètres du sien.

– Ango… » souffla-t-elle, à peine capable de contrôler les tremblements dans sa voix. « Cet élément… cet élément précis… nous prouve qu'Akechi n'était pas fou… et toi tu ne me dis rien ?… »

Une larme roula sur sa joue.

– Pourquoi tu n'as rien dit ?! » répéta-t-elle.

– Parce que Mori nous l'a fait promettre.

– Ah oui ? Comment ? Avec des otages ? Des menaces de mort ?

– En nous révélant le secret de sa succession », murmura Ango.

– Comment ça ?

Il déglutit.

– Mori a échangé le secret de son avènement au pouvoir contre notre silence ainsi que la disparition de toutes les preuves concernant cette affaire. Il l'a fait pour une raison Tomie, une seule.

– Laquelle ?

– Parce qu'Akechi n'était plus en mesure de garder son secret, quel qu'il soit.

De dépit, d'incompréhension, de colère aussi, Tomie crut qu'elle allait le gifler. Dans sa tête, les pensées tournaient à une vitesse qu'elle ne parvenait plus à contrôler et qui ne laissait plus aucune place à la cohérence. Comme tout dans cette affaire.

– Tu ne comprends pas ?

– Je ne comprends plus rien » gémit-elle en relâchant sa prise sur son ancien collègue.

– Mori a préféré nous dire comment il avait succédé à l'ancien boss plutôt que de laisser fuiter une affaire vieille d'au moins dix ans. Tu ne trouves pas ça louche ?

Au rictus qui déformait ses lèvres et à ses mains crispées, il était évident qu'Ango était tout aussi démuni qu'elle.

– Mori n'avait pas prévu qu'Akechi tomberait malade », poursuivit-il. « C'est la seule explication. »

– Qui s'est chargé des documents ? » l'interrompit Tomie. « Qui s'est chargé de les faire disparaître ? »

– Mori. Il s'est rendu en personne chez Akechi avec moi et Santouka-sama. Nous l'avons attendu sur le palier comme des chiens. Quand il est revenu, il avait un vieux dossier sous le bras et nous a conseillé de mettre le reste en lieu sûr, pour notre propre sécurité.

– Donc tu ne sais pas ce qu'il a fait des documents ?

– Non… Et les autres dossiers concernaient des affaires classées. Rien de très intéressant…

– Quelque chose me chiffonne », marmonna la jeune femme en se frottant le menton du bout des doigts. « Combien de temps Mori est-il resté dans l'appartement ? »

– Seulement quelques minutes…

– Alors c'est qu'Akechi lui avait indiqué où trouver les documents.

– Tu penses ?

– C'est évident. S'il est parvenu à un accord avec Mori juste en les gardant chez lui, il aurait été facile de les récupérer. Il avait dû les mettre en lieu sûr, là où la Mafia ne les trouverait pas.

– Dans ce cas, pourquoi étaient-ils chez lui ? Et pourquoi Mori savait-il où les trouver ?

– Je ne vois qu'une seule explication…

Le regard de Tomie s'obscurcit.

– … Akechi savait que quelque chose allait lui arriver…


Il n'aurait su dire pourquoi, parce qu'il était très loin de ces gens qui ne font que regarder en eux pour y trouver une infinités d'informations toutes plus inutiles les unes que les autres (quand elles ne sont pas faussées par leur égo) mais le calme de la nuit l'avait toujours apaisé.

Après avoir considéré une pile de caissons qui donnaient sur la digue, Dazai s'y assit et se laissa distraire par le va-et-vient des bateaux marchands qui faisaient des trainées de lumière rouge sur la mer.

Très content d'avoir encore une fois gâché la soirée intellectuelle de Kunikida avec sa dernière trouvaille, il s'était acheté une bouteille de sake et une conserve de crabe chez son poissonnier préféré, un vieux pêcheur installé sur les docks et dont la gargotte donnait l'impression de pouvoir s'écrouler à tout moment, réminiscence du vieux Yokahama. Il aimait bien ce genre d'endroit qui résistait aux assauts de la modernité avec toute la force de la simplicité. Cela donnait souvent un résultat fort curieux, où la fragilité s'alliait à l'éternité.

Le regard plongé vers l'horizon, Dazai se resservit quelques gouttes de sake et prit le temps de les savourer avant de terminer sa conserve de crabe. L'heure de son rendez-vous avec Chuuya avançait, et même s'il avait bien eu envie de lui poser un lapin, le cas de Kogoro Akechi l'intriguait trop pour jouer aux impétueux. Ce serait pour une autre fois.

Et puis… le Lotus Blanc. Que de souvenirs. Les visites au bordel avaient pour lui le goût de l'impétuosité et de la transgression. C'était d'ailleurs l'un des avantages à être mafieux : la loi, la morale, l'éthique, tous ces trucs chiants devenaient superficiels. Ne comptait que l'égo à satisfaire, le plaisir de se sentir vivant. Non pas qu'il aimait consommer. Ça il le laissait aux simples d'esprit comme Chuuya, mais l'ambiance satinée, le rire dévergondé des femmes et les nuées d'alcool avaient cette vertu de lui faire oublier. Peu importe quoi. Boire beaucoup pour oublier beaucoup, tel aurait pu être son adage s'il n'avait pas été un maniaque du suicide.

Tout se redressant, Dazai balaya les quais du regard. La nuit était calme. On entendait seulement la sirène d'une ambulance au loin, le ronronnement de la circulation et le clapotis de l'eau. Rien de bien intéressant. C'est alors qu'il la vit. Sur la digue. La silhouette d'une fille, d'une jeune fille, qui avançait là-bas, d'un pas lent et régulier, aussi silencieuse et diaphane qu'un fantôme.

Sa robe blanche battait contre ses mollets, et en plissant les yeux, Dazai vit qu'elle était pieds nus. Son visage était caché par ses cheveux, mais il se dégageait de sa personne quelque chose de familier, de désespéré… Sans comprendre pourquoi, Dazai se sentit parcouru d'un frisson terrible et lâcha sans le vouloir sa coupelle de sake qui se brisa au sol. La jeune fille avançait toujours vers la mer, vers l'eau noire et glaciale.

« Non… » s'entendit-il murmurer en se précipitant en avant.

Ses genoux tremblaient… pourquoi ? Ses mains aussi… Il sentit une goutte de sueur ruisseler sur sa tempe. S'il ne faisait rien, la fille se jèterait à l'eau.

Les dents serrées, Dazai se dirigea vers la digue où la silhouette avançait toujours, avec une infinie lenteur. Avec ses cheveux clairs et sa robe blanche, on l'aurait dite auréolée de lumière. Il se dégageait quelque chose de profondément beau de ses gestes, de ses pas si légers… et de douloureux aussi. Si douloureux…

Dazai vacilla lorsque la première salve lui vrilla le crâne. Il s'écroula sous la deuxième. Quelque chose d'insupportable, comme des coups de marteaux, battait dans son crâne, contre ses tempes et ses oreilles.

« Calme-toi… »

C'était comme cette nuit, à l'asile, quand il avait perdu le contrôle sans comprendre comment. C'était comme ces moments terribles et désormais très lointains où ça le prenait avant même qu'il ne puisse s'en rendre compte, et où sa vie semblait disparaître dans un trou noir. Ces moments qu'il avait pourtant fini par évacuer de sa mémoire…

Alors qu'il relevait les yeux vers la fille en blanc, une nouvelle salve de douleur lui arracha un hurlement. C'était comme si on venait d'enfoncer des dizaines d'aiguilles dans sa tête. Il y eut un flash blanc, puis de nouveau la nuit, et cette silhouette, de plus en plus floue, de plus en plus lointaine, qui s'avançait vers les eaux noires…

« Attends ! » hurla Dazai en tendant la main vers elle. « Attends… »

Pourquoi cette impression de la connaître ? Pourquoi cette impression d'avoir déjà vu ça ? Pourquoi…

« Reste avec moi », dit la fille aux lèvres de lilas… « jusqu'au bout ». Jusqu'à la fin. Elle parle encore et lui sourit tandis que son corps s'enfonce très profond, très loin dans les eaux glaciales, tandis que les ténèbres happent ses membres blancs et se mettent à dévorer son cœur.

« Reste avec moi… »

Dazai ne reconnut même pas son propre cri. Il sentit à peine la surface du sol lorsque sa tête heurta le gravier, et s'imagina que le liquide écarlate qui s'étirait sous ses yeux et qui imprégnait ses vêtements était son propre sang.

« Emmène-moi avec toi… » gémit-il avant de s'enfoncer dans les ténèbres à son tour.


Chuuya se gaussait d'avoir autant de retard. Si pour une fois il pouvait un peu faire poireauter son crétin d'ancien partenaire, ce serait le pied. Et lui en foutre une dans la gueule… mais ça se serait pour plus tard. Tout en poussant une accélération, il dévia vers les quais qui, à cette heure-ci, étaient déserts et constituaient un bon raccourci jusqu'au Lotus Blanc. Un peu de retard ne ferait pas de mal, mais s'il attendait trop, Dazai risquait de se barrer, donc autant se dépêcher. Quelle enflure… Rien que l'idée de revoir sa tronche de cake et son sourire goguenard suffisait à lui donner la nausée. Il faudrait qu'il passe au moins toute une nuit avec cette chère Daphnée pour s'en remettre… au moins une bonne excuse de faire le déplacement. Depuis combien de temps n'avait-il pas plongé le nez dans son décolleté duveteux ?

Relativement content du marché qu'il avait conclu avec lui-même, Chuuya rata de peu la silhouette étendue au sol et freina précipitamment avant de marquer un demi-tour.

– Eh dis donc ! » brailla-t-il en mettant pied à terre. « Ça va pas de pioncer dans un endroit pareil ?! »

Encore un toquard qui s'était soulé sur les quais et avait piqué du nez la tête la première. Ce n'était pas ça qui manquait à Yokohama… mais sur le sol trempé, il ne risquait pas de faire long feu.

– Eh ! » répéta Chuuya en secouant l'individu du pied.

Cela dit cet imperméable beige lui évoquait vaguement quelque chose… et ces cheveux bruns… il faillit s'étouffer en remarquant les bandages qui couvraient l'un des avant-bras du soulard du jour.

– Putain Dazai ! Qu'est-ce tu fous là bordel ! » explosa-t-il en retournant l'ancien mafieux d'un coup de pied dans les côtes.

Des soirées où il l'avait ramassé à la petite cuillère il y en avait eues… et il était parfois dans un état tout aussi glorieux, mais là… quelque chose clochait.

– Dazai ?

Gagné par un élan de panique qu'il ne put tout à fait s'expliquer, Chuuya s'agenouilla et approcha son visage de celui de l'ancien mafieux.

– Eh ! Qu'est-ce qu'il y a ? Dazai ?

Sa respiration était bruyante. Son front couvert de sueur, et son visage déformé par une grimace de douleur. En l'observant mieux, Chuuya s'aperçut que ses mains tremblaient. L'humidité du sol commençait à dangereusement imprégner ses vêtements.

– Putain…

Une crise ? Voilà des années qu'il n'en avait plus faite… Mori lui avait assuré qu'il n'y en aurait plus…

– Dazai… Dazai ! Réveille-toi ! » se mit-il à crier, sans pouvoir se contrôler davantage.

En tentant de se rappeler des bons réflexes (en tant que mafieux il était plus habitué à achever des vies qu'à en sauver…), il contrôla le pouls de son ancien coéquipier et s'assura qu'il n'avait aucune blessure, pas en apparence en tout cas, avant de l'envelopper de son propre manteau.

– C'est pas vrai… qu'est-ce que je fais maintenant ?…

Le torse de Dazai se souleva brutalement et ses tremblements s'amplifièrent tandis qu'un gémissement de douleur franchissait ses lèvres. Incapable de savoir quoi faire, Chuuya mit les mains sur ses épaules et tenta de le plaquer au sol.

– Calme-toi… Calme-toi ! Dazai !

Le souffle coupé, Dazai fut soudain saisi d'une quinte de toux et ouvrit brusquement les yeux.

– Oh putain ! » S'exclama Chuuya. « Tu m'as fait peur enflure. Qu'est-ce qu'y t'es arrivé encore ? »

La fille…

Le mafieux dut se rapprocher. « La fille… » murmura Dazai entre deux souffles. À son regard vitreux, Chuuya comprit qu'il ne l'avait pas reconnu.

– Quoi la fille ? Quelle fille ?

« Sur… sur la digue… en blanc… » Il fut interrompu par de nouvelles convulsions qui lui arrachèrent un râle de douleur.

– Quoi la fille sur la digue ?…

Tout en soutenant la tête de Dazai pour qu'il ne s'étouffe pas, Chuuya leva les yeux vers la digue la plus proche. Il n'y avait rien.

– Bon », dit-il en prenant son téléphone. « J'appelle Mori. »

– Non.

Dazai avait posé la main sur son avant-bras. La force qu'il mit dans son geste le rassura quelque peu, et lorsque Chuuya tourna de nouveau les yeux vers lui, il vit que son regard avait retrouvé sa vivacité.

– Que s'est-il passé ? », souffla-t-il.

– Rien.

– Comment ça rien ?!

– Rien ! Je suis bourré !

Et comme pour prouver ses dires, l'agent sortit une bouteille de sake de sa poche intérieure, visiblement vide.

– Tu te fous de ma gueule ? » rétorqua Chuuya. « Je t'ai déjà vu avaler le contenu de cinq ou six bouteilles sans même chanceler ! »

– Qui te dit que c'est la seule ?

– Tu m'énerves…

Non. La pâleur de son visage, ses traits tirés, les convulsions, la douleur qu'il avait lue dans ses traits, ce n'était pas le fruit de l'alcool.

– T'as refait une crise c'est ça ?

– Que dalle.

– Arrête de mentir ! La dernière fois que je t'ai vu dans cet état c'était… » il s'interrompit, incapable de nommer ce qui lui revenait en mémoire. « C'est quand c'est arrivé. Tu sais ? »

– Non.

– Quand tu as tenté de tuer Yamazaki…

– Chuuya…

Le regard de Dazai était devenu glacial et refléta tout à coup, et dans toute leur ampleur, les ténèbres qui se trouvaient en lui.

– Encore un mot là-dessus et je te tue.

Chuuya savait qu'il était sérieux. C'était très rare chez Dazai, qui mentait comme il respirait et pour qui la bouffonnerie était une seconde nature, mais là, la noirceur qu'il lisait dans ses yeux était bien réelle, c'était même ce qu'il y avait de plus vrai chez Dazai… Il l'avait compris dès leur première rencontre…

– Abruti ! » tonna-t-il en abattant l'un de ses poings sur sa tête (pas trop fort quand même…). « Même sans mon pouvoir je pourrais t'écraser comme une merde, alors arrête de te la ramener. »

Pour toute réponse, Dazai lui délivra un sourire moqueur avant de se redresser lentement. Sa mâchoire était encore secouée de légers tremblements… de même que ses mains.

– Laisse-moi t'aider », marmonna Chuuya, non sans se jurer de lui mettre la misère quand il irait mieux.

– Ce n'est pas de refus…

D'abord surpris de voir son aide aussi vite acceptée, le mafieux compris lorsqu'il vit les jambes de Dazai chanceler sous son poids.

– Un petit verre au Lotus Blanc te tente toujours ?

– Toujours.

– Comme au bon vieux temps…


Merci d'avoir lu ! La suite bientôt... peut-être... tout dépend de mon état, de ma motivation et du boulot qui se présente, si j'ai un poste un jour. N'oubliez pas, cela dit, qu'un commentaire, même tout petit, rebouste bien plus qu'on ne l'imagine ;)

Je profite de ce petit post pour vous signaler aussi que je publie mon propre roman sur wattpad. Il s'intitule "Les Peuples d'Ô - Tome 1. Seïna", donc avis aux amateurs de fantasy ! Je mettrai le lien sur mon profil. Sur ce, bonne soirée à tous !