Bonjour à tous ! J'ai vu que le dernier chapitre était sorti en septembre... bon... on est plus à trois mois près. Cela dit j'ai fait un chapitre moins long que d'habitude pour pouvoir publier le prochain plus rapidement. Ce qui est un peu pénible quand on laisse de côté une histoire pendant plusieurs mois, c'est qu'il faut se remettre dans le bain... et je crois que ça se sent dans ces lignes XD L'histoire avance aussi, mais j'aime bien prendre le temps d'amorcer les choses, et là je sens que l'enquête prend vraiment un nouveau tournant, donc c'est plutôt sympa de s'y remettre. Petite collab Atsushi/Chuuya qui n'était pas du tout prévue à la base avec ça, mais qui fonctionne plutôt bien.

J'espère vous dire à très bientôt pour la suite !

CHAPITRE 20 –

Craquement.

Coup de pied dans l'aorte. Au troisième impact, l'homme s'effondre, la bouche et le nez en sang, noyé dans sa propre pisse.

C'était comme ça qu'on réglait les comptes à la Mafia, d'autant plus quand on n'était pas d'humeur à bavarder. Pendant un moment de creux, il regarda le bout de ses pompes teinté d'écarlate et ne put s'empêcher de lâcher un cracha de dégoût. Mori l'avait envoyé faire le sale boulot pour qu'il lui foute la paix, c'était sûr, sauf que Chuuya n'avait pas l'intention de lâcher le morceau.

Gémissement guttural, salivaire, incompréhensible. De lassitude, il l'acheva d'une balle dans le crâne. Ce genre de fouille-merde qui retournait sa veste à la moindre occasion avait le don de lui foutre les nerfs, encore plus par une journée comme celle-ci. Parce que le patron grisonnant des chiens galeux, le Fukuzawa, c'est lui qui s'était chargé de l'accueillir, après qu'il ait laminé la moitié de leurs hommes et passé les plus téméraires au fil de sa lame. Lui non plus ne devait pas être de bonne humeur. Chuuya ne l'avait pas vu souvent, mais il savait que le gars n'était pas du genre à s'emporter pour la moindre broutille. Vu comment il les avait expédiés, il était plutôt clair qu'il ne venait pas pour un café. Quelque chose de grave avait dû se produire.

« Il aurait pu nous être utile », marmonna Hirotsu dans une trainée de fumée, à propos du cadavre qui trainait au sol.

– Mouais…

Les sentences étaient aléatoires à la Mafia, selon l'humeur de l'exécutant, et la sienne était désastreuse.

Mori avait reçu Fukuzawa sans faire de frasques, et même avec une gravité inquiétante quand on connaissait le personnage. Ils avaient parlé… vingt minutes, peut-être un peu plus, pendant que lui jouait les portiers. Et puis l'autre était parti sans un mot. Quant à Mori, il s'était contenté de lui refiler son ordre de mission à la con avant de se cloitrer dans son bureau. Le message était clair : te mêle pas de ça. Sauf que quand ça concernait l'ADA, il était toujours dans le coup. Qu'est-ce qui pouvait bien clocher cette fois pour que ce soit si confidentiel ? L'exécution n'avait pas réussi à le calmer. Il se sentait frustré, prêt à exploser à tout moment et ce n'était pas trois coups de pieds dans une poubelle, une bastonnade et un tir en pleine tête qui allaient lui calmer les nerfs, parce que l'air de rien, il sentait bien que ça avait un rapport avec Dazai. Fallait pas se foutre de lui non plus. La dernière fois qu'il l'avait vu, son ancien partenaire avait fini sous le défibrillateur. Bien sûr que la visite du patron de l'ADA avait un rapport avec lui.

– Putain ! Si ça se trouve il est mort ! », s'écria-t-il tout haut.

– Qui ça ?

– Dazai…

Tout en le fixant derrière son monocle, Hirotsu tira de nouveau sur sa cigarette et souffla un long filet vaporeux. Chuuya se demandait parfois s'il lui arrivait de lâcher sa clope. S'il fumait par habitude, addiction, ou juste pour avoir la classe, avec son style de vieux dandy.

– J'ai entendu dire qu'il était mal en point… » marmonna le mafieux.

– J'ai déjà vu Dazai dans des états pas possibles mais là je crois qu'il a franchi ses limites", confessa Chuuya.

– Tentative ?

– Même pas. Apparemment, lui et un autre agent auraient été attaqués. J'en sais pas plus.

Informations partielles, qu'il avait saisies à la volée sans les creuser. Depuis son départ de la Mafia, il veillait en effet à ce que sa route et celle de Dazai soient bien séparées, même si leurs chemins se croisaient parfois, un peu trop souvent à son goût.

– Y a quelques choses qui cloche », marmonna-t-il en nettoyant sa semelle dans l'eau trouble d'une flaque.

Il y avait cette appréhension, ce quelque chose dans sa tête qui ne voulait pas partir et qui l'empêchait de toute façon de se concentrer sur quoi que ce soit. S'il n'y allait pas, il le regretterait sans doute, peut-être toute sa vie. Parce que depuis qu'ils étaient gosses, depuis leurs premiers pas en tant que partenaire, quelque chose les liait lui et Dazai.

– Faut que je file », déclara-t-il. « Je te confie la mission. »

– Le boss n'appréciera pas » le prévint Hirotsu avec ce ton impérieux des anciens. Il était si sérieux qu'il en avait même lâché sa clope. « Ça retombera sur toi quand il le se saura. »

– J'en ai rien à foutre !

Chuuya était énervé cette fois, et il ne savait pas si c'était à cause de Mori, de Hirotsu ou de cette anxiété terrible qui le prenait désormais aux tripes. « Faut que je sache », siffla-t-il avant de tourner le dos au vieil homme.

Faut que je sache s'il est mort.


S'il était mort, il le sentirait. Atsushi en était certain. Si Dazai mourrait, il ressentirait ce pincement au coeur, cette petite aiguille qui viendrait s'y enfoncer soudainement. Un battement raté, un malaise quelconque, mais de toutes les façons, il saurait. Et c'est ce qui lui donnait la force de continuer, parce qu'il sentait que Dazai était encore en vie. Que rien n'était perdu. Alors jusqu'au bout, il se battrait. Mais par quoi commencer ?…

Les quelques minces pistes qu'ils avaient explorées n'avaient rien donné. Leurs signalements étaient restés sans réponse, et même en ayant cherché toute la nuit, en passant sa chambre d'hôpital, son appartement et même son bureau au peigne fin, ils n'avaient rien trouvé. C'était ailleurs qu'il fallait chercher.

Quelque chose lui disait que Dazai ne s'était pas enfui, qu'il n'avait pas été enlevé non plus, mais qu'il s'était perdu. La silhouette dans le brouillard. Là où personne ne pouvait le rejoindre…

Le poing serré sur le cryptex qu'il avait trouvé dans la poche de son imperméable, Atsushi déplia lentement les doigts et le fixa un moment. Que faisait cet objet dans la poche de Dazai ? Est-ce qu'il l'avait oublié ou délibérément gardé sur lui ?

Kunikida et Yosano étaient partis faire le tour des gares et des compagnies de taxis. Il avait même appris que Fukuzawa s'était rendu au siège de la mafia portuaire. Tout le monde se mobilisait sans réellement savoir quoi faire et surtout où chercher.

Il n'y avait que lui qui était resté à l'hôpital. Au cas où, avait-il dit. Mais la vérité, c'est qu'il avait besoin de réfléchir seul. Les yeux toujours braqués sur le petit objet avec ses bagues entourées de chiffres, Atsushi le fit tourner entre ses doigts, puis le posa à nouveau sur sa paume. Il était comme Dazai cet objet. Là, bien présent dans sa main, tangible, offert au regard et au toucher, mais impossible à ouvrir et donc à comprendre sans la bonne combinaison. Dazai était un coffre fort à lui seul, et comme le cryptex, Atsushi avait le sentiment qu'il renfermait en lui un secret. Un secret si lourd à porter que l'ancien mafieux avait peut-être lui-même oublié le code qui permettait d'y accéder. D'où cette impression d'avoir en face de soit une coquille vide quand on le regardait. Dazai n'était pas vide. C'était le néant qu'il recelait dans ses entrailles. Une nébuleuse de secrets qui avait fini par l'aspirer dans ses propre abysses.

Fermant les yeux, il inspira longuement et rangea le cryptex dans sa poche. Tu délires mon pauvre Atsushi. C'est alors qu'il remarqua, dans la lumière matinale, la silhouette qui s'approchait d'un pas marqué, presque agressif, dans sa direction. Depuis l'ouverture de l'hôpital aux visiteurs, il avait à peine remarqué l'animation croissante des couloirs, les voix qui trainaient autour de lui et l'écho des pas perdus qui résonnaient du sol au plafond, mais impossible de manquer la tignasse flamboyante et la démarche arrogante de Nakahara Chuuya. L'un, si ce n'est le mafieux le plus redoutable qu'il n'ait jamais croisé.

Avec le naturel de ceux qui n'ont plus l'habitude de demander et dont la simple présence suffit à activer le monde autour d'eux, ses iris au bleu électrique se posèrent sur le jeune homme. Atsushi ne put s'empêcher de déglutir et sentit ses épaules se tendre. Il n'y avait pourtant rien d'agressif, ni même d'inquisiteur dans ce regard constamment sur le qui-vive, où se mêlaient à la fois la confiance et l'impulsivité.

– Où est-il ? » demanda seulement Chuuya lorsqu'il fut devant lui.

– Qui ça ? » ne put s'empêcher de bredouiller Atsushi, bien qu'il connaisse intimement la réponse.

– Ce crétin de Dazai.

D'hésitants, les mots se firent alors de glace sur ses lèvres, comme un secret inavouable qu'il serait dangereux de révéler.

– Disparu », parvint-il seulement à souffler.

Les sourcils du mafieux se froncèrent.

– Disparu ?

– Hier soir. Sans laisser de trace.


Ça. C'était donc ça que Fukuzawa était venu annoncer à Mori et que ce vieil escroc lui avait jalousement dissimulé, à coup de « vas t'amuser là-bas et t'en mêles pas ». La seule question qui envahit l'esprit de Chuuya à l'instant où le jeune agent lui prononça ces mots fut un immense Pourquoi. Pourquoi le lui cacher ? Pourquoi l'empêcher de savoir ? Pourquoi ne rien faire ? Pourquoi serait-ce si grave ? Pourquoi diable cet énergumène avait-il encore disparu ? Il l'avait quitté mourant, et voilà désormais qu'il jouait les fantômes ?!

– Vous avez fouillé chez lui ? » lança-t-il en s'adressant au gamin comme à l'un de ses sous-fifres.

– Euh… oui…

– Dans tous les endroits qu'il a l'habitude de fréquenter ?

– Je… j'imagine.

– Le Lupin ?

Cette fois, le garçon se contenta de le fixer avec ce quelque chose d'exaspérant dans ses grands yeux de carpe. Malgré sa taille et sa carrure de jeune adulte, il avait l'air d'un enfant sans défenses.

– Le Lupin », répéta Chuuya. « C'est un pub où il allait souvent à l'époque. Je sais qu'il y va encore. Le Lotus blanc aussi. Un… »

Il s'interrompit. Ce n'était pas pour les enfants. Il faudrait qu'il vérifie par lui-même, et qu'il le fasse vite, parce qu'il avait un terrible pressentiment. Ce n'était pas du vent cette fois, il l'avait vu. Dazai était en danger pour de vrai et y passerait si lui ou quelqu'un d'autre ne le ramenait pas d'urgence à l'hôpital. D'un geste impulsif, il essuya son front et réajusta le chapeau sur sa tête. À quoi pouvait-il bien penser pour vadrouiller dans un état pareil ?

– Ça pourrait être un enlèvement », dit une voix dans son dos, comme un écho à ses propres pensées. « Peut-être qu'il n'est pas parti de lui-même. »

Il se retourna. Le gosse, Atsumachin… le fixait toujours et de façon si insistante que cela en devenait gênant à la longue.

– Tu devrai aller voir au Lupin » dit-il en balayant l'air de la main, sans tenir compte de ses paroles. « Je vais jeter un œil au Lotus… »

– Non.

Le ton du jeune homme était cette fois sans appel, presque dissonant pour sa voix d'adolescent prépubère.

– Pardon ?

– Dazai n'est pas là-bas » souffla-t-il, plus hésitant. « J'en suis pratiquement sûr. »

– Et qu'est-ce qui te fait dire ça ?

– Un pressentiment.

Il tiqua. Voilà qu'il devenait curieux ce jeune crétin, presque intéressant. Assez du moins pour qu'il ne tourne pas immédiatement les talons.

– Sa disparition a quelque chose à voir avec notre affaire », poursuivit-il en plaçant sa paume sur son coeur. « Je le sens. »

– L'affaire Kogoro ?

– Oui…

Voilà qui devenait intriguant… et étrangement cohérent avec les habitudes de son ancien coéquipier. Dazai ne faisait en effet jamais rien de personnel. Tous ses agissements, y compris ceux qu'ils ne voyaient pas et qu'il cachait bien soigneusement dans les replis de son imperméable, étaient liés à l'affaire qui l'occupait. Chuuya l'avait compris à ses dépends, lorsque bien souvent, il avait cru être mené en bateau par son partenaire alors que ce dernier ne faisait qu'activer des rouages invisibles à leurs yeux, perceptibles aux siens, et par lesquels l'affaire arriverait à son terme. Et Mori qui l'avait lui aussi lancé sur l'affaire sans rien lui dire, qui l'avait écarté lors de son entretien avec le détective et qui le mettait encore à part pour ne pas lui dévoiler ses petits secrets. Oui. Il y avait définitivement quelque chose de louche.

– Et qu'est-ce que tu sens d'autre, jeune tigre ?


C'était ténu, presque insensé, mais Atsushi eut soudain l'impression que Nakahara Chuuya était le seul à pouvoir l'écouter et même l'aider. Alors il parla. Il lui dit les malaises de Dazai, ses défaillances de plus en plus répétées, de la tasse de café renversée jusqu'à sa perte de connaissance dans les couloirs de l'institut psychiatrique. Ce qu'il avait découvert sur son lien avec Tomie Yamazaki, jusqu'au cryptex dans sa poche. Et de manière complètement surréaliste, à tel point qu'il ne l'aurait jamais crue possible en ce bas monde, Nakahara Chuuya l'écouta jusqu'au bout sans sourciller, sans le contredire, sans se moquer, avec seulement dans le regard une gravité de plus en plus palpable.

– Est-ce… est-ce qu'il y a quelque chose… dans son passé… qui l'aurait lié d'une manière ou d'une autre à Kogoro Akechi ? » demanda Atsushi dans un filet de voix. Il avait le front en sueur et le coeur si serré d'anxiété qu'il en avait presque mal.

– Rien que je ne connaisse, mis à part son incident avec Yamazaki et sa tentative de la tuer.

Ces mots le firent frissonner. Il avait tendance à l'oublier, mais Dazai avait bien tenter de brûler vive Tomie Yamazaki. Quelles autres atrocités avait-il commises ? Et lesquelles avait-il vécu pour pouvoir les perpétrer sans une once d'hésitation ? Un exécutant sans coeur devenu un clown au service des autres… entre ces deux visages, où était le véritable Dazai ?

– Est-il possible qu'il nous cache quelque chose de son passé ?

Un petit rire sans joie franchit les lèvres du mafieux.

– Dazai n'a jamais rien dévoilé à personne ! Il passe sa vie à nous cacher des choses, et c'est d'ailleurs ce qui le rend aussi exaspérant.

Atsushi sentit ses sourcils de hausser de surprise… et de soulagement. Pour la première fois, il ressentait chez Nakahara Chuuya le même agacement, la même frustration qu'il ressentait à l'égard de son mentor et qu'il pouvait aussi percevoir chez tous ceux qui s'inquiétaient quotidiennement pour lui. Kunikida le premier.

– Je n'ai jamais été un bon confident », poursuivit Nakahara, les yeux dans le vide. « Même si je l'avais voulu, Dazai ne m'aurait jamais rien dit. C'est une tombe bien fermée sur ses secrets… »

Après avoir éprouvé un micro espoir, Atsushi se sentit de nouveau envahi par le doute. Bien sûr qu'il se heurterait à un mur en cherchant dans le passé de Dazai, et même son plus proche complice ne semblait pas plus avancé que lui sur ce plan-là.

– Il n'y en a qu'un, à qui il aurait pu se confier », marmonna néanmoins le mafieux, toujours perdu dans ses pensées.

– Qui ça ?

En plein yoyo émotionnel, Atsushi s'était soudainement approché de lui, provoquant à l'homme un mouvement de recul.

– Odasaku », souffla-t-il. « Sakunosuke Oda. L'un de nos exécutants. »

– Où peut-on le trouver ?

– Il est mort…

Ces mots chutèrent de sa bouche comme une coulée de plomb, et même l'atmosphère sembla tout à coup plus lourde. Ce fut à son tour de reculer.

– Le Lupin, ils y allaient ensemble avec quelqu'un d'autre. Un homme qui a travaillé pour nous, et qui est encore vivant aujourd'hui.

Atsushi releva les yeux avec la sensation que cet individu dont parlait Chuuya était soudain leur tout dernier espoir.

– Et qui est cet homme ?

Un éclair bleu traversa les pupilles du mafieux.

– Ango. Sakaguchi Ango.


C'était ce même café, ce même serveur aux mèches noires et fines qui lui tombaient sur le front, cette même porcelaine et ces mêmes petits sabliers par lesquels s'écoulait le temps, et d'abord la durée d'infusion de son thé, mais Tomie avait l'étrange impression que la lumière y était plus vive, et les formes plus distinctes.

Elle s'était acheté un carnet de notes et un stylo. Le dos bien calé sur le dossier de sa chaise, très droite, elle l'ouvrit et entreprit de réunir ses notes concernant l'affaire. Ce serait plus simple, et ainsi pourrait-elle dégager sa prochaine piste à explorer. Dazai avait disparu certes, mais elle avait bien compris que tous les agents étaient à sa recherche, Kunikida compris. Sa priorité à elle restait donc Akechi. Peut-être même que si elle retrouvait Akechi, elle retrouverait Dazai. Pour peu qu'elle ait envie de le retrouver… mais ça, c'était un autre histoire…

« Voyons… »

La plume de son stylo suspendue au-dessus de la page blanche, elle prit une courte inspiration, retira le sachet de thé de sa théière avant que le temps ne soit complètement écoulé, en versa quelques gouttes dans sa tasse, et commença à écrire.

- Tout commence par Mary, Bram et Lewis arrivés d'Angleterre. Bram touche à l'occulte, tente des expériences interdites et sombre dans la folie. Enceinte, Mary fait une fausse couche et meurt. A-t-elle réellement perdu l'enfant ?

Après tout, la perte de son enfant ne faisait l'objet d'aucune preuve… les lettres à Lewis indiquaient bien que Mary avait-été enceinte entre 1948 et 1949. Les notes de Bram indiquaient qu'elle avait perdu la vie, mais aucune ne mentionnait la perte de l'enfant. Aucune. Tomie redressa la tête. Et si elle avait fait une erreur en croyant que Sachiko et Mary étaient la même personne ? Les dates ne coïncidaient pas, l'écart était trop grand… mais si Mary avait accouché d'une fille ?… Lucy…

« Lucy ? » ajouta-t-elle seulement à titre de rappel et d'hypothèse. Ce n'était pas le moment de se perdre dans ses élucubrations. Elle avait exploré suffisamment de fausses pistes pour perdre davantage de temps, et reprit donc.

- Bram mène de nouvelles expériences afin de ramener sa femme. Qu'est-il devenu ensuite ? Ses expériences ont-elle abouti ?

Elle se souvint d'une note dans son carnet. Quelques mots épars, à la fois incohérents et victorieux. « SHE'S ALIVE ! ». La mention de son propre sang. Et les cadavres mouvants du sous-sol, les notes occultes du grenier…

- Bram a réussi. Il est capable de ramener les morts à la vie. L'a-t-il fait pour Mary ?

Un premier volet terminé. Venait le second. Elle tourna la page.

- Une cinquantaine d'années plus tard, Akechi enquête sur eux. Pour quelles raisons ?

Sa conversation avec Anglo, le soir où la créature l'avait attaquée…

- Mandaté sur une enquête qui impliquait des expériences clandestines menées par Ougai Mori. Qui a rouvert l'enquête ? Pourquoi maintenant ? Et si elle s'intéressait à la source du problème… De fil en aiguille, il ne remonte pas seulement jusqu'à Mori, mais aussi jusqu'à Bram. De quelle manière peuvent-ils être liés, alors qu'un demi siècle les sépare ? Mori aurait-il pu reprendre les travaux de Bram ?…

D'un accord commun avec la mafia, le ministère passe l'éponge, mais Akechi s'acharne et découvre autre chose. Quelque chose qui le conduit à un entretien hautement confidentiel avec le boss Mori. Deux mois plus tard, il dit voir le cadavre en feu de sa femme, et être pourchassé par une créature monstrueuse, ce qui le conduit à l'internement…

Quelque chose s'était produit au cours de ces deux mois. Akechi avait poursuivi son enquête avec l'accord de Mori, sous couvert de garder ses secrets. Jusqu'où était-il aller ? Malgré son calme apparent, Tomie sentit une vague d'angoisse lui compresser la poitrine, et continua à écrire.

- Akechi n'était pas fou. Le cadavre de sa femme était peut-être réel compte-tenu des capacités de Bram, et l'existence du monstre est avérée.

Un éclair la frappa soudain. En admettant que Bram soit bel et bien capable de réanimer les morts, en admettant que toutes les hallucinations d'Akechi étaient en fait bien réelles... était-il possible que Bram ait ramené sa femme ? Cela signifiait donc qu'il était encore vivant, défiant les lois de la biologie et de la dégradation cellulaire. Et ce monstre… était-il possible qu'il s'agisse de Bram. L'hypothèse lui fit avaler son thé de travers et lui arracha une quinte de toux qui fit se retourner le serveur. Bram et le monstre… et s'ils ne faisaient qu'un ? L'analogie la prit totalement de court. Lâchant son stylo, Tomie tenta de calmer les battements de son coeur en calant ses mains sous son menton, les doigts entrelacés. Elle sentait bien, depuis plusieurs jours, que l'affaire prenait des proportions de plus en plus graves et s'engouffraient dans des abysses sans fond, jusqu'à aborder des questions posées depuis la nuit des temps, la vie et la mort, l'âme, le corps, mais de là à penser que Bram était toujours en vie…

« Et pourquoi pas ? » souffla-t-elle. Les cadavres du sous-sol l'étaient bien, et celui-ci, elle l'avait vu de ses yeux, leur ressemblait en tout point sans être… mort pour autant. Avec un frisson d'horreur, Tomie se souvint de sa rencontre avec la créature dans cette cave puante, de son visage aux traits dévastés, à peine comparables à ceux d'un être humain, ses yeux injectés de sang. Bram aurait-il pu changer à ce point ? Une chose était certaine, puisque le pouvoir de Dazai n'avait pas d'effet sur lui, cette chose était bel et bien vivante. Et plus elle y pensait, plus l'évidence s'imposait d'elle-même.

Bram Stocker était la créature.

Les mains tremblantes, Tomie entreprit de reprendre son souffle et reprit son stylo. Si son intuition était bonne, il lui faudrait comprendre par quel miracle Bram avait pu survivre et pourquoi il avait fini dans cet état. Un effet secondaire de son pouvoir ? Qui pourrait la renseigner à ce propos ? La pensée d'Ougai Mori l'effleura. Elle se demanda même s'il n'était pas au courant de la survie de l'ancien scientifique et de son œuvre. Était-ce cela qu'Akechi avait découvert ?…

Toujours est-il qu'il en restait un troisième. Le plus discret, et pourtant, peut-être la pièce manquante du puzzle. Lewis. Stylo en main, elle reprit ses notes.

- Lewis Carroll, fou amoureux de Mary. Propriétaire d'une maison, quelque part près d'une plage…

De nouveau saisie d'une intuition, Tomie fouilla son sac à la recherche des lettres écrites par Lewis et que Mary avait religieusement conservées dans le tiroir de sa commode. Et si là aussi, dans la précipitation, elle avait raté un détail ?

Les lettres étalées sous les yeux comme des pièces archéologiques, elle relut chaque mot, chaque phrase méticuleusement, avec la rigueur d'un scientifique, les observa même à la lumière du jour pour voir si elles ne recelaient pas un message caché, plongée dans les sentiments de Lewis, cette sensibilité à fleur de peau qui se révélait entre chaque ligne… avant de trouver enfin ce qu'elle cherchait. Un nom. Ounohama. Là où se trouvait la villa achetée par Lewis.

Là aussi où elle poursuivrait son enquête.


Ango avait l'habitude des imprévus. Il vivait avec et, en dépit de ses airs très guindés de petit garçon solitaire bien à jour dans ses cahiers, il pouvait s'adapter à presque n'importe quelle situation inédite. Presque. Car ce matin-là, il ne s'était pas attendu à trouver devant la porte de son bureau un duo formé d'un mafieux et d'un agent de l'Agence des Détectives armés. Dès qu'il les vit, il eut envie de prendre ses jambes à son cou, la gorge serrée par un très mauvais pressentiment.

– En quoi puis-je vous aider ? » lui fit néanmoins articuler ses rouages bien huilés de bureaucrate aguerris.

Un mot, un seul. « Dazai ». Il leur suffit de le dire avec ce regard extrêmement grave des situations critiques pour qu'il leur ouvre son bureau sans la moindre hésitation, referme la porte à double-tour et les invite à s'asseoir. Ce genre d'affaire ne se réglait en deux échanges au détour d'un couloir.

– Un café ?

– Un whisky », rétorqua le mafieux.

– Rien… » bredouilla l'agent.

En ce qui le concernait, il lui en faudrait deux ou trois pour tenir la route, et tandis qu'il versait quelques centimètres d'alcool dans un verre prévu à cet effet et qu'il préparait sa machine personnelle pour se faire couler un café, Ango se remémora les événements qui l'avaient amenés à l'hôpital en compagnie de Tomie, trois jours plus tôt. Coup de fil du ministre lui-même, prévenu par le président de l'ADA de l'agression des deux agents mandatés sur l'enquête concernant Kogoro. Un pronostic vital engagé. Celui de Dazai. La sensation que son coeur allait s'arrêter et qu'un coup de jus l'avait relancé lorsqu'il avait appris que Tomie n'avait rien, qu'elle s'était tenue en dehors de cette histoire, grâce au ciel. Sa quête de la jeune femme au milieu des brumes matinales, le souffle court, et cette impression de respirer à nouveau lorsqu'il l'avait vue s'extraire de la grisaille opaque des premières lueurs du jour. Il n'avait même pas voulu savoir où elle avait passé la nuit. Cela ne regardait qu'elle. Tout ce qui comptait, c'est qu'elle allât bien. Ango n'avait ensuite fait que son travail. La conduire en silence à l'hôpital et s'enquérir rapidement de l'état des deux agents, avant de rentrer à son tour pour faire son rapport au ministre. L'enquête mise en suspend. Et dire qu'au départ, l'affaire lui semblait presque grotesque…

– Je vous écoute », annonça-t-il en s'asseyant face aux deux hommes, sa tasse fumante à la main.

Le soleil brillait à nouveau sur Yokohama et diffusait des rais de lumière dorée à travers les fenêtre de son bureau, éclairant les petits brins de poussière qui s'élevaient de la moquette.

Le mafieux au chapeau avala son verre d'un trait. L'agent se contentait quant à lui de gigoter, mal à l'aise, sur son siège. Ango avait l'impression que s'il aurait pu disparaître, se faxer sous la table ou s'échapper par une ouverture du plafond, il l'aurait fait sans la moindre hésitation.

– Dazai a disparu… » annonça-t-il néanmoins, après avoir compris que la charge de la nouvelle lui revenait. « Hier soir dans la nuit. Impossible de le retrouver. »

Ces mots avaient bien sûr quelque chose de très grave, ajouté au ton dramatique du jeune homme, mais Ango ne put s'empêcher de ressentir une certaine irritation. On ne le dérangeait que pour ça ?

– Je compatis sincèrement », répliqua-t-il, « mais je ne vois pas en quoi cela puisse être de mon ressort. »

– Je crois que ça l'est parfaitement », le coupa sèchement le mafieux.

Ses cheveux roux et son regard au bleu perçant étaient reconnaissables entre tous. Nakahara Chuuya. Ango ne se sentait cependant pas d'humeur à fléchir, encore moins à se laisser intimidé. S'il avait pu passer deux ans dans les locaux de la mafia portuaire au contact des affaires les plus sensibles et les plus confidentielles, c'est justement parce que l'arrogance des Yakuzas ne l'effrayait plus.

– La disp… la disparition », bégaya l'agent, Nakajima Atsushi, s'il en croyait sa mémoire, « est sans doute liée à l'affaire. Nous soupçonnons Dazai d'avoir un lien commun avec Kogoro… c'est difficile à dire et cela ne repose sur aucune preuve réelle, mais c'est comme si l'enquête avait… fait remonter quelque chose de son passé. »

Ango se surprit à acquiescer. Et lui qui prenait ce petit agent pour un simple d'esprit… « Nous cherchons à savoir quoi », ajouta le garçon dans un souffle de voix.

Le silence qui s'ensuivit fut d'une lourdeur comparable à celle de l'atmosphère qui précède un gros orage. Bien qu'il tente de contenir ses pensées, le cerveau d'Ango, aussi efficace qu'une base de données informatiques n'avait pu s'empêcher de lui envoyer le souvenir de sa conversation avec Ougai Mori, juste après l'internement d'Akechi. Cette promesse de ne rien dire, de dissimuler toutes les preuves, échangée contre un secret que personne n'aurait jamais dû connaître, et surtout pas lui… Ango s'aperçut soudain qu'en livrant tout ce qu'il savait à Tomie, il avait rompu la promesse faite à Ougai, et qu'il était même sur le point de livrer son secret… Pourquoi cependant payer aussi cher son silence alors qu'il avait lui-même récupéré les résultats d'Akechi sur l'enquête ?… C'était comme si, quelque part, Mori cherchait à diffuser la vérité. La sienne. Celle de Dazai aussi.

– Nous perdons du temps à rester là », intervint le mafieux d'un agacé, « mais le fait est que Dazai et toi étaient proches à un moment donné. Lui, toi et Oda Sakunosuke. »

D'abord braqué par le tutoiement et le manque de manières de son interlocuteur, Ango se figea tout à coup. L'évocation de son ancien collègue et ami ralluma en lui un feu depuis longtemps éteint. Celui de la colère et de la honte. Du manque aussi. Le souvenir de cette silhouette échouée sur le sol tapissé des lumières du crépuscule comme un morceau de bois rejeté par la mer. Un grand homme, un être plus généreux qu'il n'en avait jamais côtoyé, disparu dans le silence le plus total, sans personne pour le pleurer si ce n'est lui. Et Dazai. Les émotions qui affleurèrent alors et faillirent embuer ses lunettes, il les repoussa aussi loin que possible.

– Ne vous méprenez pas, Chuuya-san », articula-t-il donc en insistant sur les formes, les yeux braqués sur le mafieux. « Dazai-san ne nous confiait rien à moi et à Oda. Je crois sincèrement qu'il aimait passer du temps avec nous. Il appréciait notre trio, et il vouait une sincère amitié à Oda, mais jamais il ne s'est confié en ma présence. Si Sakunosuke-kun fut son confident un jour, voilà longtemps qu'il a emporté ses secrets dans sa tombe. »

Le regard de Chuuya se fit d'abord méfiant avant qu'un soupir ne vienne un tant soit peu l'adoucir. Il semblait presque déçu. Atsushi semblait quant à lui s'être tout à fait pétrifié entre les accoudoirs de son fauteuil.

– J'en étais sûr… », marmonna le premier. Et ces mots semblaient presque tristes.

Ango commençait de son côté à comprendre. Sans piste pour retrouver Dazai, ces deux-là s'étaient retrouvés chez lui dans le but d'extraire un petit bout du passé de l'ancien mafieux de sa mémoire, le moindre petit élément qui puisse le sauver. Il y avait là quelque chose de touchant.

– J'ai dit que je n'avais jamais eu d'informations de la part de Dazai », ajouta-t-il, conscient de rompre tout à fait la promesse qu'il avait faite à Mori et qu'il était prêt à en assumer les conséquences.

Tomie avait raison sur ce point. Voilà bien trop longtemps que le ministère jouait les lèche-bottes d'une organisation pourtant hautement criminelle.

« Cela ne veut pas dire que je ne sais rien de son passé, à titre tout à fait confidentiel. »

De concert, les visages des deux hommes en face de lui se relevèrent. Chacun semblait suspendu à ses paroles comme si le destin du monde en dépendait. Ango prit une longue inspiration, et commença ce qu'il savait être l'une des plus grandes révélations de sa carrière.

« Il y a quelques mois, juste après la disparition de Kogoro Akechi, Ougai Mori, le boss de la Mafia portuaire, a demandé un entretien privé avec moi et Santouka-sama. Il a demandé à ce que l'appartement d'Akechi soit vidé et à ce qu'il puisse personnellement s'y rendre pour récupérer le dossier de la dernière affaire sur laquelle travaillait notre détective. Il nous a également fait jurer de garder le silence sur cet entretien. Requête à laquelle nous avons accédé. Mori a ainsi obtenu la perquisition de l'appartement d'Akechi et notre silence, non par la force ou la persuasion, mais contre une information capitale et personnelle, celle de sa succession. »

Le regard de Chuuya s'agrandit et ses mains gantées se crispèrent sur les accoudoirs de son fauteuil. De tous les mafieux, il était sans doute l'un des plus impulsifs et prompt à la colère. Comment réagirait-il après cela ? Ango décida néanmoins de poursuivre.

« Mori était le médecin personnel de l'ancien boss de la Mafia portuaire, et son plus proche ami lors de ses derniers jours. La version officielle veut qu'à son décès, c'est à lui que l'ancien boss a légué toutes ses charges, ainsi que la direction de son organisation. Personne n'y a trouvé à redire, pourquoi ? Parce que Dazai était témoin. N'est-ce pas étrange ? »

– En effet », admit Atsushi, les traits tendus dans l'attente de ce qui s'en viendrait.

« Osamu Dazai ne faisait pas encore partie de la mafia lorsque Mori en a pris la tête. Il n'avait que quatorze ans de surcroît. Comment le témoignage d'un enfant de quatorze ans, qui n'est même pas un membre de l'organisation, peut-il jouer un rôle dans la succession des plus hautes sphères ? »

– Viens-en aux faits putain ! » aboya Chuuya, visiblement à bout de patience. « Tout le monde détestait l'ancien boss ! C'était un taré et l'arrivée de Mori a sauvé l'organisation. La présence de Dazai n'était qu'une formalité, point barre. »

– En effet. La folie meurtrière de l'ancien mafieux et ses méthodes ont distillé la peur autour de lui et lui ont mis a dos même ses plus proches collaborateurs. Tout le monde était prêt à accepter Mori comme nouveau successeur. Mais comment se fait-il qu'aucun successeur légitime ne soit venu se manifester à sa mort ? Il était pourtant de notoriété publique que la descendance de l'ancien boss était non seulement nombreuse, mais aussi très active. »

– Il sont tous morts », grommela Chuuya avec cette fois quelque chose de sinistre dans la voix.

Ango acquiesça. En effet, l'ancien boss de la Mafia portuaire avait conçu cinq enfants.

« Tués par leur propre père », compléta-t-il tandis que le jeune Atsushi frémissait d'horreur. « Tous, sauf un. »

Le silence qui s'instaura entre eux, seulement rythmé par le bruit de la circulation au-dehors et les frémissements de part et d'autre du bâtiment, créa l'effet d'un temps suspendu. Même les petits bouts de poussière qui voletaient dans les rais de soleil semblèrent se figer. C'est Chuuya qui parla le premier, à mi-voix, comme si le souffle lui manquait tout à coup.

– Ne me dites pas que…

– Si », confirma Ango. « Osamu Dazai est le fils légitime de l'ancien boss de la mafia portuaire. »


Pour cette révélation, je me suis basée sur une théorie super intéressante que j'avais trouvée un soir, alors que je n'avais visiblement rien d'autre à faire, et du coup le fait que Dazai soit le fils de l'ancien boss me semble hyper cohérent, presque canonique. Qu'en pensez-vous ? J'espère que ce chapitre vous a plu, et je vous dit à bientôt pour la suite !