Bonjour à tous, voilà la suite, donc petite annonce, comme d'habitude. Quelques mots seulement pour préciser que je ne suis pas contente de ces lignes. Je ne vais pas tomber dans l'autoflagellation mais après le dernier chapitre... je ne trouve pas ça très fou. Chapitre de transition en gros, ponctué de quelques révélations. Voilà.

Bonne lecture !


Chapitre 24 –

Elle avait déjà vu le visage de la mort. Cette face hideuse, hirsute qui n'apparaît qu'aux instants les plus désespérés. Tomie l'avait vue sous les traits de ses deux collègues dont la vie avait été volée en une seconde à peine. Elle l'avait vue dans le regard de Dazai, le jour où il l'avait tuée. Elle l'avait croisée dans les couloirs sordides de sa pension, dans les rues mal éclairées, dans les arrières-cours et les hall de ces cinémas défraichis qui n'ouvrent qu'après minuit. Elle pensait la connaître par coeur, comme tous les ignorants, jusqu'à ce qu'elle la vît de nouveau sur cette plage. Jamais encore la mort n'avait alors arboré de traits plus déchirants, plus douloureux.

Charles avait roulé à toute allure et l'avait aidée à traverser la plage malgré les bourrasques et les volutes de sable qui leur griffaient les joues, leur piquaient les yeux. C'est là que Tomie l'avait vu. Le visage du spectre qui la suivait depuis le jour où Dazai avait fait voler sa vie en éclat. Il n'avait plus son sourire grimaçant, ni ses yeux moqueurs ou cette odeur malsaine qui le suivait partout, non. Cette fois, la mort se nichait dans les larmes de cet homme, accroupi sur le rivage, et qui pleurait comme un enfant.

Kunikida avait perdu ses lunettes. Ses cheveux, couverts d'algues et raidis par le sel couvraient son front livide et ses épaules grelottantes. Entre ses paumes rouges de sang gisait une main livide, inerte, plus blanche encore que lui. Celle d'un homme un peu trop mince, aux cheveux bruns et bouclés.

Ce fut à cet instant que Tomie le sentit.

Au moment où elle comprit à qui appartenait le corps étendu sur le sable, le poids qu'elle gardait en elle depuis des années implosa. À l'intérieur même de ses tripes. Ce poids façonné de rancoeur, de haine et de souffrance, ce poids qui avait fait son martyr tout en restant son carburant, au quotidien. C'était lui qui lui avait permis de se relever, de remarcher, de respirer, de survivre dans le noir, au coeur des ténèbres, lui qui avait fait d'elle ce qu'elle était, qui lui avait conféré cette rage sanglante d'exister en dépit de ce qu'elle était devenue, et ce poids, ce poids-là qui l'avait à la fois nourrie et consumée, il n'existait plus désormais. À la place, il n'y avait qu'un gouffre si profond qu'elle en eut le souffle coupé. Ses genoux fléchirent, et sans même qu'elle le réalise, Tomie s'effondra elle aussi, les yeux rivés sur l'homme qui n'arrêtait plus de pleurer.

Ses propres larmes, elle ne les sentit pas. Ses tremblements non plus. Il n'y avait que le vide laissé par ce simple constat, cette vérité cinglante qui se jouait comme une pièce de théâtre sous ses yeux. Sauf qu'il n'y avait plus de masque, ni de costume. La réalité éclatait en petits morceaux épars. Et elle avait la couleur du néant.

Elle n'avait jamais voulu le voir mourir.

Elle n'avait jamais voulu le voir souffrir.

Sa vérité à elle, et que donnait à voir en creux le vide terrible, l'effondrement de tout ce qu'elle croyait.

Elle aurait préféré mourir à sa place, et ce dès le premier jour.


Un écho. Dans sa tête.

Ou à l'extérieur.

Son corps a froid. Mais pas lui.

Son corps a mal. Mais pas lui.

La douleur. Elle est à l'intérieur. Pas seulement dans ses organes. Dans toutes les fibres de sa peau. À l'intérieur même de ses os. Et plus loin encore. Là où se niche ce qu'il ne peut nommer, et qui lui donne le souffle et la vie. Elle est là aussi.

Pour la première fois de sa vie, Kunikida a envie d'en finir. Ce visage entre ses mains, ce corps inerte et qui le restera, c'est trop. C'est beaucoup trop. Ça fait trop mal. C'est trop injuste. Tellement injuste.

Ses cheveux noirs dans une mer d'écarlate.

Il sait, il sent qu'il n'y arrivera pas. À le ramener. Et il sent ses larmes qui n'arrêtent plus de couler. Les larmes de sel. Tout est si froid, tout est si rude. Pourquoi ?

Pourquoi vivre si ce n'est que pour perdre ? Aimer si tout est voué à s'arrêter un jour ? Sauver si c'est pour devoir renoncer à la seconde d'après ?

Cette main dans la sienne, glaciale, il la serre, la serre fort, comme pour le retenir. Ne pas le laisser partir. Pas encore. Ne pars pas. Pas encore. Reste avec nous. Pas encore. Reviens…

Il ne l'a jamais réalisé. À quel point Dazai compte pour lui.

Ne pars pas.

Et c'est maintenant trop tard.

Peut-être est-ce cet état second, les larmes qui ne cessent plus de couler et qui lui brûlent les joues, le froid qui paralyse ses membres, mais Kunikida n'a pas remarqué l'homme qui se précipite vers eux en courant. Il ne le voit que lorsqu'il s'agenouille sur le sable, les mains posées sur le torse de Dazai, et lève un regard effaré vers lui. Là seulement, il reconnaît le visage de Charles Ludwidge. Est-il seulement réel, cet homme qui leur a parlé d'une petite fille, de souvenirs d'ombres et d'instants oubliés, là-haut, sur la maison au bord de la falaise ?

L'homme parle, il ne l'entend pas. Il le regarde, il ne le voit pas. Il sent seulement quelque chose sur ses épaules, de chaud, de sec, et réalise que le vent lui fait un peu moins mal, mais ce n'est rien comparé au typhon qui a implosé à l'intérieur de lui.

De nouveau, l'homme pose ses mains sur le thorax du corps étendu à ses genoux et appuie, plusieurs fois. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Il ne comprend pas.

Puis il appose sa bouche sur la sienne. Souffle. Et recommence.

Une fois. Deux fois. Trois fois.

Souffle entre ses lèvres.

Et recommence.

À l'infini peut-être. Toujours par trois. Les coups sur son torse, aussi forts et profonds que ceux de son coeur dans sa poitrine. Une fois. Deux fois. Trois fois.

Et soudain, comme une éclaircie au coeur de la nuit, un souffle. Un souffle très faible, et qui ne vient pas de lui.

Kunikida l'a entendu avant lui, avant Charles. Il se penche soudain, à l'écoute de l'indicible. Et ça vient. Un souffle. Encore.

« Il respire… », murmure-t-il.

Ce fut soudain comme si le ciel au-dessus de sa tête et le sol sous ses pieds avaient retrouvé leur place. Il a froid, il sent le sel sur ses lèvres, le sable sur sa peau, le sang sur ses mains, il sent tout cela de très près, il entend et il voit. Il voit dans sa vision floue le visage de Charles qui se lève vers lui.

« Il est vivant », murmure-t-il.

Et là, entre ses mains tremblantes, à ses genoux, le corps s'agite à nouveau. Il pulse, il vit. Faiblement, mais il vit.

De l'eau s'est échappée de ses lèvres, ses paupières se sont crispées, et lui n'en croit pas ses yeux. Il vit. Dazai est vivant.

– Il faut l'emmener à l'hôpital », lança Charles en enveloppant Dazai d'une couverture avant de le soulever dans ses bras. « Vous pouvez marcher ? »

Hochement de tête, à peine conscient du miracle qui venait de se jouer.

Il réalisait à peine que Charles s'éloignait déjà. Kunikida ne distinguait pas ce qu'il y avait à trois mètres de lui. Il vivait dans un monde de flou et pourtant, il avait l'impression de voir plus clair que jamais. Cet homme, qui qu'il soit, avait sauvé la vie de son coéquipier. Et ami.


Des murs de briques, au rouge passé, couverts de lierre, rongés par le froid et l'humidité.

L'orphelinat où Hirotsu avait emmené Dazai après l'avoir retrouvé en ce matin d'hiver, là où l'ancien mafieux avait passé une partie de son enfance, avait fermé ses portes.

D'un geste rageur, Chuuya envoya valser la plaque indiquant en grosses lettres « DÉMOLISSION – INTERDICTION D'ENTRER » et alluma une cigarette pour se calmer les nerfs. Cela ne lui arrivait pas souvent, mais il était fatigué. Fatigué de remuer la merde et les ombres de ce passé informe aux relents de poussière et de sang. Fatigué de se demander s'il n'avait pas déjà vu Dazai pour la dernière fois. Fatigué d'avoir peur, car oui, il avait peur.

La suite, il l'appréhendait comme un monstre tapi dans le noir et dont on ne distingue que la force à cause de l'obscurité. De plus en plus, à mesure qu'il s'y aventurait, le passé de son ancien coéquipier prenait des allures de cauchemars et semblait receler une menace qu'il n'arrivait toujours pas à identifier. Était-ce ses propres peurs enfantines qui resurgissaient au contact des souvenirs interdits, des mémoires enfouies ? Une part de lui savait que le jeune Atsushi avait raison. Il fallait creuser plus loin, plus profond, mais il craignait que les fantômes ainsi libérés de leurs chaines ne finissent par tous les dévorer. Dazai avait tout fait pour oublier et pourtant, ses souvenirs continuaient de le ronger de l'intérieur. Et lui ? Est-ce qu'il n'allait pas lui aussi se perdre à force de fouiller le passé, au mépris du présent ?

Jetant son mégot sur la route où il acheva de se consumer, Chuuya agrippa le grillage qui séparait le bâtiment à l'abandon du reste du monde et l'escalada en quelques mouvements. L'herbe haute amortit la chute. En progressant parmi les broussailles, il remarqua que les déchets jonchaient le sol. Des sacs plastiques, des paquets vides de cigarettes, de vieilles coupures de journaux, des seringues aussi. L'endroit avait visiblement servi de repère pour les camés après son abandon.

Après un dernier coup d'oeil derrière lui, il avança jusqu'à l'ancien orphelinat et en fit le tour, à la recherche d'une entrée. Facile. L'une des portes était restée entrouverte et laissait passer les courants d'air dans un sifflement sinistre.

L'intérieur puait la moisissure. En l'espace de quelques années, le lierre avait envahi jusqu'aux couloirs, et le sol était couvert de feuilles mortes et de gravier, mais même sans cela, l'endroit devait être incroyablement sinistre en sa période d'activité. Qu'étaient devenus les enfants qui avaient vécu là ? En les plaçant, au lieu de les tuer, les mafieux les avaient-ils véritablement sauvés ? Chuuya en doutait. Il connaissait le poids de la haine et du désir de vengeance, et c'est pour cela que lorsqu'il y avait une famille à tuer, il tuait tout le monde, même, et surtout les innocents. Parce que c'était les délivrer que d'en finir très vite.

Le passage d'un rat entre ses pieds lui provoqua un sursaut. Il n'aimait pas cet endroit.

« Les bureaux », se marmonna-t-il. Il fallait qu'il trouve les bureaux, au moins la présence d'une administration qui contienne encore, avec un peu de chance, les dossiers les enfants accueillis là dix ans plus tôt. Chuuya s'imaginait sans beaucoup de peine le petit Dazai pâle et maigre que leur avait décrit Hirotsu, déambuler tout seul dans les couloirs comme une âme en peine, à l'écart des autres bambins, le regard voilé par la tristesse et l'absence, et il devait s'avouer que oui, ce gamin-là, une part de lui avait envie de le sauver. S'il était encore possible de le faire.

Une plaque fixée sur une porte en verre opaque attira soudain son regard. « ADMINISTRATION ». Tous les meubles y étaient encore. Un bureau en étain, aussi froid et gris que les murs, des chaises au tissu rongé par l'humidité, et là, contre la façade, une série de casiers.

« Au boulot », siffla le mafieux entre ses dents.


En plus des paysages côtiers noyers dans une mélasse de brume et l'obscurité de la fin du jour, c'était l'éternité qui semblait défiler derrière ces fenêtres.

Atsushi avait envoyé plusieurs messages à Kunikida, il avait même essayé de l'appeler, sans aucune réponse. Malgré le regain d'énergie qu'il avait trouvé en se rendant à la gare et en attrapant le premier train pour Shizuoka, ses pensées le ramenaient de plus en plus aux hypothèses les plus pessimistes. Et si tout cela n'avait été qu'une douce chimère ? Et s'ils ne retrouvaient jamais Dazai ?

Kyoka, Kenji et Tanizaki avaient été prévenus de son départ. Il s'en voulait de laisser sa jeune coéquipière livrée à elle-même pour une nuit, mais l'appel avait été trop fort. Il devait au moins savoir si cet endroit, Ounohama, avait un lien avec le passé de Dazai. Si c'était bien de là-bas dont il était revenu. Priant tous les dieux et les providences qu'il connaissait, lui qui n'avait jamais réellement eu la foi, Atsushi s'enfonça dans le dossier de son siège et ferma les yeux. C'était évident que Dazai était là-bas. Il devait forcément être là-bas. Son portable vibra soudain dans sa poche et il le sortit avec une telle vivacité qu'il faillit le faire tomber au sol. Yosano. Il décrocha.

« Tu as des nouvelles de Kunikida ? »

Toujours aussi directive… mais c'était bien l'inquiétude qu'Atsushi percevait dans sa voix.

– Aucune…

– Je suis avec Fukuzawa. Nous arriverons à Yumigahama dans moins d'une heure. Il t'a dit pour le signalement ?

– Oui… il m'a dit que Dazai aurait été aperçu à Ouno…

– Ounohama. C'est une plage. J'ai relancé Tanizaki, Kenji et Ranpo, ils n'ont toujours rien trouvé. C'est actuellement notre seule piste.

– Et s'il n'y a rien là-bas ?

– Alors on trouvera autre chose.

L'obstination de sa collègue le fit sourire.

– Yosano-san… » murmura-t-il. « Il y a quelque chose que je dois vous dire. »

Le temps de latence qui s'écoula avant que ne résonne à nouveau la voix de la jeune femme lui sembla interminable.

– Je t'écoute », répondit-elle. Mais il devinait à sa neutralité affichée qu'elle s'était remise sur ses gardes.

Il déglutit.

– Ce… ce matin… j'ai… je ne sais pas… une intuition sans doute… mais j'ai décidé de fouiller dans le passé de Dazai. Je me suis dit que peut-être… peut-être qu'on découvrirait enfin la vérité…

– Abrège Atsushi.

Il inspira de plus belle, soudain persuadé d'avoir commis la pire des erreurs. Et si, en fin de compte, il n'avait fait que perdre son temps ?

– Ounohama… » bredouilla-t-il, le souffle court. « Je crois que Dazai y est déjà allé. Il y a longtemps. »


J'ai mal.

Était-ce sa peau, ou l'intérieur même de ses os ? Cela arrivait, bien-sûr. Oh, combien de fois s'était-il retrouvé le corps disloqué, la chair lacérée, vidé de son sang, sans mourir pour autant ? Ou bien si. Il mourait, pour renaître tout de suite après. Et la douleur, elle, ne durait qu'une seconde à peine.

Je dois l'admettre.

Il avait oublié la douleur. Pour ne plus l'avoir ressentie assez longuement, assez profondément dans sa chair. La douleur physique du moins, car celle de l'âme, elle était déjà bien ancrée. Il avait seulement l'impression qu'elle s'était accentuée pour s'immiscer comme un pic d'acier dans son coeur.

Je ne veux pas.

Mais il ne voulait pas ouvrir les yeux. Du moins pas tout de suite. Revoir l'horreur, le froid, la peur, il n'en avait pas encore envie. Au moins, les yeux fermés, il pouvait un peu rester à l'écart de tout cela. Il pouvait continuer à croire que tout n'avait été un rêve. Qu'il n'avait jamais tiré des vagues le corps inerte de Dazai, qu'il n'avait jamais vu ses traits figés, son teint blafard, qu'il n'avait jamais senti sa vie fuir entre ses mains. Tout cela, l'horreur, le froid, la peur… tout cela pouvait encore rester à l'écart, un tout petit peu, tant qu'il avait les yeux fermés.

Je sais.

Mais il savait que ça ne durerait pas longtemps, car ce n'est pas parce qu'on ferme les yeux que le monde cesse de tourner. Ce n'est pas parce qu'on ne la regarde pas que l'horreur cesse d'exister, et Kunikida savait. Il savait qu'il était temps d'y faire face à nouveau. Sinon il ne pourrait jamais l'arrêter, et son rôle à lui, c'était de sauver. Ça l'avait toujours été.

Alors, avec un sifflement de douleur et d'appréhension, il ouvrit les paupières. Le blanc d'abord, qui se précisait ensuite par aspérités, nuances de gris, lignes imparfaites et jeux d'ombres sur ce qu'il reconnut être un plafond. Sans doute celui d'un hôpital, à en juger par l'odeur et la rugosité des draps. Il avait déjà évalué la minceur de l'oreiller sous sa tête, l'inconfort du matelas, tandis que les souvenirs remontaient avec le goutte à goutte de sa perfusion.

L'homme sur la plage. La morsure glaciale de l'eau sur ses genoux, puis sur son torse et dans sa bouche, le manque d'air, la panique, le désespoir, ces secondes qui s'étiraient à l'infini alors qu'il tractait son corps sur le sable, et la vérité. La vérité innommable.

Et puis le visage et les mains de Lewis. Cette chaleur revenue. Cet espoir réanimé. Le miracle auquel il n'osait croire et qu'il craignait encore de voir s'écrouler à tout instant. Puis c'était sa conscience à lui qui s'était effondrée.

Il se souvenait vaguement de deux bras qui l'avaient guidé jusqu'à la voiture, presque porté, mais il savait que ce n'était pas ceux de Charles. Ça ne pouvait pas être le cas, puisqu'il le voyait là devant lui avec ce corps dont les membres pendaient mollement dans le vide. Ce corps qui avait l'air d'être mort, mais qui était bien vivant. C'est ce qu'il se répétait en boucle. Il était vivant.

Il était vivant.

Images éparses, comme les plans d'un film mal monté. Le défilé des paysages derrière une vitre criblée de pluie, le froid dans ses os, le sable dans ses cheveux. Et cette vision trop floue. Ces deux bras qui l'enserraient toujours, et qui n'étaient pas ceux de Charles. Ça ne pouvait pas, car c'était lui qui conduisait la voiture. À qui étaient-ils alors ? Cette odeur de fleur et de pluie, et les ténèbres qui le happaient par moments, dont il avait de plus en plus de mal à émerger.

Souvenirs de vagues, de vent et de pluie. De cheveux noirs perdus dans une mer d'écarlate.

Et le noir à nouveau. Très profond.

Donc…

Donc il était à l'hôpital, et à en juger par son état, il avait perdu connaissance. On avait changé ses vêtements. Sa peau sentait le savon et le désinfectant. Et on l'avait mis sous perfusion. Son corps avait encaissé un choc très rude, à la fois psychologique et physique. Il le sentait dans la pesanteur sur son crâne et sur ses jambes, dans les tremblements légers de ses doigts et de sa mâchoire. En glissant sa main hors des draps, il réalisa qu'elle était couverte de bandages. Il y en avait aussi un sur son front. Sa cheville lui faisait mal. Il s'était bien amoché.

Avec un soupir, il s'extirpa de son lit et empoigna sa perfusion. Nu sous sa tunique turquoise, il se sentait pitoyable. Pas de lunettes, pas de portable. C'est à tâtons qu'il trouva le bouton d'appel et, assis sur son matelas trop mince, il attendit.

Combien de temps s'était écoulé depuis ? La lumière était-elle celle du soir ou du matin ? Une angoisse le prit soudain. Et s'il avait trop dormi ? Et si quelque chose s'était produit pendant son sommeil ?

« Bonjour »

Perdu dans ses pensées, et l'éventualité constante d'une catastrophe qu'il n'aurait pas su empêcher, Kunikida n'avait même pas entendu la porte s'ouvrir. Il devinait seulement une silhouette blanche face à lui, vêtue de blanc plutôt.

« Comment vous sentez-vous ? »

Voix féminine.

« Quel jour sommes-nous ? Combien de temps ai-je dormi ? Est-ce qu'il est vivant ? Est-ce qu'il va bien ? Où est Charles ? »

Silence. La silhouette ne bougeait plus. Était-elle gênée, navrée de devoir lui annoncer l'impensable ou seulement embarrassée ?

– Vous voulez parler de votre ami ?

– Oui. Le grand maigre, avec des cheveux bruns. Comment va-t-il ?

– Il est en observation. Le médecin de garde saura vous en dire plus que moi.

– Où est-il ?

– Vos amis ont laissé ceci pour vous.

Il s'arrêta net.

L'infirmière lui tendait quelque chose qu'il saisit maladroitement avant de reconnaître sous ses doigts un boitier rectangulaire à la surface lisse. Un étui à lunettes. Recouvrer la vue faillit le faire sangloter de soulagement. Avec le monde, c'était aussi ses idées qui redevaient plus claires.

– Ils vous ont aussi ramené des vêtements. Je vous les ai laissés sur la chaise », marmonna la femme, plus âgé qu'elle n'en avait l'air dans sa première vision.

Quarantaine bien tassée. Cheveux gris. Traits fatigués. Mère de famille sans doute. Regard triste.

Avec un sourire aimable, elle s'approcha et retira sa perfusion.

– Vous étiez légèrement carencé à votre arrivée. Le médecin a jugé bon de vous redonner quelques forces, le temps que vous vous reposiez.

– Combien de temps ai-je dormi ?

– Environ sept heures ?

– Sept heures ?!

– Le jour se lève, Kunikida-san.

Emportant avec elle la poche de sa perfusion, elle se dirigea vers la porte et lui envoya un regard brillant d'intelligence.

– Habillez-vous. Vos amis vous attendent.


Le jour se lève.

Il avait du mal à croire qu'il avait passé toute la nuit dans ce bureau à l'abandon, avec ses odeurs de poussière et de moisissure. Sans doute s'était-il endormi, car il avait la bouche pâteuse et les membres transis de froid.

Deux feuilles.

Il avait veillé à ne pas les perdre, bien serrées entre ses doigts. Les deux feuilles qui complétaient le puzzle chaotique de la vie d'Osamu Dazai. Enfin. Comme le nom n'était pas le même, il avait dû passer tous les dossiers au peigne fin et se fier aux photos en noir et blanc gondolées par l'humidité, parfois moisies, qui figuraient sur chacun d'eux. Il avait hésité, puisqu'apparemment Dazai ne s'était mis à porter des bandages qu'après son premier séjour chez Mori. Et si on lui avait coupé les cheveux ? Et si son visage avait changé au point qu'il ne pourrait pas le reconnaître ? Ces enfants… ces regards creux, ces expressions désespérées, privées de sens et de lumière. Tous auraient pu être lui. Il y en avait pourtant eu un parmi eux, tous ceux dont le nom s'était oublié dans l'obscurité des tiroirs et des placards mal rangés, et qui avait atterri entre ses mains, tous ceux qui étaient peut-être morts à l'heure où il scrutait leurs traits, assassinés, suicidés, internés, à moins qu'ils aient trouvé des jours meilleurs, quelque part loin des ombres, pour peu qu'on puisse leur échapper. Un visage qu'il ne connaissait que trop bien, puisqu'il n'avait pas tellement changé.

Sans identité.

Hirotsu avait doute voulu le protéger, puisque même un simple prénom aurait pu le renvoyer dans les griffes de l'ancien boss, alors à la place, on l'avait affublé d'un numéro. Une simple série de chiffres.

Pendant une partie de sa vie, Dazai en avait été réduit à ça. Numéro 27.

Le 27e d'une série de gamin comme lui, dont personne ne voulait et n'avait jamais voulu. Même ça, alors qu'il en avait bavé, Chuuya n'avait pas connu. Il ne savait pas ce que cela faisait d'être privé de nom, mais il imaginait sans peine la ruine intérieure, le creux qui avait pu se creuser autour de ce numéro. 27.

En se frottant les bras et les yeux pour se réchauffer, il tenta de percer l'obscurité pour relire les quelques mots inscrits sur la fiche d'identité.

NOM : inconnu

Prénom : inconnu

Date de naissance : inconnue (environ 10 ans)

Taille : 1m38

Poids : 29 kg

Couleur des yeux : bruns

État de santé : moyen

Une page accompagnait le rapport, une seule. Et à chaque ligne, Chuuya avait l'impression de s'alourdir un peu plus.

15. 02. Refus de mener les activités de groupe. A frappé un surveillant. Cachot.

16. 02. Refus de manger. A fait un malaise dans l'après-midi.

18. 02. Bagarre. Deux enfants blessés. Cachot.

21. 02. Automutilation. Lame de rasoir volée dans le bureau des surveillants.

22. 02. Retour de l'hôpital. Violences gestuelles. Cachot.

23. 02. Hurlement dans les vestiaires et saccage du dortoir. Cachot.

24.02. Violence envers un camarade. Isolement jusqu'à nouvel ordre.

01.03. Tentative de pendaison et automutilation. Hospitalisation.

03.03. Retour de l'hôpital. RAS.

04.03. RAS.

05.03. RAS.

06.03. RAS.

07.03. Malaise par refus de manger.

08.03. Isolement suite à des hurlements et des gestes violents.

09.03. Acceptation de la demande d'internement.

10. 03. Départ du sujet pour l'hôpital psychiatrique.

Chuuya s'aperçut que le dossier lui avait échappé des mains lorsqu'il entendit le chuintement des feuilles sur le sol.

Il venait de comprendre pourquoi toutes les recherches de Mori étaient restées infructueuses lorsque l'ancien boss l'avait lancé sur la piste de sa progéniture. Pourquoi Dazai était resté introuvable pendant des semaines. Il n'avait passé qu'un mois à l'orphelinat. Un mois terrible, teinté de violences et de crises successives qui l'avait mené à l'internement. Il songea aux détectives armés, à Kogoro Akechi, disparu de sa chambre d'hôpital. Là où tout avait commencé. Dazai avait également séjourné là-bas. Combien de temps ? S'en souvenait-il seulement ? Mori l'avait trouvé à la suite de sa tentative de suicide, en piteux état, portant des marques de violence, voire même de torture sur le corps… Et si tout cela venait de l'hôpital psychiatrique ? Une chose était certaine. Toutes les réponses se trouvaient là-bas.

Le jour était à peine levé lorsqu'il escalada de nouveau le grillage pour laisser l'orphelinat derrière lui. Avec un dernier regard pour les murs gris où résonnaient encore les souvenirs et les vies perdues, coincées entre les briques rouges comme des couches de poussière successives, il rejoignit la moto et s'enfonça à son tour dans la brume matinale, sa prochaine destination bien gravée en tête.


Ils étaient là. Tous. Ou presque tous.

Fukuzawa et son regard d'acier. Yosano et son air pincé. Atsushi et ses traits décomposés. Tous les trois assis en rang d'oignons sur le banc de la salle d'attente. Accablés de fatigue, soulagés aussi, en quelque sorte. Il lui semblait pourtant qu'il manquait quelqu'un.

– Kunukida-san ! » s'exclama soudain Atsushi en se redressant d'un bond pour se précipiter vers lui.

Un instant, Kunikida crut que le jeune homme allait le prendre dans ses bras, mais il se ravisa, sans doute par pudeur.

– J'ai… j'ai appris. Nous avons appris ce qu'il s'était passé », ce contenta-t-il de marmonner.

– Qui ?

– La fille », rétorqua Yosano en croisant les jambes. Un gobelet froissé de café entre ses doigts minces. « Yamazaki. »

À son nom, l'Agent eut l'impression qu'on lui donnait une paire de gifles. Tomie. Bien sûr. Elle était avec eux, dans cette maison sur la plage. C'était elle qui l'avait aidé à marcher jusqu'à la voiture et qui l'avait soutenu dans ses moments d'absence, lors du trajet.

– Où est-elle ?

La question lui semblait trop précipitée, l'intonation de sa voix trop pressente. Peu importe.

– Elle avait besoin de prendre l'air », le rassura la jeune femme. « Mais elle est restée avec nous une partie de la nuit. Elle nous a tout raconté. »

– C'est-à-dire ?

Même lui n'était plus tout à fait sûr de ce qu'il s'était produit.

– Ce qu'il s'est produit sur la plage. Votre rencontre avec cet homme, Charles, vos conversations avec les gens du coin, et puis… aussi… avant…

L'espace d'un instant, Kunikida fut traversé par une vision de chair et de fusion. Le souvenir de leurs soupirs dans la nuit. Elle n'avait tout de même pas…

– Ce que Dazai lui a fait », coupa Fukuzawa.

Son visage était encore plus grave que d'ordinaire et ses cernes d'autant plus profondes que, comme eux, il avait maigri.

– Je vois.

– C'est un miracle qu'on ait pu le retrouver à temps », reprit Yosano. « Que tu aies pu intervenir. »

Ses souvenirs à lui l'effrayaient encore. Les pensées retombées, la mémoire des instants suspendus recouverte par celle, plus récente, du vent sur la plage, des vagues sur sa peau et de la peur, la peur terrible dans son ventre, Kunikida sentit la force lui manquer tout à coup. Le voyant chanceler, Atsushi le guida lentement jusqu'à l'une des chaises vides de la salle d'attente.

– Comment va-t-il ?

Il avait suffisamment évité le sujet. Autant être fixé tout de suite.

– On ne sait pas », lança Fukuzawa en se levant pour lui faire face. « Son pronostique vital est de nouveau engagé mais… ses blessures ne semblent pas si graves que cela. Les médecins parlent plutôt de choc. Sa tentative de noyade l'aurait mis dans un état de stress intense. Il est actuellement dans le coma. »

– Je vois…

Retour au point 0 donc. Comme s'il ne s'était rien passé. Si seulement.

– Ce que je ne comprends pas », marmonna Yosano, « c'est qu'il n'ait pas été achevé par ses blessures. »

– C'est-à-dire ?

Même s'il voyait déjà plus ou moins de quoi elle parlait… et que cela le rendait lui aussi perplexe, en plus de tout le reste.

– Dazai s'est visiblement rendu ici de son propre chef. Comment aurait-il pu faire pareil trajet dans un tel état ?

– Il n'avait qu'à prendre le train et le bus. Ce n'est pas insurmontable. Surtout pour lui.

– Il avait une cage thoracique effoncée Kunikida. Plusieurs côtes cassés, et il avait souffert d'une sévère hémorragie. Personne, tu m'entends, personne ne peut se lever, ne serait-ce qu'aller pisser après de telles séquelles. C'est déjà un miracle qu'il s'en soit sorti.

– C'est Dazai.

Réponse toute faite.

– C'est Dazai. Oui », argua-t-elle froidement, en croisant les bras et les jambes. « Et c'est justement parce qu'il est Dazai qu'il s'en sort à chaque fois. »

Kunikida sentit sa tête se relever. Atsushi et Fukuzawa fixaient également Yosano. La médecin venait de mettre le doigt sur un point essentiel, auquel il avait déjà songé des dizaines de fois sans se l'avouer.

– Tu voudrais dire que… ?

Elle hocha la tête, voyant qu'il avait également compris.

– Et si annuler les autres super-pouvoirs n'était pas sa seule capacité ?


C'était la deuxième fois en deux jours qu'elle exhibait son badge de police, alors qu'elle ne l'avait pas sorti en cinq ans. Mais le temps pressait, et Tomie n'était pas d'humeur à discuter.

– Les archives se trouvent à droite. Au bout du couloir », lui marmonna l'employée qu'elle avait visiblement sortie du lit, à en juger par ses cernes, ses vêtements froissés et son chignon défait. « Les articles de journées sont classées par ordre alphabétique et chronologique. Vous cherchez quelque chose en particulier ? »

– Tout ce qui pourrait concerner la découverte d'un enfant, aux abords de la plage, il y a une dizaine d'années.

Tomie devina sans peine que son interlocutrice n'était pas du coin, car la mention de l'affaire ne sembla rien lui évoquer. Elle ne devait pas prendre part aux ragots des villageois.

– Vous venez de loin ?

– De l'autre côté de la baie » rétorqua la jeune femme en activant le compteur électrique. « Pourquoi ? »

– Je suis désolée de vous avoir faite venir à cette heure.

– Je suis là pour ça. Vous savez… il ne se passe pas grand-chose dans le coin, alors tout imprévu est bon à prendre. Même matinal. Il y a dix ans me disiez-vous ?

– Environ oui.

– Ce sera par ici.

Le grésillement des néons peuplait avec obstination le vide de la salle de lecture. Même là, on entendait le vent qui frappait aux fenêtres et la houle dans le lointain. Tomie avait beaucoup pensé. Elle avait bien pensé toute la nuit, à tel point qu'elle ne savait plus si ce remous qu'elle entendait perpétuellement était bien dehors ou dans sa tête. Elle avait bien pensé. Pas tellement pour se souvenir, non, mais pour intégrer. Ce corps sur la plage, cette souffrance, elle n'en voulait pas. Elle n'en avait jamais voulu. A tel point que quelque chose en elle s'était brisé. Elle ne savait encore tout à fait quoi, mais quand elle pensait à tout cela, quand elle tentait de repousser les souvenirs des heures perdues et de ces secondes suspendues sur la plage, c'était un élan qu'elle ressentait. Une volonté nouvelle. Celle de comprendre, de délivrer, de s'alléger. De sauver. Elle ne savait pas encore qui, mais elle ne voulait pas admettre que ce soit Dazai, sinon que deviendrait l'ancien elle-même qui avait survécu dans les ombres en se nourrissant du désir de vengeance ? Une petite voix lui disait qu'elle était déjà partie, qu'elle s'était dissoute à ce moment-là, quand elle se tenait face à Kunikida qui pleurait à genoux sur le sable, mais elle ne pouvait pas y croire.

– Vous me disiez que ça concernerait la découverte d'un enfant ?

L'employée le fixait derrière ses lunettes rondes. Elle n'avait même pas réalisé qu'elles s'étaient arrêtées devant une rangée de casier gris, tous étiquetés d'une date.

– C'est ça. Un enfant qu'un pêcheur aurait recueilli.

– Mort ?

– Non. À priori, il ne serait pas mort.

Le sourire de la jeune femme en dit long. Avec des gestes réfléchis, elle ouvrit un premier tiroir. Tomie estimait que les faits remontaient à dix ans tout pile, d'après les dires de Charles en tout cas. En jaugeant la pile de documents que l'archiviste mis sous son nez et l'heure matinale affichée par les aiguilles de l'horloge, elle ravala sa salive. Dormir attendrait encore.


Grésillement.

Il avait l'habitude de ne pas bien capté lorsqu'il était sur la route, mais les éclats de voix qu'il entendait à travers l'écran de son portable l'inquiétaient.

Les murs de l'hôpital se dressaient alors devant lui comme une muraille sinistre entre le monde des hommes et celui des fous. Il était si proche du but. Alors pourquoi cette sensation qu'il n'était pas au bon endroit ?

– Hirotsu ? » gueula-t-il dans le haut-parleur, tout en effectuant un détour pour se garer. « Hirotsu, tu m'entends ? »

Pourquoi l'appeler maintenant ? Ne leur avait-il pas déjà tout dit ? À moins que…

– Hirotsu !

– Chuuya-kun ?

Le mafieux sentit son sang se glacer. Ce n'était pas la voix de Hirotsu qui lui parlait.

– Boss.

Ce n'était même pas une question, mais un constat. Mori venait de découvrir la vérité.

– Où est Hirotsu ?

– Là où tu pourras plus jamais le trouver si tu ne ramènes pas tes fesses immédiatement.

– Où ?

– Dans mon bureau naturellement. Il me semble que nous avons à parler.

Il était si près du but. En envoyant un dernier regard aux murs gris et aux toits pentus de l'hôpital psychiatrique, Chuuya réactiva le moteur pour prendre la direction opposée. Quoi qu'il ait découvert, quoi qu'il lui veuille, Mori ne le laisserait pas s'en sortir indemne.


8H et 16 minutes. Cela faisait un peu plus d'une heure que les dossier et les articles s'empilaient sous ses yeux, mais elle avait l'impression d'y avoir passé la matinée entière.

La lumière dehors était celle d'un début de matinée pluvieuse. La photo entre ses mains affichaient quant à elle les sourires crispés de l'équipe locale. « Victoires des tigres ! », clamaient les gros titres, mais ce n'était pas cela qui l'intéressait. Là, dans la rubrique des faits divers, comme quelque chose qu'on met dans un coin pour mieux l'oublier, figuraient les mots qu'elle s'obstinait à trouver depuis son arrivée aux archives. Sauf que quelque chose clochait.

« TRAGÉDIE. Deux enfants retrouvés en haute mer. » p. 16

Pourquoi deux ?

Elle ouvrit le journal d'un coup si sec qu'elle faillit le déchirer, et remercia intérieurement l'employée d'être partie se chercher un café. Sur la photo en noir et blanc de l'article se dessinait les contours d'un bateau de pêche aux côté d'un homme trapu dont on ne devinait que l'expression, exagérément grave.

Au petit matin, les corps de deux enfants ont été repêchés aux abord du cap bordant la plage d'Ounohama.

Juichiro, pêcheur professionnel et propriétaire de la pension Namioto témoigne.

« Ils étaient deux. Deux petits corps qui flottaient. Je les ai vus de loin, alors j'ai fait un détour avec la peur au ventre, et je les ai remontés avec mes filets. Y avait une fille et un garçon. La fille était déjà bleue. Morte noyée. Quant au garçon, il était toujours en vie. À moitié crevé, gelé jusqu'aux os, mais bien vivant. Ça devait être deux gosses qui jouaient sur la falaise. Ils ont dû tomber à cause du vent, un truc comme ça. »

Aucune information sur l'état actuel du garçon qui a été transporté à l'hôpital. La police enquête quant à elle sur l'identité de la jeune fille, encore inconnue, de type européen. Beaucoup de villageois se dieant profondément ébranlés par cette tragédie.

Tomie sentit le journal lui échapper des mains et son estomac se nouer. Les faits remontaient bien à dix ans en arrière. Onze même. Mais Charles leur avait menti.

Avec le choc, c'est soudain la colère qui gronda dans ses entrailles. La petite Lucie n'était en effet pas morte dans sa chambre, de sa maladie, comme il l'avait prétendu. Elle était morte noyée, précipitée de la falaise avec Dazai.