Bonjour à tous, voilà le nouveau chapitre. Je tiens un bon rythme en ce moment et j'espère que je parviendrai à la garder malgré la reprise du boulot. Vraiment... j'adore cette séquence et cette balade mentale, avec les différents tableaux complètement délirants, à la fois oniriques et cauchemardesques que peut prendre l'esprit de Dazai. C'est l'éclate. D'ailleurs, pour vous donner une idée de l'ambiance, je me suis beaucoup inspirée du jeu Layers of fear.
Bref, bref, donc sur ce, je vous souhaite une bonne lecture et vous dis à bientôt !
Chapitre 29.
On dirait de la neige dehors. Cela fait quelques temps qu'il fait très froid dans la maison. Maintenant, il gèle même de l'autre côté des carreaux.
Parfois, le garçon se met devant la fenêtre pour écouter le murmure du vent dehors. Seulement le murmure, car au-delà de la brume épaisse qui a tissé un voile opaque et blanc devant la vitre, il ne voit rien. Il ne fait jamais nuit ici, mais il ne fait pas vraiment jour non plus. C'est un temps qui s'étire à l'infini, seulement rythmé par le goutte à goutte d'un robinet qu'on a mal fermé, le ronronnement de la plomberie et le craquement des charpentes au-dessus de sa tête.
Le garçon pourrait sortir, mais il sait que là, dans cette maison, même s'il est tout seul, personne ne pourra lui faire de mal. Personne ne viendra le chercher non plus. Va-t-il mourir à force ?
Il n'a jamais faim. Il n'a jamais soif. Et quand il n'écoute pas le vent dehors, il erre dans cette maison qu'il connaît sans pouvoir se rappeler du visage de ceux qui y ont vécu, ni de comment il est arrivé là. Il en a si souvent parcouru les couloirs qu'il en connaît désormais la géographie par coeur, et n'aurait même pas besoin de se déplacer pour se rendre dans la cuisine, où le vieux poêle est désormais silencieux, le salon et sa cheminée glaciale, là où, dans les étagères, les livres se sont rendormis, ce bureau où l'on voyait la mer autrefois et dont la chaise, les meubles, cette machine à écrire dont il se souvient encore du son, semblent s'être transformés en pierre. Il sait qu'un jour, il y a longtemps, il y a eu de la vie ici. Il se souvient encore des rires qui résonnaient contre les murs, de la douceur du feu, de cette chaleur qu'il n'a trouvée que là, derrière la porte de la maison sur la plage. Mais il ne sait pas pourquoi il n'y en a plus. C'est parti. Tout est parti. Les rires, la chaleur… il n'y a désormais que le froid et l'absence.
Pourtant, quand il ne regarde pas par la fenêtre en sachant qu'il n'y verra rien et qu'il ne parcourt pas à pieds ou en pensées la géographie des souvenirs logés entre les murs, le garçon se souvient d'autre chose. Il sent plutôt, mais il n'arrive pas à savoir si cela vient de lui, ou d'une présence restée là, entre les chapes de poussière. Parfois, quand il monte les escaliers qui mènent à l'étage, il est saisi d'une frayeur soudaine. De celles qui nous disent que l'on ne devrait pas être là. Et il sent quelque chose trembler en lui. Alors il fait demi-tour, retourne à la fenêtre du salon, là où reposent les ouvrages dont il n'arrive pas à lire les lettres, et plonge à nouveau les yeux dans la mer de brume qui se déploie au-delà des vitres. Là seulement, il arrive à oublier, et la terreur disparaît peu à peu. Le temps retrouve alors sa lenteur et la lumière son voile gris que jamais rien ne vient éclaircir ni assombrir. Mais parfois, il sent aussi que cette frayeur est là pour lui faire signe, pour lui dire quelque chose, et c'est cette conviction qui lui donne le courage de gravir les marches pour se plonger dans la pénombre du couloir de l'étage. Il sait qu'à sa gauche se trouve une salle de bain, et à sa droite une chambre qui ne lui a jamais appartenu, mais dont il connaît les couleurs et le parfum. C'est celle d'un homme âgé qui lui a souri, il y a longtemps, et dont il ne se rappelle que les yeux et les mains. En revanche, au bout du couloir, là où les ombres sont bien plus opaques que toutes celles qui peuplent la maison, se trouve une porte. Il ne l'a jamais franchie. Il ne l'a jamais ouverte. Mais il sait qu'elle vient de là, la terreur qui s'intensifie dans son coeur à chaque fois qu'il l'approche et qui en vient même à le faire hurler.
Il est là, derrière cette porte dont il ne possède pas la clé. Le monstre qui vit désormais à l'intérieur de ces murs.
Celui qui a avalé toute la vie qui y régnait autrefois, pour ne laisser que le vide et le froid.
Il avait la gorge nouée, cette putain d'envie de vomir, et dans le ventre une rage… Pas celle qui lui donnait cette force destructrice capable de tout détruire autour de lui. Non. Cette rage là était souterraine, aliénante et amère. Très amère. Était-ce le fait d'avoir été dans l'ignorance toutes ces années, alors que l'évidence se tenait là, juste sous son nez, et qu'il lui aurait suffi de creuser un peu pour savoir ce que cachait le malaise constant dans lequel vivait son ancien coéquipier. Ce désir lancinant de mourir, inscrit désormais sur ses traits dépourvus de masque.
« Il y a une question que je ne peux pas m'empêcher de me poser », murmura l'Agent à lunettes, celui qu'on appelait Kunikida. Le mafieux se fit d'ailleurs la réflexion que sans ses binocles, il ne l'aurait sans doute pas reconnu. Il semblait asséché. Comme ces draps qu'on laisse trop longtemps dehors, à la proie du vent et des intempéries, et qui se retrouvent délavés par la pluie, décolorés par le soleil et raidis par le sel marin.
« Pourquoi êtes-vous en train de nous aider ?… »
Suivant son regard, son collègue, celui qu'il se plaisait encore à surnommer le bébé tigre, le fixa avec un air teinté d'appréhension. Le poids qu'il gardait en lui n'en devint que plus lourd.
– Je ne sais pas… » admit-il. « J'ignore pourquoi Mori a accepté votre requête. Je ne sais pas non plus ce que je fais là, dans ce trou paumé, à attendre… »
Après tout, pourquoi ne pas avoir passé son chemin ? S'il ne s'était pas rendu à l'hôpital ce matin-là… s'il n'avait pas accepté de suivre le jeune Agent, écouté les confessions d'Ango et de Hirotsu, enquêté lui-même et fouillé les ombres d'un passé qui n'était pas le sien…
– Vous avez poursuivi l'enquête, n'est-ce pas ?
Atsushi le fixait toujours, avec cette lueur de conviction, dans son regard, que lui ne parvenait pas à trouver. Chuuya réalisa soudain qu'une bonne partie de l'énergie qu'il mettait dans cette course à la vérité, cet espoir que tout cela menait bien à quelque chose, c'était chez ce garçon qu'il la puisait…
– J'ai poursuivit, en effet », rétorqua-t-il, avant de leur désigner du regard le recoin miteux qui faisait office de salle d'attente.
Mis à part le va-et-vient d'une femme de ménage à l'air égaré et la sonnerie d'un téléphone qu'on entendait au loin, probablement à l'accueil, l'hôpital était désert. Aussi chaleureux qu'une coquille vide laissée là, dans cet endroit rongé par les vagues. Y avait-il seulement d'autres patients, d'autres vies derrières les portes qui jonchaient le couloir ?
Par habitude, Chuuya jeta un œil circulaire autour de lui, de sorte à s'assurer qu'ils étaient bien seuls et qu'aucune oreille indiscrète ne viendrait se mêler de leur conversation. Pour lui qui n'avait jamais connu que la ville, la campagne était un autre monde où le vivant semblait quelque chose d'abstrait.
– J'ai enquêté dans l'orphelinat dont Hirotsu nous a parlé », commença-t-il. « Il a fermé ses portes, mais on peut encore y trouver les dossiers de tous les anciens pensionnaires. Celui de Dazai s'y trouvait. »
Suspendus à ses paroles, les deux Agents le fixaient les épaules tendues et la mâchoire crispée. En baissant les yeux, il se rendit compte que les mains d'Atsushi tremblaient. Son histoire n'était après tout pas si différente de celle de Dazai…
« Il n'y avait pas de nom. Hirotsu ne l'a pas donné de sorte à ne pas soulever les soupçons. Comme tous les gamins qui n'ont pas d'identité, il a donc été appelé par un numéro. Sa date d'entrée correspondait bien avec celle donnée par Hirotsu. Il est sorti un mois plus tard. »
– Seulement un mois ? » fit remarquer Kunikida.
– Seulement, oui. D'après le rapport, il enchaînait les crises de violence, refusait de s'alimenter, brutalisait les autres enfants, et se mutilait lui-même. La direction a donc décidé de l'envoyer ailleurs. Je vous laisse deviner où. »
Quelque chose comme un pressentiment traversa le regard des deux hommes qui demeurèrent interdits, jusqu'à ce que Kunikida redresse brusquement la tête.
« L'hôpital psychiatrique », souffla-t-il d'une voix blanche.
– Précisément.
« La maison. Comment fait-on pour y entrer ? »
– Tu n'as pas une idée ? » lui répondit la voix d'Akechi depuis cet Ailleurs où se trouvait aussi son corps à elle. Son vrai corps. Pas celui qu'elle sentait et qu'elle savait une simple projection d'elle-même. « Comment fais-tu pour entrer dans une demeure que tu ne connais pas ? »
– Je frappe à la porte.
– Exactement.
– Et si personne ne vient m'ouvrir ?
– La porte est peut-être ouverte. Vérifie la poignée.
– Et si ce n'est pas le cas ?
– Tu sais crocheter une serrure.
Elle rit sous cape.
– Ce n'est pas très poli.
– Mais c'est parfois nécessaire. Et ça c'est à toi d'en juger.
– Et si on ne veut pas me laisser entrer ?
– C'est qu'on a des choses à cacher…
Que dire alors de la porte de cette maison-là qui n'a même pas de serrure. Un trou béant bardé de planches. C'est pourtant la seule issue. Tomie a vérifié. Tous les autres murs sont nus, lézardés par les failles, décrépis par endroit, mais la seule façade qui présente une ouverture est celle-ci, avec sa grande horloge et ses fenêtres condamnées, disposées exactement de la même manière que celles de l'institut psychiatrique, à l'exception près qu'ici, la vie n'a pas sa place et que la bâtisse semble abandonnée depuis des années.
Dans le silence profond qui semble tomber du ciel et qui s'insinue jusque dans le sol comme des racines invisibles, la cendre continue de tomber doucement, imperturbable. Même les aiguilles de l'horloge se sont arrêtées. Tomie reporte les yeux sur la porte qui n'en est pas une. Le seul accès à l'intérieur de la maison, et comprend qu'elle n'a pas le choix.
Gravissant les marches qui mènent au porche, elle se campe face à l'ouverture et agrippe à deux mains l'une des planches avant de tirer par à-coups. Le bois gémit sous la pression vive et répétée, avant de finalement céder. Désolidarisé des clous qui la maintenait fixée, la planche décolle brusquement, manquant de projeter Tomie en arrière, avant de percuter le sol dans un bruit sourd. L'impact semble faire résonner tout l'espace, jusqu'à l'intérieur des murs, et la jeune femme est soudain prise de la peur irrationnelle et enfantine d'avoir réveillé quelque chose.
Ce n'est qu'une fois l'écho dissipé, lorsqu'il ne reste que son souffle dans le silence cendreux du ciel et du sol gris, qu'elle ose reprendre sa respiration et s'attelle à la deuxième planche.
Celle-ci cède de la même manière que la première, plus facilement même. L'ouverture à hauteur de son visage laisse échapper une odeur de terre et de fleurs fanées si forte qu'elle en est presque acide. En plaçant la main sur son nez, Tomie risque un regard dans les ténèbres opaques qui règnent à l'intérieur de la maison. À la faible lumière de ce ciel sans nuage et sans soleil, elle devine les lattes d'un plancher à la peinture écaillée, la ligne d'un couloir qui s'enfonce dans l'obscurité.
Posant ses mains sur la troisième planche, Tomie inspire profondément et tire d'un coup sec. Le bois craque avec plus de violence encore et glisse jusqu'aux marches dans un gémissement lamentable. Ainsi, peu à peu, se dégage l'accès de la maison sur sa colline de cendres, et Tomie se demande si là, entre ses murs, elle ne trouvera pas que des pièces vides et la présence en négatif d'un homme moribond, déjà perdu dans les limbes de sa déchéance.
Les poings serrés, elle concentre son regard sur les ombres mouvantes qui rampent le long des murs et enjambe les dernières planches, avant de s'enfoncer dans les ténèbres.
« Que s'est-il passé là-bas », souffla Atsushi. Il avait l'impression qu'avec son quotidien et la stabilité de l'Agence, c'était désormais lui qui s'effilochait peu à peu, comme un pull qui se découd suite à un coup de ciseau. Et là, dans cet endroit coupé du monde, où rien ne faisait de bruit si ce n'est le vent et la mer au loin, les pas feutrés d'un personnel aux visages moribonds et la sonnerie intermittente du téléphone de l'accueil, c'était comme si le son n'avait pas sa place. Le son, la lumière, l'écoulement normal des choses, tout semblait s'être arrêté. Et eux aussi. Pris au piège d'un non lieu et d'un non temps, capturés dans l'attente d'un réveil qui n'arriverait peut-être jamais. Que feraient-ils s'ils devaient rentrer à Yokohama sans Dazai ?
Le jeune homme n'osait même pas se l'imaginer.
– On l'ignore », rétorqua Chuuya d'une voix tout aussi rauque que la sienne, contaminé par cette étrange morosité qui semblait avoir imprégné jusqu'à l'atmosphère. « Et c'est justement ça le problème. »
– Comment ça ?
Kunikida était le seul à parler avec une intonation normale. Son timbre résonna sur le damier noir et blanc du carrelage jusqu'au bout du couloir. Le mafieux reporta son regard sur lui avec un soupir et un haussement d'épaules qui exprimaient tout sauf l'indifférence.
– Le bon docteur Dozen », commença-t-il. « Il nous a conduits dans la salle des archives. Nous avons retrouvé ce qui aurait pu être son dossier. La photo lui ressemblait, même s'il était presque méconnaissable et bizarrement, sans ses bandages sur la tronche, c'est qu'on a du mal à le reconnaître… » Il se racla la gorge tandis qu'un sourire amer se dessinait sur ses lèvres et qu'il détournait le regard, comme écoeuré par sa propre plaisanterie. « La date correspondait à celle de sa sortie de l'orphelinat. En revanche… »
– Quoi en revanche ? Qu'est-ce qui s'est passé ? » s'impatienta Atsushi.
– Il a été déclaré mort au matin du 13 avril, d'une pneumonie foudroyante.
La nouvelle leur arracha un hoquet de stupeur.
– Comment ça d'une pneumonie ?…
– On sait que c'est un faux », renchérit Chuuya. « L'acte de décès est truffé d'incohérences. Au moment où vous avez fait appel à nous, nous étions en train de nous rendre chez la seule personne capable de nous éclairer sur cette histoire, à savoir celui qui a signé l'acte. Masao Horiki. L'ancien directeur de l'hôpital psychiatrique. »
– Qui ça, nous ? » l'interrompit Kunikida.
– Vous vous doutez bien que Mori a fini par s'en mêler…
– Cela va de soi…
– Il est en ce moment même avec cet homme, et vues ses méthodes, je n'ai aucun doute sur le fait qu'il parlera. Reste à savoir si Mori partagera ses informations…
– Et Hirotsu ? » émit Atsushi, avec l'espoir que le vieux mafieux reste aussi sincère qu'il l'avait été avec eux la veille. À moins que ce ne soit lui qui ait mis Mori dans le coup.
Le jeune homme se surprit à secouer la tête. Le boss de la mafia était rusé. D'une manière ou d'une autre, il avait été mis au courant de leur entretien et des révélations que leur avait faites son subalterne concernant le passé de Dazai. Mais dans ce cas, quel intérêt avait-il à enquêter lui-même ? Est-ce qu'il craignait que la légitimité de Dazai dans sa succession soit ébruitée ? Chuuya semblait lui-même incapable de répondre à cette question.
– Mori le fera taire si nécessaire », confirma le mafieux. « Hirotsu parlera seulement s'il en a l'autorisation. »
– Mais hier…
– Hier il nous a fait des révélations qui ont failli lui couter la vie…
Un soupir d'agacement le fit soudain grimacer et témoigna de son impatience. Le fait qu'il se trouve là, avec eux, à attendre sagement que Dazai se réveille était déjà une aberration qu'Atsushi pouvait désormais comprendre. Trop de choses échappaient à son contrôle. À leur contrôle à tous.
– Mori parlera si c'est nécessaire » lança le mafieux en haussant la voix. « S'il estime que c'est utile, et si cela n'est pas susceptible d'impacter Dazai. Parce qu'il faut reconnaître que là-dessus, et là encore j'ignore pourquoi, Mori l'a toujours protégé. »
Atsushi ne put qu'acquiescer. En effet, le boss de la Mafia portuaire ne leur avait jamais avoué, pas même à Fukuzawa, son ancien rival, la réelle nature de leur agent. Il n'avait jamais évoqué le passé de Dazai en leur présence et, de ce qu'il sache, n'avait jamais usé d'informations confidentielles pour lui nuire. C'était donc soit parce que Dazai l'en avait empêché, soit, tout simplement, parce qu'il n'avait jamais souhaité le faire, aussi incompréhensible cela puisse paraître, surtout quand on connaissait ses méthodes.
– Ça… ça me semblait important que vous le sachiez », renchérit Chuuya, les yeux baissés, la voix tout à coup très faible. « On sait que Dazai a vécu quelque chose de grave ici, puis à l'hôpital psychiatrique. Reste à savoir quoi. »
– Sachant que c'est tout de même là-bas qu'a commencé notre affaire », ajouta Kunikida, la main sous le menton, tout en frappant nerveusement le sol du pied. Signe qu'il réfléchissait intensément. « On le sait désormais lié à Alice Ludwidge, et donc d'une certaine manière à Lewis Caroll… manquerait plus qu'il le soit à Kogoro Akechi d'une manière que l'on ignore, et la boucle sera bouclée. »
– Ça expliquerait peut-être aussi pourquoi Mori s'intéresse lui aussi à son passé », rétorqua Chuuya. « Depuis le début, il s'intéresse à l'affaire, et je ne suis pas sûr que ça ne soit lié qu'aux informations qu'il a délivrées concernant sa succession. Non. Il ne s'agissait là que d'une monnaie d'échange pour acheter sa tranquillité auprès du ministère après la disparition d'Akechi. Il y a quelque chose dans cette affaire sur laquelle il souhaite mettre la main. »
Piqué au vif, le regard de Kunikida se braqua sur lui avec une lumière qu'Atsushi connaissait bien désormais. Celle d'un cerveau en plein état de marche.
– Mori s'est intéressé à l'affaire ?
– Il m'a demandé d'enquêter de mon côté, et il n'a pas lésiné sur les moyens », fouillant l'une de ses poches, le mafieux en sortit un document teinté d'argent qu'il déplia soigneusement sous les yeux du détective.
Le visage de Kunikida changea soudain pour passer de la pure réflexion à la stupeur.
– Le passe…
– La preuve que la disparition d'Akechi le préoccupait vraiment. Quand il m'a demandé de mener mon enquête, Mori a formulé une directive qu'encore aujourd'hui j'ai du mal à comprendre.
– Laquelle ?
– M'assurer que la femme d'Akechi, Sachiko, soit bien morte.
Croisant le regard de son collègue, Atsushi fut soudain assailli par les images du cimetière. La tombe à l'abandon. Les murs jonchés de papillons. Le corps de Dazai gisant dans la nuit noire, ses membres désarticulés et son souffle à peine audible.
– La tombe était vide… » souffla Kunikida.
– Celle de Kogoro Sachiko ? Je croyais qu'il n'y avait pas de tombe. Je n'ai pas réussi à la trouver malgré mes recherches.
– Non. Celle de Mary. Mary Shelley. L'épouse de Bram Stocker sur qui Akechi enquêtait apparemment avant de sombrer dans la folie. Tomi… Yamazaki-san pense qu'elle et Mary ne sont qu'une seule et même personne.
– Séparées d'au moins deux générations », intervint Atsushi.
– Je sais… ça n'a pas de sens…
– Et Dazai ? » ajouta le jeune homme. « Il savait que vous étiez vous aussi sur la piste d'Akechi ? »
– Oui. Nous en avions parlé.
Encore une chose que l'ancien mafieux leur avait cachée. Parmi tant d'autres, y compris celles qu'il se cachait à lui-même. Atsushi ne pouvait plus lui en vouloir.
– Tout nous ramène donc à cette enquête », marmonna Kunikida. « S'il s'avère qu'il existe un lien supplémentaire, cette fois entre Dazai et Akechi, cela pourrait fonder l'intérêt que lui porte Mori et prouver que la Mafia portuaire est encore une fois au coeur de cette histoire. »
– Pas la mafia », corrigea Chuuya. « Seulement Mori. »
« Seulement Mori », acquiesça l'agent. « Dazai n'est après tout pas le seul à avoir des secrets… »
Le silence qui suivit laissa place aux échos de la mer, incessants et éternels dans le lointain, tandis qu'une éclaircie ramenait un semblant d'heure à cette journée qui n'avait pas de fin. À la lumière déclinante qui se profilait au-dehors, Atsushi estima que la nuit ne tarderait pas à tomber, et sentit son estomac se nouer. Il n'avait pas mangé de la journée.
Estimant que Tomie ne reviendrait pas de si tôt et que Dazai resterait sans doute plongé dans ce sommeil baigné d'hallucinations et de cauchemars duquel il désespérait de le voir sortir un jour, le jeune homme s'apprêtait à prendre congé de son collègue et du mafieux lorsque la porte de la chambre de Dazai s'ouvrit brusquement sur la silhouette de Yosano.
« Toi », lança-t-elle à l'adresse de Chuuya. « Ton téléphone. Tu me contactes ton abruti de boss immédiatement. »
– Et pourquoi je ferai ça ? » rétorqua l'intéressé sans se laisser démonter par la mine furibonde de la médecin.
– Je veux savoir s'il était au courant.
– De quoi ?
– Vas voir toi-même.
Elle désigna la porte de la chambre, restée entrouverte. La pénombre qui y régnait faisait un voile opaque rythmé par le bip du moniteur, et donnait l'impression que, une fois le seuil passé, tout y était plus dense.
« Vas voir », répéta-t-elle. « Et passe moi ton boss. »
Tout comme la maison et son architecture changeante, ses façades dépareillées et les incohérences qui jonchent sa structure, le couloir semble fait d'une réalité tangente, où les lignes et les angles n'existent pas. Sans véritablement savoir si le vertige qu'elle ressent vient de cette ossature cassée qui fait pencher les murs, le plafond et même le sol, ou de ses propres perceptions, Tomie pose une main le long de la façade pour retrouver son équilibre.
Même une fois la porte passée, le froid est prégnant et fait de petites paillettes de givre dans l'obscurité. C'est un silence profond qui règne à l'intérieur de la maison, guttural, seulement rythmé par le bruit de ses pas et de sa respiration. Tomie tente de percer les ténèbres du regard, sans succès. La lumière grise du dehors n'éclaire qu'une toute petite partie du couloir, tandis que l'autre s'enfonce dans la pénombre. Elle sent son estomac se contracter, et sert les poings, avec l'impression de plus en plus terrifiante de pénétrer, non pas dans l'esprit d'un humain, mais dans l'antre d'un monstre. Exactement comme cette fois… la dernière avant qu'elle ne décide de tout arrêter et de ne plus jamais user de son don.
« J'ai peur ».
C'était la première fois qu'elle le disait. La première fois qu'elle ressentait cette panique propre aux cauchemars qu'on fait dans l'enfance, alors qu'elle savait pertinemment qu'elle ne risquait rien.
« Continue », dit la voix d'Akechi. La partie d'elle-même qui n'avait pas plongé pouvait sentir sa main dans la sienne.
Elle avait vu des châteaux, des temples, des manoirs, de toutes petites habitations qui devenaient immenses une fois la porte franchie, des cabanes perdues dans les bois, des pontons sur des lacs, des tentes, et même des bateaux, mais c'était la première fois que le monde intérieur de quelqu'un prenait la forme d'un mausolée. Ça puait la mort et la terre, et elle, elle se sentait minuscule à l'intérieur. Terriblement vulnérable, aussi faible et impressionnable qu'une enfant.
« Qu'est-ce que tu vois ? » demanda Akechi.
« Pas grand-chose pour l'instant… je vois… des dalles en pierre. Les murs sont ornés de sculptures mais il fait trop sombre. Je n'arrive pas à voir ce qu'elles représentent. Il y a aussi une sorte d'autel, et juste derrière… ça ressemble à des statues. Des statues enveloppées d'un drap blanc. »
« Très bien. Dirige-toi vers elles. »
Elle fit un pas, les jambes tremblantes, tous les sens en alerte, avec cette impression persistante que quelque chose l'observait dans les ténèbres. Rien dans le calme feutré des vieilles pierres et le balancement des saules au-dehors, dans le silence des murs et l'absence complète de toute vie, n'était normal. Il y avait toujours du mort dans un monde intérieur, ne serait-ce que dans les vestiges des parties de soi qui ont vécu un jour, mais il y avait aussi et toujours de la vie. Un monde mort, c'était un esprit fauché.
Une part d'elle lui hurlait de faire demi-tour, de ne pas soulever ces draps qui semblaient onduler dans la pénombre, comme si un souffle lent et morne les animait. Tout lui disait qu'elle n'avait rien à faire là et qu'à trop rester, elle se mettrait elle aussi en danger.
« Tu y es ? »
« Presque… »
Ses doigts se tendirent vers les tentures. Elle sentait son souffle glacé dans sa poitrine, la sueur opaque sur son front et lorsqu'elle toucha le tissu, que son bras se rétracta pour retirer doucement l'étoffe, Tomie savait déjà qu'elle avait fait une erreur.
Le souvenir de l'horreur manque de lui arracher un cri. Le regard fixé sur l'extrémité du couloir, Tomie plaque sa paume sur sa bouche avec la sensation de s'éveiller d'un cauchemar. Ce souvenir… ce n'est pas seulement parce qu'il s'agit de son dernier ''voyage''. Tout, la lumière, les odeurs, et jusqu'à l'atmosphère, lui rappelle son intrusion dans l'esprit le plus malade qu'elle n'ait jamais côtoyé. Il y a bien des choses qu'elle s'est résolue à vivre ou à revivre. Des cauchemars qui la hantent, des souvenirs qu'elle n'arrivera jamais à enterrer, à commencer par celui du visage et du regard de Dazai au moment où il déversa sur sa jambe une rivière de feu. Mais même cette vision, ce trauma imprimé dans les fibres les plus profondes de sa peau, ne peut surpasser en horreur la vision qu'elle eut ce jour-là. Ce jour-là, Tomie comprit ce qu'était le mal à l'état brut. Ce mal là dont on ne parle que dans la Bible et qui n'est nommé qu'à demi-mot. Celui qui se dilue à travers l'Histoire, dans l'obscurité des foyers et dans le coeur des Hommes. Ce n'était pourtant pas d'un monstre, comme dans les contes, qu'il il avait pris le visage, mais bien d'un être humain. Elle comprit aussi, ce jour-là qu'une part de l'humanité s'était perdue pour toujours. Était-ce aussi son cas à lui ?
Résolue à ne pas se laisser absorbée dans ses propres souvenirs, Tomie se redresse et poursuit sa progression, longeant le mur d'un pas incertain, qu'elle espère silencieux. Bien que de plus en plus denses, les ténèbres ne sont jamais tout à fait totales, et il règne, à mesure qu'elle progresse, une atmosphère incertaine, incolore, comme un épais voile de brouillard entre les lignes convergentes du couloir. Après ce qu'elle estime avoir duré plusieurs minutes, les murs finissent par s'élargir pour laisser place à ce qui ressemble à une pièce rectangulaire. Un hall d'entrée, plongé dans la pénombre. Elle observe par l'une des fenêtres la lumière bleutée d'un ciel nocturne et les rayons d'une pleine lune qui s'épanchent sur le sol, entrecoupés par la structure du verre dont l'ombre se projette sur le carrelage sous la forme d'une toile d'araignée. Ainsi la temporalité de la maison n'est pas celle du dehors. Cela n'a rien d'anormal. Qu'est-ce qui peut l'être dans un monde intérieur ?
Le sol en damier lui fait penser à celui de l'hôpital où son corps est toujours censé se trouver, prouvant que Dazai a gardé un semblant de conscience après sa tentative de noyade. Les dimensions de la pièce, la forme arquée des fenêtres, situées en hauteur, de sorte à ce qu'on ne puisse pas voir à travers, et les boiseries qui couvrent la partie inférieure des murs, lui sont en revanche inconnus, issus peut-être d'une forme archétypale qui s'est forgée son propre espace. Avec les secondes, son œil s'habitue à l'obscurité, et elle devine en plus de la surface des murs le contour d'un mobilier disposé ça et là, sans logique, comme abandonné après une tentative de déménagement. L'ensemble a quelque chose de presque raffiné, et après quelques instants d'observation silencieuse, Tomie fait le lien avec le manoir des Stocker. La Villa des anges. Le décor n'est pas le même, mais il s'en dégage cette même atmosphère de manoir laissé à l'abandon. D'autant plus surprenant pour un individu tel que Dazai.
À mesure qu'elle détaille et intègre les lieux, l'évidence s'impose à la jeune femme. Le hall est une façade. Une coquille vide qui, aménagée et éclairée, aurait pu remplir son rôle. Faire bonne impression. Mais désormais trop grossier dans son jeu des faux semblants, Dazai lui-même semble avoir déserté les lieux, ett elle, il va lui falloir percer ce décor de papier-mâché pour en explorer les coulisses. En plissant les yeux, Tomie décèle derrière la silhouette d'une console, les contours d'une porte si petite qu'elle passerait presque inaperçue.
L'accès dérobé vers ce qu'il ressort réellement de lui, de son esprit malade et grignoté par la folie comme du pain rassis par des rats. S'il n'y a toutefois pas encore une couche supplémentaire à franchir, car entre les planches qui bloquent l'entrée de sa maison, le long couloir et ce vestibule qui ne sert à rien, Tomie devine les parades nombreuses. Dazai a bien su protéger son esprit.
Elle traverse donc la pièce en direction de ce nouveau passage, toujours plus profond dans les méandres du labyrinthe, écarte la commode et tourne la poignée. Contrairement à la première, la porte s'ouvre sans difficulté. Derrière, c'est le noir total. Elle entend juste un bruit d'orage et de pluie de loin, de très loin, comme étouffé par l'épaisseur des murs. C'est en franchissant le palier qu'elle réalise l'étroitesse du passage. Elle est tout juste assez large pour s'y glisser. Retenant son souffle, Tomie jette un dernier regard au vestibule et se faufile entièrement de l'autre côté de la porte. Soudain, elle sent le sol se dérober sous ses pieds et manque de perdre l'équilibre avant de le retrouver un peu plus bas, à quelques centimètres. La jambe tremblante, elle laisse son pied glisser vers l'avant tout en maintenant son poids sur son autre jambe, pour retrouver le vide un peu plus loin, et le sol plus bas encore. Des escaliers. La voilà qui aborde la descente vers les tréfonds de la maison, et elle sait, d'expérience, que les caves et les sous-sols intérieurs ne cachent jamais ce qu'il y a de plus beau, bien au contraire. C'est là qu'on y dissimule le sale, le laid, le sombre et le monstrueux. Pour Dazai, il y a bien des chances qu'il n'y ait même pas de niveaux supérieurs et que les étages qu'elle a pu voir depuis l'extérieur ne soient encore qu'une façade.
Tomie sent une lente terreur lui nouer l'estomac. Elle sait. Depuis le début, elle savait ce qu'impliquait son intrusion, le choix de cette lente exploration dans les méandres du chaos intérieur dont l'ancien mafieux s'est fait prisonnier. Elle sait aussi qu'elle ne peut compter que sur elle-même, qu'Akechi n'est plus là pour la guider, pour la rassurer, pour la sortir du cauchemar aussi. Ses doigts tremblants se crispent sur les plis de sa jupe. Elle est toute seule. Vraiment ? Instants de vide avant la descente, non seulement pour retrouver son courage, mais aussi ce que son mentor lui a laissé. Là-haut, au-dessus des eaux grises de sa conscience se dressent la présence diaphane de ceux qui se trouvent là, avec elle, avec son vrai corps. En se concentrant, elle peut sentir à nouveau l'odeur de détergent de l'hôpital, et cette fragrance un peu plus subtile, poivrée, qui s'est glissée sous sa peau lorsque l'homme aux cheveux blonds l'a tenue dans ses bras. Il ne suffit que de cela pour que le souffle dans sa poitrine s'apaise et que le noir qui l'entoure devienne un peu moins glacial.
Si elle était capable de communiquer avec Akechi, c'est qu'elle peut le faire en toute circonstance. Il lui suffit simplement de parler. Percer le silence profond. Le son comme une première lueur dans les ténèbres. Il lui suffit simplement de parler pour que leur présence l'accompagne dans sa descente aux enfers intérieurs.
Il lui fallut quelques instants avant de pouvoir se résoudre à appuyer sur le numéro que Chuuya lui avait affiché, après qu'il ait enfin daigné lui remettre son téléphone. Elle imaginait leur réaction à tous les trois face à ce qu'ils avaient sans doute toujours su. Et elle n'arrivait pas à savoir si elle devait en rire, en pleurer, ou hurler de colère sous l'impression qu'on s'était joué d'eux. De qui Dazai s'était-il moqué ?
Avec ce goût acre dans la bouche qui remonte quand on se sent trahi, symptomatique de la colère refoulée qui piétine l'estomac et noue les entrailles, Yosano appuya sur la touche d'appel et porta l'objet à son oreille. Elle voulait savoir si lui aussi s'était joué d'eux, ou si on s'était joué de lui. Il ne s'écoula pas deux sonneries avant que la voix de Mori, profonde et gutturale, ne se fasse entendre à travers le combiné.
« Dazai et ses bandages », argua-t-elle sans préambule. « Tu le savais ? »
Quelques secondes s'écoulèrent, sans doute le temps pour le boss de la Mafia de comprendre qu'il n'avait pas affaire à son subalterne.
« Ça faisait longtemps, Yosano. »
« Pas assez à mon goût. Réponds. Est-ce que tu savais pour Dazai ? »
Nouveau silence, entrecoupé par ce souffle qu'elle ne connaissait que trop bien. Mori avait une respiration lourde et lente. Une présence rampante comme celle d'un reptile. Même sans le voir, elle imaginait son regard de serpent, la retenue dans sa posture, invisible et silencieuse, jusqu'à ce qu'il trouve le moment opportun pour attaquer, diluant chez elle un subtil mélange de peur et de fascination. Ça aussi, il y avait bien longtemps que Yosano ne l'avait pas ressenti.
« Il y a beaucoup de choses que j'ignore sur Dazai », reprit la voix dans l'appareil. « Et des points que j'essaie d'éclaircir en ce moment même. »
À l'accent sur lequel il avait achevé sa phrase, la jeune femme savait qu'il était en train de sourire, et imaginait l'étirement de ses lèvres pâles et minces, entre ses deux pommettes un peu trop saillantes. Elle ne put s'empêcher de déglutir. Pire. Elle eut peur qu'il s'en aperçoive et qu'il s'en délecte d'autant plus.
« Je parle de ses bandages », renchérit-elle avant qu'il ne puisse ajouter quoi que ce soit de déplaisant.
« Ah. »
« Tu le savais ? »
« Je m'en doutais. »
« Non Ougai », s'agaça-t-elle. « Tu le savais. Tu es le seul à avoir vu son corps et je suis certaine que tu ne t'es pas gêné, contrairement à moi, pour briser son intimité. Donc je vais reformuler ma question. Pourquoi n'y a-t-il pas de marques de blessures ? »
« Il devrait y en avoir », l'interrompit la voix de Mori. Un peu plus promptement qu'elle ne l'aurait soupçonné. « Il y en a eu », répéta-t-il. « Plus que de raison. »
« Alors pourquoi je n'ai rien vu ? » Elle dut inspirer pour parvenir à le dire, à le dire avec des mots, mettre en forme et de manière verbale cette vérité qu'elle ne pouvait admettre en tant que médecin. « Pourquoi n'y a-t-il aucune cicatrice, aucune trace de ses anciennes blessures, nulle part ? »
« Et c'est moi qui brise son intimité ? »
« Ne me juge pas. Tu sais que je l'ai fait pour les bonnes causes. »
« Moi aussi. »
« Ougai… »
Elle se mordit la lèvre. Mauvais réflexe… Prononcer ainsi son prénom, de manière aussi spontanée… c'était comme entretenir cette proximité malsaine, terriblement charnelle, dont elle ne voulait plus.
« À vrai dire, je n'ai jamais pu le voir de mes propres yeux », reprit Mori avec pragmatisme. « Il l'a toujours caché. Tout ce que j'ai pu mesurer, c'est sa facilité à guérir et à cicatriser. Quand je le soignait d'une nouvelle blessure, les autres avaient déjà pratiquement disparu. Dès qu'il s'est aperçu de mes soupçons, Dazai a d'ailleurs cessé de venir me voir pour se faire soigner. »
« Qu'est-ce que ça veut dire ? Pourquoi se cacher si les marques disparaissent ? »
« Tu ne devines pas ? »
« Je veux l'entendre de ta bouche. »
« Ce ne sont pas ses cicatrices que Dazai cache, mais justement le fait qu'il n'y en ait pas. Pour s'être tailladé les veines, avoir été torturé, charcuté au chalumeau… même les perfusions auraient dû laisser leur marque. Et pourtant… »
Pourtant, il n'y avait rien. Sous ses bandages, la peau de Dazai était parfaitement blanche, aussi lisse que celle d'un enfant. Sans la moindre cicatrice, sans la moindre trace des multiples traumatismes corporels qui auraient pourtant dû sillonner sa peau. Yosano le savait très bien, pour avoir gardé la trace indélébile de ses propres moments de perdition. Elle aussi avait ses propres bandages dissimulés sous ses gants noirs.
« En cachant le fait qu'il n'ait pas de séquelles de ses blessures », compléta-t-elle, « c'est autre chose qu'il souhaite passer sous silence. Sa… »
« Sa capacité d'auto-régénération », confirma Mori. « Dazai possède un pouvoir en plus de La Déchéance d'un homme. »
« Celui de guérir et de se régénérer. »
L'évidence la prit de cours, avec la violence d'un coup de point de le ventre. « C'est pour ça qu'il ne peut pas mourir… »
