Bonjour à tous,
J'ai été un peu plus longue à publier cette suite. Moins le temps d'écrire en ce moment, les fins d'années scolaires étant toujours très chargées, et moins envie aussi. Ce qui est raconté là... j'ai mis du temps à le digérer et à retrouver l'élan de continuer. Une pause était de mise et aujourd'hui je commence à envisager la suite. En espérant vous la publier très bientôt.
Guest : merci pour ton gentil commentaire ^^ en ces temps de désertion de la plateforme, c'est rafraîchissant et très encourageant d'avoir un petit coucou des lecteurs, et de voir que l'histoire plaît toujours :)
Sur ce, bonne lecture !
Chapitre 31.
C'est une pièce parquetée, baignée d'une lumière mauve et spectrale. Derrière les vitres qui donnent sur une nuit quasi totale, sans lune ni étoiles, c'est de nouveau le tonnerre qui gronde.
À la lueur de la toute petite lampe posée sur une table de chevet au bois blanc et lisse, Tomie s'avance dans la pièce et jauge du regard le lit plongé dans la semi-obscurité. Un lit d'enfant. Les draps sont à peine défaits, et il s'en dégage une odeur de vide, comme si personne n'y avait jamais dormi. De fait, la chambre est meublée du strict nécessaire, sans un seul jouet, un seul livre, la moindre trace qui puisse témoigner d'une présence quelle qu'elle soit. C'est la solitude qu'on y sent, telle une odeur qui se dégage des murs malgré la peinture fraîche dont on a voulu les recouvrir. Était-ce la sienne ? Cette chambre peuplée par le vide, et de cette tristesse qu'on a voulue cacher sous le mastic blanc.
Pendant quelques secondes, Tomie se laisse le temps d'appréhender, d'apprivoiser cette atmosphère nouvelle, plus ancienne, moins palpable, puisqu'elle est issue d'une projection d'enfant. Celui qu'il fut un jour, avant d'oublier que lui aussi, il avait grandi.
Le fragment de conscience ne l'a pas suivie. Il est resté dans la pièce baignée de soleil et de mélancolie, comme s'il savait que la laisser explorer le reste des souvenirs, c'était en quelque sorte rester avec elle, sans avoir pour autant la force ni l'envie de les revivre.
Ça fait longtemps que je suis déjà mort.
Pourquoi l'a-t-il emmenée jusqu'ici ? Dans cette chambre, avec son mobilier d'enfant, et sa solitude ?
La silhouette d'un grand placard attire son regard. Avec des gestes prudents, toujours sans faire de bruit, Tomie en ouvre les portes et glisse un œil à l'intérieur. Il s'en dégage une étrange clarté, comme si le fond donnait sur une autre pièce. En écartant les vêtements sans forme ni couleur qui pendent aux cintres, elle décèle une ouverture. Et de l'autre côté, ce sont des pas, des chuchotements qui résonnent. Un souvenir ?
L'endroit est si exigu qu'elle a du mal à s'y glisser et doit courber les genoux et le dos pour atteindre le fond de l'armoire, qui lui semblait pourtant plus grande vue d'extérieur. Encore une incohérence spatiale… En ouvrant légèrement le panneau, Tomie reconnaît le couloir par lequel elle est arrivée, avec ses fleurs et ses motifs sur les murs, cette fois peuplé de vas-et-viens de figures fantomatiques, d'ombres et de paroles inintelligibles. Sur la surface du bois brun courent de petites coches, des suites de chiffres, des lettres de l'alphabet gravées sans logique, comme il arrive aux enfants de les dessiner sur leur cahier quand ils s'ennuient en classe. Sauf que ce n'est ni une salle de classe ni un lieu approprié pour un enfant. À la quantité de motifs, Tomie mesure le temps que Dazai a pu passer là, entre ces quatre cloisons, à l'écoute des pas et des murmures ininterrompus du couloir, caché du monde extérieur par ce misérable panneau de bois.
De quoi as-tu si peur ?
L'éclat de conscience qui s'est dévoilée dans la pièce au coucher de soleil et à l'homme étendu sur le sol ne l'a pas suivie. Elle la sent toujours, mais sa présence est devenue lointaine, hésitante, comme si elle voulait se tenir en retrait de ce souvenir-là.
Oppressée par l'étroitesse de la cachette, Tomie se retire en marche arrière pour retrouver le couvert des vêtements noirs et, plus loin encore, la lumière mauve de la chambre d'enfant. Elle n'avait pas réalisé que le passage était si profond. Une fois complètement sortie, les murmures et les pas se taisent, la lueur filtrée par le fond de l'armoire se dissipe tout à fait pour redonner au meuble un semblant de normalité.
Ce genre de failles et d'anomalie sont courantes dans un monde intérieur, et c'est ce qui en rend l'exploration parfois vertigineuse. Tomie ne se souvient d'ailleurs pas avoir totalement écumé un esprit. Est-ce seulement possible ?
Reportant son attention sur la chambre, elle se dirige vers la commode qui se trouve devant la fenêtre et ouvre le premier tiroir. Ses doigts rencontrent la texture d'une feuille qu'elle tire jusqu'à elle pour découvrir un dessin fait au charbon, aux contours noirs et épais. C'est celui d'une silhouette féminine, accrochée à quelque chose, comme un fil relié à son cou. Un nouvel éclair illumine alors la chambre, révélant la forme qui se dessine en ombre chinoise sur le mur opposé. Quasiment identique à sa représentation sur le papier. Avec sa jupe qui lui arrive jusqu'aux chevilles, ses longs cheveux et ses bras ballants. Tomie comprend soudain que ce qu'elle a pris pour un fil est en fait une corde.
« Il y a une ombre… », murmura de nouveau Tomie, après un long silence baigné de recueillement et d'anxiété. « C'est celle d'une femme… je crois qu'elle s'est pendue. »
– C'est sa mère », souffla Atsushi, le regard écarquillé.
Chuuya hocha la tête, le visage sinistre.
– Comment ça ? » chuchota Kunikida, le regard écarquillé.
C'est alors que le jeune homme réalisa qu'il n'avait rien dit à ses collègues, ni sur les origines de Dazai, ni sur tout ce que leur avait révélé tour à tour Ango et Hirotsu. Lui, Chuuya… ils étaient encore les seuls à savoir. En avaient-ils seulement le droit ? Le passé de Dazai était si sombre, si souffrant… rien qu'en laissant l'ex-policière pénétrer son esprit, il avait l'impression de se livrer à un acte tabou, à une violation de son intimité.
« C'est… seulement une hypothèse », bredouilla-t-il.
– Mais pas des plus idiotes », rétorqua l'agent.
En détournant les yeux, le jeune homme rencontra le regard de Chuuya qui le jaugea en plissant les paupières, avant de lentement hocher la tête, montrant qu'il avait compris. Lui avait-il laissé le choix de révéler ou non le passé de Dazai ? C'est ce qu'Atsushi comprit.
« Il y a autre chose », reprit Tomie, plus fort. « Ça… ça ressemble à une présence … faite de ténèbres… »
Il y a autre chose dans le tiroir. D'autres dessins. Toujours les mêmes, à quelques différences près. Sur la plupart, c'est une ombre qui se profile, de plus en plus grande, de plus en plus opaque. Tomie reconnaît le tracé des meubles vus par le regard d'un enfant, et donc beaucoup plus massifs. Les contours du lit, de la commode, de l'armoire et de la porte, et dans l'entrebâillement de cette dernière, cette ombre terrifiante qui se profile, comme une menace permanente, omniprésente.
Comme l'éclair lui a révélé la silhouette de cette femme, perpétuellement pendue, quelque part dans l'obscurité, elle observe la pièce à la recherche d'une ombre supplémentaire que lui dévoilerait la clarté intermittente de l'orage… sans succès. Il n'y a rien, si ce n'est la terreur latente laissée par cette présence. Alors qu'elle remet les dessins dans le tiroir, Tomie entend soudain des pas en provenance du couloir. Son corps se fige et, avant qu'elle ne puisse esquisser le moindre mouvement, la lampe de chevet s'éteint brusquement, plongeant la chambre dans le noir. De l'autre côté de la porte, les pas se sont arrêtés. Elle entend la poignée qui s'active, mais pour une raison qui lui échappe, le panneau ne s'ouvre pas, comme si on avait fermé le verrou. Les tentatives d'entrer, d'abord discrètes, se font alors de plus en plus violentes, jusqu'à ce que des coups, sourds, répétitifs, résonnent contre le bois.
« C'est un souvenir », se répète Tomie. Une terreur enfantine, un cauchemar récurrent peut-être… mais cela semble si réel, si oppressant… Et c'est alors qu'elle réalise. L'espace où la conscience l'a guidée est celui d'un souvenir qui se rejoue. Un souvenir si terrible qu'il est resté calfeutré dans l'espace inconscient, sans que cela ne l'empêche de ressurgir parfois. Si terrible que même le fragment de Dazai demeuré éveillé à lui-même n'a pas voulu s'y confronter. C'est à elle qu'il en a laissé la charge.
Il y a un monstre derrière la porte. Un monstre qui cherche à entrer. Pour te dévorer.
À bout de souffle, Tomie tâte de la main les rebords de la commode et se recroqueville dans le petit espace entre cette dernière et le mur, repliée sur elle-même, les mains sur les oreilles comme une petite fille qui a peur du noir. Cette terreur abominable qui lui presse la poitrine et l'estomac n'est pas seulement la sienne. C'est aussi celle du petit garçon qui transpire comme de la sueur sur ses propres émotions.
Les coups à la porte ont cessé, et au grincement qui résonne dans le silence profond de la pièce, elle sait que le verrou a fini par céder. Après quelques secondes de battement, elle décèle, derrière les échos de la pluie, le bruit traînant et rugueux d'une respiration. Quelqu'un se tient là, dans l'entrebâillement de la porte, et à son souffle rauque, guttural, elle devine que c'est celui d'un homme. D'un vieil homme. Puis des pas. Lourds.
Et soudain, dans la lueur furtive d'un éclair qui vient de nouveau illuminer la pièce, elle la voit. L'ombre noire et rampante qui siffle dans l'obscurité. Celle dont la présence avale toute la lumière et qui n'a pas de visage. Elle s'approche lentement du lit, de ce pas pesant, qui traîne et qui racle le sol.
Comme dans un film dont on aurait mal monté les scènes, sous la clarté, successive des éclairs qui se profilent par la fenêtre, Tomie la voit progresser, petit à petit, chaque fois un peu plus proche de ce lit censé être vide, se pencher dessus, avant de l'engloutir lentement, jusqu'à le couler entièrement dans l'obscurité. Et, alors que les contours du lit semblent avoir été totalement avalés, c'est toute la pièce qui est brusquement parcourue d'un soubresaut. Les murs qui se rétractent, le sol qui frémit.
Assommée par la peur, Tomie plaque ses mains contre le mur pour ne pas tomber en avant, et sent quelque chose d'humide et visqueux sur ses doigts. Le dégoût la saisit jusqu'aux tripes et, avec la brutalité des grands chocs, elle comprend soudain. Levant les yeux vers l'ombre sur le lit, elle se recroqueville davantage et se mord la lèvre pour ne pas hurler. Quoiqu'elle fasse, ça ne s'arrêtera pas. Ça ne changera pas le souvenir. C'est là, ça le sera toujours, comme une blessure qui ne partira jamais. La première. Avec pour témoin l'ombre de cette femme pendue au plafond, et qu'il lui arrive encore de voir les soirs d'orage. Une blessure venue se glisser dans ce qu'il y a de plus tabou et de plus intime. Innommable.
Resserrant ses bras sur ses genoux, Tomie sent une larme rouler sur sa joue, sauf que ce n'est plus la terreur qui la fait désormais pleurer, mais la tristesse, l'impuissance, la colère.
Combien de temps l'infamie s'est-elle rejouée, encore et encore entre les murs de cette chambre ?
Tandis que l'ombre achève son sinistre office, elle ferme les yeux et en appelle aux comptines que sa maman lui chantait quand elle était petite. La chanson pour oublier, la chanson pour ne plus pleurer, la chanson pour ne plus avoir peur, pour ne plus avoir mal. Cette petite douleur au genou, après qu'elle se soit écorchée, et qui passera, passera. Il suffit de compter. Un, deux, trois, et ce n'est plus là. Un, deux, trois, et c'est terminé… Et c'est après avoir passé une éternité à compter un, deux, trois, à avoir serré si fort ses genoux entre ses bras qu'elle en a mal, que Tomie ose enfin rouvrir les yeux. L'ombre est partie. La lumière s'est rallumée. Et dans sa clarté mauve se dessine désormais sur les draps blancs, si grande et si rouge qu'elle a imprégné jusqu'au matelas, une grande tâche de sang.
Elle l'avait prononcé, elle venait de dire avec des mots ce qu'il n'arrivait même pas à traduire en pensées. De surprise, de dégout, Chuuya avait dû reculer, la main sur la bouche, les yeux fermés. Tout mais pas ça. Ça, personne n'en avait le droit…
Il en avait vues des horreurs. Son enfance, elle n'avait jamais existé. On la lui avait volée. Et en rencontrant Dazai, il avait tout de suite su que son ancien coéquipier était comme lui, parce qu'il portait dans les yeux la même ombre, la même rancoeur, celle que laisse l'innocence dérobée, coupée au ciseau d'un coup sec, et qui creuse dans le coeur une plaie béante.
La plupart des enfants se nourrissent de rêves, d'espoirs, de ce qu'ils veulent devenir plus grands, de la beauté du monde et des câlins d'une mère que, lui, il n'avait jamais connue. Eux s'étaient contentés de la douleur et du vide laissé par un coeur atrophié trop tôt. Ils étaient comme des infirmes à qui la lumière et la chaleur s'étaient toujours refusées. C'est du moins ce qu'il avait toujours pensé, en particulier lorsqu'il regardait Dazai s'écorcher les poignets dans la pénombre de sa salle de bain, mais il avait tort. Là où s'étaient dressées pour lui les barrières qui lui avait permis de conserver un minimum de sang et de vitalité, stoppant la détresse et la souffrance au point qu'elles ne devraient jamais dépasser pour garder un semblant de raison par la suite, ces barrières avaient été franchies depuis bien longtemps pour Dazai. Depuis qu'il était tout petit, on avait bafoué jusqu'au coeur de son être.
Ils n'en menaient pas large non plus, les autres. La femme, le binoclard et le gosse au regard de vieux. Les révélations de Tomie, c'était le genre de nouvelles qui calment tout le monde pour un moment. Quant à lui, il avait besoin de prendre l'air. Cette pièce, la pénombre, ce corps qui n'avait jamais vraiment été en état de marche et dont on ne pouvait évaluer l'ampleur et la gravité des blessures, ce bip perpétuel… il allait devenir dingue à force.
Au moment où il franchit la porte, déterminé à quitter ce foutu hôpital et à se trouver n'importe quelle guinguette qui lui permette de boire et d'oublier, l'espace de quelques heures, ce qu'il avait entendu, le mafieux entendit des pas précipités derrière lui et rencontra les yeux consternés du petit Atsushi en se retournant.
« Qu'est-ce que tu veux ? », se contenta-t-il de marmonner, d'un ton suffisamment agressif pour témoigner de sa mauvaise humeur.
– Hirotsu », murmura le jeune homme en le poussant vers le couloir, sans doute pour que ses collègues ne puissent pas l'entendre. « Il nous a menti. »
– Comment ça ?
– Ce n'est pas l'un de ses frères que Dazai a blessé.
Contraint de faire face au jeune homme, Chuuya se contenta de croiser les bras pour témoigner de son impatience et de sa profonde lassitude.
« Tomie a parlé d'un vieil homme », poursuivit-il. « Elle a dit qu'elle avait senti sa présence et qu'à sa respiration, il n'était plus tout jeune. Ça ne peut pas être un de ces frères. »
– Alors qui ?
Un domestique ? Un autre mafieux ? Quelle importance, puisque l'horreur était bien là ?
– Il est le seul à savoir », allégua l'agent en lui tendant un petit objet. Le portable qu'il avait prêté à la médecin. Cela ne laissait aucun doute quant à ce qu'il lui demanderait, et ce qu'il se devait de faire.
« Dites lui qu'on sait. On sait qu'il nous a menti, et qu'il nous doit la vérité. »
Il y a quelque chose sur le sol. Un objet à la fois brillant et terne, qui jure dans cette pièce où tous les contours semblent troubles et dont seul l'éclat s'accorde avec le rouge sur le lit. Tomie reconnaît la lame d'un couteau. Est-ce de là que vient tout le sang sur le lit ? Alors qu'elle reste là, immobile, perplexe, la lumière par la fenêtre se met à changer lentement jusqu'à revêtir le blanc laiteux des aubes hivernales.
Le bruit du tonnerre a laissé place à un son plus léger, plus mélodieux, le même que celui qu'elle a entendu dans la baignoire, et qui était alors étouffé par la densité de l'eau et du souvenir. C'est comme si au loin, une boîte à musique s'était mise à jouer, et Tomie reconnaît le son qu'elle a entendu une éternité plus tôt, issue de celle qu'Akechi a dissimulée dans son propre parquet. La terreur et la tristesse remontées avec la scène qui s'est jouée sous ses yeux se dissipent à leur tour lentement. De l'autre côté de la vitre, quelque chose est en train de l'appeler.
Une fois passé, remonté à sa conscience à elle, c'est comme si le souvenir s'était déchargé, à défaut de se dissiper totalement. Il en reste le cadre, le décor et les accessoires, mais les comédiens sont partis, avec eux l'atmosphère de la pièce qui s'est jouée sous ses yeux. Ce n'est plus qu'une scène vide. Est-ce que le spectacle macabre auquel elle a assisté avec horreur s'y rejouera ? Tomie n'est pas certaine que ce ne soit plus jamais le cas. Après tout, quoi qu'il arrive, le souvenir baigné de douleur et de sang existera toujours. En lâchant un soupir, elle reporte son regard sur la fenêtre et son paysage de froid, de neige et de blanc. Quelque chose s'est produit après cet événement, sans doute décisif. S'il n'y avait eu que le sang sur le lit, elle aurait pensé qu'il appartenait à l'enfant, mais la présence du couteau lui laisse penser que c'est l'inverse. C'est son agresseur qui a été blessé. Cette nuit-là, Dazai a peut-être tué pour la première fois. Puis il s'est enfui. C'est ce que lui dit la mélodie qui se profile derrière les vitres et l'espace soudain plus vaste.
Avec d'infinies précautions, Tomie débloque le loquet et soulève la fenêtre. Une atmosphère glaciale, constellée de givre et voilée par la neige lui implose alors au visage jusqu'à s'immiscer dans les pores de ses joues. Laissant derrière elle la chambre désormais vidée de sa substance, au sommier nu et aux meubles gris de poussière, la jeune femme enjambe la fenêtre et s'enfonce dans la brume hivernale.
À chacun de ses pas, le brouillard se fait plus dense, et la mélodie plus distincte. Quelle place pour cette boîte à musique dans les souvenirs en patchwork de l'enfant qui s'est perdu ? Quelle place pour Alice ? Pour la maison sur la plage, et pour Akechi ? Plus elle avance, plus elle se perd dans la mémoire d'Osamu Dazai, plus Tomie gagne la conviction que tout ça a un sens, qu'il en avait un depuis le début, mais qu'elle commence seulement à comprendre. Et si en retrouvant l'ancien mafieux, c'était aussi sur la piste de son mentor qu'elle se retrouvait, alors qu'elle pensait s'en être écartée ?
Peu à peu, elle sent sous ses pieds la texture familière d'une ligne de pavés. Malgré le froid glacial, l'atmosphère est infiniment moins lourde que toutes celles qu'elle a côtoyées jusqu'alors, presque creuse. C'est à peine si elle sent encore la conscience de Dazai, et l'espace d'un instant, elle craint de s'être égarée. Les pavés la guident cependant, ligne continue dans le voile opaque qui l'entoure et qui semble étouffer chaque son, à l'exception de cette mélodie. C'est alors que Tomie distingue ce qui lui semble être les contours d'une ruelle. Les pavés deviennent plus nombreux, jusqu'à couvrir le sol à perte de vue, et le brouillard laisse apparaître la texture de murs très hauts, encadrant son chemin. Devant elle, à quelques mètres à peine, se dessinent les contours d'une impasse plus distincte que les autres. Un tas de poubelles et de détritus échoués comme de vieilles algues sur le sol déjà couvert de blanc. Et au milieu de ce désordre organique et puant, roulé en boule et si replié sur lui-même qu'on le différencie à peine des sacs noirs entre lesquels il s'est caché, se tient la silhouette d'un enfant.
Tomie s'est habituée à sa tignasse de cheveux bruns et ondulés. Même si elle ne voit pas son visage, elle devine les traits de Dazai, plus jeunes encore. Ses doigts sont couverts de sang séchés. Il n'a même pas de manteau.
Un autre souvenir. Dans le fil du déroulé de cette nuit-là, celui-ci est le suivant.
Ce jour-là, après la nuit d'orage et de cendres, Dazai a cherché à échapper à l'innommable, et se faisant, il s'est perdu dans les rues de Yokohama, un jour de neige et de froid. Et ensuite ? Que s'est-il passé ensuite ?
C'est en se posant cette question qu'elle remarque que la mélodie de la boîte à musique s'est arrêtée, remplacée par une voix féminine qui s'élève dans la brise glaciale.
Il n'est que seize heures, et dans le gris de l'hiver, sa voix…
De longs cheveux blancs ondulant dans le vent laiteux.
Sa voix de givre et de lumière…
Il y a quelqu'un d'autre dans le souvenir. Quelqu'un qu'elle connaît dans l'avoir jamais rencontrée.
« Alice… », prononce-t-elle tout bas.
Ce visage d'ange qu'elle a vu tracé au crayon de papier sur des dizaines de feuilles, cette bouche et ce regard qu'elle a l'impression de connaître, tant elle les a côtoyés, tant elle se les ai imaginés.
Alice.
Apparue comme un fantôme, la petite fille se tient devant le garçon roulé en boule. Elle ne porte qu'un gilet de laine blanche sur ses épaules et pourtant, le froid ne semble pas la déranger. Est-ce la vision fantasmée que le petit Osamu en a gardée, ou bien la réalité de cette apparition angélique échappée des pages d'un livre, et qui fait comme une trouée de lumière dans le gris des murs et des pavés ?
Encore une fois, Tomie sent une larme rouler sur sa joue.
Le jour où Dazai s'est échappé de la mafia fut aussi celui de sa rencontre avec Alice.
Avec un petit sourire, la fillette se penche vers lui et lui tend la main. Plus timidement encore, le garçon lève vers elle un visage défait et un regard à peine conscient. Cette main blanche qu'elle lui tend, il la saisit pourtant, sans hésitation, comme captivé par ces grands yeux gris qui semblent porter en eux la promesse de l'aube après la nuit.
C'est à cet instant, à cet instant précis, que Tomie le sent revenir, le fragment de conscience qu'elle a rencontré à la lumière du soleil couchant, au chevet de l'homme dont elle ne connaît pas le nom, et qui doit y être encore du reste, puisque la conscience est à la fois une et plurielle. Dazai est à la fois là-bas, ici et ailleurs, encore ailleurs, dans ce recoin de mémoire où il s'est perdu, mais vers lequel elle chemine lentement, petit à petit, souvenir par souvenir. Elle le sait maintenant. L'essentiel de la conscience de Dazai se trouve là-bas, dans la maison sur la plage, où il a vécu avec Alice Ludwidge les jours de lumière et d'obscurité.
Sa propre maison sur la plage.
Étrangement, tout semblait plus calme.
Tomie ne bougeait plus. Avec son teint blême, ses lèvres closes et ses mains crispées, on aurait pu la prendre pour une poupée de cire si l'on ne décelait pas le souffle lent qui soulevait sa poitrine.
Kunikida avait bien conscience qu'Atsushi et Chuuya en savaient désormais plus qu'eux, et qu'ils en parlaient sûrement de l'autre côté de la porte, mais il savait aussi que leur silence était légitime. Ce que leur avait soufflé Tomie du bout des lèvres, tandis qu'il essuyait les larmes sur ses joues, avait amplement suffi, et en même temps… comment l'admettre ?
Ce qu'avait vraisemblablement vécu Dazai faisait partie de l'indicible, des choses qu'on ne veut surtout pas voir, dont on ne veut surtout pas parler, car à l'encontre même de l'ordre des choses. Kunikida se souvenait encore du jour où il n'avait pas pu arrêter la bombe qu'un terroriste avait attachée au torse d'un enfant. Le gamin ne devait pas avoir dix ans, et si lui avait pu en réchappé de justesse, rien ne pourrait jamais lui faire oublier la détresse dans le regard et dans les traits d'un être qui n'avait rien demandé à personne. S'en prendre à un enfant, c'était la pire lâcheté qui soit, et une part de lui espérait connaître un jour l'auteur de l'infamie commise sur son coéquipier pour pouvoir l'écorcher de ses mains. C'était ça, précisément ce genre de vices, bien plus répandus qu'on ne voulait l'admettre, qui faisait vaciller sa foi en l'humanité. Il le savait d'ailleurs. Son idéalisme n'était qu'un tissu de mensonges et de principes aussi rigides les uns que les autres pour le protéger de la barbarie et de la noirceur.
Les yeux brouillés de larmes et de fatigue, Kunikida lâcha la main de Tomie, jugeant qu'elle semblait suffisamment apaisée pour se passer de sa présence un cours instant, et reporta les yeux sur le cahier d'Alice Ludwidge. Dans quelles circonstances Dazai avait-il rencontré la fillette ? Est-ce que cela s'était produit après le drame ? Avait-elle un lien quelconque avec la mafia ? Avec un peu de chances, toutes les réponses se trouvaient au creux de ces pages.
Sous le regard de Yosano qui ne disait rien, il attrapa le petit cahier, s'assit près de la fenêtre pour avoir un peu de lumière, et l'ouvrit à la page dont il avait laissée la lecture en suspend. Lui aussi, devrait effectuer son propre voyage dans le temps s'il voulait comprendre ce qui attachait Dazai aux Ludwidge, à Lewis Caroll et, plus loin encore, à Kogoro Akechi.
22 novembre ****
Je me souviendrai toujours de ce garçon étrange que j'ai trouvé au coin d'une rue, en cette après-midi d'hiver. J'écris que je m'en souviendrai comme une expression toute faite, à la manière de ces gens très sûrs d'eux qui savent non seulement qu'ils vont vieillir, mais en plus qu'ils garderont leurs souvenirs comme s'ils leur appartenaient, alors que, comme tout le reste, la mémoire ne nous est prêtée que pour nous être retirée. J'écris cela alors que je sais bien que je ne vieillirai pas. Est-ce que je me souviendrai ? Je ne sais pas si où je vais, on peut se souvenir, mais ce que je sais, c'est que j'aimerais bien que lui se souvienne de moi pour très très longtemps, et même qu'il ne m'oublie jamais. Ce garçon étrange, à la peau très pâle et aux yeux sombres.
Je l'ai trouvé un matin de janvier. L'un de ces matins très froids, où l'hiver exhale son souffle glacial et couvert de givre sur toute la surface du monde, jusqu'à l'intérieur des fibres de la peau. Ces matins où l'on a l'impression que l'air qu'on respire est solide tant il est froid.
Il nous arrivait parfois de quitter notre maison de bois et de courants d'air pour rejoindre la ville, où papa me conduisait dans ces grands bâtiments sans âme où l'on stockait les gens malades comme les pièces d'une collection macabre, pour me laisser aux mains d'individus moroses en blouse blanche qui me demandaient de me déshabiller sans que cela ne gêne personne à part moi, et qui me regardaient au crible de leur machinerie aussi glaciale que le sol d'hiver. Il disait que c'était pour mon bien. Que c'était grâce à cela que je retrouvais peu à peu la santé, et que je pourrais guérir un jour. Avec ces personnes en blouse blanche qui se proclamaient pompeusement médecins, nous avions au moins ce point commun de très bien mentir. Eux pensaient seulement que je ne le voyais pas, et que si mon père y croyait, j'y croirais aussi.
Après les examens dans cet endroit si gris qu'il semblait avoir capté toute la morosité du ciel pour colorer ses murs, son sol, et jusqu'aux regards de ceux qui erraient dans ses couloirs, nous avions l'habitude de faire un tour dans les rues de Yokohama.
Papa m'emmenait manger au restaurant, toujours le même, puis nous prenions le tram jusqu'au centre-ville où nous faisions du lèche vitrine un moment, galvanisés par une envie soudaine de posséder quelque chose qui ne nous servirait jamais, avant de longer l'artère principale jusqu'au port. Il disait que c'était important pour moi de voir la foule et le monde. Il disait que c'était là la vraie vie, et qu'un jour, pour mon bien, je devrais quitter la solitude de notre maison pour vivre à mon tour parmi ces gens. Chaque fois qu'il me poussait à faire quelque chose que je n'aimais pas, il disait que c'était pour mon bien, avec cette naïveté attendrissante des parents qui croient faire le mieux pour leurs enfants, en prenant exemple sur ce qu'il se passe autour d'eux, faute d'avoir confiance en leurs propres instincts. J'ai toujours détesté la foule, le bruit, les enseignes criardes et le superflu. Si c'était ça la vraie vie, se fondre dans une masse qui piétine, qui consomme, qui ne sait plus regarder le ciel pour fixer le sol avec ce visage inexpressif des poupées de cire, alors je préférais encore me terrer dans la solitude de notre maison. Quelque part, c'était la perspective d'un tel avenir qui me consolait de ne pas en avoir. Quant à papa, avec sa bonne volonté et son sourire forcé, j'avais parfois l'impression qu'il cherchait à rattraper les années qu'il avait perdues, dans ce pays qui n'avait jamais été le sien. Lui et moi, nous vivions dans un monde de souvenirs, de silence et de murmures lointains. Nous n'avions pas besoin de parler pour nous comprendre. La rumeur perpétuelle des vagues, des nuages et du ciel était notre mélodie quotidienne, bien plus vivifiante à mon sens, que ce bruissement sinistre où se confondaient les gens soit disant normaux.
Peut-être était-ce parce que lui non plus n'était pas normal, parce que lui aussi détonnait dans cette atmosphère étouffante exhalée par le souffle de ceux qui ont des choses à dire, à faire et à penser, que je l'ai reconnu.
Il était roulé en boule, caché entre deux poubelles. Il tremblait, et quand il a levé les yeux vers moi, j'y ai vu des ténèbres si profondes que me vint la certitude que si je ne lui tendais pas la main, là tout de suite, alors il s'y perdrait à tout jamais.
Je me souviens des flocons de neige qui se posaient doucement sur ses cheveux et sur ses joues. La main qui prit la mienne était glacée. Et moi, pour la première fois, je sentais que j'avais ma place en ce monde.
Ce garçon, je ne l'ai pas sauvé par charité, mais par égoïsme. Et c'est par égoïsme que j'ai refusé de le confier à un hôpital ou à un orphelinat malgré l'insistance et le ton sévère de papa. Je prétendis qu'il avait dû lui arriver quelque chose de grave, que quelqu'un lui avait sûrement fait du mal, et que le placer où que ce soit reviendrait à le condamner. Le sang sur sa chemise et les ecchymoses sur son visage et ses bras jouèrent en ma faveur, mais la vérité, c'est que je voulais juste un ami. Un ami à moi, que je pourrais garder à mes côtés comme un chiot qu'on a trouvé sur le bord d'une route, et qui déborde d'affection et de fidélité simplement parce qu'on a eu le mérite de le sauver. Un être juste pour moi, que je pourrais jeter quand je m'en serai lassée, moi qui n'avais jamais eu personne d'autre à qui parler que papa, mes livres, et les nombreux cahiers alignés sur le bureau de ma chambre, contre la fenêtre.
Quand nous l'avons porté jusqu'à la voiture, le garçon n'a pas bronché une seule fois. Pas une seule fois, il n'a parlé, ou même regardé autour de lui, plongé dans un état second dont rien ne semblait pouvoir le faire sortir. Il était comme un pantin dont on aurait coupé les fils. Présent à rien, pas même à sa propre personne. Maintenant que j'écris cette histoire et que je me rappelle de ce jour, je me dis que je lui ai peut-être aussi tendu la main parce que je me suis reconnue en lui, retrouvée dans les ténèbres qui habitaient ses yeux bruns.
Pendant près de trois semaines, le garçon resta en équilibre sur le fil ténu qui sépare le monde des vivants de celui des morts. Parfois, quand la fièvre le reprenait et ne voulait pas baisser, nous nous disions qu'il allait tomber, et nous attendions toute la nuit à son chevet, en lui donnant à boire, en humectant son front brûlant, avec la quasi-certitude qu'au matin, nous le retrouverions pâle et raide dans des draps désormais froids, mais non. Il retrouvait toujours cet équilibre, comme si quelque chose l'empêchait de franchir un seuil pourtant si proche qu'il en devenait presque palpable. Papa disait souvent que la plus grande force se cache souvent chez ceux qui ont l'air les plus faibles. Ce garçon, avec ses côtes saillantes et ses joues creuses, ses fièvres persistantes et cette pâleur translucide qui lui donnait l'apparence d'un cadavre, devait avoir une force phénoménale en lui pour rester en vie.
Dans le doute, papa avait fait venir un médecin chez nous. Un homme du village auquel il faisait parfois appel pour soulager mes crises. C'était lui qui lui avait dit de m'emmener à l'hôpital, de me faire examiner. Le premier aussi qui lui avait menti, en lui disant que je pourrais guérir.
Ce monsieur, avec son crâne dégarni et ses lunettes rondes, examina le garçon avec une pointe d'alarme dans son regard. Et quand il eut finit, lui et papa eurent une longue discussion. Derrière la porte, je les entendais parler de coups, de maltraitance, et de quelque chose de terrible. Si terrible qu'aucun des deux n'osait le dire avec des mots. Le médecin conseilla à papa d'en parler à la police, et papa acquiesça, même si je savais qu'il ne le ferait jamais. Si le garçon venait à mourir, nous jèterions son corps par-dessus la falaise, et nous le laisserions en proie à la roche et aux vagues, car si la police venait à s'intéresser à lui, alors elle s'intéresserait aussi à nous, et ça, je savais que ça ne plairait pas, vraiment pas à papa.
Pendant trois semaines, le garçon fut incapable de bouger de mon lit, où il passait des nuits entières à gémir, assailli par la fièvre et les cauchemars, avant de sombrer dès l'aube dans une léthargie comateuse qui ne le quittait qu'à quelques rares moments. Tous les jours, nous nous sommes relayés à son chevet, papa et moi. Lui la nuit, moi la journée. Comme je dormais dans sa chambre, je l'entendais lui chanter des berceuses ou lui raconter des histoires à voix basse, toujours en anglais, car sa connaissance du japonais se limitait à la langue d'usage et aux échanges de courtoisie. Il me disait que ce n'était pas important, que c'était la magie des mots qui soignait, les beaux mots, ceux qui sont dits avec le coeur. Il disait souvent que la plus grande maladie était celle de l'âme, et que c'est avec le Verbe qu'on la soigne. Papa n'était pas croyant, mais je sais qu'il avait foi dans les mots et les histoires.
Petit à petit, le garçon fut capable d'avaler quelques cuillères de bouillon et de soupe. C'est aussi papa qui se chargeait de le laver et de l'amener aux toilettes. Vêtu de ses pyjamas trop grands, le garçon semblait plus petit et vulnérable encore.
Avec les jours et les nuits qui passaient, je commençais moi aussi à lui chanter et à lui lire des histoires, celles que j'aimais. J'ignorais s'il pouvait les comprendre, mais en levant la tête de mon livre, il m'arrivait parfois, de surprendre une lueur de vie dans son regard si sombre et qui ne fixait jamais rien, si ce n'est le vide.
Après un mois de convalescence, papa décida qu'il était temps de lui faire prendre l'air. En ce début de février, quelques belles journées de soleil venaient tromper la morosité de l'hiver et donnaient au ciel un éclat de renouveau, agrandi par la lumière, épuré par le froid. La première fois que nous sommes allés sur la plage, le garçon s'est contenté de fixer les vagues avec un mélange de perplexité et d'inconfort, comme ces chiens fascinés par la houle, mais qui n'osent pas y plonger les pattes. Et puis il est resté là, assis sur le sable, dans la même position que celle où je l'avais trouvé, à l'exception qu'il n'enfouissait plus sa tête dans ses mains, mais qu'il la gardait relevée, le regard fixé sur l'horizon. Emmitouflé dans les manteaux que nous lui prêtions pour qu'il n'ait pas froid, il restait là, sans bouger, les cheveux au vent et les joues rosies par le froid. Nous l'emmenions là tous les après-midi, et nous restions avec lui, à contempler le jeu des vagues sans rien dire, gardiens silencieux de ce petit être dont nous ne savions rien, mais qui faisait désormais partie intégrante de notre quotidien. Et puis un jour, vers la fin du mois de février, pour la toute première fois, je le vis sourire.
Ce n'était pas l'un de ces rictus forcés et bêtes qu'on lit sur le visage des gens, dans la rue ou sur les magazine, mais une ligne à peine visible, une sensation presque. Celle d'un bonheur qui vient nous effleurer. Du souffle d'une plume sur notre joue. À cet instant précis il me sembla que le soleil sur la mer s'était fait plus vif, que le vent devenait moins froid, et le ciel moins lourd. C'est en voyant ce garçon qui n'avait jamais rien dit sourire pour la première fois, que je sus que je ne pourrais jamais le laisser partir. Je venais d'avoir treize ans, et ce matin de février, je découvris que j'aimais pour la toute première fois.
