La Chasseresse

Je n'ai pas encore prononcé mes vœux. Je ne suis pas à proprement parler une Chasseresse.

Les paroles d'Annabeth tournèrent dans sa tête avant qu'il n'arrive à les assimiler. Puis il se sentit rougir jusqu'à la pointe des oreilles. Di Immortal. Ce n'était pas une vraie Chasseresse.

- Et… et bredouilla-t-il, Artémis t'as laissée partir avec moi. Je veux dire, enfin t'as plus de « latitude » nan ? Enfin…

Il se sentit minable de réutiliser les mots d'Arès mais là, maintenant, il ne trouvait pas mieux. Jusque-là il avait cru qu'elle était comme Zoé, intouchable. Et maintenant… bah maintenant il y avait un malaise de son côté. Il aurait peut-être aimé ne jamais savoir. Elle leva les yeux au ciel, il se sentit encore plus idiot. Il était vraiment une cervelle d'Algues.

- C'est pour ça que je voulais pas t'en parler. Je me conforme exactement aux mêmes règles que les autres Chasseresses, sinon Dame Artémis ne tolérerait pas ma présence. Mes compagnes de chasse ont fait un serment solennel, moi je n'en ai pas besoin pour me comporter comme Dame Artémis l'exige. Je ne me sens pas moins Chasseresse qu'une autre.

Annabeth avait porté la main à son collier où pendait une chevalière de Harvard. Il sut qu'elle avait menti. Tu n'es pas une vraie Chasseresse. Les paroles d'Arès avaient fait mouche. Qu'elle l'admette ou non, elle ne se sentait pas comme les autres.

- Et, (il se racla la gorge) quand comptes-tu prononcer tes vœux ?

- Bientôt, souffla-t-elle. Je commence à devenir vieille, mais je… je n'ai jamais vraiment trouvé le moment opportun.

- Tu doutes ? laissa-t-il échapper.

Il ignorait pourquoi il avait posé cette question. Il avait conscience de manquer de tact mais… il avait comme besoin de savoir. Pourquoi ? Impossible à expliquer. Annabeth sursauta comme si elle avait reçu un coup de taser.

- Quoi ? Non ! Je ne désire rien d'autre que de servir Dame Artémis pour l'éternité.

Percy était à court de mots, Annabeth ne chercha pas à faire la conversation. Et le silence se drapa d'or pendant le reste du trajet jusqu'à Denver.

- Le mieux serait de trouver un train de marchandise qui nous mène directement à Sacramento ou San Francisco, on a plus énormément de temps.

Quatre jours s'étaient écoulés depuis leur départ de New York, Thalia aurait seize dans trois jours. Plus le temps passait, plus Annabeth doutait qu'ils seraient de retour à temps. Peut-être leur destin était-il de mener la bataille finale au mont Othrys, tandis que Thalia menait les opérations sur la côte Est.

- Aucun train ne part aujourd'hui, se désola-t-elle. On peut toujours tenter d'y aller en camion…

- Il nous reste trois Etats à traverser, c'est mission impossible. A moins d'y aller en avio_

Percy écarquilla les yeux, comme s'il venait d'avoir une révélation. Il sortit son téléphone portable et vérifia dans ses messages.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- Je crois savoir qui pourrait nous aider. Pourquoi je n'y ai pas pensé plus tôt ?

- Qui ça ?

- Une amie.

Elle resta dubitative devant son air rêveur. Annabeth sentit la déception poindre. Non, ce n'était pas de la déception… c'était autre chose, quelque chose qu'elle n'avait jamais vraiment ressenti jusque-là.

- Elle est juste à côté… réserve naturelle Rocky Mountain Arsenal. (il leva les yeux vers elle, tout heureux d'avoir trouvé une solution) C'est génial non ?

Elle resta un moment figée puis acquiesça lentement. Oui, c'était génial.

Percy trouvait qu'Annabeth s'était renfermée depuis qu'ils s'étaient mis en route vers la réserve naturelle. Non pas qu'elle soit particulièrement expansive en temps normal mais… il avait l'impression qu'ils avaient noué une sorte de complicité… ou quoique ce soit. Mais après tout, pensa-t-il avec un pincement au cœur, pouvait-on être vraiment proche d'une Chasseresse ? Elle n'est pas encore une Chasseresse, lui souffla une voix dans sa tête.

- « …lacs, marais, plus de trois cent espèces grouillent dans la réserve. Joyau caché du Colorado, parsemé de zones à explorer et à suivre, vous trouverez de quoi satisfaire petits » -c'est pour toi Percy- « et grands. C'est sans compter que c'est les vues magnifiques de la terre, des prés et des arbres. »

Annabeth interrompit sa lecture, il était impressionné qu'elle arrive à lire avec tant d'aisance puis il remarqua qu'elle avait pris la version grecque. Elle parlait le grec moderne ?

- Alors, dans quel endroit fabuleux se cache ta copine ?

- Elle m'a dit qu'elle était pas trop…

- Coucou toi !

Un écureuil, pensa d'abord Annabeth. Une mortelle, vint après. C'était une petite rousse un peu boudiné, rien de vraiment extraordinaire. Rachel Elisabeth Dare adressa un grand sourire à Percy, ce qui acheva de la rendre antipathique aux yeux de la Chasseresse. Cette mortelle minaudait encore plus que les Empousai, c'était insupportable.

- Alors, t'es pas en train de sauver le monde mon héros ?

Percy s'empourpra, elle se demanda s'ils avaient eu une relation. Mais après tout Percy lui avait dit qu'il ne supportait pas le contact, difficile d'avoir une vie de couple de cette manière… Peut-être avaient-ils essayés ?

- La bataille fait rage à New York pendant qu'on papote, donc si on pouvait se dépêcher.

Rachel Elisabeth Dare la regarda pour la première fois, Annabeth la fusilla des yeux en retour.

- Alors comme ça t'es une Chasseresse ? (elle se tourna vers Percy) Ce sont celles qui n'ont pas le droit d'avoir de petit-ami, c'est bien ça ?

- On peut rien te cacher toi, cracha Annabeth.

- Heu… ouais les filles si on pouvait y aller maintenant…

- T'as l'air pressé d'un coup, t'as déjà fini de minauder ?

Percy était à présent cramoisi. Rachel soupira et ne releva pas, s'estimant sans doute trop bien pour répondre à sa pique.

- Attends… je pourrais vous prêter l'hélico de mon père… mais j'ai le sentiment que vous avez quelque chose à faire ici avant. J'ai fait un rêve…

- Un rêve de mortel ne vaut rien. C'est aussi prémonitoire que le marc de café ou la planche Ouija.

Percy fronça les sourcils, comme s'il accordait du crédit aux paroles de Rachel.

- Rachel peut voir à travers la Brume, jusque-là ses conseils ont été très utile. Qu'as-tu vu ?

- Des monstres, près d'un lac.

Percy lui lança un regard suffisant, ce qui eut le don de l'énerver. Il ne manquait plus qu'elle soit spéciale.

- Un lac ? Génial, c'est pas comme si y en avait une dizaine dans la réserve !

À ces mots, Annabeth tourna les talons en grommelant quelque chose que Percy n'entendit pas bien. Sans doute des propos du style « bah au travail alors, on a pas que ça à faire ». Il lança un regard d'excuse à Rachel, il ne voulait pas qu'elle prenne pour elle les piques acerbes d'Annabeth. Qu'est-ce qui lui prenait aujourd'hui ? Pourquoi était-elle autant sur la défensive ?

Au bout du quatrième marais, Annabeth leur fit signe de se taire. Percy avait encore mal aux côtes et son équilibre était plus que précaire, il espérait secrètement devoir se battre dans l'eau, son élément. Il dégaina Turbulence, prêt à voir un monstre marin surgir.

- Ils arrivent, déclara Rachel.

Puis rien. Pendant de longues minutes.

- Baissez-vous ! hurla Annabeth.

Percy se plaqua au sol, immédiatement imité par Rachel. Cinq, non six immenses oiseaux les rasèrent, leurs serres sorties et prêtes à les déchiqueter.

- Les Oiseaux du lac Stymphale, dit Annabeth, le visage blême. Génial ton idée Dare !

Annabeth porta la main à ses boucles d'oreilles. Dans sa main apparurent un carquois et un arc. Percy ne put s'empêcher de la trouver badass, et vraiment belle. Il se reprit et entreprit d'envoyer des jets d'eau aux volatiles, sans grand succès. Les Oiseaux chargèrent à nouveau, Percy en pourfendit deux avec son épée, Annabeth en abattit trois. Les deux oiseaux restant s'élevèrent dans le ciel, si haut qu'ils ne formaient plus que deux points noirs à côté du soleil. Annabeth banda son arc et tira, sans trembler.

Elle avait réussi à atteindre sa cible, à une telle distance. Un tir digne d'Artémis. Il ne l'admira qu'encore plus.

- Ok, Arès dit n'importe quoi. T'as rien à envier aux autres Chasseresses.

Anabeth se détourna mais il crut voir ses joues rosir. Elle banda à nouveau son arc.

- Non ! Ne tue pas le dernier ! s'exclama Rachel.

Annabeth fronça les sourcils, comme si elle avait oublié l'existence de Rachel et que celle-ci avait eu l'audace de lui rappeler. Pour être honnête, lui aussi avait oublié que Rachel était là.

- C'est un monstre, donc je le tue, dit-elle en visant.

- Mais non ! C'est votre moyen de transport !

Elles se jaugèrent, longtemps. Très longtemps. L'oiseau survivant faisait des tours au-dessus d'eux comme un vautour survolant des cadavres. Finalement Annabeth sortit de son sac un long fil argenté, si fin qu'il était presque invisible. Elle attacha une des extrémités sa flèche et tendit l'autre à Percy.

- Ne lâche pas.

- De quoi ?

La Chasseresse tira. Percy ne sut trop comment mais le fil s'enroula autour de l'oiseau comme un harnais. Et il se sentit soulevé dans les airs. Annabeth émit un petit sifflement qui sonnait plus comme un ordre, l'oiseau obtempéra et se posa au sol.

- C'est la bride d'Artémis, lui expliqua-t-elle avec une pointe de tristesse dans la voix. On évite de l'utiliser, parce que ça prive les animaux de leur liberté. C'est… c'est contre la nature.

Elle lança un regard mauvais à Rachel, comme si elle était responsable de tous leurs problèmes. Puis elle détourna le regard en soufflant.

- Elle ne fera pas effet longtemps, mieux vaut partir tout de suite.

Percy acquiesça puis se tourna vers Rachel, vraiment désolé de la laisser en plan.

- Merci pour tout, bredouilla-t-il. T'étais vraiment pas obligé de_

Elle balaya ses protestations du revers de la main.

- C'est normal de s'entraider ! Je vous laisse… il faut que j'aille… quelque part. Percy, une dernière chose.

- Tout ce que tu veux.

- Le héros n'est pas celui que vous pensez.

- Attends, quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ?

- Je ne sais pas Persée, j'ai fait des rêves récemment et… et il fallait que je te le dise. Le héros n'est pas celui que vous pensez.

- Merci pour cette incroyable prophétie, grommela Annabeth en se hissant sur l'oiseau.

Percy monta sur le dos de la bête, prenant garde à rester loin d'Annabeth. L'oiseau décolla sous le regard mystérieux mais non moins envoûtant de Rachel Elisabeth Dare.