Douter
C'était une biche. Une très belle biche, pouvait dire Percy. Même s'il ne s'y connaissait pas trop en biche. Annabeth paraissait émerveillée. Enfin bon, ce n'était qu'une biche.
- Ce n'est pas n'importe quel biche ! dit-elle en levant les yeux au ciel. C'est la biche sacrée de Cérynie ! Le symbole d'Artémis, l'un des travaux d'Héraclès. Elle fuit la ville en général, c'est incroyable qu'elle soit venue jusqu'ici.
- Tu l'as déjà croisé ?
Annabeth prit un air rêveur.
- Oui, lors de ma première Chasse. J'avais dix ans, elle était venue se blottir contre moi.
Hm, donc le symbole d'Artémis était amie avec Annabeth, génial. Y avait pas message plus clair, pensa Percy. Elle tendit la main vers l'animal, qui recula. Le sourire d'Annabeth mourut sur ses lèvres.
- C'est sans doute parce que je suis là, non ?
La biche s'enfuit à la vitesse de l'éclair. Annabeth hocha la tête mais ne croyait pas à l'hypothèse de Percy. La biche était un message d'Artémis. Un avertissement.
Le lendemain ils trouvèrent un train de marchandises dans lequel se glisser. Percy poussa un petit cri de groupie en voyant que c'étaient des voitures de collection. Il monta à bord d'une Lincoln avec un air d'enfant sur le visage. Le train roula toute la journée et une bonne partie de la nuit. Ils en profitèrent pour parler, de tout et de rien. De leurs quêtes, de leurs chasses, de leur victoires et défaites. Plus le temps passait, plus Annabeth appréciait la compagnie de Percy. Ce n'était pas alarmant en soi. Artémis avait déjà toléré la présence du chasseur Orion à ses côtés… Tant que c'était platonique. Et c'était platonique, se persuada Annabeth. Puis elle se souvint du rejet de la biche de Cérynie pour elle. Annabeth était en train de s'écarter de la voie de la Chasseresse et cette idée lui brisa le cœur.
…
- Bien, demanda Percy nerveusement (il était très nerveux tout court depuis la veille) Maintenant comment fait-on pour aller au mont Othrys ?
- En voiture.
- Attends, qui serait assez fou pour nous prêter une voiture ?
Annabeth prit une grande inspiration avant de frapper à la porte. Un homme blond cendré, à la barbe hirsute ouvrit, l'air hagard.
- Vous venez livrer mes avions ? demanda-t-il.
Le professeur Chase se figea en voyant Annabeth. Il fronça les sourcils, comme s'il essayait de se souvenir qui elle était. Le malaise monta. Finalement, après un temps infini, Frederick Chase souffla.
- Annabeth ? Tu es… si grande. Je croyais que…
Annabeth replaça une mèche de cheveux derrière son oreille, ce que Percy interprétait comme un signe de nervosité.
- Salut Papa. On peut entrer ?
La maison des Chase était un joyeux foutoir, les demi-frères d'Annabeth balançaient leurs lego dans tous les sens. Le temps sembla se suspendre quand la belle-mère d'Annabeth fit son apparition, elles se saluèrent bien maladroitement puis la Chasseresse présenta Percy.
- Donc tu es un fils de Poséidon, constata comme s'il désapprouvait son existence même.
Des années plus tôt, une personne lui avait fait cette même remarque. La mère d'Annabeth. Ils en profitèrent pour prendre des nouvelles de New York. Les troupes de Chronos s'approchaient du mont Olympe. Le temps leur était compté, l'anniversaire de Thalia aurait lieu dans deux jours. avait accepté de leur prêter sa voiture, un bon vieux pick-up militaire. Percy redescendait dans le salon quand deux voix lui parvinrent. Il se figea en entendant Annabeth rire.
« Oui, il est vraiment génial. On dirait pas avec son cerveau fait d'algues. »
Le cœur de Percy se gonfla d'espoir. C'était ridicule. Mais si… si Aphrodite avait raison ?
« Je suis heureux que tu te sois fait un ami. Mais… les Chasseresses… tu penses en devenir une ? Vraiment ? Il y a une époque où tu voulais devenir architecte, bâtir un nouveau monde… la Chasse c'est renoncer à tout ça. »
« Je… »
« Je suis désolé si je me montre indiscret. Je suis certain que tu feras le bon choix. »
…
- J'ai fait un rêve hier soir, annonça Persée de but en blanc.
- Moi aussi, dit Annabeth. J'ai vu l'épée, la lame plantée au pied du trône. Au début je n'arrivais pas à lire l'inscription… puis… puis j'ai repassé les images dans ma tête. Je crois savoir de quelle épée il s'agit.
Percy se répondit rien, son attention portée sur la route.
- J'ai lu l'inscription Troie.
- Comme le film ?
Elle ne put retenir un rire alors qu'ils fonçaient tout droit vers le QG des Titans. Percy avait cet effet là sur elle.
- Oui comme le film Cervelle d'algues. L'épée qui est au mont Othrys, c'est l'épée de Troie. L'épée que Pâris a confié à Énée alors que Troie tombait aux mains des Grecs. La légende dit que Troie vivra tant qu'un troyen portera l'épée.
- Mais quel rapport avec nous ? Pourquoi la lame serait-elle maudite ?
Il y avait une multitude d'explications.
- Parce que les Grecs sont entrés dans Troie grâce à un cheval en bois, une ruse d'Ulysse. Et parce qu'Énée est l'ancêtre du peuple romain.
- Les romains ? Comme Jules César ?
- Oui. La rivalité et l'animosité entre les grecs et les romains fils d'Énée étaient immenses. Puis l'Empire romain a maté les cités grecques, j'imagine que ça en fait une lame maudite.
Le silence s'installa entre eux.
- C'était quoi ton rêve ? s'enquit Annabeth.
Il sursauta, comme s'il avait reçu une décharge de Thalia Grace.
- Hein, quoi ? Nan rien !
Ils continuèrent la route à pied tant le chemin était étroit et escarpé. La brume était épaisse, Annabeth voyait à peine à quelques mètres. Mais elle entendait la foule de monstres se masser au pied de la montagne. Que faisaient-ils ici ? Pourquoi n'étaient-ils pas à New York avec les troupes de Chronos ? Une autre bataille se préparait, mais qui les monstres affronteraient-ils ? Ils n'étaient que deux. Percy et elle. Et l'oreille de Percy n'était pas suffisamment remise pour qu'il puisse se jeter dans la mêlée sans être complètement perdu. C'était sa mort assurée. Leur mort.
- Tout ira bien, dit-il autant pour elle que pour lui-même. Tout ira bien.
Percy avait du mal à grimper, ils durent donc contourner le flanc Ouest en empruntant des sentiers de montagne. L'ascension était difficile, Annabeth avait l'impression qu'une force magique les ralentissait. À la tombée de la nuit, ils avaient à peine parcouru la moitié. Annabeth alluma un feu, estimant qu'ils étaient assez loin à présent des hordes de monstres.
- J'ai un ami, lança finalement Percy toujours aussi nerveux. Quelque chose semblait le tirailler depuis deux jours.
- Il s'appelle Nico, poursuivit-il. Il a vécu beaucoup de choses pas cool, en partie par ma faute… Il faisait partie de ces demi-dieux en colère, plein de rancune. Il s'est fait piéger, par le fantôme de Minos et… il était pas loin de rejoindre Chronos. Et c'est sans retour, pas de regrets possibles. Quand tu prêtes allégeance à un titan, ou à un dieu ou à une déesse… c'est sans retour. Sa vie aurait été… très différente. Un tas de vies pourraient être différentes. Donc vaut mieux être… sûr de soi. Tu penses pas ?
À présent, la seule idée qu'elle puisse rejoindre les Chasseresses définitivement lui donnait la nausée. Il avait le ventre noué, le cœur battant. Annabeth le dévisagea lentement, il eut l'impression qu'elle se retenait de le frapper. Ce serait mérité, pensa-t-il. Il n'avait pas le droit de lui dicter quoi faire, même s'il avait un début de sentiments pour elle. Annabeth retourna les braises du bout de son bâton et mit un temps infini à répondre.
- Parmi tous les sujets, c'est la lune qui inspire le plus les poètes… Sais-tu pourquoi les hommes, enfin je veux dire le genre humain, aiment la lune ?
Comme il ne répondait rien, elle murmura.
- Parce qu'ils peuvent la voir, la contempler directement contrairement au soleil. Et surtout, surtout parce qu'ils savent qu'elle est inatteignable. Ce qui est inaccessible est toujours plus attrayant.
- Neil Amstrong est allé sur la lune, fut tout ce qu'il trouva à dire.
Elle secoua la tête, un léger sourire aux lèvres. Son cœur rata un battement. Puis Percy prit le premier tour de garde. Et le feu mourut, ne laissant que des cendres.
