Pour toi
Percy détestait être le chef. Depuis des heures il survolait le champ de bataille, obligé de se tenir à distance. Il invoquait des tempêtes, soulevait des murs d'eau ou provoquait des tremblements de terre. Mais il avait l'impression que rien de ce qu'il ferait ne serait suffisant.
Aucune trace de Chronos, il en était soulagé. La prophétie tournait en boucle dans sa tête. Il repensait à la lame maudite. Quelle pouvait-elle bien être ? Il repensa au passé de sa propre épée, Turbulence. Elle lui parut bien plus lourde dans sa main.
…
La nuit tombait, avec une trêve offerte par Prométhée. Percy réussit à se faufiler jusqu'à l'aile réservée aux Chasseresses. Loin de lui l'idée de les importuner, mais il avait absolument besoin de parler à Annabeth et elle faisait absolument tout pour l'éviter. Percy frappa à la porte, s'attirant les foudres de Phoebe, mais la lieutenante lui demanda de les laisser seuls.
- On n'a pas eu le temps de parler, avança Percy, de… tu sais.
- Il n'y a rien à dire, l'interrompit-elle.
Ok. Il ne voyait pas les choses comme ça. Il fit mine d'ouvrir la bouche mais elle continua.
- Je sais ce que tu penses. Tu as de l'affection pour moi et je t'apprécie en tant qu'ami mais ce que tu ressens n'est pas de l'amour. Tu ne m'aimes pas.
Il recula, sonné par ses mots. Annabeth poursuivit, comme si son cœur était fait de pierre.
- Toi tu ne supportes pas de toucher qui que ce soit. Moi je suis une Chasseresse, j'ai renoncé à tout contact avec les hommes. C'est parce que tu sais que tu ne pourras jamais être physiquement avec moi que tu tiens à moi. Parce que je maintiens une distance. Le poète et la lune, tu te souviens ?
- Non, non, c'est faux. T'es la demi-déesse la plus forte que je connaisse, tu.. tu_
- Aphrodite tente de te détourner de tes objectifs. Et ça marche, regarde dans quel état tu te mets !
Percy secoua la tête. C'était irréel, Annabeth se trompait. La Chasseresse fronça les sourcils, ce qui la rendit encore plus belle. Il se rappela ensuite de Pâris et Hélène, de leur amour égoïste qui avait causé la mort de milliers d'êtres. Il ne voulait pas être égoïste. Il ne voulait pas causer la mort de ses amis. Mais il ne voulait pas être l'enfant de la prophétie.
- Tu n'as pas le choix, dit Annabeth.
Avait-il parlé à voix haute ?
- Je… je pensais que… Aphrodite a dit qu'il y avait une infinité de façon d'aimer. Je pourrais jamais être physiquement avec toi, et de toute façon ton code de conduite l'interdit mais… mais on… on pourrait, juste être ensemble, sans… Tu vois ce que je veux dire ? Ta mère, Athéna, elle tombe bien amoureuse san_
Il se savait pathétique. Si seulement, si seulement elle savait à quel point il était chamboulé. Annabeth soupira comme on soupirait face à un enfant quand il faisait un caprice ou demandait trop d'attention.
-Percy, Dame Artémis n'est pas Athéna. Dame Artémis proscrit non seulement l'amour physique, mais aussi l'amour romantique.
- Mais tu es une fille d'Athéna, Annabeth. Et je pense que tu pourrais m'aimer aussi, si tu acceptais_
- Je suis une Chasseresse et c'est mon identité. Quand bien même je t'aimerais en retour, quand bien même je renoncerais à être qui je suis… Que cela m'apporterait-il ?
- Moi, dit-il d'une voix éraillée.
Mais il savait aussi qu'il ne serait pas suffisant. Annabeth était bien trop indépendante pour s'aliéner à un homme.
- Tout ton intérêt pour moi repose sur le fait que je sois une servante d'Artémis. Que je sois inaccessible. Dès que je cesserais d'être Chasseresse, tes sentiments pour moi faneront. C'est le genre de petit jeu qu'aime Aphrodite : je t'aime moi non plus, torturer les humains avec les affres de l'amour… Rien n'est plus excitant pour elle que de détourner une Chasseresse mais je ne suis pas un trophée de guerre. Ni pour toi, ni pour la déesse.
- On s'en fout des dieux ! s'explosa-t-il, il commençait à voir flou. On s'en fout des manigances d'Aphrodite, tant que ce que je ressens pour toi est réciproque. Est-ce que ça l'est ? Ressens-tu la même chose que moi ? Y a-t-il une partie de ton cœur, ne serait-ce qu'une partie, qui doute de ton engagement chez les Chasseresses ? S'il y a un doute raisonnable, s'il y a un peut-être entre nous, alors ça vaut le coup de…
- De quoi ? Que je me sacrifie pour toi ?
Elle avait craché ces mots avec la dureté d'une Chasseresse. Oui, Annabeth était dure, intransigeante mais aussi passionnée et enthousiaste. Et les dieux savaient qu'il ne pouvait pas s'empêcher de tomber amoureux de ces deux Annabeth.
- Pas pour moi. Pour toi. Pourquoi veux-tu devenir Chasseresse ?
- Tu plaisantes ?
Elle laissa naitre un petit sourire sur ses lèvres, tant la question lui semblait ridicule. Elle le regarda dans les yeux pour la première fois.
- C'est parce que tu le veux ou parce que tu as peur du changement ? Être immortelle, c'est la garantie que plus rien ne changera. C'est vraiment ce que tu souhaites ? Tu es une fille brillante, tu pourrais changer le monde. J'ai… je sais que tu rêves de devenir architecte, que tu voudrais aller à l'université, flâner dans les musées ou parcourir une ville pour admirer les constructions. Tu n'es pas une fille de la Chasse.
- On en a fini tous les deux.
La lieutenante des Chasseresses, car c'était ce qu'elle était après tout, fit mine de tourner les talons quand il l'interpella une dernière fois.
- Juste…est-ce que ce que je t'ai dit va te causer des problèmes ?
Il ne voulait pas qu'elle subisse la colère d'un dieu, en l'occurrence d'Artémis, pour ses fautes à lui. Il ne savait que trop bien à quel point une malédiction portait bien son nom.
- Dame Artémis ne peut me punir parce qu'un homme pense éprouver des sentiments pour moi, sourit-elle tristement. Tant que…
Elle laissa sa phrase en suspens, mais il n'était pas assez idiot pour ignorer la suite. Tant que ce n'est pas réciproque.
- Dame Artémis n'a donc aucune raison de me punir.
À ses mots, qui achevaient de lui briser le cœur, Annabeth le quitta. Il avisa l'amphore de Pandore que Prométhée lui avait laissé. Pendant un instant il eut envie de l'ouvrir et de déverser tous les malheurs sur le monde.
Pendant ce même instant, Annabeth, adossée à la porte, seule, laissa ses larmes couler librement. Car le cœur d'Annabeth Chase n'était pas fait de pierre. Et blesser un ami comme elle venait de le faire lui causait la plus grande peine possible. Mais avait-elle d'autre choix ?
