Dérèglements

- Fils de Neptune, qu'en penses-tu ? demanda Octave d'une voix forte.

Percy sursauta presque en entendant son nom. Il battit des paupières, un peu sonné d'être ramené sur terre aussi brutalement. Reyna lui lança un regard noir et il eut besoin de se ratatiner sur son siège.

- Heu… j'approuve l'idée de Reyna, bredouilla-t-il.

- Quelle idée ? reprit Octave, la bouche déformée en un rictus.

Une clameur moqueuse enfla dans les rangs du Sénat. La fille de Bellone se leva, imposant le silence.

- Celle que je lui ai soumis quelques instants plutôt. Les préteurs se consultent avant de soumettre des propositions au Senat, Octave. Et la voici…

Elle jeta un œil à Percy qui, débordant de gratitude, articula un « merci » silencieux.

- Tu rêvassais encore, fils de Neptune ? railla Reyna quand la réunion s'acheva.

Il fut surpris d'entendre un léger amusement dans la voix de Reyna, lui qui s'attendait à des remontrances… Il fallait dire qu'il n'avait pas trop l'impression d'assurer en tant que préteur. Il ne comptait plus le nombre de fois où Octave avait essayé de l'humilier en public et où Reyna était venu à sa rescousse. C'était presque devenu une habitude.

- Pas vraiment… enfin j'ai eu une absence.

Il avait parlé à voix basse pour soustraire sa confession aux oreilles indiscrètes. Il savait bien qu'un dirigeant romain devait se montrer fort, et sain de corps et d'esprit. Reyna, elle, n'ignorait rien de son état. Si elle ne le connaissait pas autant qu'Hazel – il était impossible de dissimuler quelconque état d'âme ou sentiment à la fille de Pluton – Reyna était d'un soutien sans faille. Et elle était présente quand Hazel et Frank passaient du temps en amoureux.

- On devrait peut-être demander aux forgerons de mettre des pics à ton siège pour te maintenir éveillé.

Percy se força à rire, ne sachant si elle plaisantait ou non. Elle le rendait un peu nerveux, son regard d'acier pouvait transpercer les âmes. Il n'avait jamais croisé de regard aussi déterminé… un éclair de douleur traversa son crâne. Si… il avait déjà croisé une fille de sa trempe. Quand il rouvrit les yeux, la préteur s'éloignait déjà à grands pas.

- Reyna, attends !

- Quoi encore ?

- J'aurais besoin que tu me remplaces samedi soir… En fait je… je pensais prendre la mer ce week-end…

- Pour interroger les oracles d'Ouranos sur ton passé ? (Elle soupira) Persée la mer est dangereuse pour les romains, y compris pour un fils de Neptune… surtout lorsqu'il se met en tête d'affronter des puissances aussi anciennes.

- Heu… Ouranos a des oracles ? Je savais pas (dit-il en se grattant l'arrière de la tête, signe de nervosité chez lui). Non, en fait j'espérais parler à mon père… enfin je me suis dis qu'il entendrait peut-être mes prières si… (sa voix se brisa) Nan oublie, c'était stupide.

Le regard de Reyna s'adoucit, une lueur inquiète s'alluma dans ses yeux. Que craignait-elle ? Lui qui la croyait sans peur.

- Vas-y si tu en ressens le besoin. Mais fais en sorte qu'Octave ne s'en rende pas compte, il a déjà suffisamment de griefs contre toi.

- Qui se soucie de ce qu'il pense ?

Reyna leva les yeux au ciel, un geste effronté qu'elle n'aurait certainement pas fait en public quelques semaines auparavant.

- Merci Reyna.

Alors qu'elle tournait les talons, il l'interpella une dernière fois.

- Est-ce que… est-ce que tu voudrais venir avec moi ?

- Deux préteurs de Rome ne peuvent s'absenter en même temps, espèce d'idiot.

Percy rougit jusqu'à la racine mais ne put retenir un sourire lorsqu'il entendit l'éclat de rire de Reyna.

- C'est pour quoi ? demanda l'homme en lui ouvrant la porte.

Annabeth retint une exclamation de surprise. L'homme devait avoir une quarantaine d'année. Il portait un T-shirt délavé et un bas de pyjama. Il était mal rasé, avait des traits tirés. Il était sept heures du matin après tout, et on était dimanche.

- Je… je suis bien chez Sally Jackson ?

L'homme écarquilla les yeux en remarquant son carquois et son couteau en bronze céleste à la taille. Pouvait-il voir à travers la Brume ?

- Chéri ? Que se passe-t-il ?

Une femme, sublime, apparu dans l'entrebâillement de la porte. La ressemblance entre Sally et Percy, ou plutôt le souvenir qu'elle avait de lui, était frappante. Sally Jackson passa sa main sur son ventre rebondi tout en la dévisageant avec bienveillance.

- Euh… je crois que c'est pour Percy.

Le sourire serein de Sally disparut aussi vite qu'il était né. Son front se plissa, Annabeth crut bien voir des larmes perler aux coins de ses yeux. Elle avisa son arc et son carquois et pinça les lèvres.

- Tu dois être Annabeth. Entre je te prie.

Sally Jackson lui servit des cookies bleus pour le petit déjeuner. Paul, son mari, eut la gentillesse de prétendre devoir sortir un chien qu'il n'avait pas pour les laisser seules.

- Il ne donne pas beaucoup de nouvelles depuis… depuis plus de deux ans (sa lèvre inférieure tremblait) Mais si tu me dis que…

- On sait qu'il est vivant, près de la Baie de San Francisco sans doute… On le cherche mais… Je suis désolée.

Sally la prit dans ses bras, comprenant sans doute qu'Annabeth avait bien des raisons de se sentir désolée. Tout était de sa faute ne pouvait-elle s'empêcher de penser.

- Tu sais… Percy est un grand garçon, même si parfois il a besoin qu'on le tire d'une mauvaise passe. Tu es peut-être la cause de sa peine, mais pas la responsable de ses actes. Je suis heureuse qu'il puisse compter sur quelqu'un comme toi.

- Je l'ai laissé tomber, bredouilla-t-elle. J'ai… j'ai…

- Tu as réalisé ton rêve, protesta la mère de Percy. Si être Chasseresse est ton identité, alors n'y renonce pas. Sous aucun prétexte. Mais tu le sais déjà ça, n'est-ce pas ? Je le répète, mon fils a de la chance de pouvoir compter sur toi.

En sortant de chez madame Blofis, Annabeth avait les yeux rouges à force de pleurer. Mais les dieux savaient qu'elle se sentait mieux, relâchée d'un poids. Sa famille, les Chasseresses, lui manquaient. Elles ne les avaient pas revu depuis des semaines et les pensionnaires de la Colonie n'étaient pas des plus agréables. Elle s'engouffra dans le métro. Elle savait que son temps à New York était compté. Bientôt elle devrait trouver la Chasse et retourner auprès d'Artémis. C'était sa mission de Chasseresse. Chasseresse… À nouveau, elle n'était pas l'impression d'être une chasseresse comme les autres. À croire qu'elle ne l'avait jamais été. Cette idée l'horrifia. Quand parviendrait-elle à trouver sa place ?

La rame de métro passa devant elle. La station était presque déserte, ce qui était surprenant à cette heure-ci. Une autre rame passa. Une femme apparut sur le quai d'en face. Une vieillarde. Une autre rame. La vieillarde se retrouva à côté d'elle.

- Maman ?

Athéna ressemblait à… à une mendiante il n'avait pas d'autres mots. La déesse lui lança un regard noir avant de marmonner quelques prières en grec, puis en latin.

- Qui es-tu ?

- Maman, c'est moi. Annabeth !

Depuis combien de temps ne l'avait-elle pas vue ? Depuis deux ans et demi, après la bataille de Manhattan. Après avoir prêté son serment de Chasseresse.

- Non, tu n'es pas ma fille. Tu es une Chasseresse, tu n'es pas ma fille. Tu n'es pas ma fille. Tu m'as rejeté. Tu as rejeté ton héritage.

- Maman…

- Ils arriveront bientôt. Les romani. Tue-les, tue-les tous. Si tu es ma fille tue-les.

- Les romani ? De quoi parles-tu ? Maman, j'ai un… un ami, Percy. Il a disparu et… et je ne sais plus quoi faire.

- Le paon manigance, le paon manigance. Il affaiblit l'Olympe. Tous faibles, tous faibles. Ils me l'ont volé, ils me l'ont volé. Pas de paix, pas de paix.

Athéna leva un regard fou vers Annabeth.

- Suis la marque. Si tu es ma fille, suis la marque. Seulement si tu es ma fille.

Percy enchaina les exercices avec la rigueur qui lui avait été apprise au camp Jupiter. Noyé dans la masse de sa cohorte, il appréciait avoir regagné un peu d'anonymat. Avec son casque, son uniforme, personne n'était capable de distinguer Percy Jackson, le héros de Rome qui avait ramené l'aigle de la légion trois mois plus tôt. Dakota tonnait les mouvements à faire d'une voix forte, il se laissa bercer par la musique, le rythme des boucliers claquant le sol, des glaives tirés, brandis à l'unisson dans une clameur extatique. Percy frappa, trancha, leva son bouclier, para, transporté par l'énergie du groupe. Qu'il était bon de n'être qu'un point dans la foule, de n'avoir qu'à exécuter les ordres, de s'en remettre aux autres. Il devait admettre que c'était reposant, presque salvateur. Il ne pensait plus à son passé, à ses angoisses, aux questions sans réponses qui tourbillonnaient, aux allusions moqueuses de Mars lorsqu'il avait évoqué l'ancienne vie de Percy. Pendant ces exercices il oubliait les dieux qui se jouaient de lui, qui lui cachaient son passé. Il croisa le regard de Frank, son compagnon de quête et meilleur ami au camp Jupiter. Lorsqu'il le reconnu il lui adressa un grand sourire enthousiaste, avant de se baisser in extremis pour éviter de se faire décapiter par le glaive de son voisin de droite. Un peu plus loin, Hazel exécutait les mouvements à la perfection, elle s'était beaucoup amélioré depuis leur retour de quête, sa nouvelle assurance rayonnait à des kilomètres.

- STOP !

La cohorte s'immobilisa de longues secondes. Chaque demi-dieu devait prendre sur soi, la majorité étant hyperactifs. Puis Dakota ordonna la rupture des rangs, Percy tenta de filer pour ne pas être reconnu mais Frank fut plus rapide.

- Alors, on se frotte à la foule ? S'exclama le fils de Mars en lui donnant une accolade.

Percy étreignit son ami avec bon cœur et l'entraîna au sol dans un rire. Hazel s'approcha d'eux, les poings sur les hanches, un air faussement sévère sur son visage. Une fraction de secondes, elle lui rappela quelqu'un… qui ? Une douleur le traversa tout entier, comme si de la lave coulait dans ses veines. Son cri resta coincé dans sa gorge, Percy bondit en arrière, lâchant Frank. La douleur disparut aussitôt.

- Percy ?

Frank se releva, la mine inquiète. Il lui tendit la main pour l'aider à se relever, Percy voulu la saisir mais dès que leurs peaux entrèrent en contact la douleur reprit, plus vive encore. Hazel se jeta au sol à ses côtés pour lui donner de l'ambroisie, posant sa main sur son bras. Percy convulsa. « Prévenez Reyna ! » entendit-il au loin. Un attroupement se forma autour d'eux. Les murmures de la foule résonnèrent dans sa tête comme un marteau contre son enclume. Quelques secondes plus tard la douleur se tut, alors même qu'Hazel le tenait encore dans ses bras. Il inspira, pantelant et couvert de sueur.

- Bordel…, murmura-t-il d'une voix éraillée. Qu'est-ce qu'il m'arrive ?


Bonjour/Bonsoir !

Voici le nouveau chapitre, un peu plus long que prévu mais nécessaire pour comprendre un peu mieux la nouvelle vie de Percy. Annabeth tourne un peu en rond avec sa culpabilité certes mais bon il faut avouer que c'est assez confus dans sa tête (et breaking news : ça le restera assez longtemps).

Merci pour vos commentaires et retours, merci de continuer à lire malgré la pause qu'il y a eu. La fic aura une fin, je m'y engage, ne vous inquiétez pas.

reitei : En effet, c'est une fic sur Percy/Annabeth mais je n'ai jamais dit qu'ils finiraient ensemble... ni qu'ils ne finiraient pas ensemble. La complicité entre Hazel et Percy est réelle, d'autant que durant leur quête en Alaska ils prennent souvent soin l'un de l'autre. Mais je ne pense pas que Percy trouve l'amour en la personne d'Hazel, qui sait un jour peut-être...