Retour de flammes
La pièce dans sa poche se mit à chauffer comme un feu grégeois, elle était aussi plus lourde, presque autant que le poids du monde sur les épaules d'un Atlas. Annabeth inspira pour calmer sa nervosité. Pour le énième fois elle regretta d'avoir réussi à déverrouiller l'ordinateur de Dédale. C'était le soir-même de son exploit que la pièce était apparue dans sa poche, impossible de s'en défaire depuis. La chasseresse n'ignorait pas ce que cela signifiait. En résolvant l'énigme elle avait passé un premier niveau, une sorte de sélection. Et à présent sa mère la défiait de poursuivre.
Suis la marque. Si tu es ma fille, suis la marque. Seulement si tu es ma fille.
- Je suis une Chasseresse, grogna-t-elle, Artémis m'en garde.
À nouveau elle se demanda ce qu'elle faisait à bord d'un bateau volant pour la nouvelle Rome. Elle n'avait pas sa place dans cette expédition, elle en avait la certitude. Percy, pensa-t-elle. Annabeth avait pour mission de le ramener à la colonie. Une fois sa quête accomplie, elle pourrait retrouver la Chasse. L'idée de retourner à sa vie de Chasseresse lui faisait un pincement au cœur. Elle songea à tout ce qu'elle renonçait à apprendre, aux richesses d'ingéniosité de Dédale qu'elle ne pourrait jamais étudier. Mais c'était son destin. Que pouvait-elle faire d'autre ? L'idée même de suivre la marque d'Athéna la terrorisait.
- Tout se passera bien, affirma Piper avec une sacrée dose d'enjôlement.
Elle remarqua alors que Léo avait cessé de siffloter, Jason était droit comme un i, plus tendu que jamais. Même Piper était sur le qui-vive. Annabeth jeta son regard au loin, ses yeux gris orage accrochèrent une large ombre flanquée au sol. Nouvelle Rome. Une forme blanchâtre fila droit sur eux en hurlant en latin.
- Ne me dites pas que c'est… commença Piper.
Annabeth n'osa répondre à voix haute. C'était bel et bien une statue volante en marbre.
- Terminus ! héla alors Jason.
C'en suivit une longue conversation en latin entre le fils de Jupiter et le dieu des frontières. Annabeth en comprit l'essentiel et se réjouit d'avoir commencé l'apprentissage du latin. Elle avait pris cette résolution dès qu'elle avait appris l'existence du camp romain, connaître la langue de l'ennemi permettait d'éviter de nombreuses déconvenues. « L'ennemi », voilà que je parle comme maman… Quand Jason eut fini le récit de ces six derniers mois au dieu, celui-ci les dévisagea, perplexe.
- Je ne peux laisser entrer un navire de guerre dans la nouvelle Rome...
- Qu'en est-il de le laisser flotter au dessus ? demanda Annabeth. Cela brise-t-il une règle de la ville ?
Terminus fronça les sourcils, au point que ceux-ci se touchèrent.
- Eh bien… je présume que non.
- Voilà qui est réglé ! s'exclama Piper la voix pleine d'enjôlement. Merci de nous laisser entrer Terminus ! C'est vraiment aimable de votre part ! Léo, descends l'échelle avant qu'il ne change d'avis…
Un éclat d'or dans le ciel attira l'attention d'Annabeth. Les autres durent le voir aussi car tous se tournèrent vers les trois pégases galopant vers eux. Léo fit mine d'activer le système antiaérien mais Annabeth le dissuada d'une œillade. Les deux premiers cavaliers, une fille à la peau brune et un grand gaillard aux traits asiatiques, se posèrent, épées en main. Le troisième pégase se posa derrière eux, les encerclant. La silhouette descendit de sa monture.
- Reyna, hoqueta Jason.
Reyna… Annabeth fouilla dans sa mémoire. C'était la préteur du camp romain, l'ancienne collègue du fils de Jupiter. Et d'après lui une redoutable combattante. Annabeth porta sa main à son poignard, presque malgré elle.
- Jason Grace, dit-elle d'une voix froide.
- Préteur ! J'allais autoriser ces individus à pénétrer Rome, ils ne semblent pas être venus en ennemi, déclara Terminus.
- C'est à moi de le déterminer, dit-elle sèchement. Jason si ta délégation veut mettre pied à terre, ce sera en tant que prisonniers de Rome. Le sénat souverain jugera de votre sort.
Il eut un long silence abasourdi, un silence que même Léo n'osa briser. Finalement Jason prit la parole, la voix tremblant légèrement.
- Reyna, ce sera l'occasion rêvée pour Octave de prendre le pouvoir… de vous dresser contre nous. Par les dieux ne fais pas ça.
- Nous sommes venus en paix, intervint Annabeth. Et nous répondrons à toutes tes questions, mais ne nous traite pas en ennemis.
- Dixit celle qui vient dans un navire de guerre, rétorqua Reyna avec férocité.
Annabeth recula, sous la violence d'un coup porté par les mots. Elle sut quelle type de personne était Reyna. Déterminée, courageuse, doté d'une grande force de caractère. La Chasseresse connaissait très bien la lueur qui hantait les yeux de Reyna. Elle apercevait la même dès qu'elle croisait son propre reflet.
- Nous descendions sans armes, dit Piper. Nous constituer prisonniers est un acte de guerre.
Reyna se redressa de toute sa hauteur, défiant Annabeth du regard.
- Et bien la guerre. Jason Grace si tu ne te rends pas tu seras traité en félon.
Quelque chose dans la voix de Reyna laissait supposer que c'était déjà le cas. Annabeth croisa son regard à nouveau, un éclair de douleur traversa le visage de la préteur de Rome. Elle avait déjà vu cette détresse quelque part…
- Frank, Hazel… emparez vous d'eux. Jason, ne résiste pas et dissuade tes acolytes de le faire.
Puis Reyna se tourna vers Annabeth, comme si elle ne faisait pas partie des « acolytes » du fils de Jupiter. Elle reprit alors, d'une voix comme venant d'outre tombe.
- Je te conseille de ne rien tenter. Je serais bien trop heureuse de te le faire payer, Annabeth Chase.
…
Quelques heures plus tôt…
Sa poitrine s'abaissait et s'élevait lentement, dans une tentative vaine de garder son calme. Mais tous ses sens étaient en feu. Son odeur, son visage, le son de sa voix affolaient son corps et son esprit. Il voulait l'enlacer, ne plus jamais la quitter. Percy crevait de ne pouvoir l'étreindre pour de vrai. Mais son rêve se fana, elle ne devint que brume entre ses doigts. Il voulut tendre la main vers la fumée, une douleur incandescente le parcouru. Tiré du sommeil, Percy se dégagea vivement de l'étreinte inconnue. L'horrible douleur resta quelques secondes encore avant de s'apaiser. Il croisa des yeux marrons -sublimes s'il devait les qualifier- encore couverts du voile de Morphée. Percy recula sur le lit, craignant de ressentir à nouveau la douleur. Reyna se redressa à son tour, les sourcils froncés.
- Tout va bien ?
Les battements de cœur de Percy revenaient à peine à la normale alors qu'il était encore sous le coup de la douleur. Il avait reçu comme une décharge électrique, non pire. C'était beaucoup plus profond, et il ne souhaitait pas cette douleur à son pire ennemi. Pas même à Octave.
- Un mauvais rêve.
- Oui, j'ai voulu te réveiller mais…
Reyna posa à nouveau sa main sur son bras, sauf que cette fois il ne ressentit aucune douleur. Seulement la chaleur de sa paume.
- Je suis juste un peu sur les nerfs, assura Percy en quittant le lit pour la fraicheur du balcon.
- Ce n'est pas la première fois que ça arrive, avertit Reyna. Ce sont peut-être des souvenirs de ton ancienne vie… tu ne devrais pas les refouler.
Des souvenirs de son ancienne vie ? À quoi bon ? Lors de ces six derniers mois, dès qu'il avait voulu retrouver la mémoire, il n'avait rencontré que douleur et chagrin. De plus en plus souvent il arrivait des épisodes comme celui-ci. Au réveil ou en pleine journée, sans prévenir, pendant une fraction de seconde le moindre contact lui était insupportable. Et sa seule crainte était que ces épisodes ne finissent par se généraliser. L'idée de ne plus pouvoir étreindre Reyna un jour le mettait en rogne.
- Hé… Je suis là, murmura-t-elle contre son oreille.
Elle restait à un pas de lui, dans l'angoisse de provoquer une autre crise de douleur. Il se tourna vers elle et écarta quelques mèches de cheveux d'une main tremblante. C'était ridicule, il n'allait tout de même pas avoir peur de la toucher !
- Merci, répondit-il en effleurant ses lèvres.
La nuit courait à peine à sa moitié et la nouvelle Rome dormait à point fermé. Personne ne les voyait. Pendant quelques instants ils n'étaient plus les préteurs de la légion romaine mais seulement Persée et Reyna, deux personnes qui cherchaient le réconfort avec désespoir.
Percy embrassa son amie avec toute la passion dont il était capable, pourtant loin de celle qu'il ressentait lorsqu'il rêvait de cette inconnue. Il ferma alors les yeux et se laissa fondre contre son corps. Et il arrivait à se convaincre que la fille de son rêve était Reyna.
Son second réveil fut infiniment plus doux, le souffle de Reyna contre son torse agissait comme un baume sur sa peau. Percy enfouit son nez dans ses cheveux, huma son parfum tout en caressant son dos d'un geste paresseux. Un peu engourdi, il voulu détendre son bras sans déranger son amie. Peine perdue. Ils dormaient à deux sur un lit une place – être préteurs ne donnaient pas accès au lit king size malheureusement. Reyna poussa un gémissement plaintif.
- Désolé, rit-il doucement à son oreille.
- On ne peut pas profiter d'une matinée pour une fois ?
- C'est ma phrase d'habitude.
- Tu déteins sur moi, rétorqua-t-elle en déposant un baiser sur sa bouche puis dans son cou.
Leurs baisers s'enhardirent, les éclats de rire devinrent râles de plaisir, mots tendres chuchotés. Trois puissants coups frappés à la porte eurent raison de leur parenthèse sensuelle. Ils échangèrent un regard.
- Ce sont tes appartements, chuchota finalement Reyna. Je suis pas censée y passer la nuit et encore moins ouvrir la porte à ta place.
Percy poussa un soupir avant de se lever, se promettant de passer la nuit prochaine dans les appartements de Reyna. Il n'y avait pas bien loin à aller, un couloir séparait leur chambre. Le fils de Neptune se passa la main dans les cheveux histoire de le recoiffer, en vain. Il aperçu son visage dans le miroir, impossible de douter de ce à quoi il avait occupé sa nuit. Il prit une grande inspiration, puis ouvrit à Frank qui se tenait sur le seuil. Percy ne su s'il devait être en colère contre son ami pour l'avoir dérangé, ou si au contraire il devait lui être reconnaissant. Après tout, il aurait pu tomber sur bien pire dès le matin, comme Octave. Frank le salua d'un couinement, le visage aussi rouge qu'une écrevisse.
- Je… je cherche Reyna. Elle n'est pas chez elle.
Percy sentit le rouge aux joues monter. Il n'y avait vraiment aucun doute sur ce qu'ils avaient fait pendant la nuit.
- C'est pour quoi ?
- Il y a une forme suspecte dans le ciel, Terminus est allé voir.
- Je lui transmets.
À ces mots, il claqua la porte à la tête de Frank (c'était d'une impolitesse qu'il assumait tout à fait mais le temps pressait). Quand il se retourna Reyna était déjà habillée, tout à fait réveillée… et de mauvais poil.
- J'imagine que tu as entendu…
Il aurait souhaité rester seul avec Reyna pour l'éternité, sans personne pour les importuner. Mais une partie de lui, celle qui surgissait de temps à autre pour lui infliger toutes ces douleurs, lui susurrait que c'était mal. Ses pensées volèrent vers la fille de son rêve. Aucun bonheur avec Reyna ne serait possible avec l'ombre de cette fille planant sur eux. Arriverait-il à l'effacer un jour ? Le souhaitait-il seulement ?
- Le devoir nous attend, répliqua-t-elle en lui tendant un T-shirt.
- Génial...
Elle posa sa main sur sa joue, un duvet de barbe commençait à apparaitre. Percy avait pris l'habitude de se raser dès l'aube et ne dérogeait pas à la règle. Pour une raison qu'il ignorait, l'idée même de vieillir lui donnait la nausée. Et l'image de son reflet arborant des traits plus adultes l'insupportait.
- L'important c'est d'être là pour l'autre.
Elle l'embrassa. Une dernière fois. À peine eut-elle posé ses lèvres sur les siennes qu'un spasme le parcouru. Des fourmillements recouvrirent sa peau, son estomac se retourna, secoué par des haut-le-cœur. Il s'effondra au sol, pantelant, le souffle court. Sa vue se brouilla, pourtant son esprit fut plus clair que durant les six derniers mois. Un éclair de lucidité. Un visage qu'il aurait voulu pouvoir graver dans le marbre. Un nom qui tourna en boucle dans sa tête. Une pelle creusait son cœur alors que la sensation d'avoir mal agit s'amplifiait. C'était mal. Reyna et lui… Il ne savait pas encore pourquoi mais il le savait. Et maudits soient les dieux qui lui avaient permis d'être un homme infidèle à son propre cœur. Il s'était fourvoyé.
- Percy !
Il se dégagea de son étreinte violement, le cœur battant. Ses oreilles se mirent à siffler, lui causant un horrible vertige. Il se laissa tomber au sol, frappé par la violence du passé ressurgissant.
- Chéri…
Mais Percy ignora Reyna, parce qu'il ne répondait plus à ce doux nom et n'y répondrait plus jamais. La cheffe s'effondra à ses côtés, le visage défait par l'incompréhension.
- Elle arrive. Par les dieux, elle arrive.
Bonjour !
Quoi ? Vous n'aviez pas vu venir Reyna et Percy ? Roohh !
J'espère que vous avez appréciez votre lecture, on se dit à la prochaine XD
