Bonjour à toutes et à tous, la partie 3 est enfin là ! Moi qui pensais faire des parties courtes sur cette histoire... en voici une de plus de 8000 mots . Oups. ^^

Merci à vous qui lisez et parfois commentez, ça me touche beaucoup. N'hésitez pas à me faire part de vos avis. Merci à Dana LMM pour toutes les corrections et les commentaires, merci à Shippeusesamnjack pour ses encouragements et aux deux pour leur présence, leurs relectures et surtout leur amitié !

Balises d'épisode: courant saison 5 avant Zenith


Partie 3

.

Sam émergea doucement du sommeil, elle n'avait pas aussi bien dormi depuis… même en y réfléchissant, elle n'en n'avait aucune idée. Très, très longtemps en tout cas. La respiration des garçons se mêlaient en un bruit de fond apaisant. La chaleur de Daniel contre elle l'enveloppait comme une couette. Le petit garçon avait bougé dans son sommeil et calé sa tête dans son cou, la soie de ses cheveux lui chatouillait le menton. Elle songea un bref instant à Daniel, adulte, dans leur position actuelle et son cerveau s'ébroua. C'était bizarre. Toute cette histoire était bizarre et en même temps, étrangement naturelle. Daniel avait eu besoin d'elle, d'eux, ils avaient été là, elle l'avait réconforté, rien d'autre. L'âge ne changeait rien. Adulte ou pas, elle l'aurait réconforté, peut-être pas de la même façon, encore que… Ils avaient plus d'une fois veillé sur le sommeil de Daniel. Jack l'avait régulièrement pris dans ses bras et tenu des nuits entières quand la douleur de la perte de Sha're avait été trop forte, ou que le manque du sarcophage avait menacé de le broyer. Ce n'était pas différent ici. Avec leur corps d'enfants, ils étaient sans doute plus spontanés, moins encombrés du carcan des conventions qui régentait les adultes, à fortiori dans une enceinte militaire, c'était reposant. Elle savoura la paix qui émanait de Daniel à chaque expiration et l'ancrage que lui procurait le poids de la tête de Teal'c, posée sur sa jambe. Et puis il y avait Jack.

O'Neill !

Le colonel !

Sam n'avait pas besoin d'ouvrir les yeux pour savoir que le sommeil les avait physiquement rapprochés. Elle devinait la main de Jack enveloppant celle de Daniel, posées sur ses côtes. Elle savait son autre main liée à la sienne, au-dessus de leur tête, sous l'oreiller maintenant. Et sa deuxième main à elle qui, retenant le dos de Daniel, effleurait le torse de Jack.

Elle aurait dû s'inquiéter de leur position qui n'avait rien de réglementaire, mais en réalité, elle n'en avait rien à faire. Peut-être était-ce la sérénité de cet instant suspendu qui lui donnait cette nouvelle assurance ou l'âge de son corps qui la berçait d'une certaine ingénuité ? Elle n'en savait rien, et au fond, cela n'avait pas beaucoup d'importance, pas tout de suite en tout cas. Pour le moment, elle voulait juste profiter, encore un peu, de cette nuit volée au temps, à leur vie d'adulte, à leurs obligations, tous les quatre, en équipe, en famille, vivants, en bonne santé et en sécurité. Le monde pouvait attendre et il attendrait.

Elle fit jouer doucement ses doigts sous l'oreiller et ceux de Jack se resserrèrent un peu plus sur les siens en réponse. Un sourire explosa sur ses lèvres et elle ouvrit les yeux. Elle ne fut pas surprise de le trouver si proche d'elle mais elle fut saisie par la grâce de voir Jack O'Neill encore endormi, d'un sommeil paisible, pour la première fois. Cela ne dura qu'un instant, bien évidemment, ses longs cils d'adolescent s'ouvrirent sur deux prunelles mordorées encore un peu nuageuses de rêves. Un subtil et fugace éclair de panique les traversa, puis elle vit la compréhension et la joie s'installer dans son regard :

— Hé, souffla-t-il doucement, le visage éclairé d'un sourire qui papillonna jusque dans le ventre de Sam.

— Hé, répéta-t-elle, incapable de plus de cohérence.

Sous l'oreiller, le pouce de Jack traçait de petits cercles à l'intérieur de son poignet, Sam déglutit et pria pour ne pas oublier jusqu'à son prénom alors qu'elle se perdait dans le regard rieur de Jack.

— Ça va, vous avez bien dormi ? railla une voix.

Sam la reconnut tout de suite et la panique brisa ses élans poétiques. Elle se redressa si vite qu'elle en griffa la main du colonel qui, vue ses yeux, n'en menait pas beaucoup plus large qu'elle. Teal'c et Daniel s'éveillèrent brutalement, O'Neill rattrapa le plus jeune des deux avant qu'il ne roule à bas du lit. Sam tenta de sauter sur ses pieds mais sa jambe gauche pleine de fourmis en décida autrement, et elle perdit l'équilibre. Jack laissa échapper un bruit d'inquiétude et lança son bras dans sa direction pour la stabiliser. Après avoir fixé un instant ceux de son commandant, tout à la fois pour le remercier que pour y puiser du courage, Sam releva les yeux vers l'homme qui attendait, carré dans une chaise dans un coin de la pièce, les bras croisés sur la poitrine et le sourcil orageux : Papa.

Sam effectua plusieurs petites inspirations rapides pour calmer son affolement tout en faisant l'inventaire de sa situation. Elle avait de nouveau seize ans, physiquement, son père venait de la trouver, au lit, avec trois hommes, non trois enfants, bon ok, deux enfants et un adolescent de son âge, ou presque, qui s'avérait être son commandant, aussi, c'est vrai, mais bon. Elle portait juste un t-shirt et un short de sport qu'elle avait serré à fond, ses cheveux devaient être en bataille. À l'intérieur de son poignet, elle sentait encore la pression des doigts de Jack… du colonel, même s'il l'avait lâché.

— Papa ! tenta-t-elle, assez consciente d'afficher plus une grimace qu'un sourire d'accueil.

— Sam…

Il laissa sa voix trainer, vibrant dans les graves : pas bon. Pas bon du tout.

Le colonel s'était mis debout et tentait sa pirouette habituelle :

— Papa ! s'exclama-t-il jovial, d'une voix un peu mal assurée malgré tout, en s'avançant vers Jacob.

— Ça vous arrive souvent de dormir dans le lit de ma fille, Jack ?

Aïe.

— Techniquement, c'est celui de Daniel, fit remarquer ce dernier avec son aplomb habituel.

Sam fixa son père qui lui fixait Jack. Elle sentait remonter en elle une colère indicible à mesure qu'elle le regardait, sans même qu'elle ne sache pourquoi. C'était incompréhensible. Un flot d'émotions remontait en elle, comme des vagues un jour de tempête. Elle gaspa et les yeux de son père volèrent vers elle :

— Sam ? Sam, ça va ?

Plus de colère, juste de l'inquiétude dans sa voix, nota-t-elle alors que la rage la consumait de l'intérieur et que le plafond tournait. Ils furent sur elle avant qu'elle ne touche le sol, son père à gauche, Jack à droite. Elle s'assit sur le sol flou. Les mots sortirent de sa bouche avec une violence dont elle ne se souvenait plus capable :

— Ne me touche pas !

Jack suspendit son mouvement et elle eut l'impression qu'une lame d'air glacé la tranchait en deux.

« Non ! Pas toi ! » hurlèrent les yeux qu'elle lança vers lui.

Il trembla, imperceptiblement, personne ne pouvait le voir, personne à part elle, parce que personne ne le connaissait comme elle le connaissait elle, même sous cette forme.

Il y avait son père, il y avait les autres, assis sur le lit, les yeux ahuris, il y avait les gardes maintenant, attirés dans la pièce par les cris. Peu importe. Il avança vers elle, s'accroupissant, et elle se laissa couler contre lui pour échapper à la main que son père avait posée sur son bras et qui la brûlait comme l'acide. Elle se dégagea d'un geste vif et la douleur de l'incompréhension traversa les yeux de Jacob. Elle aurait voulu pouvoir se calmer, s'excuser, rassurer son père, lui dire « Pardon, désolée, je ne sais pas ce qui m'a pris, oublions tout, repartons de zéro, d'accord ? » mais la fureur qui hurlait en elle n'était pas d'accord, son cœur accéléra encore. Elle puisait en Jack la force de ne pas chavirer. À la manière dont il la tenait, maladroitement, contre lui, Sam savait qu'il était perdu. Auprès de lui aussi, elle aurait voulu s'excuser, expliquer, mais elle n'arrivait pas à comprendre elle-même la situation.

Selmak prit le relais :

— Samantha, je crois que nous vous avons surprise au réveil et que cela vous a effrayée. Jacob et moi sommes désolés. Nous allons retourner auprès du général Hammond et nous repasserons un peu plus tard.

Même acquiescer, elle ne pouvait pas. Il n'y avait plus que de la colère, de la rage, de la peur envers cet homme, envers son père. Et puis la honte aussi, en toile de fond, de se comporter comme ça et de pas comprendre pourquoi.

— Je crois que ce serait mieux oui, hasarda Jack qui, tout en la plaquant contre lui, caressait doucement son épaule pour essayer de l'apaiser.

La mâchoire serrée, Sam regarda son père se relever et s'éloigner lentement en direction de la porte. Avant de franchir le seuil, il se retourna, évitant son regard, et ne s'adressa qu'à Jack :

— Prends soin d'elle.

C'était toujours la voix de Selmak mais Sam ne se faisait aucune illusion sur l'origine du message, visiblement Jack non plus :

— Toujours monsieur.

Immédiat et assuré, presque une habitude, mais le sérieux de Jack résonnait comme une promesse solennelle, et s'en était une.

Jacob cligna des yeux et sortit de la pièce. La colère refoula brutalement, dévalant en elle comme une pluie d'orage, la laissant vide et secouée de spasmes, elle pleurait, sans même savoir pourquoi.

— Oh… ok… venez-là.

Jack se laissa tomber sur les fesses et l'attira plus étroitement contre lui, la berçant tout en lui caressant les cheveux d'une main. Sam avait l'impression d'être un esquif en pleine tempête, Jack s'élevait comme son phare dans l'orage et soulagée par sa lumière, elle perdait brutalement toute consistance, épuisée par la crainte d'avoir failli se briser et sombrer l'instant d'avant. Le monde autour de lui devenait flou, indiscernable. Elle entendit sa voix, vaguement, comme portée par le vent depuis un horizon lointain. Il appelait les gardes du couloir :

— Emmenez ces deux-là prendre un petit déjeuner… oui et ? …Laissez la porte ouverte si vous voulez, vous êtes juste devant ! … elle a juste besoin d'un peu de temps, d'accord ?

La houle refoulait, elle fondait dans l'écume. La déferlante des sentiments qui couvaient en elle la lassa pantelante dans les bras de Jack et cet état de faiblesse qui aurait dû l'effrayer la plongea, au contraire, dans un calme bienvenu. Dans n'importe quelle autre circonstance, être vulnérable était terrifiant, partout, tout le temps, sauf dans les bras de Jack. Le bruit sourd de son cœur résonnait dans son oreille, son rythme différait légèrement de celui qu'il avait à l'âge adulte, son odeur aussi avait un peu changé, mais elle reconnaissait tout quand même. Son corps, son esprit, son cœur savaient. Dans ses bras, elle rentrait au port, elle restait à l'abri.

Toujours.

— Quand vous vous sentirez prête, je vous emmènerai à l'infirmerie, d'accord Carter ? souffla-t-il dans ses cheveux.

Elle plongea un peu plus contre lui, par réflexe, entortillant ses doigts dans son t-shirt. Elle ne voulait pas aller à l'infirmerie, elle ne voulait plus bouger, elle voulait oublier qu'il y avait un monde autour d'eux, elle en était presque à espérer oublier leur existence : qu'elle fonde, qu'ils fondent tous les deux, en un seul amas indistinct sur lequel personne ne chercherait à avoir de prise, que le monde autour d'eux s'évapore, qu'il n'y ait plus rien, rien que cela, et que ce rien soit tout. Il resserra ses bras autour d'elle, appuyant sa tête sur la sienne, la berçant un peu plus fort, ses lèvres effleurèrent sa tempe :

— On a tout le temps Carter, je ne bouge pas. Personne ne t'emmènera où que ce soit contre ton gré, sa voix trembla alors qu'il chuchotait, créant des vagues dans le ventre de Sam : Je ne les laisserai jamais faire.

.

% % %

.

Bra'tac s'assit sur la chaise qu'on lui désigna. Il avait du mal à cacher son amusement devant les mines déconfites de Hammond du Texas et Jacob de la tok'ra. Il avait toujours considéré les membres de SG1 comme des enfants : l'impatience et la fougue de la jeunesse les lançaient sur le champ de bataille comme une portée de chiots indociles, il voyait mal en quoi un rajeunissement de leur corps pouvait aggraver le phénomène. Au contraire, cela les rendait sans doute plus facilement contrôlable physiquement.

Hammond, adossé à son fauteuil, soupira et Jacob se prit la tête dans les mains.

— Jacob ? commença Hammond.

Le tok'ra se redressa un peu, la résignation habitant son regard :

— Pour l'instant, je ne sais pas quoi vous dire de plus. Anise est sur place avec une équipe pour étudier la machine qui est de nouveau complètement inerte. J'ai commencé à passer en revue les données de Sam mais je doute qu'elle accepte de collaborer avec moi sur ce problème…

— C'est à ce point ? souffla Hammond.

Le tok'ra laissa échapper un rire aigre et c'est son symbiote qui reprit la parole :

— L'accueil que le major Carter a réservé à son père n'a pas été très… il sembla chercher ses mots : chaleureux.

— Jacob… tenta Hammond.

Le tok'ra s'agita légèrement sur sa chaise :

— Je crois que Jacob n'a pas très envie d'aborder le sujet.

Hammond du Texas secoua la tête et chercha le regard de son ami :

— Jacob, le docteur Frasier a noté leur instabilité émotionnelle, ils ont récupéré leur corps mais aussi vraisemblablement les émotions de l'époque. Sam a seize ans et à cet âge…

— Elle me détestait et me jugeait responsable de la mort de sa mère, je le sais, merci, trancha Jacob.

Bra'tac, mal à l'aise, se replaça sur sa chaise, Hammond du Texas secoua la tête et se tourna vers lui :

— Maître Bra'tac, il semblerait que Teal'c n'ait plus de symbiote. Enfin, pour être exact, nous savons qu'il n'a plus de symbiote.

— Il est revenu dans un corps antérieur à la prim'ta, explicita Bra'tac qui essayait de passer outre l'étrangeté de tout ça.

— Oui, est-ce que vous pensez que cela va poser problème ?

Bra'tac fixa Hammond du Texas dont le front se barrait de nouvelles rides soucieuses :

— Dans quel sens ?

— Nous connaissons mal la physiologie jaffa et nos connaissances reposent essentiellement sur l'observation de Teal'c, adulte et implanté. La prim'ta est-elle obligatoire ? Teal'c pensait le contraire en voulant empêcher celle de Rya'c.

Bra'tac commençait à voir où l'homme voulait en venir. Malheureusement, il n'avait pas vraiment de réponse à la question :

— Tous les jaffas de Chulak et d'ailleurs, pour ce que j'en sais, effectuent leur prim'ta. C'est à partir de ce jour que le jaffa dépend du goa'uld pour sa survie. Théoriquement, s'affranchir de la prim'ta permettrait de s'affranchir du goa'uld mais en vérité, cela ne s'est jamais fait.

— Le docteur Frasier craint qu'avec ou sans symbiote, le système immunitaire de Teal'c ne s'effondre à la puberté, implantation ou pas.

Bra'tac croisa ses mains sur la table :

— C'est en effet une possibilité. Sans symbiote, les jaffas tombent malades et meurent.

— Nous avons des médicaments qui pourraient…

Selmak interrompit Hammond :

— Je suis désolée général, mais je crains que cela ne suffise pas. Il y a bien longtemps, l'un de nos scientifiques avait pratiqué des essais dans cette optique, aucun des jeunes sujets n'a survécu.

Bra'tac essaya d'ignorer l'information. Avoir la confirmation que la tok'ra avait enlevé et pratiqué des expériences sur des enfants jaffas, ce qui jusqu'alors ne circulait dans leur rang que comme une rumeur à laquelle il n'avait jamais porté crédit, lui serrait le cœur et lui donnait la nausée. Nécessité fait loi, il se concentra sur ça. Par l'intermédiaire de la Tau'ri, les tok'ras et la résistance jaffa étaient alliés et cette alliance s'avérait indispensable dans leur but commun : éliminer les goa'ulds. Les épaules d'Hammond s'affaissèrent :

— Maître Bra'tac, si nous arrivons à nous procurer un symbiote, pensez-vous pouvoir effectuer la prim'ta ?

Bra'tac grimaça à l'idée, il n'aimait pas cela. Il détestait déjà l'idée d'avoir un symbiote en lui, même si cela restait quelque chose de banal et normal pour un jaffa, et même si avec le temps, il ne considérait plus la chose que comme un moyen de puissance que lui utilisait et non plus comme un individu parasite qui l'utilisait lui, alors être l'artisan de l'implantation d'un autre... Mais l'alternative était la mort de Teal'c et objectivement, le processus de la prim'ta en lui-même n'avait rien de complexe :

— Je pourrais m'en charger, si Teal'c est d'accord évidemment…

— Ce que je ne suis pas, déclara une voix claire mais qui parvenait à résonner presque comme celle d'un homme adulte.

Ils tournèrent tous les trois leur regard vers la porte de la salle de réunion et un vent de nostalgie frappa Bra'tac. Dès qu'il avait été prévenu de la situation, les souvenirs qu'il avait de Teal'c enfant étaient d'eux-mêmes remontés à la surface, bien évidemment, mais le voir ainsi, devant lui, avait quelque chose de bouleversant. C'était revenir tant d'années en arrière.

— Sans symbiote, vous allez mourir Teal'c, énonça Jacob alors que sous l'invitation de Hammond, Teal'c entrait dans la pièce et prenait une chaise.

— Alors je mourrai libre.

Bra'tac inclina la tête, il comprenait, la question lui semblait réglée mais Hammond du Texas paraissait plus réservé. Bra'tac avait déjà eu l'occasion de remarquer que la mort, même honorable, mettait les tau'ris dans un état d'abattement et d'effroi difficilement compréhensible.

— Teal'c, je pense que vous devriez reconsidérer la question. Laissez-nous au moins la possibilité de nous procurer un symbiote avant d'arrêter votre choix.

Teal'c posa ses deux mains à plat sur la table :

— Récupérer une larve goa'uld et un vase canope permettant de la conserver sera une mission très difficile et dangereuse. Je ne peux que m'opposer à la prise d'un tel risque et vous ne devriez pas non plus en venir à considérer cette possibilité pour un seul homme, général.

La voix d'Hammond semblait un peu plus affectée :

— Teal'c, vous êtes un de mes hommes, l'un des nôtres, il est tout à fait normal que nous considérions la question.

— Je refuse de me soumettre une nouvelle fois à la servitude goa'uld.

Hammond soupira et baissa un instant la tête, visiblement résigné. Selmak prit la parole :

— Teal'c, vous êtes le chef de file de la résistance jaffa, si vous mourez, pensez-vous sérieusement que le mouvement vous survivra ? Si votre but est toujours l'éradication des goa'ulds et la liberté pour tous les jaffas, vous devez vivre pour espérer le voir se réaliser.

Bra'tac fixa le tok'ra, à la fois impressionné et courroucé par ses techniques de manipulation :

— Vous pensez sérieusement que les jaffas libres suivront un enfant de dix ans ?

Selmak lui adressa un regard aigu :

— Leur condition n'est pas forcément définitive, nous faisons notre maximum pour que cela ne soit pas le cas. Et dans le cas contraire, il grandira et pourra reprendre ses actions dans une dizaine d'années, à l'échelle de la domination goa'uld et du combat qui nous oppose à eux, dix ans ne représentent rien.

Teal'c fixait la table, silencieux. Bra'tac le connaissait suffisamment bien pour savoir que les arguments de la tok'ra avaient fait mouche, pas assez pour le convaincre, mais assez pour le troubler. Et même si au fond de lui, Bra'tac était plutôt en accord avec Selmak, même s'il ne l'aurait jamais admis, il comprenait aussi Teal'c et il détestait voir la décision de son disciple ainsi discutée et remise en cause, surtout par un peuple sournois qui vivait dissimulé et ne connaissait rien à l'honneur guerrier :

— Enfant, laisse-nous discuter, je te rejoindrai plus tard dans tes quartiers !

Il vit l'éclair de la colère enfantine traverser les yeux de Teal'c mais ce dernier prit sur lui et s'inclina :

— Bien, maître Bra'tac. Général Hammond ?

— Vous pouvez disposer, Teal'c.

Il n'était pas dehors depuis plus de deux minutes qu'une tête blonde apparut à la porte :

— Général ?

Un fin sourire étira les traits d'Hammond du Texas qui secoua la tête :

— Jack ? Entrez fiston, qu'est-ce qui se passe ?

Il ouvrit la bouche pour répondre mais Jacob l'interrompit :

— Où est Sam ?

Bra'tac se redressa machinalement au ton glacial de l'homme, même Hammond semblait surpris. Le jeune O'Neill chercha à se donner une constance, raide comme la justice, il répondit :

— Elle est à l'infirmerie… Papa.

Bra'tac haussa un sourcil : audacieux. Pas si surprenant cependant, même jeune, O'Neill restait O'Neill.

— Bien, commenta seulement Jacob avant de se renfermer en lui-même, les coudes sur la table.

Bra'tac essaya de rester le plus neutre possible, toujours perturbé par les humeurs changeantes des humains et leur capacité à ne rien dire de leurs troubles, voire à les nier tout en réussissant à les rendre si présents qu'ils en devenaient quasi palpables.

— Qu'est-ce qui se passe, Jack ? relança Hammond.

— J'ai entendu pour Teal'c, il faut faire cette mission, je veux en être !

— Hors de question !

O'Neill fronça le nez :

— Mon général, il a dix ans, il ne sait pas ce qu'il fait, vous n'allez pas le laisser mourir à dix ans !

Hammond inspira et Bra'tac avait l'impression de se voir lui-même, face aux jeunes recrues :

— Colonel… fiston, je suis persuadé que vous savez aussi bien que moi que même à son âge, Teal'c est persuadé de sa décision, et qu'elle reste mesurée et réfléchie. Ne remettez pas son ressenti en cause. O'Neill baissa la tête et Hammond continua : Mais vous avez raison sur le fait que cette mission doit quand même avoir lieu, pour laisser à Teal'c un maximum d'options, uniquement, insista-t-il et O'Neill releva la tête, les yeux brillants d'excitation. Mais, vous ne participerez pas à cette mission…

— Quoi ?

L'indignation perçait dans la voix d'O'Neill, l'altérant significativement. Les trois hommes, sans se concerter, esquissèrent un sourire, essayant de ne pas rire, ce qui ne fit qu'accroitre la colère manifeste du petit colonel :

— Je suis le plus qualifié pour cette mission !

— Colonel…

— Teal'c est un membre de mon équipe, je suis à la tête de SG1 et…

Hammond lui lança un regard contrit :

— Plus pour le moment, colonel. Pas dans cet état.

O'Neill s'agita :

— Mais cela n'a aucun sens, c'est toujours moi, c'est toujours nous, mon général ! Rien n'a changé ! Il s'accroupit et se releva : Ou si, en mieux, je n'ai plus mal aux genoux. Mon général, Teal'c est un de mes hommes, c'est à moi d'y aller. Laissez-moi utiliser ce nouveau corps tout neuf et en pleine forme !

Hammond ouvrit la bouche pour répondre mais Selmak le précéda :

— Colonel O'Neill, laisseriez-vous Sam y aller ?

— Sam doit travailler à son labo sur ce qui nous arrive donc elle…

— Ce n'est pas ma question, souligna doctement le tok'ra.

O'Neill grimaça :

— Sam serait tout à fait capable aussi de…

— Colonel O'Neill, répondez sincèrement à la question.

Il y avait un léger sourire dans la voix de la tok'ra qui semblait savoir parfaitement où elle voulait en venir. O'Neill se rendit :

— Non.

— Vous ne laisseriez pas Sam y aller, vous ne laisseriez pas Daniel ou même Teal'c y aller, n'est-ce pas ?

L'adolescent baissa la tête :

— Non.

— Pourquoi ?

O'Neill contempla un moment ses pieds avant de les fixer un à un, toujours muet. Finalement, il se râcla la gorge :

— Ils ont besoin d'un peu de temps pour… se faire à tout ça, mais tout va bien pour moi.

— C'est faux colonel, commença Hammond, et le jeune homme ouvrit la bouche pour l'interrompre mais Bra'tac prit sur lui de le faire.

— Ou peut-être parce que vous savez bien que ce que votre tête sait, votre corps ne le sait plus.

O'Neill se tourna vers lui, sourcils froncés, bouche pincée :

— Je ne vois pas de quoi vous voulez parler Bra'tac.

— L'homme est un bon guerrier quand sa tête, mais aussi son corps, sait. Vous avez toujours vos connaissances, mais votre corps, lui, a oublié. Vous manquez d'entrainement…

— Pas du tout !

Selmak étouffa un petit rire :

— Peut-être que maître Bra'tac pourrait vous faire une démonstration de sa théorie, colonel. Avec votre permission, général.

Ce dernier eut un geste vague de la main :

— Faites donc, vous êtes ici chez vous de toute façon messieurs… madame ? hésita Hammond en regardant Jacob qui inclina la tête sous l'impulsion de la tok'ra.

O'Neill ouvrit la bouche mais Bra'tac le devança :

— Je vous retrouve en salle d'entrainement, O'Neill. Prenez Teal'c avec vous.

— Disposez colonel !

Le jeune homme marmonna quelque chose mais se retira.

Quand il fut parti et la porte refermée, Hammond du Texas soupira, entre l'épuisement et le soulagement, il les regarda tour à tour :

— Je savais que j'avais raison de vous faire venir tous les deux. Selmak, j'ignorais vos talents auprès des jeunes gens, nota-t-il.

La tok'ra sourit, inclinant légèrement la tête :

— Je commence à avoir de la pratique avec les humains… elle s'interrompit et les sourcils de Jacob se soulevèrent : Jacob souhaite dire qu'il n'est pas tout à fait d'accord avec mes propos et ma comparaison.

Elle pouffa et Hammond sourit, l'atmosphère s'allégea un peu. Bra'tac se releva :

— Je crois que j'ai quelque chose à démontrer à deux jeunes guerriers.

— Merci maître Bra'tac.

Il s'inclina vers Hammond, le poing sur la poitrine :

— Avec plaisir Hammond du Texas, cela fait un moment que je n'ai pas entrainé d'enfants, en dehors de Rya'c, cela va me rajeunir également.

.

% % %

.

La dernière fois que Janet avait regardé, l'infirmerie était vide. Pourtant là, en sortant de son bureau, à quelques mètres d'elle, un rideau soupirait. Elle l'écarta doucement, découvrant Sam, assise en tailleur sur le lit, la moue boudeuse.

— Sam ? Qu'est-ce que tu fais là ? Il y a un problème ?

La jeune femme grommela quelque chose d'inintelligible.

Janet s'assit doucement sur le bord du lit :

— Où est le garde qui doit t'accompagner ?

— Jack l'a convaincu de rester dehors.

— Jack, hein… releva doucement Janet.

Sam remonta ses genoux sous son menton et geignit, la tête dans les mains. Janet cacha mal le petit sourire qui se glissa sur ses lèvres et elle se rapprocha de Sam :

— Est-ce que tu veux en parler ?

— Il n'y a rien à dire, marmonna la voix de Sam, étouffée.

— Et pourtant tu es là… nota Janet.

Sam releva un petit peu la tête en grimaçant :

— Et pourtant je suis là, répéta-t-elle.

— Jack ? tenta Janet.

Sam leva les yeux au ciel, le rouge aux joues, avant de tout cacher dans ses mains, gémissant à nouveau :

— Je suis pathétique.

Janet pinça ses lèvres pour tuer dans l'œuf le petit ricanement qui menaçait de remonter sa gorge, elle avança sa main et effleura doucement l'épaule de Sam :

— Mais non.

Sam releva vers elle deux yeux brillants, la bouche un peu tordue :

— Mais si… je… il… elle eut un geste vague de la main : je ne suis plus moi-même s'il est là, elle laissa planer un instant, planta un regard implorant dans les yeux de Janet et ajouta : Mais je ne suis pas tout court, s'il n'est pas là.

Janet sentit un sourire un peu niais naître sur son visage. C'était peu, mais plus que tout ce que Sam avait un jour accepté de lâcher à ce sujet, depuis le début qu'elle la connaissait :

— Qu'est-ce que tu ressens ?

Sam recula sur le lit, les yeux étrécis, la fixant alors que sa respiration s'accélérait. Elle s'effarouchait d'un rien, surtout sur ce sujet précis, Janet le savait bien, elle ajouta, avec la désagréable impression de marcher sur des œufs :

— Physiquement, je veux dire ? Ça te fait quoi quand tu es à côté de lui ? C'est peut-être un problème médical ou un effet secondaire de la machine ?

Sam fronça les sourcils en une moue dédaigneuse, Janet essaya de rester neutre même si elle-même n'achetait pas vraiment son histoire. Finalement, l'adolescente haussa les épaules et accepta de répondre, d'une toute petite voix :

— C'est comme si le ciel s'ouvrait… elle tortilla ses mains, c'est… c'est comme franchir l'horizon des évènements, ou l'instant où l'on passe le mur du son, je… je ne sais pas comment t'expliquer… elle soupira… c'est la peur et l'envie… une sorte d'impatience et en même temps un soulagement. L'instant de flottement où tu te dis « ça y est », ce moment où tu sais que tu as fait ce que tu devais faire et où tu te sens libre parce que la seconde suivante ne dépend plus de toi, que ce n'est que la réaction de ton action, de ton choix, et que tu n'as plus qu'à te laisser porter, parce que tout est déjà décidé et que tu n'y peux plus rien. C'est cette espèce d'euphorie calme, la seconde où tu es parfaitement certaine. Le « je sais » vrai et absolu… je ne sais pas expliquer… je ne suis pas claire du tout, pas vrai ?

Janet avait perdu le souffle, elle tenta un hochement de tête, pas certaine de pouvoir parler :

— Si, je vois, je crois, articula-t-elle péniblement, parfaitement consciente à la fois de ce que pouvait ressentir Sam et de ne jamais avoir elle-même expérimenté quelque chose d'aussi fort.

Sam se prit la tête dans les mains :

— Et j'ai les mains moites, le cœur qui s'emballe, la voix qui déraille, je perds mes mots dès qu'il est là, j'ai envie de le bousculer, pour qu'il parte et pour qu'il reste aussi, pour qu'il se rapproche, parce que quand il s'éloigne, je n'arrive plus à respirer…

La voix de Sam s'éteignit dans un nouveau gémissement alors qu'elle se repliait autour de ses genoux. Janet se mordit les lèvres, cette fois pour garder son sérieux et demander, de la voix la plus neutre qu'elle put prendre :

— Est-ce que ça change beaucoup de d'habitude ?

Sam redressa brutalement la tête, la fixant avec des yeux effarés et beaucoup trop clairs :

— Qu'est-ce que tu veux dire ?

— Sam… ce n'est pas parce que comme tout le monde je regarde ailleurs que je ne vois rien.

Sam ouvrit la bouche pour contester, puis la referma sans un mot. Elle soupira finalement :

— Janet, il ne s'est jamais rien passé entre… le colonel et moi.

Janet passa son bras autour des épaules de Sam :

— Je le sais bien, mais ce n'est pas parce qu'il ne se passe rien qu'il n'y a rien, n'est-ce pas ?

Sam s'affaissa sur elle-même :

— Mais d'habitude, ça ne m'empêche pas de fonctionner ! Janet, c'est pathétique, je me comporte comme une gamine ! On dirait une ado de seize ans !

Cette fois, Janet ne put rien éviter et pouffa :

— Mais tu as seize ans, Sam !

— Mais non je… elle regarda son corps et grimaça : ça oui, mais j'ai tous mes souvenirs, je suis toujours moi Janet, toujours la même !

Janet la serra un peu plus contre elle :

— Avec ton corps de seize ans, tes hormones aussi…

— Sainte Hannah… Sam secoua la tête : Non mais même, ça ne devrait rien changer. Et puis il n'y a pas que Jack ! J'ai vu mon père ce matin, et je ne sais pas pourquoi, j'ai eu cette vague de colère qui m'a submergée quand je l'ai vu. Je crois que si Jack n'avait pas été là, j'aurais pu perdre le contrôle Janet, j'avais tellement envie de lui hurler dessus et je ne sais même pas pourquoi !

Janet leva un sourcil :

— Seize ans… répéta-t-elle une pointe de sourire aux lèvres. Je crois que Cassandra a régulièrement la même envie me concernant, elle rigola : tous les ados ont envie de hurler sur leurs parents, non ?

Sam fronça le nez en grimaçant, Janet continua :

— Ce ne sont que des suppositions mais je crois que cette machine vous a rendu le corps mais aussi l'état émotionnel de l'époque. Si ma théorie est exacte, il est tout à fait possible que tu ressentes à nouveau les sentiments que tu éprouvais à seize ans, avec ce que tu ressens pour un certain colonel en plus, visiblement… Tu te rappelles comment tu te sentais à seize ans ?

Sam, qui avait recommencé à rougir, blêmit brutalement et Janet prit conscience du problème la seconde suivante :

— Oh Sam…

— Non ce n'est rien, ça va aller !

La voix de Sam, pleine de larmes, prit Janet au dépourvu :

— Attends Sam !

Mais cette dernière avait déjà bondi du lit et essuyait sauvagement ses yeux :

— Je te dis que ça va Janet ! cracha-t-elle.

Janet inspira et leva ses mains en signe d'apaisement :

— D'accord. Ça va aller, c'est d'accord, je te crois. Est-ce que tu veux que j'appelle le colonel O'Neill ?

Sam secoua vivement la tête :

— Non. Je vais aller travailler. Ça va aller.

— D'accord, répéta doucement Janet, mais si ça ne va pas…

— Je reviens ici, oui je sais, au revoir Janet !

.

% % %

.

Le coup de bâton l'atteignit en plein dos et Jack tomba à genoux, le souffle court, la douleur irradiant jusque dans sa poitrine.

— Alors, on abandonne enfant ? demanda Bra'tac.

Jack grimaça, souhaitant sortir une remarque acerbe et bien sentie, mais il n'avait plus assez d'air pour ça. Le début de l'exercice avait été plaisant même si déstabilisant : il avait facilement pris le dessus sur Teal'c, ce dont il n'aurait pas dû objectivement se réjouir étant donné que le garçon avait cinq ans et une tête de moins que lui, mais il avait honteusement savouré quand même. Maintenant, c'est le vieux jaffa qui avait pris le relais et Jack morflait. Non seulement Bra'tac avait nettement le dessus mais surtout Jack savait bien que l'homme restait dans la retenue, ce qui en plus d'être douloureux était atrocement énervant et humiliant. D'autant plus que Jack voyait parfaitement les coups et la tactique de son adversaire, il savait, mais son corps refusait de lui obéir comme il le voulait, et il avait beau chercher à esquiver et répondre, il n'obtenait qu'un résultat médiocre. Il récupéra de l'air et cria, de douleur, de rage, de frustration.

Le vieux maître éclata de rire :

— Tu as compris enfant ? Ou faut-il continuer ?

— Pourquoi je n'arrive à rien ?

— Parce que ta tête sait mais ton corps non. Tu as en mémoire tout tes entrainements, des années de pratique, c'est vrai, mais ton corps lui ne s'est jamais entrainé, tu n'as plus aucun automatisme, aucun réflexe, tu n'es qu'un enfant.

— Mais …

— Tu sais te battre, le coupa-t-il, oui, en théorie. Mais au corps à corps, la théorie ne suffit pas. Ton corps doit savoir seul quoi faire, et ton corps de quinze ans ne sait rien O'Neill.

Jack grogna et laissa tomber son bâton au sol, vaincu, il avait compris. C'était assez. Ils avaient un problème, un gros problème.

.

% % %

.

— Pas une fois ! Tu te rends compte ! Même pas un gobelet !

— Daniel, soupira Sam en essayant de se concentrer sur le calcul qu'elle refaisait alors que l'enfant lui tournait autour en poussant des petits cris perçants.

— Pourquoi est-ce qu'ils ont fait ça ?

Sam posa violemment son crayon :

— Peut-être parce que tu as huit ans et que les enfants de huit ans ne boivent pas de café Daniel !

— Mais je n'ai pas vraiment huit ans ! s'énerva Daniel. Forcément, pour toi c'est facile, tu as l'air d'avoir seize ans, ça ne change pas grand-chose ! Jack et toi, ils vous traitent encore comme des adultes.

Sam se tourna vivement vers lui, la colère au bord des lèvres :

— Sérieusement ? C'est vraiment ce que tu penses ? Tu es vraiment sérieux ?

Il recula de trois pas, effrayé, mais il ferma sa bouche, enfin. Sam souffla par le nez, attrapa son crayon et reprit son calcul. Enfin tranquille. Trois secondes…

— Mais tu ne trouves pas ça injuste ?

— Rahhh Daniel !

— Quoi ?

— J'essaie de travailler ! Tu devrais faire pareil !

Le petit garçon trépigna :

— Mais comment tu veux que je fasse sans café ?

— Fais sans ! Ils ne m'en ont pas donné non plus !

— Et ça te va ? s'indigna Daniel.

— Non mais je passe outre, il y a plus grave que le café Daniel !

Il continua de tourner en rond autour de sa paillasse, agitant ses bras, ouvrant la bouche pour parler… et puis non, claquant de la langue.

— Arrête… gronda-t-elle.

— Je ne peux pas.

— Tu ne veux pas, corrigea-t-elle.

— Le sevrage brutal de café est très mauvais ! Ça a été documenté, tu sais !

— Oui, je sais Daniel ! Mais tu n'es pas en manque de café.

L'enfant bondit devant son nez :

— Ah oui ? Et comment tu le sais ?

— Parce que tu aurais mal à la tête et que tu arrêterais d'hurler ! braya-t-elle, excédée.

Deux gardes ouvrirent la porte et passèrent la tête :

— Désolée, s'excusa-t-elle faussement contrite.

Ils refermèrent la porte et elle reprit un ton en dessous, articulant chaque mot, un regard tueur toisant Daniel :

— Est-ce que tu buvais du café à huit ans ? Non, n'est-ce pas ? Tu es dans ton corps de huit ans donc tu n'es pas physiquement en manque de café.

— Mais…

— Mais rien Daniel !

— Il me faut du café !

— Non.

— Qu'est-ce que je vais faire sans café ?

Elle inspira, serrant les poings :

— Je ne sais pas… Travailler !

— Pas sans café.

— Rahhhhh.

Sam envoya valser son crayon et attrapa Daniel par les épaules :

— Si je te trouve un café, tu me laisses tranquille et tu vas travailler ?

— Promis.

— Ok. Ne bouge pas !

.

% % %

.

George soupira et ouvrit les yeux quand on toqua à la porte de son bureau. Il se décala un peu pour voir qui demandait à le voir et la réponse le soulagea même si un souffle d'angoisse sourde s'insinua en lui :

— Entre Jacob !

Ce dernier s'installa sur la chaise en face de lui sans un mot, le visage fermé, et les craintes de George gravirent un cran sur son échelle personnelle allant de « ça va aller » à « catastrophe imminente ».

— Qu'est-ce que je peux faire pour toi ? tenta-t-il puisque son ami ne pipait mot. Tu as des nouvelles au sujet de la machine ?

— Rien.

— Bien, souffla George en croisant ses mains sur son bureau.

Il espérait vraiment que Jacob se mettrait à parler sans qu'il n'ait à lui tirer les vers du nez. George n'était pas très bon à cet exercice et là, il était vraiment trop fatigué pour ça.

— Sam, lâcha finalement Jacob. Sam et Jack.

George serra sa mâchoire. Au final, il aurait peut-être préféré que Jacob ne parle pas, lui en tout cas choisit de se taire, pour l'instant du moins, il voulait savoir où son interlocuteur voulait en venir, et surtout s'il parlait au général Carter, au père de Sam, à un membre de la Tok'ra ou à son meilleur ami, ne se faisant toutefois pas tellement d'illusion sur le fait qu'il finirait bien par parler de ce sujet avec les quatre facettes de Jacob, voire cinq si on comptait Selmak qui avait forcément un avis sur la question.

— Qu'est-ce qu'on va faire ?

George posa ses coudes sur le bureau et laissa son visage tomber contre ses mains jointes devant son nez :

— Écoute Jacob, je ne sais pas comment te dire ça mais… il n'y a rien de vraiment nouveau. Je sais ce qui s'est passé ce matin, mais ils n'ont pas franchi la ligne, ils ne l'ont jamais franchie…

— Je sais.

— Tant que ça reste comme ça, je continuerai de regarder ailleurs, comme tout le monde ici, si c'est ce qui t'inquiète, soupira George.

— Pas exactement.

Ok, Jacob n'allait pas lui rendre la tâche facile, ce n'était pas le premier taiseux avec lequel George avait dû discuter mais il détestait quand son ami se tendait de la sorte :

— Qu'est-ce qu'il y a Jacob ?

— Et s'ils franchissent la ligne George ?

— Ils ne l'ont pas franchie en cinq ans…

— Ils n'avaient pas quinze ans !

George sentit un poids supplémentaire lui tomber sur la poitrine. Évidemment, Jacob avait raison, mais rien n'était simple dans cette affaire :

— Jacob, j'entends tes inquiétudes, et je les partage mais… il chercha comment tourner sa phrase mais ne trouva aucune formulation satisfaisante : si j'ai fermé les yeux sur ça, si je continue de le faire, c'est parce que je suis intimement persuadé qu'ils fonctionnent mieux ensemble que séparément. Démanteler SG1 n'apporterait que des catastrophes, pour cette planète mais aussi pour eux deux. Tu penses vraiment qu'on serait en mesure de tenir ta fille éloignée de Jack ? Et inversement ? Tu veux vraiment que je te décrive les rares fois où cela a failli arriver ? Sam a carrément réécrit les lois de la physique pour retrouver Jack, en cent jours !

Jacob soupira et George ne savait pas ce qu'il lisait sur son visage : de la résignation, de l'admiration, de la compréhension, de l'amour filial ? Sans doute un peu de tout ça à la fois.

— Je sais bien George. Mais combien de temps encore ? Est-ce qu'on ne leur fait pas plus de mal qu'autre chose en fermant les yeux ? Les confronter à la situation leur permettrait peut-être de…

Il laissa mourir la fin de sa phrase et George se gratta la tête, cette question, il se la posait sans arrêt, depuis plus de quatre ans :

— C'est leur paradoxe Jacob, leur permettre d'être ensemble c'est les séparer et les détruire, les laisser en équipe c'est leur assurer de passer l'essentiel de leur vie ensemble…

— Sans avoir le droit de s'aimer, termina l'homme en face de lui mais George eut un léger doute quant à savoir s'il s'agissait bien de Jacob ou si c'était Selmak qui laissait parler son incompréhension.

Il avait assez bien connu l'homme dans sa jeunesse pour savoir d'où venait le feu et la représentation de l'amour qui habitaient Sam. Ses parents avaient connu le genre d'amour qu'elle nourrissait pour Jack : entier, passionné, dévastateur et sublimant à la fois, le genre de chose rare qu'on chérit autant qu'on s'en méfie, et qui reste incompréhensible pour qui ne l'a jamais vécu ou au moins vu de près.

— J'ai peur qu'ils ne tiennent pas la ligne cette fois George, ajouta Jacob, la mine sombre.

— Qu'est-ce que tu proposes ?

— Je ne sais pas, répondit son ami en regardant le sol.

George se réinstalla dans son fauteuil :

— Cette situation est temporaire, tout va bientôt rentrer dans l'ordre.

— Et si ce n'était pas le cas ?

George inspira :

— Alors je suppose que cette question n'aura plus d'importance. En attendant, je donnerai des ordres pour qu'ils ne soient jamais laissés seuls ensemble si ça peut aider, mais s'il te plaît, ne me demande pas de les empêcher de se voir, ils vont me retourner la base.

— Je sais bien. George, à ce sujet, si la situation devait devenir… il inspira, disons, définitive, qu'est-ce qui se passerait ?

George déglutit, il avait commencé à se poser la question mais aucune réponse ne lui semblait satisfaisante :

— Légalement, ils restent sous protection et contrôle de l'armée, mais tu es le père de Sam et elle est mineur, tu aurais l'autorité parentale la concernant. La situation est plus compliquée pour les garçons : Jack et Daniel n'ont plus de famille et Teal'c… je doute que la commission soit enchantée à l'idée de le laisser partir, je leur cache la situation d'ailleurs, si tout cela tend à s'éterniser, je pense que je demanderais à Bra'tac de l'emmener avec lui. Même si ça doit être ma dernière action dans cette base, je refuse que l'un de ses membres mette la main sur lui. Et je ferais mon possible pour me voir confier les deux autres mais je ne sais pas si je pourrais l'emporter face à la commission.

Jacob planta son regard dans le sien :

— Sam n'acceptera jamais d'être séparée de Jack ou de Daniel. Même Teal'c, ça sera compliqué.

— Je sais bien, je pense que si nous en arrivons à ces extrémités, tu devrais repartir avec les trois, voire les quatre, lâcha finalement George.

Il avait retourné les choses dans tous les sens, toute la nuit, et il avait beau avoir épluché les alternatives légales, aucune ne lui semblait suffisante pour assurer la sécurité des membres de SG1. En face de lui, Jacob semblait accuser le coup :

— Je ne suis pas certain que le conseil approuve, tempéra Jacob.

— Depuis quand Selmak et toi suivez-vous les ordres du conseil ?

Jacob cligna des yeux dans un petit geste de tête, lui accordant le point :

— Certes, mais je doute que Jack soit enchanté de rejoindre les tok'ras…

— Si c'est la seule solution pour qu'ils restent tous les quatre, Sam se rangera à l'idée, soupira George, et si c'est ce que Sam veut…

Jacob afficha un sourire las :

— Jack suivra.

— Et avec lui, Daniel et Teal'c.

Jacob se passa une main sur le visage :

— Bien, j'en parlerai au conseil.

Son ami commença à se relever mais George l'arrêta :

— Jacob, on parle ici de dernier recours, je reste persuadé qu'on n'en arrivera pas là, tout comme je suis persuadé qu'ils ne franchiront pas la ligne.

Jacob le fixa intensément une longue minute avant de finalement s'incliner et sortir du bureau, lentement, comme si le poids du monde s'était installé sur ses épaules.

.

% % %

.

Jack courait à côté du brancard où Daniel blanchissait à vue d'œil, même s'il continuait d'essayer de parler à un rythme effréné, luttant contre sa respiration saccadée.

— Daniel, tu dois te calmer, lui ordonna-t-il, mais les yeux du petit garçon papillonnaient dans le vide et l'expression de son visage alternait entre excitation et terreur.

Frasier, de l'autre côté du brancard, donnait des ordres. Les portes de l'infirmerie s'ouvrirent à la volée et Janet changea elle-même l'enfant de lit, vissant son stéthoscope dans ses oreilles pendant qu'une infirmière couvrait Daniel de capteurs. Jack regarda ses mains et s'aperçut qu'il tremblait, même si moins que Daniel :

— Qu'est-ce qu'il a ?

— Il tachycarde, cria Janet, mais Jack n'était pas certain qu'elle s'adressait à lui, et encore moins qu'elle ait entendu sa question.

Autour d'eux, plusieurs personnes s'agitaient, l'une rapprocha le défibrillateur et une sueur glacée dévala le dos de Jack. Janet se tourna brusquement vers lui :

— Qu'est-ce qui s'est passé colonel ?

— Je ne sais pas, Daniel est passé me voir dans mes quartiers, il courait partout et débitait des phrases sans queue ni tête dans tous les sens en tournicotant, il sursautait dès que j'essayais de lui parler, et puis il est devenu tout blanc et il est tombé.

— Daniel ! hurla Sam en entrant à bout de souffle dans l'infirmerie.

Elle écarta d'autorité la nuée d'infirmières qui gravitait autour du petit corps livide et s'appuya contre le lit, la petite main serrée dans les siennes. Janet fronça les sourcils dans un reproche silencieux, passa le contenu d'une seringue dans la perfusion de Daniel qui sombra dans l'inconscience, puis elle revissa le stéthoscope dans ses oreilles, les yeux rivés sur les écrans. Jack s'avançant prudemment et posa une main délicate sur l'épaule de Sam :

— Elle s'occupe de lui.

— Je n'aurais pas dû le laisser, grogna Sam.

Il soupira :

— Il était avec moi quand c'est arrivé, il est tombé d'un coup, tu n'aurais rien pu faire de plus.

Elle grommela, évitant toujours son regard. Janet libéra ses oreilles et la fixa :

— Sam, est-ce que tu as vu Daniel aujourd'hui ?

— Oui, ce matin.

— Comment allait-il ?

L'inquiétude plissait méchamment le front des deux femmes, Sam réfléchit un instant :

— Il allait bien.

— Rien de bizarre ? D'inhabituel ?

Sam grimaça :

— Il était surexcité mais ça arrive souvent avec Daniel, j'essayais de travailler et il me tournait autour en parlant tout le temps, il se plaignait que le garde lui…

Elle s'interrompit brutalement, blanche, les yeux noyés de larmes :

— C'est de ma faute.

Jack sentit son cœur se serrer et laissa glisser sa main le long de son bras pour chercher à l'apaiser. Sam se sentait toujours coupable de tout mais il était persuadé qu'une fois encore, elle n'y était pour rien.

— Qu'est-ce qui s'est passé Sam ? demanda Frasier.

— Il n'arrêtait pas de dire qu'on lui avait interdit de prendre un café et que c'était injuste, et il s'agaçait avec ça, il ne travaillait pas, il m'empêchait de travailler alors…

Sa voix se brisa et Jack proposa :

— Donc tu lui as donné un café ? Un café ne peut pas mettre un enfant dans cet état, Sam.

— Il a raison Sam, approuva Janet.

Mais Sam secoua violemment la tête alors que les larmes striaient ses joues :

— Je me suis dit qu'il allait passer sa journée à réclamer du café, parce que Daniel en boit des dizaines en temps normal, donc… je lui ai installé une cafetière dans son bureau.

— Carter ! hurla Jack presque malgré lui. Pour l'amour du ciel ! Qu'est-ce qui t'a pris ?

— Je n'ai pas réfléchi.

Elle se tourna vers lui, le visage ravagé de pleurs et de culpabilité, sonnée par son ton, la lèvre tremblante. Il s'en voulut immédiatement mais sa peur pour Daniel surpassait le reste et le mettait hors de lui, il cria encore, même s'il aurait aimé pouvoir faire autrement :

— C'est un enfant ! Bon sang Sam ! Il a huit ans ! Tu croyais vraiment qu'il allait être raisonnable ? Enfin Sam, tu es…

Janet trancha la fin de sa phrase d'un regard meurtrier :

— L'overdose de caféine ne prend que très rarement de telle proportion, il est jeune, c'est sans doute pour cela, mais il ira bien, son rythme cardiaque revient déjà à la normale. Il doit se reposer, il va dormir et il va se remettre. C'est bien compris, Sam ? insista-t-elle. Il ne craint rien, d'accord ? Juste plus de café, c'est bien compris ?

Sam secoua la tête, renifla et un nouveau flot de larmes dévala ses joues. La colère et l'angoisse de Jack s'effondrèrent comme un soufflé alors que la détresse de Sam l'atteignait en plein cœur :

— Carter…

— Je suis désolée mon colonel, je suis tellement désolée…

Il combla l'espace entre eux et la plaqua sans réfléchir contre lui :

— C'est moi qui suis désolé Carter, je n'aurais jamais dû te parler comme ça.

— Non, vous avez eu raison, j'ai été en dessous de tout.

— Non, c'est à moi de veiller sur vous tous, j'aurais dû aller voir Daniel bien avant.

— Oh Daniel, hoqueta Sam.

— Chut, ça va aller Carter… Sam… il va aller bien. Tout va bien se passer.

Jack caressait ses cheveux et son dos, c'était tellement étrange de laisser ses doigts glisser dans les mèches blondes de Carter jusqu'au milieu de son dos. Son cœur s'emballa, le sang pulsa violemment dans tout son corps. Vraiment tout son corps. Il recula un peu par réflexe et embarras, Sam sursauta et leva deux yeux paniqués vers lui, il essaya de la rassurer d'un regard et cala sa tête contre son épaule, tout en priant pour que personne ne se rende compte de son problème soudain, surtout pas Sam.

Sam, Carter, tu, vous, il ne savait plus où il en était, la situation devenait trouble et dangereuse. Ils avaient toujours flirté avec les limites mais à présent, tout ce qui faisait la base de leur univers s'était vu flouté par leur nouvel âge, les frontières de Sam n'étaient plus si nettes et il avait du mal à savoir où ériger les barrières comme ils l'avaient toujours fait avant. Le sanglot qui s'échappa de la gorge de Sam les secoua tous les deux et il se resserra contre elle. Sa réflexion, outre le fait de torturer son sens moral, avait au moins eu le mérite d'endiguer son autre problème. Là, tout de suite, elle pleurait, elle avait peur, elle se sentait mal, et c'était en grosse partie sa faute, alors il la réconforterait, comme il l'avait toujours fait en pareille circonstances et il se préoccuperait du reste plus tard.

.

% % %

.

Quand ils poussèrent la porte de l'infirmerie plus tard dans la soirée, aux abords de la nuit, George et Jacob trouvèrent les trois autres membres de SG1au chevet de Daniel dont toutes les constantes étaient revenues à la normale. Sam assise en travers des genoux de Jack dormait blottie contre sa poitrine, une main tendue vers le lit, posée sur celle de Daniel. Teal'c occupait la deuxième chaise, somnolent mais pas encore endormi.

— Tu disais ? soupira Jacob à l'adresse de George.

.

(À suivre.)