Bonjour à tous ! Tout d'abord merci à ceux qui ont lu ce premier chapitre et qui vont lire celui-ci. J'espère qu'il vous plaira tout autant, nous entrons un peu plus dans le vif du sujet !

Yuukitsune : Merci beaucoup ! Heureuse que ça te plaise ! Le premier chapitre peu faire un peu bloc, j'avais un peu peur j'avoue ^^

Shadow : Merci pour ton accueil ! Contente que le texte te plaise, j'espère que la suite te conviendra également ! Voilà la suite comme promis, bonne lecture


Chapitre 2 : Fissure


Samedi soir - Chez Taïga :

Taïga glissa sa clef dans la serrure de son appartement, un peu fébrile. Il n'était pas habitué à amener du monde chez lui, du moins pas comme ça. Certain de ses amis étaient déjà venu chez lui, mais jamais pour y passer la nuit. Même lors des soirées qu'ils avaient pu faire avec les autres, jamais il n'avait laissé quiconque passer la nuit chez lui hormis Alex, mais elle, elle y entrait sans lui demander son avis. Il était habitué à son quotidien solitaire et malgré la déprime qui le gagnait ces derniers temps, il avait peur.

Oui, il avait toujours craint de laisser quelqu'un entrer dans sa vie, peur de s'habituer à une routine qui pouvait disparaître à tout moment. Qui n'aurait pas peur ? Il en avait déjà fait les frais et il n'avait aucune envie de retenter l'expérience. Il avait connu une famille aimante et structurée, avec des rires, des larmes, et parfois des disputes. Il avait connu l'amour d'un foyer, et du jour au lendemain tout avait disparu. Plus rien. Le néant. Voilà pourquoi il avait toujours eu ce caractère turbulent et téméraire, pour éloigner les gens qui tentait de l'approcher de trop près, de s'immiscer dans son quotidien et pourtant… Pourtant il avait laissé Kuroko l'atteindre, puis les autres, et sans même qu'il ne s'en rende compte, il était entouré. Il avait lâché du lest, il les avait laissé pénétrer son intimité sans qu'il ne les voit venir. Il avait apprécié leurs présences, leurs aides, leurs amitiés, tout simplement. Malgré tout, il s'était refusé à les laisser finir la nuit ici. Il y avait toujours mis un point d'honneur.

Non, il n'avait jamais passé ce cap et il ne savait pas pourquoi ce soir, il avait proposé cette alternative au scoreur de Tōō. Peut-être était-ce dû à son regard. Celui qu'il voyait parfois dans le miroir face à son propre reflet. Cette peur, cette tristesse, cette solitude. Si lui se cachait derrière sa détermination à toute épreuve, le basané en faisait certainement de même avec son caractère de cochon. Cependant il avait déjà vu la face cachée du basketteur. Comme cette fois où il lui avait donné ses baskets, devenu ses préférées. Il avait pourtant perdu le match, mais l'air de rien, il lui avait laisser, déclarant qu'il n'en avait plus besoin. Il avait même déclaré qu'il ne pouvait pas trouver l'excuse de perdre pour une soi-disant histoire de chaussure.

Il jeta un coup d'œil derrière son épaule. Aomine avait fini par le suivre. Il avait amorcé son départ et avait bien sentit l'hésitation prendre le numéro 5. Il avait marché lentement, volontairement, comme pour lui laisser le temps d'assimiler sa proposition, et de lui laisser le temps de prendre sa décision. Il l'avait entendu se lever et grommeler dans sa barbe des trucs du genre "J'ai rien d'mandé", «Ne viens pas t'plaindre après". Taïga avait souri et continué son chemin, Aomine sur les talons. Le chemin s'était fait en silence et il l'avait bousculé avec son épaule pour le dérider un peu, l'envoyant valser gentiment. Le basané avait râlé et lui avait rendu la pareille, avec la même force. Ils s'étaient un peu chamaillés sur le retour et avaient fini par en rire.

La porte s'ouvrit, laissant découvrir à son invité l'intérieur de son habitation. Il se décala et l'invita à entrer. Le brun retira ses chaussures et s'avança dans le salon à sa suite. Il le laissa fureter à droite et à gauche, prenant connaissance des lieux. Son appartement était sobre et chaleureux malgré le peu de vie qu'elle y abritait. Un sol en parquet clair et agréablement souple habillait le sol et les murs étaient blancs. Les meubles étaient en bois clair et formaient la partie salon avec seulement une table occidentale pour manger, accompagnée de quatre chaises, d'un meuble télé, d'un canapé beige et d'une table basse. Le salon possédait une grande baie vitrée par laquelle Aomine jeta un coup d'œil pour voir la vue. La cuisine ne séparait la pièce à vivre que par un plan de travail et elle était toute équipée, de quoi ravir sa passion de la cuisine.

"Tu veux une bière ?"

Aomine reporta le regard sur lui et écarquilla un peu les yeux.

"T'es sérieux ?"

Taïga lâcha un rire amusé et se gratta la nuque un peu gêné, détournant même le regard. C'est vrai qu'au Japon il était compliqué de se fournir de l'alcool.

"Well... ça a des avantages d'être typé Américain. On ne te demande pas forcément ta carte d'identité."

Aomine ria en le voyant un peu gêné et acquiesça rapidement.

"Ouais, carrément qu'j'en veux."

Il sortit deux bières qu'il décapsula d'un geste habile et en tendit une à son invité. Leurs mains se touchèrent rapidement pendant l'échange et une décharge parcouru son corps. C'était quoi ça ? Leurs regards se croisèrent et ils détournèrent chacun les yeux. Taïga se racla la gorge et ouvrit un placard pour attraper des gâteaux apéros. Il sentait Aomine plus tendu qu'à l'accoutumé. Comme s'il hésitait à parler, comme s'il était mal à l'aise et autant dire que ces deux adjectifs n'allaient pas du tout avec lui. Non, Aomine était buté, arrogant et n'hésitait jamais. Il voulait, il avait. Point.

"T'vas vraiment rien m'demander ? Genre, pas d'questions ? Rien ?" Demanda subitement Aomine.

Taiga resta un moment le bras en l'air, prêt à choper son bien. Étonné par la question soudaine, il resta un moment sans amorcer un geste, puis il s'empara agilement du paquet et referma le placard, fébrilement. Il se tourna vers son invité tout en ouvrant précautionneusement le paquet.

Oui, il était d'un naturel curieux et oui, il aurait voulu savoir ce qui le préoccupait. Il n'allait pas s'en cacher mais il n'était pas du genre à s'immiscer dans la vie des autres sans leur accord. La sienne était suffisamment compliquée comme ça.

"Tu veux en parler ?" Demanda t'il.

Aomine grimaça, Taïga ria et lui mit une tape amicale sur l'épaule. Il contourna l'îlot central et l'invita à le suivre dans le salon, lui montrant par ce simple geste qu'il ne l'obligerait à rien.

Il attrapa sa télécommande et alluma la télévision, lançant sa console par la même occasion. Aomine se posa sur le canapé et Taïga lui lança une manette qu'il attrapa sans mal. Il demanda à son partenaire de jeu sur quoi il voulait se défouler et un jeu de course fut lancé.


Daiki jeta rageusement la manette dans le canapé et se leva, totalement indigné. Il posa ses deux mains sur son crâne en fixant l'écran devant lui.

"Putin ! C'pas possible !"

Taïga se mit à rire et lui mit un coup de coude dans le genou à sa portée.

"T'es nul, c'est tout !" Le charia le rouge.

"Impossible ! J'veux ma revanche !" S'écria-t-il en le pointant du doigt.

Daiki se rassit rapidement et attrapa la manette avec un air déterminé sur le visage. Il se mit au bord du canapé, les jambes écartées, les coudes posés dessus et le regard rivé sur l'écran. Il choisi un nouveau véhicule et valida son bolide après avoir regardé l'ensemble des caractéristiques techniques. Il se tourna de nouveau vers Kagami et le regarda de haut.

"Avec celle-là, j'vais t'mettre ta pâté !"

Kagami le toisa un moment et secoua la tête.

"Aomine, ça fait la cinquième partie, et même en prenant ma manette, et ma voiture, tu as perdu."

En effet, il était mauvais joueur, il le savait. Il avait obligé un peu plus tôt le tigre à échanger leurs manettes, scandant à tout bout de champs que la sienne fonctionnait mal, mais le résultat avait été le même. Il avait fait pareil avec le bolide que l'autre avait choisi mais le résultat avait été similaire. Décevant et peu concluant. Les canettes de bières avaient envahi la table basse et étaient vides pour la grande majorité d'entre-elles. Ils n'avaient pas lésiné sur la boisson et cela les avaient détendus l'un et l'autre, rendant leurs échanges moins agressifs qu'à l'accoutumé.

Il soupira et posa la manette, il ne savait même pas l'heure qu'il était mais il était clair qu'elle était déjà bien avancée.

"Allez, on peut se mâter un film, je ne vois même plus l'écran de toute façon..." Proposa Kagami.

Daiki haussa un sourcil, se demandant s'il disait la vérité ou si c'était une manière détourner d'arrêter le massacre. Il commençait à bien cerner le Tigre, et il lui avait découvert un altruisme hors du commun. Derrière ses grands airs de bourrin, il passait son temps à prendre soin des autres, à se soucier de son entourage et faisait du mieux qu'il pouvait pour arranger ses amis. Il avait vu clair dans son jeu, et ce soir n'avait été que la confirmation de ses pensées. Il n'avait pas hésité à l'inviter chez lui, sans même lui poser de question.

"Ouais, on devrait faire ça."

Il regarda Kagami rire et il ne put empêcher un léger sourire de tirer ses traits. Lui qui avait pensé passer sa soirée assis sur ce banc à déprimer en bas de chez lui... Son hôte lui avait ouvert une porte de sortie bien agréable. Il n'aurait jamais pensé se retrouver là, avec lui, le cul dans son canapé à jouer et mater des films. Non, il en aurait certainement ri si on lui avait dit.

Le rouge attrapa la télécommande et lui proposa plusieurs films à louer. Leurs choix s'arrêtèrent sur un film d'action qu'il lança rapidement. Kagami attrapa un plaid et en étala la moitié sur ses jambes posées à même la table basse, l'invitant silencieusement à prendre l'autre moitié. Décidément, le joueur de Seirin était de plus en plus surprenant. Il attrapa le bout de couverture et se rapprocha de l'autre, faisant se toucher leurs épaules. Il se cala dans les coussins du canapé et se mit à regarder le film.

Plus les minutes passaient, plus il se mettait à gigoter, n'arrivant pas à trouver une position confortable. Il finit par soupirer, étendre ses jambes sur le reste du canapé et après un sourire taquin, posa lourdement sa tête sur le ventre de l'autre, s'allongeant totalement sur le reste du canapé . Il entendit son oreiller provisoire cracher tout l'air de ses poumons sous l'impact.

"P'tin, Ao !"

Daiki se mit à rire sans s'arrêter au point d'en avoir les larmes aux yeux. Voir la tête de Kagami rouge, surprit et manquant d'air l'amusait fortement, surtout qu'il en était la cause. Il se prit un coussin sur la tête pour le faire taire mais il n'y arrivait pas. L'autre avait un bras en l'air, ne sachant plus où le poser, visiblement mal à l'aise de devoir le faire reposer sur lui. Oui, la scène était comique. Un Tigre tout gêné d'avoir la tête d'une panthère posée sur lui. Il se calma petit à petit et Kagami fini par poser sa main sur le haut de son torse, son avant-bras touchant son profil, appuyant doucement sur son épaule. Il leva les yeux et tomba dans un regard rubis qu'il trouva presque...tendre.

"Ça te va mieux de sourire, idiot." Lâcha Kagami.

Daiki se tendit un moment puis relâcha la pression. Il avait senti ses joues s'échauffer avec juste cette phrase murmurée du bout des lèvres. Jamais le basketteur ne l'avait regardé avec cet air-là. Un regard simple, amicale, presque protecteur. Jamais ils n'avaient eu ce genre d'échange, et pourtant ce soir, ça lui paraissait presque normal d'être là, avec lui, dans cette position presque intime.

Il n'avait pas ri comme ça depuis très longtemps. Bien trop longtemps en fait. Montrer cette face de lui à son rival n'était pas facile, mais tant pis, il mettrait ça sur le dos des bières qu'ils avaient ingurgités. Il repositionna rapidement la couverture comme il le pouvait sur leurs deux corps et reprit le court du film.

Le film était bien avancé et il commençait à somnoler contre le tigre. La chaleur que l'autre dégageait et les bercements dût à la respiration calme du rouge était en train de l'emmener lentement au pays des songes. Il se sentait bien là, au chaud. Le bras de Kagami semblait protecteur et cela avait un effet apaisant sur lui. Sentir le poids de se membre contre lui aurait pu être désagréable, mais il ne l'était pas. Sans savoir pourquoi, il se mit à penser aux relations qu'il avait eu. Il comprenait maintenant les nanas qui cherchaient sans cesse à être dans ses bras, mais il n'avait jamais été friand de ce genre de contact. D'habitude, il tirait son coup et s'en allait sans demander son reste. Ne pas s'accrocher, ne pas se rajouter des problèmes, encore moins des histoires de cœur. Cependant, en cet instant, il ne pouvait s'empêcher de se mettre à leur place et d'apprécier le contact. Il avait toujours été un peu tactile, il avait besoin de toucher les autres, sentir sous ses doigts un tissu, un bout de peau, juste pour être certain qu'il y avait quelqu'un avec lui, qu'il n'était pas seul. Oui, il était tactile, mais pas dans les relations amoureuses.

Une sonnerie de téléphone le fit sursauter et il sentit Kagami se tendre contre lui. L'autre se redressa et attrapa son bien sur la table basse, observant le contact qui osait lui téléphoner à cette heure bien trop matinale. Daiki leva un regard curieux sur l'écran sous ses yeux de part leur position et vit le nom de l'émetteur qui s'affichait mais surtout la grimace qui venait de prendre place sur le visage de Kagami.

"P'tin, excuse-moi, je reviens."

Sans autre forme de cérémonie, le rouge se leva et alla s'enfermer sur le balcon. Pourquoi diable partait-il pour recevoir un appel de son père ? N'avait-il pas le droit de recevoir du monde ? Daiki se redressa et observa silencieusement son hôte à travers les baies vitrées, posant son menton sur le dossier du canapé. Il avait l'air contrarié et ses sourcils étaient froncés comme à son habitude. Il prit lui-même son téléphone et avisa l'heure : 1h36. Il soupira et envoya rapidement un message à sa mère pour la prévenir de son absence. Généralement, elle était du matin, et il ne voulait pas la froisser outre mesure. Elle en bavait suffisamment comme ça. A peine avait-il reposé son portable sur la table basse que Kagami pénétrait de nouveau dans le salon. Il fronça les sourcils. L'appel n'avait duré que quelques minutes à peine et à la vue du comportement du tigre, cela ne s'était pas passé comme il aurait voulu.

Le rouge dévisageait l'appareil d'un regard mauvais et cela l'étonna.

"Ça ne va pas ?" Demanda-t-il.

Kagami sursauta légèrement et plongea son regard dans le sien. Il le vit se passer la langue sur les lèvres et se passer une main dans les cheveux. Il semblait nerveux tout à coup. Il le vit se rapprocher lentement de lui et se remettre à sa place sans un mot. Daiki ne pouvait détacher son regard de son homologue. Il l'avait déjà vu comme ça. Comme lorsqu'il était resté sur le banc de touche lors de leur premier match en officiel. Lorsque Seirin avait perdu et que le numéro dix avait dû rester assis à regarder la défaite écrasante de son équipe face à la sienne. Ce regard impuissant et perdu, rageux et en colère.

Il savait qu'il aurait dû rester silencieux et laisser couler, mais c'était contre son tempérament. Il était trop curieux pour son propre bien.


"Ça ne va pas ?" Avait demandé Aomine.

Non, non ça n'allait pas. Pourquoi avait-il fallu qu'il appelle maintenant ? Sérieusement, de tous les soirs, son père avait choisi celui-là. Le seul soir où il sortait un peu de sa léthargie. Il se passa une main dans les cheveux pour reprendre contenance et sa langue passa sur ses lèvres sèches. Il avança d'un pas mal avisé vers son invité et se laissa tomber sur son ancienne place. Il sentait le regard bleu nuit sur lui et ça le mettait un peu mal à l'aise. Il avait l'habitude d'être seul dans ses moments-là, mais ce soir, ce n'était pas le cas et il avait été trop transparent. Il se doutait bien que le basané avait vu son air pathétique collé sur le visage.

"Un problème avec ton père ?" Réitéra le brun.

Taïga soupira et lâcha un léger rire jaune. Aomine était bien trop curieux.

"Il n'y a jamais de problème avec mon père."

Il tentait tant bien que mal de garder les yeux rivés sur l'écran mais il fallait dire que le regard perçant de son compagnon de soirée était plus qu'insistant et pénétrant. Cependant Aomine détourna finalement le regard et se remit dans son ancienne position, le forçant à reprendre la sienne. Il soupira. Il était en colère et il ne pouvait pas s'empêcher se serrer et desserrer le poing pour se calmer. A chaque fois c'était la même chose. Ce putain de coup de fil mensuel lui ramenait la vérité en pleine face et il avait du mal à reprendre ses esprits et à contenir sa colère. Il soupira de nouveau. Il fallait qu'il arrête de se miner le moral constamment sur le sujet. Ça ne changerait rien au problème, il en avait parfaitement conscience, et puis c'est lui qui avait choisis de revenir ici. Personne ne l'avait forcé. Personne ne l'avait retenu non plus cela dit. Il avait fui tout seul le sol Américain, il ne devait pas regretter son choix. En fait, il ne le regrettait pas, ce qui le dérangeait c'était ce coup de téléphone constant. Il expira bruyamment par le nez.

Aomine se releva vivement et se tourna vers lui, le regard noir.

"Bordel, tu d'viens relou là !" S'écria le basané.

Taïga porta un regard neutre sur lui et se pinça les lèvres, agacé.

"Hm."

Le regard bleu marine devint un peu plus sombre et l'autre grogna.

"Arrête d'faire ça."

"Hm ?"

"Ça ! Ce silence, ces soupires ! C'est quoi l'problème ?!"

Taïga soupira et le dévisagea.

"Je n'ai pas de problème." Articula-t-il.

Un doigt menaçant se mit sous ses yeux et Aomine le confronta du regard.

"Te fou pas de moi, tu reçois ce coup d'fil de ton père et tu t'fermes comme une huitre la seconde d'après. Forcément qu'il y en a un, d'problème !"

Taïga ferma fortement les yeux le temps d'un instant. Il était fatigué et la panthère ne semblait pas vouloir le lâcher. Ils avaient trop bu tous les deux et ses pensées étaient de moins en moins claires. Entre l'heure tardive et l'alcool qui commençait à circuler dans ses veines, il voulait juste aller se coucher. Pas de parler. Pourtant ...

"Merde, tu fais chier ! Qu'est-ce que tu veux que je te dise au juste ?! Ça me fou en rogne quand il m'appelle juste pour ... P'tin !"

Il s'était emporté en deux secondes et demie. Comment Aomine arrivait-il à le faire sortir de ses gonds aussi rapidement ? Sérieusement, il avait un talent inné pour ça !

"Juste pour quoi ?" Demanda le numéro cinq, beaucoup plus calmement.

Il se rapprocha au bord du canapé, les jambes écartées et les coudes posés dessus. Il se passa les mains sur le visage, puis dans les cheveux pour terminer sur sa nuque où il les lia entre elles, gardant le visage baissé. Il ne se confiait jamais. Il n'abordait jamais ce putain de sujet, alors pourquoi il était à deux doigts de tout déballer. Il sentait son cœur battre à tout rompre. Qu'est-ce que ça lui ferait de le dire à haute voix ? Est-ce ça lui ferait du bien ? Sincèrement, Aomine devait être la dernière personne à qui il aurait pensé se confier, mais étrangement, il avait confiance.

Il prit une grande inspiration et ferma les yeux, détachant ses mains de sa nuque pour les lier devant lui.

"On ne s'entend pas. Il est juste … mon père sur le papier." Murmura-t-il en expirant lentement.

Aomine garda le silence et il le remercia mentalement. Il reprit tout en ouvrant les yeux, les gardant rivés sur le sol.

"Il m'appelle tous les mois juste pour être certain que son virement est bien arrivé sur mon compte. Rien de plus. Ok ? Il se fou de savoir si je vais bien, ou pas. A vrai dire, il ne me pose même plus la question. Il se contente de faire son devoir de père qui se résume à m'entretenir financièrement, mais je le comprends. J'aurais certainement fait la même chose à sa place… Je le mérite ..."

"Qu'est-ce que tu racontes ? T'es …"

"Je ne suis plus personne pour lui, si ce n'est son pire ennemi." Le coupa-t-il.

Sa gorge se serra et il reprit rapidement.

"J'ai juste fui un peu plus loin. J'ai voulu mettre un océan entre nous mais ce n'est même pas assez finalement. Il était toujours absent, en train de bosser. Il partait tôt le matin, rentrait tard le soir, bossait même les week-ends pour être certain de ne pas me croiser. Alors je me suis barré. Je suis revenu ici, retrouver mes racines, et lui rendre sa vie. C'est ce que je pouvais faire de mieux pour lui, comme pour moi. Être seul ici, ou là-bas … Ça ne change rien pour moi."

Qui essayait-il de convaincre au juste ? Lui, ou Aomine ?

Une main se posa sur sa nuque. Chaude et grande, réchauffant instantanément son corps qui lui paraissait soudainement gelé. Elle était réconfortante et pressait doucement mais fermement son cou, montrant par ce geste toute l'attention que l'autre lui portait en cet instant, cherchant à lui montrer sa présence. Il sentait les doigts fins caresser doucement la base de ses cheveux et ça l'apaisait. Il n'avait plus connu de geste aussi tendre depuis sa mère, et ça remontait à un bon moment maintenant. Sa gorge se serra et son ventre se tordit. Depuis quand n'avait-il pas pensé à elle ? Pourquoi les gestes d'Aomine, son plus grand rival, lui faisait remonter tout ça à la surface ? Il avait pourtant eu des relations, hommes comme femmes, mais aucun d'entre eux n'avaient réussi à le faire sortir de cette phase, il fallait dire qu'il ne les avait pas aidés non plus. Dès qu'il sentait que ça devenait trop sérieux, il lâchait tout, ne voulant pas s'attacher à quelqu'un trop sérieusement. Alors il voguait, se laissait porter de temps en temps dans des relations sans lendemains, et ça lui allait très bien.

N'est-ce pas ?


Daiki n'avait pas pu s'empêcher de le toucher. Il avait eu ce besoin viscéral de réconforter cet homme qui se confiait à lui, sans filtre. Il n'aurait jamais pensé qu'il se livrerait à lui d'une telle manière. Le tigre semblait si fragile en cet instant qu'il avait peur de le briser. Il l'avait toujours vu comme quelqu'un de solide, un pilier sur lequel quiconque pouvait s'appuyer sans risque. Le voir ainsi devant lui le déstabilisait plus qu'il ne voulait le croire.

Il avait posé lentement sa main sur sa nuque, là, juste sous ses yeux et qui ne semblait attendre que la présence de sa main. Il avait pris soin d'amorcer son geste avec délicatesse, pour ne pas le brusquer, ne pas se faire rejeter. Kagami avait l'air de se confier pour la première fois tant l'émotion se ressentait dans le timbre de sa voix. Il avait l'air d'être sur le point de craquer et il s'avait qu'aucun mot, qu'aucune parole n'arriverait à le consoler. Il avait bien compris que le problème de leur relation père/fils cachait probablement des maux plus grands, plus fort, mais il ne pouvait pas le forcer. Il en avait déjà dit beaucoup.

Il se pinça les lèvres et passa sa langue dessus, il avait soudainement l'envie… non, le besoin de s'exprimer aussi. Comme pour lui faire comprendre qu'il n'était pas le seul à se trouver dans une situation délicate. Qu'il pouvait comprendre en partie son comportement, sa solitude. Il plia les genoux sous son propre corps et s'assit dessus, gardant sa main sur la nuque brûlante du rouge, se donnant du courage par la même occasion.

"Mon... mon père s'est fait la malle quand j'avais huit ans. Il nous a laissé ma mère et moi sans un mot, sans un r'gard. Il est juste ... jamais rentrer du boulot."

Il vit Kagami se redresser un peu, faisant glisser par ce geste sa main le long du dos large devant lui. Il la ramena sur ses jambes pliées, jouant distraitement avec un pli de son jean. Le visage de son homologue se tourna légèrement, il le regardait du coin de l'œil.

"Il m'a laisser gérer la maison et ma mère, alors qu'j'avais même pas l'âge de m'gérer moi-même. Je n'en suis toujours pas capable d'ailleurs."

Il ria jaune pour détendre un peu l'atmosphère qui régnait malgré le son du film en arrière-plan. Kagami se redressa complètement devant lui et se laissa tomber en arrière contre le dossier du canapé, les yeux humides rivés sur lui. Il détourna la tête et fixa la télévision sans même la voir, s'il continuait de regarder les yeux rubis, il allait craquer lui aussi, même si le rouge semblait garder son sang-froid, ce ne serait peut-être pas son cas. On lui avait toujours dit que l'alcool déliait les langues, il fallait croire que c'était vrai.

"Ma mère à toujours eu des problèmes de dépression, j'm'en rendait pas compte gosse, mais c'était flagrant quand j'y réfléchi. Autant t'dire que quand il s'est barré ... ça ne s'est pas amélioré..."

Il se mordit la lèvre et une main vint prendre la sienne en otage, forte et apaisante. Il ferma les yeux et apprécia le geste, tournant même la sienne dans la paume de l'autre pour s'y accrocher plus fort, entremêlant leurs doigts. C'était étrange d'avoir cette main dans la sienne. Il la fixa sans s'en rendre compte. Leurs couleurs de peau contrastaient joliment. Les doigts de Kagami étaient plus fort que les siens, plus musclés alors que les siens étaient plus fins, plus longs. C'était bizarre comme sensation. Il avait déjà pris la main d'une femme dans la sienne, mais la sensation de celle masculine était tout autre. Cette poigne était ferme et sûre d'elle, chaude, un peu sèche mais relaxante.

"L'matin, en général, ça se passe plutôt bien, mais l'soir, c'est quitte ou double. Soit elle m'voit comme j'suis, soit elle entre dans une sorte de paranoïa chronique. Elle voit l'visage de mon père sur l'mien et là, soit elle s'effondre en larmes en m'suppliant d'revenir, soit elle m'agresse en m'jetant tout c'qui lui passe par la main, comme ce soir. Ça lui est même arrivé de ... vouloir m'étrangler dans mon sommeil..."

La prise sur sa main se resserra et il osa enfin relever les yeux, accordant un sourire un peu forcé à l'oreille attentive face à lui.

"Mais j'arrive à mieux gérer maint'nant. Je sais comment agir, même si ce n'est pas la meilleure solution, mais... J'sors de la maison, j'la laisse se calmer, se coucher, et j'rentre. C'est moi qui la rends comme ça, mais j'peux pas encore me barrer d'chez moi, et j'veux pas la laisser seule non plus donc... j'fais avec. Elle n'est pas suicidaire, c'est déjà une bonne chose, 'Fin j'crois."

Kagami resta un moment silencieux face à lui, puis il ouvrit la bouche, un rictus aux coins des lèvres.

"On a pas des vies faciles, hein ?"

Daiki lâcha un petit rire et acquiesça.

"Ouais, qui aurait cru que les deux As de Seirin et Tōō cachaient tout c'bordel dans leurs vies persos, hein ?"

La main de Kagami quitta la sienne et il se sentit seul d'un coup. Comme si toute chaleur venait de le quitter. Il ne le voulait pas, il avait besoin de contact, de sentir encore un peu sa présence. Il regarda sa main vide mais celle de l'autre vint ébouriffer ses cheveux dans un geste amical, presque comme une caresse. Ça lui avait fait du bien d'en parler si librement. Il avait l'impression qu'ils étaient deux à porter ce lourd bagage maintenant.

"Et si on allait se coucher ?" Proposa Kagami.

"Ok, mais il est hors d'question que tu m'laisse dormir sur l'canap'. J'suis trop grand et mes pieds vont dépasser !"

Le rouge se leva en rigolant légèrement. Lui aussi ça avait dû lui faire du bien de vider son sac. Il semblait un peu plus léger.

"Je veux bien partager mon lit, mais je dors en boxer, et c'est non négociable."

Daiki haussa les épaules et lui répondit qu'il dormait dans la même tenue.


Ils étaient côte-à-côte et Taïga avait du mal à fermer les yeux. Il n'avait vraiment pas l'habitude que quelqu'un squatte son appart', alors son lit, n'en parlons pas. Ça faisait au moins vingt minutes qu'ils étaient là, et Aomine semblait être dans le même état. Il ne cessait de tourner dans un sens et dans l'autre pour trouver une position confortable, remuant sans cesse la couette. Il sentit Aomine se redresser, certainement pour trouver encore une nouvelle position et il s'agaça. Il se redressa un peu et crocheta la nuque du basané pour le plaquer contre son torse. L'autre s'écroula littéralement sur lui, une jambe entre les siennes. La panthère se redressa vivement sur un coude et le toisa.

"Oy ! T'as cru qu'j'étais ta meuf ?"

Taïga haussa un sourcil et répondit sur le même ton.

"Qui m'a pris pour son mec dans le canapé ?"

Il sentit l'autre se tendre et bougonner en marmonnant des trucs intelligibles. Finalement, le brun se mit sur le dos et posa sa tête sur son épaule, en diagonale du lit. Il ne pu empêcher un rire de sortir de sa bouche en sentant le basané se caler contre lui.

"Je t'interdit d'dire quoique ce soit !" Grogna Aomine.

"J'ai rien dit." S'amusa Taïga.

La panthère soupira et il ferma les yeux, calquant sa respiration sur celle de l'autre. Il n'aurait jamais imaginé finir sa soirée comme ça. Il avait l'impression d'être dans une dimension parallèle.

Sérieusement, à quel moment ils avaient dérapé tous les deux ? Ils s'étaient raconté leurs sombres secrets avec une facilité déconcertante, comme s'ils étaient les personnes les plus proches du monde. Qui aurait cru qu'Aomine cachait une chose pareille ? Il n'arrivait pas à se sortir les paroles du brun de la tête. Il s'imaginait avec angoisse le quotidien du lycéen en rentrant le soir, ne sachant pas sur quoi tomber. De pouvoir vivre avec une mère qui ne reconnaissait même pas son propre enfant. Comment arrivait-il à gérer ça ? Il comprenait mieux son comportement arrogant et détaché. Avec ce qu'il vivait, comment aurait-il pu agir différemment ? Les problèmes des autres devaient lui paraitre tellement anodin à côté des siens.

Lui, il vivait seul avec l'ombre de son père sur les épaules, mais il n'avait pas à subir un quotidien cruel. Il avait juste à accepter sa solitude, et les remords.

Il sentit le brun se tourner contre lui, une main maladroite se poser sur son torse et un visage se tourner vers lui.

"Tu ne m'as jamais parlé d'ta mère ..." Chuchota Aomine.

Sa respiration se bloqua instantanément et son corps se tendit.

Sa mère.

Il ferma douloureusement les yeux et expira lentement, essayant de relâcher la pression, de détendre ses muscles crispés.

"Elle est morte." Déclara-t-il dans un soupire.

Il sentit l'autre se tendre à son tour contre lui, certainement qu'il se sentait con d'avoir posé cette question. Taïga se passa une main sur le visage, la gardant un moment en place. Ouais, elle était belle et bien morte. Un rire jaune quitta sa bouche et du bout des lèvres, il lâcha avec un naturel déconcertant ...

"Non, en fait, je l'ai tuée."


A suivre ...