Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama.

Chapitre 1

« Combien de temps te faudra-t-il encore pour concevoir cet antidote ? »

Il y avait plus de désespoir que de frustration dans le ton de Conan quand il avait posé la question.

La chimiste haussa les épaules en arborant le même air ennuyé qu'un parent écoutant d'une oreille blasée les requêtes absurdes d'un petit garçon incapable de distinguer ses rêves extravagants de la triste réalité.

« Je n'en sait rien…Et de toutes façons, nous avons tout notre temps, non ? L'organisation n'existe plus et j'ai encore une marge de manoeuvre de dix ans avant que mes tentatives de créer un antidote s'avère non plus seulement vaines mais également inutiles… »

Conan leva les yeux au ciel.

« C'est si difficile à comprendre que je n'ai peut-être pas envie d'attendre dix longues années avant de récupérer ce qu'ils m'ont volé ? Tu n'as plus d'excuse maintenant, Haibara. Tu l'as dit toi-même, le syndicat n'existe plus. Nous n'avons plus aucune raison de nous cacher dans ces corps d'enfant. »

« Oui c'est difficile à comprendre pour moi… Je n'ai pas eu le droit à une enfance heureuse et là, contrairement à ce que j'ai toujours cru, j'ai la possibilité de remonter le cours du temps et d'avoir une seconde chance d'en avoir une… Je suis donc loin d'avoir des raisons d'être suffisamment motivée pour achever ces recherches plus vite…»

Le détective soupira, pesant ses mots avant de reprendre la parole. Que pourrait-il bien lui dire pour la convaincre ?

« Haibara, est-ce que je doit te répéter tes propres paroles ? On ne peut pas aller contre le cours du temps, ceux qui tenteront de le faire finiront par être uni… »

« J'ai déjà suffisamment été punie non ? J'ai perdu ma sœur et j'ai vécu des mois dans la terreur pour avoir conçu la drogue qui nous a fait rajeunir… Alors je me sens en droit de toucher mes indemnités pour toutes ses souffrances en profitant pleinement de cette seconde chance. »

« Haibara, tu sait très bien que ce n'est qu'une illusion… Tu as beau avoir l'apparence d'une enfant, tu n'en es plus une… Tu ne récupérera jamais ce qu'ils t'ont volé, que ce soit…Akemi, ou ton enfance… La seule chose que tu peux leur reprendre, ce sont ces dix années de ta vie. »

Haibara garda le silence quelques instants avant de riposter.

« C'est vrai…Je ne récupérait jamais ce que j'ai perdu… Mais en faisant cet antidote, je perdrait tout ce que j'ai gagné en échange sans avoir une chance de le récupérer totalement, une fois m'a suffit… »

« Ce que tu as gagné en échange ? »

« Des amis, Kudo… Des gens qui tiennent à moi… Le professeur, Ayumi, Ran, les deux autres idiots… »

Pour une fois il y avait plus d'affection que de mépris amusée dans sa voix quand elle employa le terme d'idiot.

Conan se demanda un instant si son absence de la liste de ceux qui avaient réussis à acquérir l'amitié de la chimiste venait du fait qu'elle considérait que son amitié avec le détective allait de soi ou si, au contraire, elle ne l'avait jamais vu et ne le voyait toujours pas comme une personne digne de figurer parmi ses amis… Il aurait bien voulu lui poser directement la question mais la tristesse associée aux deux seules réponses qu'il pouvait recevoir l'en dissuada aussitôt.

« Tu as peut-être gagné quelque chose en échange des années que tu as perdu…Mais ce n'est pas mon cas… Je préfère perdre le peu que je gagne en conservant cette apparence que perdre ce que je pourrais récupérer si tu me donnais un antidote… Parce que contrairement à toi, je peut encore avoir une chance de regagner ce que j'ai perdu alors s'il te plait Ai…Haibara… »

Elle eut un énième sourire sans joie face aux paroles de Conan.

« Perdre le peu que tu as gagné… C'est tout ce que j…ce qu'ils représentent pour toi, kudo ? Qu'est ce que tu peux bien désirer qui te donne envie de renoncer à eux ? Je suis la première à reconnaître qu'ils sont parfois difficilement supportable mais lorsqu'ils auront atteint l'âge que nous avons perdu…Ce ne sera plus pareil…Non…Là, nous les auront vraiment perdu…Perdu une amitié si innocente, si sincère… Qu'est ce qui peut bien valoir plus que ça ? Ran ? Tu es toujours auprès de celle que tu aimes que je sache… A moins que le fait de l'avoir comme grande sœur ne te suffise plus, c'est cela ? Monsieur regrette de ne plus avoir assez d'hormone pour pouvoir en faire autre chose ? »

Conan rougit comme une pivoine face à la dernière phrase de la scientifique. Etait-ce de honte ou de colère, ou bien des deux ?

Toujours est-il que son état suffit à faire fléchir celle qui en était responsable.

« Excuse-moi…Je sait que…j'ai été trop loin…Mais tu pourrait comprendre que…Bon, excuse-moi…Ou ne m'excuse pas, mais, dans tout les cas, cesse de me regarder ainsi ! »

Conan se retint de sourire tant la maladresse des excuses témoignait de leur sincérité. Voir Haibara reconnaître ses fautes était rare… Trop rare… Il aurait pu profiter de cela pour remuer un peu le couteau dans la plaie et se venger ainsi de toutes les piques sarcastiques qu'elle lui faisait subir, de toutes les remontrances qu'elle lui jetait à la figure, de toutes les fois où elle s'amusait à le rabaisser. Mais il n'en fit finalement rien. Au lieu de cela…

« Oui, il y a une personne que je n'aime plus de la même façon que j'aime une amie, et que je n'aime pas non plus de la même façon que j'aimerait une sœur… Et tant que je resterais ainsi, je ne pourrais rien faire d'autre qu'attendre…Attendre qu'il soit trop tard et que trop de temps se soit écoulés pour qu'il puisse y avoir encore une chance pour qu'elle m'aime de la même façon… »

« C'est bon. Ne dit plus rien, j'ai compris… Je vais te donner cet antidote…Donne-moi juste encore quelque jours… »

Mais le ton désabusé de la chimiste était loin de s'accorder avec sa promesse soudaine de délivrer Conan de ses souffrances d'ici quelques jours.

« Non, tu n'as pas compris… »murmura le détective en secouant la tête tristement.

« Je te dit que s… »commença-t-elle à répliquer d'un air exaspéré avant d'être interrompue brusquement de la façon la plus inattendue pour elle comme pour Conan.

Le détective l'avait tout simplement fait taire en posant ses lèvres sur les siennes. Mais c'était loin d'être un chaste baiser. Ils avaient tout les deux quitté le monde de l'enfance depuis si longtemps qu'ils en comprenaient tout deux très bien la signification. Trop bien. Haibara ne fit rien pour le repousser soit parce qu'elle ne le pouvait pas, étant trop stupéfaite pour réagir de manière immédiate, soit parce qu'elle ne le voulait pas…

Le fait qu'elle avait commencé à répondre aux avances du détective en commençant à se livrer à la même exploration d'autrui que celle dont elle faisait l'objet plaidait en faveur de la seconde hypothèse. Conan savait que le charme finirait par être rompu, qu'elle allait reprendre ses esprit et lui faire payer ce geste de la pire des façons, probablement en le menaçant de renoncer définitivement à sa recherche d'un antidote…

Mais il s'en moquait, tout ce dont il avait conscience pour le moment, c'était de ses mèches de cheveux qui lui caressaient les joues… Cette fragrance acidulée qui s'en échappait, lui emplissant les narines d'une douce odeur… Elle utilisait un shampoing parfumé au citron ? Quoi de plus normal, après tout, ne disait-on pas que le premier amour avait un goût de citron ? Mais c'était surtout pour rappeler qu'il laissait un arrière goût acide derrière soi, et il savait qu'il allait en faire l'expérience dans un instant… Un instant qui arriva très vite… Bien trop vite… Mais il ne pouvait en être autrement, il fallait bien qu'ils finissent par reprendre leur souffle à un moment ou un autre. Levant son regard vers la chimiste en se préparant au pire, Conan eut la surprise de constater qu'il n'y avait aucune trace de colère dans ses yeux azurée où se reflétait son étonnement. Non, il n'y avait pas que de l'étonnement dans ce regard, une foule de sentiments y brillait… De la joie ? Oui, on pouvait le croire. Un sentiment d'égarement? Sans aucun doute. Du doute ? C'était plus que probable. De l'espoir ? Peut-être. Du désespoir également ? C'était certain…

Mais cet instant de flottement prît fin également, et un seul sentiment y demeura. De la résignation.

« Qu'est ce que tu voulait faire, Kudo ? Me faire comprendre ce que tu désirais ? Je n'avais pas besoin d'une démonstration technique, merci. Essayer de jouer sur mes hormones pour que j'aie une excellente raison de céder à tes supplications ? Tu t'y prends avec un peu d'avance, ce genre de tentatives ne pourra être efficace que dans quelques années. »

« Rien de tout cela… »soupira-t-il face au ton accusateur de son interlocutrice.

« Oh alors c'est autre chose ? Monsieur était trop timide pour que son premier baiser avec sa petite amie se solde par un fiasco alors il a préféré s'entraîner avec sa bonne amie Haibara ? Mais la moindre des choses c'est de demander la permission avant. D'un autre côté si tu l'avais fait, je t'aurais envoyé paître et tu devais le savoir. D'abord parce que, contrairement à ce que bon nombre d'adolescents immatures et obsédés s'imaginent, l'amitié entre fille et garçon n'implique pas ce genre de service et surtout parce que je ne suis pas ton amie, Kudo… »

« C'est vrai… »concéda Kudo.

Le sourire narquois de la chimiste se dissipa aussi vite qu'il était venu.

« Oui…Après tout, je ne l'ai jamais été, n'est ce pas ? » murmura-t-elle en détournant les yeux du détective.

« Qui a dit cela ? Tu l'as été quoi que tu puisse croire…C'est juste que… Je ne te vois plus comme ça maintenant… »

« Pourquoi ? Parce que je ne t'ai toujours pas donné cet antidote ? »

« je te l'ai dit, non ? Il y a une personne que j'aime mais ni comme une amie, ni comme une sœur… Mais de toutes façons, maintenant ou dans dix ans, cela ne sera jamais réciproque n'est ce pas ? »

Haibara garda le silence sans regarder de nouveau le détective.

« On dirait bien que oui… Alors renonce à fabriquer cet antidote si c'est vraiment trop difficile pour toi ou fabriques le si tu veut te débarrasser de moi au plus vite… Je crois qu'honnêtement, je m'en fiche complètement… Cela ne me ressemble pas de dire ça, hein ? »

Pour toute réponse, la chimiste s'empara doucement de la main du détective.

Il la regarda étonné avant de sentir qu'elle venait d'extraire quelque chose de la poche de sa blouse pour lui glisser dans cette main qu'elle gardait dans la sienne.

« Qu'est ce que c'est ? »murmura Conan incrédule en contemplant la boite de gélule qu'il tenait au creux de sa paume.

« Une boite de Pandore qui a enfermé tes espoirs trop longtemps…Alors ouvre là et récupère l'espérance que tu y a laissés avant qu'elle ne dépérisse. Je ne sais pas si tu était sincère ou non…Mais si c'est le cas, tu n'as plus besoin de te consoler avec le peu que tu as de la perte de ce que tu ne pensait ne plus jamais avoir…Oublie-moi, Kudo, et retourne la voir… »

« Depuis combien de temps ? »balbutia le détective estomaqué.

« Quel importance cela peut avoir ? Trop longtemps de toutes façon, non ? »

« Pourquoi ? »

« Pourquoi je te l'ai caché depuis tout ce temps ? J'aimerait te dire que c'est parce qu'il y avait encore le danger de l'organisation mais je l'ai achevé après que nous l'ayons détruite… La triste vérité c'est que cette boite contenait tes espérances, mais pour moi il n'y avait dedans que le désespoir alors j'ai préféré t'en dissimuler l'existence de peur que tu l'ouvres…Qui sait ? Tu aurais peut-être dû attendre réellement dix ans avant de regagner ta taille si tu ne m'avais pas fait changer d'avis… »

« Ce n'est pas ce que je te demande, Ai… Pourquoi est-ce que tu me la donnes maintenant ? »

La chimiste se mit à sourire tristement en baissant les yeux vers le sol.

« Qu'est ce que j'en sait ? Parce que je ne voulais pas d'un amour fondé sur le désespoir ? Que ce soit le tien ou le mien…Parce que j'en avais assez de porter ce poids plus longtemps ? Parce que je ne veux plus rien te cacher puisque je n'ai plus de raisons valables de le faire ? En ait-je vraiment jamais eu d'ailleurs ? Je n'en sait rien, Kudo, choisit l'explication que tu préfères… »

« Celle que je préfère, tu ne me l'as pas donné… Parce que tu m'accordes enfin ta confiance au point de prendre le risque de me perdre… »

Haibara poussa un soupir en entendant les paroles de Conan.

« C'est une explication trop romantique, Kudo… Elle ne me correspond vraiment pas… Si c'est l'idée que tu te fais de moi, je comprends que tu aies pu faire la bêtise de croire que tu pouvais être amoureux d'une personne en réalité si détestable… Regarde la vérité en face, tu disais toi-même qu'il n'y en a qu'une seule… Tu es un détective, alors choisis l'explication qui correspond aux indices que tu as rassemblés plutôt que celles que tu désirerais être vrai… »

« Je ne désigne un coupable que quand j'ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour démontrer son innocence, je ne me fie pas aux aveux trop rapide. Cesse de te rabaisser, Ai. »

Tout en parlant, le détective se rapprocha de la chimiste avant de la serrer contre lui.

Elle ne fit rien pour se dégager dans les premiers temps mais elle finit par lui murmurer quelque chose d'un ton qu'il ne l'avait jamais entendu utiliser auparavant…Un ton…suppliant?

« Arrête ça…Je t'en prie.. »

« Pourquoi ? »

« Je sait que je suit coupable envers toi… J'ai voulu arrêter le cours du temps pour te forcer à rester à mes côtés… Et si je veux être cohérente avec moi-même, je dois être punie pour ça… Mais s'il te plait, pas de cette façon… Si l'espérance devait rester enfermé dans cette maudite boite, c'était parce que c'était le pire de tous les maux, la pire de toutes les tortures… Ne me fait pas espérer, même un instant, que je pourrait avoir une chose que je peut pas avoir… Que je ne mérite pas d'avoir… N'ouvre pas cette boite de Pandore… Je t'ai laissé ouvrir l'autre, je te laisse ouvrir celle que je vient de te donner, mais n'ouvre pas la dernière qu'il me reste…S'il te plaît… J'ai déjà perdu ma sœur à cause d'elle en croyant que l'organisation l'épargnerait, ne l'ouvre pas de nouveau… »

« Je ne l'ouvrirait pas… »murmura doucement le détective, la forçant ainsi à lever les yeux vers lui.

« …parce que c'est à toi de le faire, Ai… Laisse l'espérance s'envoler… Laisse-lui une chance. C'est vrai qu'elle peut être trompeuse mais quelquefois… Elle ne l'est pas… Si tu ne prends pas le risque, si tu continues à fuir ce qui s'offre à toi, tu finiras par le regretter. Tu as écouté l'espérance en acceptant l'amitié de Ran puis celle d'Ayumi, tu l'as écouté aussi quand tu m'as laissé utilisé ce numéro… Est-ce que tu as regretté les conséquences de ces choix ? Non, alors tu vois que tu peux bien prendre le risque de l'écouter encore une fois… Je t'ai empêché de te laisser mourir dans ce bus et dans ces tours jumelles, mais si tu ne t'était pas décidé par toi-même à continuer à vivre en espérant qu'il y aurait une fin à ces malheurs, cela n'aurait fait que retarder l'échéance, c'est tout… »

Le silence demeura pendant de longues minutes, faisant osciller le cœur de Conan entre l'espoir et le désespoir. Qu'elle se décide à ouvrir cette boite ou à en jeter la clé, il espérait qu'elle lui ferait connaître sa décision au plus vite au lieu de le laisser plus longtemps plus longtemps dans l'incertitude. Si ce baiser était passé trop vite, cette attente passait trop lentement, est ce que le temps finirait par se dérouler comme il le voulait ?

« Kudo… »

« Oui ? »

« je ne t'ai pas encore autorisé à m'appeler Ai que je sache… »

Le détective se gratta la tête d'un air gêné.

« Eh bien j'espérait que peut-être… Tu m'autoriserais enfin à le faire… »

« L'espérance est souvent trompeuse, tu le sait… Mais… »

« Mais ? »

« Tu m'as appris qu'elle ne l'était pas toujours… Alors… »

« Alors ? »

« Nous pouvons bien essayer de la libérer de sa prison… Au moins essayer… »

Pour la première fois, son visage n'était pas le seul à exprimer de l'espoir tandis qu'il se regardait. Cette distance qui s'étendait entre eux, elle venait de disparaître… Elle s'était déjà réduite auparavant mais elle était toujours demeurée suffisante pour les séparer… Même pendant ce baiser, il y avait toujours eu ce désespoir de part et d'autres pour maintenir une barrière entre eux.

Est-ce qu'ils avaient vraiment fini par soulever le couvercle de cette boite? Et si c'était le cas, avaient-ils eu raison de le faire? En cet instant, il n'y avait qu'une seule réponse à ces deux questions pour lui. Oui. Et après tout, s'il n'y avait vraiment qu'une seule vérité comme il se plaisait à le dire, peut-être que cette réponse ne serait pas une illusion…