Le manga détective Conan appartient à Gosho Aoyama.

Chapitre 3

Cela avait beau eu faire presque trois mois qu'il était parti avec elle, il n'avait toujours pas réussi à trouver la moindre logique au voyage qu'elle leur faisait faire. Parfois leur séjour dans l'un des pays qu'ils visitaient ne durait que quelques heures mais il arrivait aussi qu'il s'étende sur plusieurs jours, voir semaines… Si la manière dont elle choisissait leur prochaine destination avait un semblant de cohérence, il aurait payé cher pour qu'on lui explique en quoi. Il était déjà arrivé que la moitié de la planète s'étende entre deux étapes de leur voyage, mais cela n'empêchait pas Ai d'exiger qu'ils repartent séance tenante vers une autre contrée, situé juste à côté de celle qu'il venait de quitter, après avoir passé à peine un après-midi dans celle où ils venait d'arriver.

Il en venait parfois à se demander si elle ne cherchait pas à semer ainsi d'éventuels poursuivants en s'arrangeant pour qu'ils n'aient aucun moyen de lui tendre une embuscade à leur prochaine destination. Craignait-elle que certains membres de l'organisation soient encore en activité et se soient lancés à leur recherche ?

La possibilité ne pouvait pas être totalement écarté certes, mais le regard de la chimiste n'avait à aucun moment de leur voyage exprimé la moindre terreur. Rien dans son comportement ne laissait envisager qu'elle puisse encore être tenaillée par la même peur insidieuse qui la rongeait quotidiennement du temps où le syndicat existait encore, et aucun de ses geste ne semblait être dicté par la même paranoïa qui l'avait incité auparavant à voir un assassin potentiel dans chaque inconnu dont le comportement déviait un tant soit peu de la normale.

Si le détective était obligé de reconnaître qu'elle avait un talent inné pour dissimuler ses émotions, il doutait fortement qu'elle puisse parvenir à continuer de le faire alors qu'ils ne se quittaient pratiquement plus depuis des semaines. Non l'explication devait se trouver ailleurs…

Que pouvait-elle essayer de fuir à part l'organisation en faisant son voyage ? Son passé ? Si la principale raison de son départ du Japon était le fait que ce pays resterait à tout jamais associé dans son esprit à la mort de sa sœur et à toutes les souffrances quelle y avait subi, elle n'aurait eu qu'à aller s'installer dans une autre pays. N'avait-elle pas vécu de nombreuses années aux Etats-Unis après tout ? Non, cela ne suffisait pas à expliquer ce voyage.

Mais peut-être se refusait-elle à demeurer trop longtemps au même endroit de peur de s'y attacher, de s'y faire de nouveaux amis auquel elle devrait renoncer comme elle avait dû le faire avec ceux qu'elle avait, de croire qu'elle pouvait y avoir trouvé un bonheur qui ne s'averrait n'être qu'éphémère ?

Etait-ce pour ça que son regard avait exprimé tant de doute après qu'il l'ait embrassé pour la première fois ? Parce qu'elle ne pensait pas qu'il puisse être possible qu'elle ait droit au bonheur ?

Shinichi soupira, si c'était elle-même qu'elle cherchait à fuir alors ce voyage n'était pas près d'avoir de fin.

Il se tourna vers elle, elle avait beau faire de son mieux pour paraître manifester autant d'émotions face aux lieux qu'elle visitait que s'il s'agissait d'une simple épicerie, il y avait toujours un moment où l'émerveillement et la curiosité finissaient par transparaître dans son regard. Dans ces rares moments, elle ressemblait à cette petite fille qu'elle avait dû être avant de le redevenir en absorbant son poison. Etait-ce parce que l'organisation l'avait maintenu cloîtrée dans leurs laboratoires tellement longtemps que le monde extérieur lui semblait empreint d'une telle nouveauté ? Elle réfuta cette explication à l'instant même où il lui posa cette question.

« Non. En fait, du temps où je collaborait encore avec eux, j'ai énormément voyagé. A un point que tu n'imagine pas… En fait, dès qu'un endroit quelconque dans le monde semblait lié, de près ou de loin, à leur projet, ils m'y envoyaient sur le champ. Que ce soit parce qu'on y menait des recherches sur une méthode qui permettrait de mettre fin au vieillissement prématuré ou parce qu'il était lié à je ne sait quel légende évoquant la possibilité de vivre éternellement… »

« Vivre éternellement… Ils ne t'auraient pas envoyé visiter l'île aux sirènes par le plus grand des hasards ? »

« L'île aux sirènes… Oui, ils m'y avaient envoyé aussi… J'avoue que j'avait fini par oublier ça, comment se fait-il que tu soit au courant ? »

« Le registre du temple de l'île porte encore le nom d'une certaine Shiho Miyano… Un détective compétent n'oublie jamais le moindre détail qui peut lui permettre de résoudre une affaire. »

Ai contempla un moment le détective qui s'obstinait à sourire face à son air énigmatique.

« Une affaire… C'est comme ça que tu me vois ? »

« J'avait bien dit à Ran que si j'était absent, c'est parce que j'était occupé à résoudre l'affaire la plus compliquée de ma vie, non ? Tu as oublié ? Je suit un…Comment disait-tu déjà ? Ah oui, un « pauvre idiot incapable de se rendre compte que Sherlock Holmes n'est rien d'autre qu'un personnage de fiction ». La seule chose capable de m'intéresser c'est un mystère que je ne peux pas résoudre. »

« D'ailleurs s'il n'y en avait pas eu un ce soir là, je serait probablement marié avec Ran aujourd'hui... »

Mais cette dernière phrase, il se contenta de la penser.

« Et tu es parvenu à te rapprocher de la solution de ce mystère après plusieurs mois d'investigations ? »murmura-t-elle sans que le ton de sa voix permette au détective de savoir si elle se sentait flattée ou offensée par la comparaison qu'il venait de faire.

« Non, il y a de nombreux point qui s'obstinent à demeurer obscurs dans cette affaire… »

« Lesquels ? »

« Par exemple, si tu as tellement voyagé, pourquoi est ce que le fait de visiter des pays étrangers te rend si enthousiaste ? »

« Enthousiaste, moi ? »

« Tout est relatif… Pour la plupart des gens, tu aurais l'air aussi joyeuse que la grille d'un cimetière mais pour un détective qui sait faire les bonnes déductions, à partir d'indices auquel peu de personnes accorderaient la moindre attention, tu as l'air aussi joyeuse qu'Ayumi en train de visiter un nouveau parc d'attraction… »

« Joyeuse… Alors tu crois que je suis heureuse en ce moment ? »

« Non, je ne le croit pas… »

Ai se tourna de nouveau vers le détective.

« …je sait que tu l'es. La seule chose que je ne sais pas, c'est pourquoi. »

« Si tu es un détective si compétent, essaie de le découvrir par toi-même… »

« Comment veut-tu que je le fasse si tu ne me donne pas plus d'indices ? »

« Plus d'indices… Est-ce que tu as déjà visité l'une des prisons où tu envoyais tes criminels, monsieur le détective ? »

« Non...Mais je ne vois pas le rapport… »

« Alors tu ne peut pas comprendre pourquoi je suit heureuse en ce moment… »le coupa-t-elle brusquement.

Shinichi garda le silence, devait-il se réjouir parce qu'elle avait reconnu, même indirectement, qu'il avait eu raison en affirmant qu'elle était heureuse ? Ou devait-t-il se plaindre qu'elle allait le rendre fou à continuer de s'évertuer à lui dissimuler des choses, même après la chute de l'organisation ?

« Tu donne ta langue au chat, on dirait, hein ? Mais comme c'est mon jour de bonté, je vais t'aider un peu… Imagine que tu es quelqu'un qui passe ses journées dans un réduit de quelques mètres carrés où le seul lien au monde extérieur est le paysage qu'il peut voir à travers les barreaux de sa cellule. Tu peux y arriver ? »

« Oui. »

« Dans cette situation, comment est ce que t'apparaîtrait ce paysage ? Quand bien même ce serait le plus banal qui soit, quand bien même tu l'aurait déjà vu un nombre incalculable de fois. Est-ce qu'il ne t'apparaîtrait pas comme quelque chose de magnifique ? Est-ce que ce ne serait pas la seule chose capable de t'apporter un peu d'espoir et de ne pas oublier qu'il y a un monde qui existe en dehors de ta prison ? Un monde dont tu te rends compte seulement maintenant à quel point il était précieux et à quel point ce qui t'apparaissait comme allant de soi était quelque chose de merveilleux ? »

« Oui, je suppose… »

« Et lorsque tu sortirait enfin de ta prison, est ce que tu ne serait pas émerveillé en contemplant de nouveaux ce monde qui t'accueille, à présent qu'il n'y a plus le moindre barreaux pour s'interposer entre toi et lui ? »

« C'est évident… »

« Alors, est ce que maintenant tu comprend pourquoi je suit heureuse en ce moment ? »

« Oui… Mais… »

« Mais ? »

« Est-ce que tu n'es pas aussi heureuse parce que tu peut partager cette joie avec quelqu'un ?»

« La partager… Mais si tu n'as pas vécu dans la même prison, tu ne peux pas avoir la moindre idée de la joie que je peux ressentir, Kudo. Contrairement à ce que tu peux penser, ce n'est pas le même monde que nous contemplons… »

« Est-ce que je n'ai pas partagé la même prison que toi? Alors pourquoi est ce que je ne pourrait pas comprendre ce que tu ressent ? »

Ai secoua la tête.

« Tu y resté quelques mois… Mois j'y suit resté plusieurs années… En fait, j'y aie pratiquement passé ma vie… Je suis trop loin pour que tu me rattrapes un jour, Kudo. Tu ne peut pas voir le même paysage que moi… »

« Est-ce que tu ne pourrais pas m'amener là où tu te trouve alors ? Que je puisse y contempler le même paysage ? »murmura le détective avec un sourire triste.

Depuis qu'il avait commencé ce voyage, à chacun des moments où cette distance qu'elle maintenait entre eux semblait se réduire, la métisse s'arrangeait toujours pour qu'elle réapparaisse au moment même où il pensait qu'il allait parvenir à l'étreindre. Etait-ce lui qu'elle essayait de fuir dans ce voyage finalement ?

« Je ne sait pas… Il fait froid dans cet endroit, tu sait, On s'y sent seule, loin des autres, très loin, trop loin… Quelque fois, on a l'impression d'étouffer tant l'air y est rare… Mais c'est pour ça qu'on peut y voir le monde sous un autre angle. Est-ce que tu es sûre de vouloir aller là-haut ? »

« Tu as peur que je me brûle les ailes à vouloir essayer d'y aller ? »

« Non… »

« Alors tu as peur que j'y meure de froid, c'est ça ? »

« Ce serait déjà plus probable… Mais non…Ce n'est pas ça qui me fait peur… »

« Alors, qu'est ce qui te fait peur ? »

Ai eût un sourire aussi sarcastique qu'énigmatique.

« Essaye de le découvrir, monsieur le détective. Si tu parviens à résoudre le mystère tout de suite, il n'y aura plus rien pour retenir ton intérêt dans cette affaire, non ? »

Bon, tout commençait à devenir clair. Ce voyage n'avait pas d'autre but que de le rendre fou. Il ne se terminerait que lorsqu'il se serait suicidé pour mettre fin à ses tortures ou lorsqu'il serait bon pour l'asile… Oui, c'était parfaitement logique, la connaissant, elle préférerait le tuer à petit feu jusqu'à ce qu'il la supplie de l'achever. Et en s'y prenant de cette façon, personne ne remonterait jusqu'au meurtrier du détective, un crime parfait, cruel et froidement planifié… Tout à fait son genre. Froidement planifié… C'est amusant mais cette pensée lui rappela cette vieille légende que son père lui avait raconté pour l'aider à résoudre une affaire…

Ce paysan qui avait rencontré une jeune femme égarée lors d'une tempête de neige. Pris de pitié ou tombé sous le charme de sa beauté, il avait proposé de la ramener chez elle en la transportant dans le panier qu'il portait sur son dos. Ils avaient parcourus un long chemin ensemble dans cette forêt impénétrable et recouverte de neige où ils s'étaient rencontrés. Et ce chemin, censé le mener à la demeure de la jeune femme, semblait ne pas avoir de fin… Allaient-ils parvenir à sortir de la forêt ?

Il y avait peu de chance pour cela puisque ce que le paysan naïf ignorait, c'est que la beauté qu'il transportait sur son dos était une femme des neiges… Un monstre inhumain, aussi froid que cruel, qui absorbait petit à petit la vie de sa victime au cours de cette longue marche épuisante dans la neige…

Oui, Ai aurait été parfaite dans ce rôle, et elle l'aurait trouvé parfait dans le rôle du paysan naïf et idiot qui allait mourir de sa main pour avoir voulu l'aider…

Comment la légende était-t-elle censée se terminer ?

Ah oui… Le pauvre paysan était loin de se douter du sort sinistre qui l'attendait. En fait, il ne s'était inquiété pour lui-même à aucun moment de ce périple. Au contraire, il n'avait cessé de s'inquiéter pour la jeune femme, lui demandant si elle ne souffrait pas trop de ce froid glacial, la suppliant de l'excuser de mettre autant de temps à trouver le chemin de sa maison, la suppliant de ne pas mourir avant qu'ils y soient parvenu, la rassurant en lui disant qu'il ferait son possible pour lui sauver la vie…

Lorsqu'au bout d'un moment, il n'eût qu'un silence glacial pour toutes réponses à ses sollicitations, il se retourna et eût la surprise de constater que sa passagère avait disparue. La seule trace qui restait d'elle dans le panier du paysan n'était qu'un peu de neige fondue…

Il chercha longtemps la jeune femme mais ce qu'il ignorait, c'est que la chaleur de ses sentiments avait fait fondre le cœur de glace de celle qui voulait prendre sa vie…

Etait-ce de cela qu'elle avait peur ?

« Ai ? »

« Qu'est ce qu'il y a, Kudo ? »

« Tu te rappelle ? Quand le professeur nous avait tous emmenés à la pêche ? »

« Oui… »

« Ce jour là, tu m'avait dit que tu comprenais les poissons. Quand je t'ai demandé pourquoi, tu t'es contenté de sourire sans me répondre, tu te souviens ? »

« Oui…Mais je n'imaginais pas que ce serait aussi ton cas. Pourquoi me demander cela maintenant ? »

« Parce que je croit que j'ai enfin compris ce que tu voulait dire ce jour là… »

« Vraiment ? »

« Lorsque tu as rejeté à l'eau ce minuscule poisson que tu avait pêché, je t'avais expliqué que tu aurait dû mettre ta main dans l'eau pour la rafraîchir avant de le faire. La chaleur de tes mains était trop élevée pour lui, elle aurait pu le brûler et l'affaiblir, au point qu'il ne parvienne pas à survivre en retournant dans la mer… Est que c'est la raison pour laquelle tu comprends les poissons ? Parce que tu penses que toi aussi, la chaleur humaine pourrait te brûler ? »

Le détective se mit à sourire face à l'air interloqué de Ai. Ainsi, il pouvait la surprendre de temps en temps, lui aussi.

« Kudo…Tu… »

« Oui, Ai ? »

« Je t'avait dit plusieurs fois que tu était un génie pour résoudre les affaires criminelles mais un idiot dès qu'il s'agissait de comprendre les sentiments des autres… Je retire ce que j'ai dit… »

« Vraiment ? Je ne suis pas un idiot alors ? »

« Non, c'est juste que tu es vraiment long à la détente… Il t'aura quand même fallu des mois pour comprendre… Ton cas n'est pas totalement désespéré mais il reste quand même désespérant… »

Cette fois, ce fût au tour d'Ai de sourire face à l'air estomaqué de Shinichi.

« Pourquoi est ce que tu fait toujours ça ? »

« Te rabaisser ? Mais parce qu'il faut bien que quelqu'un soit assez charitable pour te dire la triste vérité sur toi, Kudo… »

« Non, je ne parle pas de ça… Pourquoi est ce que chaque fois que cette maudite distance entre nous se réduit au point d'avoir presque disparu, tu te sens obligé de la rétablir aussitôt ? »

« Je croyait que tu avait compris, Kudo. Si je ne fais pas mon possible pour garder mes distances, je pourrais me brûler… »

« Alors les choses resteront toujours comme ça entre nous ? »

Ai partagea un court instant le regard mélancolique de son compagnon.

« Probablement… A moins que tu ne parviennes à garder ce petit poisson entre tes mains sans qu'il te glisse des doigts… »

« Mais si je fait ça, il mourra n'est ce pas ? Alors je n'ai pas d'autres choix que de le rejeter à l'eau… »

« Bien sûr… Tu as trop bon cœur pour le garder prisonnier au risque de le tuer… Pourquoi est ce que tu n'es pas plus égoïste, Kudo ? »

« Parce que si je l'était, celle que j'essaye de ramener dans son foyer finirait par me tuer… »

La chimiste écarquilla légèrement les yeux pour marquer son étonnement.

« Qu'est ce que tu veut dire par là ? »

« C'est à toi de le découvrir, non ? Pourquoi est ce que tu serait la seule à avoir ses secrets ? »

Le sourire du détective s'accentua devant l'air irrité de celui qui lui faisait face, avant de laisser la place à une expression plus désabusée.

« Mais je me le demande… Est-ce qu'elle a vraiment un foyer ou n'était-ce qu'un mensonge ? Si elle en avait un, alors peut-être que je pourrait y vivre avec elle sans qu'aucun de nous deux y perde la vie… »

« Tu me demande si j'ai un foyer, Kudo ? Mais tu sais bien que je n'en aie jamais eu. En tout cas, je n'en aie plus à présent… »

« Est-ce que c'est pour ça que tu as fait ce voyage ? Pour en trouver un ? »

« Peut-être bien… A moins que ce ne soit pour fuir celui que j'avais déjà… Ou pour t'emmener loin du tien… »

Ils gardèrent tout les deux le silence, jusqu'à ce qu'elle lui fasse signe, sans prononcer un mot, qu'elle désirait aller ailleurs.

Shinichi resta à ses côtés. Se demandant comment se terminerait la nouvelle version de la légende qu'ils étaient en train d'écrire.

Le paysan mourrait-il dans sa recherche d'un foyer pour accueillir la jeune femme, un foyer qui n'avait jamais existé ?

La femme des neiges mourrait-elle avant qu'il parvienne jusqu'à son foyer, s'il existait ?

Ou bien est-ce qu'il parviendrait à remplir sa promesse et à l'amener dans ce foyer pour y rester avec elle à tout jamais ?