Les personnages du manga détective Conan appartiennent à Gosho Aoyama.
Epilogue
Shinichi poussa un soupir devant l'air contrarié de celle qui partageait avec lui cette chambre crasseuse dans un hôtel qui devait plus attirer sa clientèle par la faiblesse de ses tarifs que par son confort. Si elle continuait de s'amuser à décider du déroulement de ce voyage de la même manière impulsive et irréfléchie, qu'elle ne se plaigne pas qu'ils en soient parfois réduits à loger dans ce genre d'établissement, faute d'avoir pu trouver de la place ailleurs…
Mais le détective n'eut pas le temps de continuer à ruminer ses griefs très longtemps puisque le vacarme qui avait commencé à se déchaîner dans la chambre située juste au dessus de leur tête accapara très vite ses pensées. Les deux voix qui retentissaient à travers le plafond avaient beau s'exprimer dans un anglais abominable, il n'avait nul besoin de comprendre les mots pour saisir le sens de la situation.
Il s'agissait d'un couple, un couple certes invisible mais il n'en demeurait pas moins audible, et comment ! Le détective n'avait qu'à fermer les yeux pour s'imaginer partager la même chambre qu'eux. Quand à l'objet de leur dialogue, si on pouvait appeler ça ainsi…
Si on lui avait demandé de décrire la scène tel qu'il l'imaginait, Shinichi aurait volontiers parlé d'un match de football. Et quel match !
Jamais, au cours de l'un de ceux auquel il avait assisté, il n'avait entendu de telles exhortations de la part des supporters pour encourager les joueurs, jamais il n'avait entendu de tel grognements de désespoir pour déplorer un but manqué de justesse, et s'il lui était arrivé en plein cœur des tribunes, de hurler des conseils à son équipe favorite sur la manière adéquate de corriger leurs erreurs, il ne l'avait jamais fait de manière aussi enthousiaste que ceux qui étaient en train de le faire en ce moment même.
Mais comme dans tout les matchs, ce n'était pas dans les tribunes que se déroulaient l'essentiel de l'action mais sur le terrain, et Shinichi n'avait pas beaucoup d'efforts à faire pour s'imaginer la ferveur et la détermination des deux équipes respectives qui s'affrontaient. Il pouvait aisément se mettre à la place des joueurs qui avaient fini par délaisser toutes les stratégies auquel ils avaient mûrement réfléchi avant le début du match pour s'abandonner à leurs seuls réflexes, pour obéir à l'impulsion du moment…
Une seule chose comptait à présent dans leur esprit, envoyer la balle au fond des filets de l'équipe adverse, ils avait beau hurler des directives à leurs partenaires pendant le jeu, ils se moquaient au fond qu'ils les entendent ou non, seul la perspective de la victoire accaparait leur attention.
Les prolongations durèrent encore quelques minutes mais le match finit par s'achever, sous les cris de joie des supporters.
Quelques instants plus tard, les joueurs, ayant achevés de reprendre leur souffle et s'étant remis de l'euphorie qui les avait gagné, quittèrent le terrain de jeu pour passer sous la douche, se débarrassant ainsi de la sueur accumulée tout au long de l'affrontement.
Les rires et les commentaires des sportifs, évoquant les moments les plus décisifs de ce qu'il venaient de vivre, continuaient de résonner dans la chambre quand Shinichi se tourna enfin vers Ai.
Il n'oublierait jamais l'expression de dégoût qui avait illuminé le regard dédaigneux qu'elle dardait, à travers le plafond, vers ceux qui avait fait irruption dans leur chambre sans prendre la peine de leur demander leur avis.
Du temps où elle vivait encore chez le professeur, il était arrivé à Shinichi d'essayer de lui faire partager sa passion pour le football. Etant donné que c'était la seconde passion du détective après les enquêtes, et qu'elle ne portait que peu d'enthousiasme à la première, il avait espéré que son sport favori réussirait à la détourner de ses moments de morosité de la même façon qu'il avait toujours réussi à le faire avec lui… Ce fût bien évidemment un échec complet. Le peu d'intérêt dont elle témoignait vis-à-vis de sa première passion se mua en mépris vis-à-vis de la seconde. Les rares fois où il avait suffisamment de courage pour essayer de la faire changer d'avis n'avait réussi qu'à le rendre d'humeur aussi détestable que la chimiste. Elle lui avait clairement fait comprendre qu'elle ne supporterait jamais cette débauche d'agressivité et d'impulsivité qui se déchaînait sur ces quelques mètres carrés de pelouse, et quand elle était d'humeur plus poétique, elle avait recours à des expressions plus fleuries pour illustrer son dégoût vis-à-vis de cette « holocauste volontaire de leurs facultés intellectuelles auquel se livraient les adeptes du culte du ballon rond lors de leurs grandes messes quotidiennes »…
Malgré ses diatribes, elle consentait néanmoins à l'accompagner lorsqu'il allait assister à un match avec leurs trois camarades de classe, mais il soupçonnait que c'était plus son énervement face à ses encouragements à essayer de ne plus se laisser aller au désespoir qu'un changement de point de vue sur le sport qu'elle n'osait pas reconnaître devant lui, qui l'incitait à agi ainsi.
Il n'était donc guère étonnant que les moments les plus intimes de leur relation était à des années lumières d'évoquer un match de football…
Ses moments là ressemblaient plutôt aux enquêtes qu'il menait avant de commencer ce voyage.
Pour forcer la vérité à se dévoiler devant lui, il devait d'abord rassembler patiemment les maigres indices qui pouvait le conduire jusqu'à elle, interroger patiemment le témoin qui prenait un malin plaisir à lui dissimuler les informations essentiels pour l'entraîner sur des fausses pistes, et enfin ne pas perdre son sang froid lorsqu'il se confrontait finalement au meurtrier pour lui faire avouer son crime. Abandonner ne serait-ce qu'un instant sa raison et sa maîtrise de soi pour s'abandonner à l'impulsion du moment et à ses désirs personnels, cela revenait à laisser l'assassin lui échapper… Non vraiment, cela n'avait rien de commun avec un match de football, si ce n'est peut-être qu'il s'agissait dans les deux cas d'un affrontement sans merci avec un adversaire déterminé à vous faire mordre la poussière.
En fait, si leur relation était une véritable guerre froide quotidienne où le moindre prétexte était bon pour démontrer sa supériorité à son vieil ennemi, alors ces moments là correspondait à ceux où plus aucun échappatoire n'était possible, ses moments où le conflit dégénérait au point de ne pouvoir se résoudre que par la violence la plus crue.
Mais même dans ses instants, qui parfois l'effrayaient autant qu'ils l'attiraient, sa petite amie, qu'il aurait tout aussi bien pu appeler sa vieille ennemie, gardait une totale maîtrise sur elle-même, planifiant sans hésitation et sans états d'âmes, de manière on ne peut plus réfléchi, la façon dont elle allait lui faire rendre grâce.
Les choses se dérouleraient-elle de cette manière s'il était resté avec Ran ? Non, bien sûr que non…
Avec Ran, cela aurait été beaucoup plus romantique, plus proche de l'idée qu'il s'en faisait. Il lui arrivait parfois, dans ses moments là, d'essayer d'imaginer comment les choses se seraient passées s'il les avait partagé avec son amie d'enfance plutôt qu'avec celle qui avait réussi à l'éloigner d'elle. Est-ce que cette question silencieuse était passé, ne serait-ce qu'un court instant dans son regard ? S'en était-elle aperçu ?
Peut-être… C'était sans doute la raison pour laquelle elle avait fini par s'arranger pour que leurs ébats se déroulent toujours dans l'obscurité.
Sans doute… Elle ne voulait pas voir sa rivale s'interposer entre eux au moment où ils étaient censés être les plus proches… A moins tout simplement qu'elle ne veuille pas lui laisser entrevoir ses rares moments de faiblesse où elle ne pouvait plus lui dissimuler l'étendue de sa dépendance à son égard.
C'était possible, depuis leur première rencontre, elle avait toujours agi ainsi, rien n'avait changé sur ce point.
Malgré tout ses efforts, la vérité qu'il avait toujours poursuivie ne se dévoilait jamais à lui complètement, préférant conserver une part d'ombre, peut-être pour l'inciter à continuer de la poursuivre inlassablement.
Etait-ce pour cela qu'il avait fini par la choisir au point de délaisser celle qu'il avait longtemps cru aimer ?
Même s'il avait parfois eu du mal à la comprendre par moment, il devait avouer que Ran ne lui avait jamais rien caché, sa timidité ne l'empêchant pas de rester sincère à son égard.
Il avait toujours été aux côtés de la jeune fille depuis leur plus tendre enfance, aussi n'y avait-il pratiquement eu aucun secret entre eux, avant ce jour fatidique où ils étaient allés à ce parc d'attraction ensemble. Oui, il connaissait Ran sans doute mieux qu'il ne se connaissait lui-même, et la jeune fille n'avait jamais été auréolée d'une aura de mystère.
Sa présence avait toujours été rassurante pour lui et pendant longtemps, elle avait été le point de repère le plus stable de son univers. Celle qui l'avait accompagné dans les moments les plus important de sa vie depuis sa naissance et qui aurait du continuer à le faire jusqu'à sa mort…
Ai quand à elle, avait toujours été précédée de cette sensation d'inquiétante étrangeté qu'elle avait suscité chez lui dès leur première rencontre dans cette salle de classe, et qui ne l'avait jamais vraiment quitté… Même si entre-temps, il lui était arrivé d'entrapercevoir quelqu'un d'autre qui se dissimulait derrière, quelqu'un de beaucoup plus sensible et vulnérable, une petite fille qui même si elle ne le reconnaîtrait jamais vraiment, désirait plus que tout se rapprocher des autres, ces autres qu'elle maintenait à distance de peur de se blesser à leur contact.
Shinichi s'était parfois demandé laquelle de cette facette correspondait à sa véritable personnalité, celle froide cynique et désabusé qu'elle présentait au monde, ou bien cette autre qu'elle s'efforçait de dissimuler ? Il avait fini par comprendre que ses deux personnes n'en avaient jamais formé qu'une et que, malgré tous ses efforts pour les dissocier, il devrait vivre avec chacune d'elles.
Nul ne le savait mieux que lui, la vérité ne serait jamais quelque chose de lumineux et de rassurant, c'était une chose terrifiante qui se dissimulait dans les ténèbres de peur qu'on ne voie son vrai visage… Mais peut-être craignait-elle plus de blesser les autres en le leur dévoilant qu'elle ne craignait d'être blessé elle-même par leurs réactions lorsqu'il le découvrirait ?
Pour le détective, la vérité avait toujours été quelque chose de dissimulée dans l'ombre, une personne que l'on rencontrait toujours dissimulée par un voile, une personne qui était toujours demeurée dans un monde d'atrocités sanglantes et de trahisons… Une personne vers qui il s'était toujours senti attiré sans comprendre pourquoi et qu'il avait fini par aimer à force de la fréquenter…
Etait-ce pour cela qu'il avait fini par choisir Ai plutôt que Ran? Parce qu'il préférerait toujours la compagnie de la vérité, aussi effrayante et décourageante puisse-t-elle être par moment à celle, beaucoup plus rassurante, des apparences qui parvenait à nous persuader que le monde était un endroit où il valait la peine de vivre ?
Il avait toujours cru que sa vie avait été indissolublement liée à celle de Ran depuis leur enfance mais peut-être qu'il s'était finalement trompé ? Peut-être avait-elle toujours était liée à celle qu'il avait toujours poursuivi sans le savoir avant même de l'avoir rencontré… Etait-ce Ai qu'il avait cherché derrière chacun des mystères qu'il avait résolu depuis qu'il avait été en âge de marcher sur les traces de son idole ?
Ne l'avait-il pas toujours dit ? Il n'y a qu'une seule vérité. Avait-il poursuivi une seule et même vérité pendant toutes ces années, et avait-il enfin réussi à la trouver ?
Mais même si c'était le cas, il savait qu'il ne parviendrait jamais à s'emparer d'elle, il la poursuivrait sans doute jusqu'à sa mort cette vérité si chère à son coeur.
Il l'avait appris depuis longtemps au cours de toutes les affaires qu'il avait résolu, la vérité garderait toujours une part d'ombre, elle se déroberait toujours au moment où il croirait enfin l'avoir saisi totalement. Pour chaque mystère résolu, un autre se présenterait pour le remplacer…
Alors sans doute devait-il s'habituer à ce que cette distance entre eux ne disparaisse jamais… Sauf lors de ses courts instants… Ses courts instants qui suivaient toujours lors de la résolution d'un mystère… Ce moment où il avait franchi ce gouffre qui lui paraissait l'instant d'avant infranchissable, ce gouffre qui le séparait de la vérité…
Ces moments comme celui qu'il vivrait dans la chambre d'un autre hôtel bien après qu'il ait quitté celui-ci.
Ce moment où le regard de cette petite fille n'exprimerait rien d'autre que de la tendresse lorsqu'elle se serrerait contre lui.
L'un de ses moments qui l'amenait à se demander si c'était le désir qu'ils éprouvaient l'un pour l'autre qui amenait parfois les hommes et les femmes à partager le même lit ou bien tout simplement le désir de serrer quelqu'un contre soi… Le simple désir de ressentir une affection et une tendresse qui, pendant un court instant, était dépourvu d'arrières-pensées.
C'est à ce moment là qu'elle lui dirait que ce voyage était terminé… Ce voyage dans le monde mais non pas celui qu'il continuerait de faire ensemble dans cette vie malgré les doutes et les souffrances.
C'est à ce moment là aussi qu'il connaîtrait la fin de la légende qu'ils avaient commencé à écrire ensemble. Avoir un foyer, ce n'était pas avoir un endroit pour vivre, c'était avoir une personne qui vous attende quelque part… Une personne qui serait toujours là pour vous accueillir malgré tout ce qui avait pu se passer et tout ce pourrait se passer dans l'avenir.
De ce point de vue là, peut-être qu'il avait fini par trouver un foyer pour elle, aussi bien que pour lui-même… Un foyer où ils pourraient désormais vivre ensemble…
----:----
Blablabla inutile de l'auteur : Bon eh bien, cette fois c'est la fin de l'histoire… En tout cas de celle-là, pas de celle vécue par ses deux personnages principaux… : )
Et…Ö joie, c'est la première fic en plusieurs chapitres que je termine… Et comble de bonheur, c'est une fic Conan/Ai… : D
En tout cas, je suit content, je voulait faire une fic qui soit romantique sans être mièvre et je croit avoir à peu près réussi… Enfin ça c'est au lecteur d'en juger, j'imagine… ; )
Sinon, dernière chose à préciser…La…hum…disons « métaphore ô combien schopenhauerienne du match de football », oui ça sonne bien dit comme ça, m'a été inspiré par un passage d'un roman de William Styron, Le choix de Sophie, que j'ai en grande partie repris au début de cette épilogue…Xp
