La mâchoire serrée, Lily allongea ses jambes sur le carrelage froid des toilettes. Elle avait tapé si fort contre la porte que ses mains étaient rouges et enflées, mais ce n'était pas le pire. Elle était en colère contre elle-même, et il y avait cette horrible angoisse en elle, plus écrasante que celle qu'elle avait pu ressentir dans la nuit.
A quel point est-ce que l'équipe lui en voulait ? A quel point est-ce que James lui en voulait ? Elle avait pleuré de rage pendant un moment parce que ce sentiment d'impuissance qu'elle ressentait l'avait rendue folle, et puis elle avait fini par se rasseoir et par essayer de se calmer, de rassembler ses sanglots et de réfléchir, mais tout ce qu'elle avait essayé pour sortir de cette prison avait été un échec.
Et puis il y avait ce balai typiquement moldu que les serpentards avaient laissé dans les toilettes qui lui faisait face. La cerise sur la gâteau. Elle entendait leurs mots, encore et encore, et elle détestait qu'ils tournent toujours dans sa tête comme si elle leur donnait de la valeur, mais ils étaient tout ce qu'elle redoutait, et cela allait bien plus loin que ce qu'Avery, Mulciber, ou Carrow n'imaginaient.
Depuis qu'elle avait reçu sa lettre d'admission à Poudlard la toute première année, sa plus grande peur avait été qu'il n'y ait aucune place pour elle dans le monde. Elle était une sorcière qui vivait dans une famille de moldus. Elle était une fille de moldus dans une école de sorciers. Comme une pièce de puzzle qui s'était échappée de sa boîte. De là où elle se tenait, elle ne voyait pas le tableau final, elle ne trouvait pas le minuscule emplacement fait pour elle, et ils venaient de le lui rappeler.
Chez elle, Pétunia n'avait de cesse de lui répéter qu'elle n'était pas normale. A Poudlard, Avery et sa clique sautaient sur toutes les occasions qui se présentaient à eux de lui faire savoir qu'elle n'était pas spéciale. Leurs propos étaient véritablement plus odieux que cela, mais c'était de cette façon qu'elle parvenait le mieux à illustrer son mal être. C'était comme si elle était bloquée dans un entre deux, un fossé qui marquait la ligne distinctive entre deux mondes, et qu'elle ne pouvait escalader aucun des deux côtés. Elle se sentait sorcière autant qu'elle se sentait moldue, mais ils lui donnaient l'impression de n'être ni l'un, ni l'autre.
Elle s'était efforcée de garder Severus hors de son esprit, mais il y revenait inexorablement et la déception la submergeait avec la peine et la rancœur. Ses yeux se braquèrent une nouvelle fois sur le balai, et elle finit par mélanger les deux visions et par s'inventer un futur dans lequel elle cassait le manche sur le crâne du serpentard. De façon surprenante, ce fut la seule chose qui eut une influence positive sur son humeur.
« Lily ?
- Lily ? Tu es là dedans ?
- Rémus ? Peter ?! s'exclama t-elle en bondissant sur ses pieds alors que la poignée de la porte bougeait dans tous les sens.
- Alohomora, entendit-elle.
- J'ai déjà tout essayé. Je ne sais pas ce qu'ils ont utilisé, je...
- Poussez-vous. »
Cette fois, il ne s'agissait ni de la voix de Peter, ni de celle de Rémus, et Lily eut l'impression que son sang venait de se mettre à bouillir dans ses veines quand, après quelques vagues chuchotements dont elle ne parvint à discerner aucun mot précis, la porte des toilettes s'ouvrit et qu'elle se trouva face à Severus Rogue.
« Espèce de crétin ! vociféra t-elle. »
Rémus l'attrapa par la taille alors qu'elle se ruait sur le serpentard, et son élan lui fit faire un tour complet sur lui même. Elle remarqua à peine que la baguette de Peter était pointée sur le garçon aux cheveux noir.
« De rien, déclara t-il d'une voix froide.
- De rien ?! répéta t-elle, rouge de colère. Je les ai entendus dire que c'était ton idée !
- Et tu ne te demandes pas une seule seconde quelle était la leur ? »
Le mépris dans sa voix lui fit l'effet d'une douche froide. Elle lui jeta un regard révolté, puis se dégagea doucement de l'étreinte de Rémus, et alors qu'elle s'apprêtait à partir droit vers le terrain de quidditch, elle sentit la main froide du serpentard essayer de se refermer sur son poignet qu'elle dégagea aussitôt.
« N'y pense même pas, siffla t-elle entre ses dents. »
Elle sprinta sans regarder en arrière parce qu'il n'y avait pas une minute à perdre et qu'elle n'avait jamais autant voulu attraper ce foutu vif d'or de sa vie. Tant pis si ses jambes étaient tremblantes et si ses mains la faisaient souffrir, elle arracherait la victoire aux serpentards.
Malheureusement, elle constata en traversant le parc qu'il était trop tard. Le match avait déjà débuté, et la boule dans sa gorge se mit à enfler jusqu'à lui faire un mal de chien et l'empêcher d'émettre le moindre son. Elle accéléra l'allure jusqu'à arriver devant les tribunes, et à ce moment là seulement, elle la vit.
Daisy Hookum, en train de fendre l'air sur son balai. Daisy Hookum, en train de frapper dans la main de Sirius après une belle action. Daisy Hookum, vive et méthodique, ratissant efficacement le terrain jusqu'à apercevoir la petite balle dorée. Daisy Hookum, indéniablement meilleure qu'elle, et à l'intérieur de son corps, ses entrailles, comme pulvérisées.
Elle avait la drôle de sensation que l'on venait de la cribler de cognards, et pendant quelques secondes, il lui fut impossible de respirer.
« Deux cent trente à soixante-dix, c'est ce que l'on appelle une écrasante victoire ! s'exclama Benjy Fenwick, debout sur une table de la salle commune en brandissant une choppe de bièraubeurre en l'air au milieu des sifflements et de la musique. »
Lily, assise sur la marche la plus haute des escaliers du dortoir, regarda les joueurs s'étreindre, l'estomac noué. Hookum était absolument radieuse, et lorsque James la prit à part et lui donna une tape affectueuse dans le dos, Lily considéra qu'il s'agissait de son signal pour aller s'enfermer dans sa chambre. Elle doutait avoir été aussi écœurée un jour.
« Evans ! l'appela Sirius, et elle fut tentée de l'ignorer, mais elle n'avait aucune envie que ses coéquipiers puissent penser un seul instant qu'elle n'était pas positivement ravie qu'ils aient gagné. »
Elle l'était. Au fond, elle l'était. Elle les avait félicité quelque part entre la fin du match et les explications qu'elle avait dû leur donner à eux, puis au professeur McGonagall qui avait eu le plus grand mal à retenir la totalité de l'équipe, à l'exception de Daisy, de fondre dans les vestiaires des serpentards baguette à la main. D'autres professeurs étaient intervenus, et les fautifs avaient été appelés à se rendre dans le bureau du directeur de l'école dès leur départ du terrain pour fournir leur propre version des faits, mais rien dans le brouillard de tout ce qu'il s'était passé ne pouvait réconforter Lily.
« Tu ne vas pas m'obliger à braver les enchantements pour venir te chercher, n'est-ce pas ? reprit-il en haussant les sourcils.
- Je doute que ce soit possible, lui fit-elle remarquer, les bras croisés contre sa poitrine.
- Et tu crois que ça peut m'arrêter ? l'interrogea t-il en entamant un mouvement pour monter les escaliers.
- Merlin, tu vas te casser une jambe, espèce d'idiot, pesta t-elle quand les marches se transformèrent en toboggan sous ses pieds et qu'il glissa.
- Je me casserai les deux pour toi, Evans, scanda t-il, à quatre pattes par terre. »
Elle leva les yeux au ciel et décida qu'il valait mieux qu'elle descende avant qu'il ne se retrouve vraiment à l'infirmerie. Dès qu'elle arriva à sa hauteur, il enroula son bras autour de ses épaules et l'emmena chercher un verre au milieu de la pièce. Plusieurs « Ca va, Lily ? » lui parvinrent aux oreilles, ainsi que quelques commentaires indignés concernant Avery et sa clique, et elle se contenta d'acquiescer tout en laissant Sirius l'entraîner avec elle.
« Merde Evans, je suis désolé pour tout ça, lui confia t-il lorsqu'ils eurent pris un peu de distance avec l'énorme groupe agglutiné au centre de la salle commune. »
C'était la première fois qu'elle l'entendait s'excuser en ayant l'air réellement sincère. Ses yeux gris étaient teintés de colère et de remords, et elle accepta son étreinte sans lutter. C'était probablement la quinzième ce soir là, parce que Marlène et Mary s'étaient senties si coupables qu'elles n'avaient pas daigné la lâcher pendant une heure entière.
« Elle a été rapide, hein ?
- Hmm ?
- Daisy, répondit-elle en relâchant son étreinte en même temps que lui. Qu'est-ce qu'ils ont dit, déjà ? Cinquante deux minutes, c'est ça ?
- Il n'y avait pas de résistance en face, Lily, et tu es capable de faire mieux aux entraînements, tenta t-il de la rassurer immédiatement.
- C'est différent d'un match.
- Elle était exténuée au bout d'une demie heure, James a dû prendre un temps mort. Elle n'aurait clairement pas tenu pendant trois heures. »
Elle haussa une épaule, peu convaincue, alors que ses yeux ne cessaient d'être attirés vers ce coin spécifique de la pièce où leur camarade se trouvait en compagnie du capitaine qui semblait avoir énormément de choses à lui dire. Pourquoi est-ce qu'elle n'arrivait pas à être plus contente pour l'équipe ? Pourquoi n'était-elle pas capable de célébrer cette victoire comme elle aurait dû le faire ?
« Cette fête aurait dû être annulée, pesta Marlène qui surgit devant eux, tenant toutefois un verre entre ses mains.
- Au contraire, McKinnon. C'est le moment parfait. Tu sais, boire pour oublier, tout ça.
- Boire pour oublier quoi ? Que ces espèces de tarés ont littéralement séquestré notre amie et... »
Lily n'écouta pas la fin de la tirade de Marlène, elle décida de traverser à nouveau le groupe dans l'espoir de pouvoir enfin disparaître et s'échouer sur son lit, un livre entre les mains, mais c'était sans compter sur James, qui était absolument la dernière personne à laquelle elle voulait parler.
« Lily ! »
Elle grimaça et pivota vers lui retirant son pied de la première marche des escaliers mais gardant ses doigts solidement cramponnés à la rampe comme pour lui faire comprendre que la discussion n'allait pas s'éterniser.
« Bravo pour le match.
- Dis ça aux autres. J'ai été lamentable.
- Qu'est-ce que tu veux ? l'interrogea t-elle sur un ton un peu plus las qu'elle l'aurait voulu, et il eut l'air absolument misérable.
- Qu'est-ce que j'étais supposé faire ?
- N'importe qui, Potter, souffla t-elle de façon à ce que personne d'autre que lui ne puisse l'entendre. Tu pouvais choisir n'importe qui. »
Et tu l'as choisie elle, pensa t-elle sans pour autant prononcer les mots, mais il lui sembla qu'elle n'en avait pas besoin. Il passa une main dans ses cheveux, cette fameuse manie de ses quinze ans qui s'était transformée en un tique nerveux, et elle profita du fait qu'il ne trouve rien à lui répondre pour disparaître dans le tourbillon de marches.
Dès que la porte claqua derrière elle, elle inspira profondément et secoua bizarrement ses bras comme si elle cherchait à se débarrasser de tout ce ressentiment qui la rongeait. Quelque part, elle comprenait le choix de James. Daisy avait incontestablement été la meilleure aux sélections, mais elle n'était pas la seule à être bonne. Dave Goujon avait un jeu tout à fait honorable. Elle détestait le fait qu'il se soit tourné vers elle, qu'elle ait pris sa place, et qu'elle ait essayé de croiser son regard toute la soirée juste pour lire sur son visage à quel point elle en était blessée. Daisy se nourrissait de ce genre de moments.
Lily l'insulta au milieu de son dortoir vide, profitant du fait que personne ne puisse l'entendre. Elle ne pouvait même pas expliquer son comportement à qui que ce soit sans avoir l'air d'être cette terrible personne qui ne parvenait même pas à se réjouir de la victoire de son équipe. C'était encore pire. C'était comme se faire dévorer de l'intérieur.
« Est-ce que tout va bien, Evans ? »
Elle fit un demi-tour sur elle-même et tomba nez à nez avec l'une de ses camarades, une jeune femme blonde au visage rond qui passait tout son temps soit avec Emmeline Vance, soit avec Frank Londubat.
« Je suis désolée, Emmie m'a demandé d'aller lui chercher une veste, je ne savais pas qu'il y avait quelqu'un, reprit-elle en commençant à refermer la porte.
- Non, non, entre Alice, j'allais juste... Me coucher, bredouilla Lily en passant sa main sur son visage. »
La jeune femme hocha mécaniquement la tête et traversa la chambre jusqu'à s'arrêter devant l'armoire d'Emmeline. Elle fouina un instant jusqu'à en sortir un cardigan blanc cassé, et rebroussa chemin vers la porte avant de s'arrêter, puis de se retourner vers Lily qui était en train d'étendre son édredon sur son lit.
« Pour ce que ça vaut, je ne l'aime pas tellement non plus. »
La préfète en chef tourna la tête vers sa camarade tout en lui jetant un regard interrogateur, et Alice lâcha la poignée de la porte pour s'avancer vers le centre de la pièce, un peu hésitante. Lily l'avait toujours connue timide, mais elle savait qu'Alice était une chouette fille. Elles avaient deux groupes d'amis différents, et elles ne faisaient globalement que se croiser, mais les rares fois où elle lui avait parlé, elle s'était demandée comment qui que ce soit dans ce monde pouvait être aussi purement gentil.
« Hookum, précisa la jeune femme blonde en grimaçant. Elle et Purkiss me collaient tout le temps des bavboules dans les cheveux en cinquième année.
- Pourquoi est-ce que ça ne m'étonne même pas ? soupira Lily. Je suis désolée, Alice.
- C'est passé, répondit-elle en haussant les épaules, mais ça ne m'empêche pas de ne pas la porter dans mon cœur. Je suis sûre que tu aurais été bien meilleure qu'elle aujourd'hui si tu avais pu jouer.
- C'est absolument adorable, mais je ne le crois pas.
- Tu dis ça parce que tu n'as vu qu'une partie du match. Elle ne comprenait pas la moitié des instructions que Potter donnait.
- Parce qu'elle n'a pas fait les entraînements.
- Peu importe. C'est vers toi, que le choix de Potter s'est porté, et je pense que tu devrais t'efforcer de t'en souvenir. »
Lily ne répondit pas parce qu'elle savait pertinemment où les mènerait cette discussion. Elle avait eu la même avec Marlène et avec Mary. La même avec James aussi. Pourtant, elle ne pouvait pas s'empêcher de penser qu'elle n'était pas légitime, et la prouesse de Hookum ne faisait que confirmer ses craintes.
« Tu as manqué à Frank sur le terrain en tout cas, et il s'en voulait d'avoir un peu mis la pression à James pour trouver une solution. Tu comprends, ils avaient McGonagall sur le dos, et faire un forfait sur le premier match de la saison, et en plus contre Serpentard, c'était...
- Inenvisageable, compléta Lily en acquiesçant. Il fallait le jouer, je suis entièrement d'accord. »
Le problème n'était clairement pas dans le fait que le match ait eu lieu sans elle. Au contraire, elle en était même soulagée. Le problème résidait surtout dans l'identité de la personne qui l'avait remplacée, et la simple apparition du nom dans son esprit lui redonna la nausée. Aveuglée par sa déception, elle n'avait même pas eu le temps de penser au fait que James avait été le premier à s'inquiéter pour elle et à envoyer quelqu'un à sa recherche, mais le fait qu'elle y songe à ce moment précis ne lui fut toutefois d'aucun réconfort. Elle lui en voulait, et comme si Alice l'avait entendue penser, elle reprit la parole.
« James a fait le pire match de sa vie. Je ne suis même pas certaine qu'il ait marqué un seul but. Frank m'a dit qu'il ne l'avait jamais vu aussi soucieux. Est-ce que c'est parce qu'il y a quelque chose entre vous ?
- Non, répondit automatiquement Lily en sentant l'embarras lui monter aux joues. Juste amis, on est juste amis, bredouilla t-elle.
- Vraiment ? J'aurais juré que...
- Al' ? Est-ce que tu t'es perdue dans mon armoire ?! s'exclama Emmeline Vance tout en ouvrant la porte en grand. Oh, tu vas déjà te coucher, Lily ?
- J'ai un peu mal à la tête, lui expliqua t-elle en essayant d'éviter le plus possible le regard curieux d'Alice.
- J'espère que Dumbledore va exclure ces idiots pour ce qu'ils ont fait.
- J'en doute. C'est leur parole contre la mienne.
- Il paraît que c'est Rogue, qui t'a ouvert ? Visiblement, ils ne sont pas tous à jeter, conclut Emmeline avant de lui adresser un signe de la main et de redescendre, Alice sur ses talons. »
Lily se laissa tomber sur son matelas avec cette pensée en tête. Elle l'entendait encore lui dire qu'elle n'avait aucune idée de ce que ses amis avaient prévu pour elle à la base, comme s'il était intervenu pour la tirer d'un mauvais pas, comme s'il était le véritable héros de l'histoire, et la vérité, c'était qu'elle n'était pas certaine de savoir quoi en penser.
Et de toutes façons, peut-être que cela n'avait pas d'importance. Ils n'étaient plus amis pour une raison précise, et cette raison précise était toujours d'actualité. Il avait choisi son camp, et elle ne se serait ralliée à sa cause pour rien au monde. Il pouvait se pointer devant la salle commune comme il l'avait fait plusieurs fois l'année précédente pour essayer de la convaincre de le rejoindre tout en lui disant que c'était le seul moyen pour qu'il la protège, cela ne changerait rien. Ce n'était pas ce qu'elle attendait de lui.
Il avait d'ailleurs une sacrée chance qu'elle soit trop occupée à en vouloir à James pour se pencher sur son cas. Il avait eu l'idée des toilettes. Peut-être que les autres avaient pensé à pire, mais il avait décidé de l'enfermer là. Il savait la trouver quand il s'agissait de lui vanter les mérites de son camp et de lui assurer que personne ne lui ferait du mal, mais il n'était plus là quand il s'agissait de la prévenir que ses amis préparaient un sale coup.
