« Et c'est une nouvelle faute pour l'équipe de Flaquemare ! Décidément, il semblerait que Smith cherche la collision aujourd'hui ! s'exclama la commentatrice du match.
- Alors, quelle équipe est la plus violente, maintenant ? demanda James à Lily en se penchant légèrement vers elle sans pour autant quitter le terrain des yeux.
- Ce n'est pas parce que Smith a fait un boutenchoc qu'ils sont violents, répondit-elle en levant les yeux au ciel.
- Dois-je te rappeler qu'il y a eu un hochequeue tout à l'heure ?
- Ce n'était même pas si clair.
- Oh maintenant tu es de mauvaise foi, Evans. »
Cette fois il posa ses yeux sur elle, et son sourire eut raison de sa répartie. Elle se contenta de plaquer sa main sur son visage pour le repousser légèrement, ce qui eut le mérite de le faire rire. En une semaine de vacances, elle avait presque oublié à quel point il lui rappelait constamment qu'elle n'était pas personne.
Lily détestait quand la maison de ses parents était silencieuse. C'était au moment où il n'y avait plus eu de bruit que tout était parti de travers, quelques jours après qu'elle ait reçu sa première lettre pour Poudlard, quand les vacances de ses parents s'étaient terminées et qu'elle s'était retrouvée seule chez elle avec Pétunia, que sa mère n'était plus en train de tricoter devant la télévision et que son père n'était plus en train de cuisiner.
Sa sœur ne lui parlait plus. Ou en tout cas le moins possible, et pour la première fois, elle s'était retrouvée seule dans une maison silencieuse, et ses angoisses avaient commencé à apparaître et la suivaient toujours depuis.
Elle espérait constamment que chaque vacance serait l'exception à la règle, que les choses avec Pétunia se tasseraient enfin, mais elle s'était mise à la détester en retour pour tout ce qu'elle lui faisait subir, et elle savait que ce n'était pas ce que l'on attendait de deux sœurs. Elle savait que la relation n'était ni normale, ni saine, et elle s'en voulait pour des choses qui n'étaient même pas de son ressort.
Elle avait essayé d'en parler à ses parents, mais ils ne comprenaient pas. Ils n'entendaient pas tout, n'étaient pas au courant de la moitié des choses qui se passaient sous leur toit, et il était compliqué pour elle de leur faire comprendre que leurs filles ne s'aimaient pas comme elles étaient supposées s'aimer.
Allongée sur le dos sur son lit, la dernière lettre de James partiellement repliée sur son ventre, elle soupira. Elle devait le rejoindre une heure plus tard chez lui. Elle allait enfin respirer, elle allait enfin retrouver des gens qui l'acceptaient comme elle était, elle allait enfin avoir de nouveau l'impression d'être quelqu'un.
Elle bondit de son matelas, et fouilla dans son armoire pour en sortir le tee-shirt du Club de Flaquemare qu'elle avait acheté pour l'occasion avec l'intention claire de faire hurler Sirius et James parce qu'elle en tirait toujours une certaine satisfaction qu'elle mettait sur le compte de leur relation passée.
Elle l'enfila puis descendit les escaliers pour aller se faire à manger dans la cuisine, et elle constata en esquissant un geste pour mettre l'étiquette de son tee-shirt à la poubelle que Pétunia avait jeté toute la nourriture qu'elle avait cuisiné en trop. Elle avait l'habitude que sa sœur s'arrange pour ne rien lui laisser dès que leurs parents étaient absents, mais ce n'était pas encore une chose contre laquelle elle savait émotionnellement se protéger. Il y avait toujours une partie d'elle même qui le prenait de plein fouet.
Elle fixa la nourriture au milieu des ordures d'un air absent pendant plusieurs secondes avant de reprendre ses esprits et de faire toaster des tartines, puis elle se brûla en posant ses deux mains sur la cafetière pour vérifier qu'elle était pleine. Elle dut admettre, les paumes de mains sous le torrent d'eau froide du robinet, que ce n'était pas l'idée la plus brillante qu'elle ait eue, mais au moins elle pouvait maintenant se réjouir du fait que Pétunia ne s'était pas débarrassée de tout.
Elle éteignit le robinet et se pencha pour se saisir du pot entamé de beurre de cacahuète dans le placard du bas. Parfois, elle avait l'impression que ses gestes étaient mécaniques quand elle était chez elle. Globalement, elle essayait de faire profil bas, attendant juste la fin des vacances pour pouvoir retourner à Poudlard.
Elle aurait pu y rester. Elle l'avait parfois fait, mes ses parents lui manquaient. Ils n'étaient pas parfaits, leur communication avec leurs deux filles laissait grandement à désirer, mais elle ne pouvait pas vraiment les en blâmer. Elle doutait qu'un seul parent ne puisse trouver une solution à leur problème.
Comme si elle l'avait entendue penser, Pétunia débarqua dans la cuisine à ce moment là pour se servir un café, et à en voir l'expression sur son visage, c'était l'un de ces jours où elle avait décidé de lui adresser la parole. Contrairement à ce que l'on aurait pu croire, ce n'était pas bon signe.
« J'ai remarqué que ton école avait envoyé ton bulletin du deuxième trimestre et que tu l'avais laissé en vue sur la table pour que papa et maman le voient, dit-elle, les bras croisés contre sa poitrine après avoir reposé la cafetière sur le meuble gris de la cuisine. »
Lily ne répondit pas, simplement parce qu'elle avait appris que c'était pire lorsqu'elle le faisait, et elle donna un coup d'éponge sur le plan de travail sur lequel elle avait fait tomber des miettes. Pétunia semblait bouillir de l'intérieur pour une raison qui lui échappait, et elle en eut la confirmation lorsqu'elle reprit la parole.
« Tu te crois plus intelligente que moi, n'est-ce pas ?
- Qu'est-ce que tu...
- Je sais que tu te crois spéciale, avec ton école de fous. »
Lily referma la bouche et déglutit. Le toasteur jeta stupidement ses tartines en l'air à ce moment là, dans une atmosphère si lourde que le moment en fut presque comique.
« Mais tu sais que tu ne manques à personne quand tu es là bas ? Tu pourrais aussi bien être morte, ajouta t-elle en haussant les épaules. »
Ses longs doigts se refermèrent de nouveau sur l'anse de la cafetière, et elle vida le liquide restant dans l'évier l'air de rien avant de récupérer sa tasse pleine et de retourner s'enfermer dans sa chambre. Étrangement, la phrase n'atteignit pas autant Lily que son geste. Probablement parce que ce n'était pas la première fois qu'elle l'entendait. Elle pivota vers les toasts à moitié brûlés et songea toutefois qu'elle n'avait plus très faim. Elle les recouvrit malgré tout d'une épaisse couche de beurre de cacahuète puis s'assit à la table en formica.
Les repas chez ses parents étaient une épreuve depuis plusieurs années. Elle ne savait pas par quel moyen sa sœur avait réussi à lui mettre dans le crâne qu'elle n'était pas légitime à manger quoi que ce soit, mais elle s'y était certainement prise de la même façon pour lui donner l'impression qu'elle n'était personne. Comme si tout ce qui était vital n'était pas fait pour elle. Comme si elle n'existait pas, et que les gens qui n'existaient pas n'avait pas besoin de faire tout cela.
Elle passa une bonne demie-heure à grignoter ses deux toasts, comme une épreuve qui n'en finissait pas, et puis elle traversa le salon pour aller chercher son manteau. Au milieu de la table, son bulletin de notes était noyé dans une flaque de café.
« Tu crois vraiment que le match va se terminer tard ? demanda t-elle à James alors que les Faucons venaient de marquer un nouveau but.
- On ne peut pas être sûr, mais je dirais qu'on en a encore pour plusieurs heures. Pourquoi ? Tu en as déjà marre de nous ? s'enquit-il avec un sourire en coin. »
C'était tout à fait l'opposé.
Elle aimait être là avec eux, partager ce moment spécifique. Un moment en famille. Bien qu'elle ne soit pas une Potter, James lui donnait toujours la sensation de faire partie de quelque chose, et à ce moment là, c'était tout ce à quoi elle voulait se raccrocher.
« J'imagine que je devrais pouvoir réussir à vous supporter encore quelques heures, répondit-elle en prenant un air résigné qui le fit rire. »
Elle n'avait jamais autant eu envie d'embrasser qui que ce soit. Elle y avait beaucoup pensé ces des dernières années, mais pas autant que depuis la veille des vacances. Depuis leur rentrée en septième année, tout s'était mis à coller entre eux d'une façon étonnement parfaite, comme s'il leur avait fallu tout ce temps pour finalement parvenir à se comprendre. Elle était persuadée que rien n'aurait pu fonctionner avant, même s'ils avaient déjà eu des sentiments l'un pour l'autre. Il leur manquait cette accoutumance qu'ils avaient maintenant après s'être plus ou moins subtilement apprivoisés.
« Tu crois que Sirius daignera me reparler un jour ? l'interrogea t-elle, les yeux rivés sur le gardien du Club de Flaquemare qui faisait des huit autour de ses buts alors que le meilleur ami de James n'avait daigné lui accorder un regard depuis qu'il avait découvert son vêtement à l'effigie du club adverse.
- Je ne peux pas m'avancer là dessus. Ce que tu as fait était brutal, déclara t-il sur un ton faussement sinistre.
- J'ai besoin de temps, Evans, intervint finalement le jeune homme aux longs cheveux noirs qui était assis à côté de James et qui avait entendu la conversation.
- J'ai des chocogrenouilles dans mon sac, pointa t-elle en se penchant légèrement en avant pour pouvoir le regarder.
- Rien ni personne ne pourra jamais se mettre entre toi et moi, déclara t-il aussitôt. »
Elle s'esclaffa et posa son sac à dos sur ses genoux, ouvrit la fermeture et distribua des confiseries aux garçons ainsi qu'à Euphemia qui lui tendit une petite bouteille de jus de citrouille en échange, lui adressant un sourire qui lui réchauffa le cœur. Ce n'était que la deuxième fois qu'elle se trouvait en compagnie de la mère de James, mais elle posait toujours un regard bienveillant sur elle, comme si elle se souciait de la savoir à l'aise, et elle en eut la confirmation lorsqu'elles décidèrent de quitter leurs sièges quelques minutes pour rejoindre les toilettes.
« Merci d'avoir bien voulu que James m'emmène avec vous, lui dit Lily alors qu'elles se lavaient les mains.
- C'est un plaisir. Les amis de James sont toujours les bienvenus, répondit-elle avec ce même sourire chaleureux. Spécialement ceux auxquels il passe son temps à envoyer des hiboux. »
Cette dernière remarque lui brûla les joues. Ils s'étaient indéniablement beaucoup écrits pendant chaque vacances, tant que leur correspondance était devenue l'une des seules choses qui l'apaisait lorsque ses parents étaient au travail et que Pétunia était le seul être humain avec lequel elle pouvait potentiellement avoir des interactions.
Il arrivait qu'elle sorte pour voir Mary et Marlène, mais les filles partaient régulièrement en vacances, parfois pendant une dizaine de jours, alors les échanges s'étaient développés avec James. Ils trouvaient toujours quelque chose à se dire, mais évitaient continuellement d'évoquer l'ambiguïté de leur relation, et c'était quelque chose que Lily trouvait absolument fascinant.
Ils n'avaient pas mentionné une seule fois l'épisode de la veille des vacances, et pourtant, elle était sûre qu'il y avait pensé. Si elle avait eu le moindre doute, il se serait évaporé dès qu'elle avait brandi le ballon de rugby devant lui. L'expression sur son visage lui avait donné envie d'éclater de rire.
« Est-ce que tout va bien ? reprit Euphemia en l'arrêtant alors qu'elles sortaient tout juste des toilettes. James m'a dit que la situation était parfois compliquée chez toi, et je n'ai pas pu m'empêcher d'entendre quand tu lui as demandé à quelle heure le match se terminait. Si cette sortie pose le moindre problème à tes parents, que tu as besoin que j'aille leur parler ou que...
- Tout va bien, la rassura immédiatement Lily en souriant, à la fois gênée et reconnaissante.
- J'espère que je ne t'ai pas mise mal à l'aise, je veux juste m'assurer que tu n'auras pas de souci en rentrant.
- Oh non. Le problème ne vient pas de mes parents. C'est ma sœur qui a du mal avec le fait que je sois une sorcière, expliqua t-elle en réalisant avec une pointe de gratitude que James n'était pas rentré dans les détails.
- J'en suis profondément désolée. »
Lily haussa une épaule comme pour lui signifier qu'elle n'y pouvait rien, et alors qu'elles se frayaient un chemin entre les supporters, elle reprit la parole.
« Est-ce que je peux vous demander à quel point James vous parle de moi ? »
Elle avait posé la question avec une pointe de malice dans la voix, mais elle espérait secrètement qu'Euphemia comprendrait qu'il ne s'agissait pas autant de rire sur le dos de son fils, que de se rassurer par rapport aux sentiments qu'elle éprouvait pour lui.
« Très régulièrement depuis un moment déjà. Il ne me dit jamais quoi que ce soit de très personnel, juste que vous vous êtes retrouvés dans le même binôme en potions, que tu progresses drôlement vite au quidditch, ou que tu l'aides avec ses devoirs d'études de moldus, répondit la femme aux longs cheveux poivre et sel, visiblement très amusée par la question. »
La dernière partie de sa phrase fit taire Lily, bien qu'elle douta fortement que ce soit le but recherché par Euphemia. Le souvenir encore très présent de la dernière fois qu'elle l'avait aidé en études de moldus se rejouait sous ses yeux comme si elle n'en avait été qu'un témoin extérieur, et la chaleur des doigts de James sur son genou nu la fit frissonner comme s'il était encore en train de la toucher. Elle aurait pu tout faire pour lui ce soir là.
« Vous n'avez pas raté grand chose, leur annonça Sirius lorsqu'elles les retrouvèrent. Abasi a marqué deux buts et Andersen a repéré le vif d'or, mais il l'a perdu juste après.
- Ouuuh... Les Faucons ont l'air en difficulté, tout ça manque un peu d'anticipation, non ? les taquina Lily en voyant les joueurs gris essayer vainement de rattraper les bleus qui filaient une nouvelle fois vers leurs buts.
- On en reparlera à la fin du match, d'accord ? lui dit James en esquissant un sourire amusé. »
Elle le lui rendit et se posa de nouveau à côté de lui, les yeux rivés vers le ciel. Le tumulte se calmait autour d'eux au fur et à mesure que les minutes passaient, mais à chaque fois qu'un but était marqué, le public entier bondissait. Et Lily prenait un malin plaisir à le faire quand il s'agissait du Club de Flaquemare, hilare devant les mines désabusées des deux garçons. Euphemia semblait plus modérée, ou alors, la situation la faisait beaucoup trop rire pour qu'elle ne se formalise d'une potentielle défaite de son équipe préférée.
A un moment, alors que les deux attrapeurs se rapprochaient du vif d'or et que tous les supporters étaient debouts, elle sentit sa main frôler celle de James. Elle baissa les yeux entre eux, et hésita une petite seconde avant de la prendre dans la sienne. Il lui rendit brièvement son étreinte avant de retirer délicatement sa main et de l'enfoncer dans sa poche, la laissant profondément confuse.
Aucun des deux attrapeurs ne parvint à attraper la petite balle dorée. Ils se perdirent l'un et l'autre dans des feintes interminables, jusqu'à oublier leur but premier, et tout le public se rassit, attendant impatiemment la prochaine fois qu'ils devraient retenir leur souffle. Il sembla à Lily qu'elle ne l'avait jamais relâché, et pendant un moment dont elle ne sut estimer la durée, elle ne prononça plus le moindre mot.
« Viens chercher à boire avec moi. »
Ce n'était pas tant une question qu'un ordre, et elle le suivit sans réfléchir, laissant Sirius et Euphemia derrière eux. Son cœur tapait fort contre sa poitrine, et si elle devait être parfaitement honnête avec elle même, il fallait avouer qu'elle avait un petit peu envie de pleurer. Juste un peu.
« Est-ce que ça va ? Tu n'as rien dit depuis une heure. »
Elle ne répondit pas. Ses lèvres étaient pincées. Elle ne savait pas si elle lui en voulait plus qu'elle ne s'en voulait elle-même d'avoir tenté une telle chose à un tel moment. Est-ce qu'elle s'était trompée quelque part ?
« Lily je... »
Il s'interrompit alors qu'ils se faufilaient entre un groupe de filles qui le sifflèrent et auxquelles il ne prêta pas grande intention, se souciant surtout de la savoir toujours derrière lui. Il ne reprit la parole que quand ils arrivèrent enfin en bas du terrain, dans un endroit plus calme non loin d'une grande buvette.
« Je crois que je dois te prévenir que je ne sais pas trop où j'en suis, lui avoua t-il là, les mains enfoncées dans les poches de sa veste. »
Elle hocha mécaniquement la tête sans savoir quoi répondre. Une nouvelle sensation de rejet tout aussi redoutable que celle qu'elle ressentait tous les jours chez elle lui glaça le sang.
« Si on gâchait notre amitié je... elle le vit déglutir et pendant un instant, elle songea que c'était peut-être aussi difficile pour lui que pour elle. Je n'ai même pas envie de réfléchir à ce que ça me ferait, en fait, et je...
- Je préfère ne pas y penser non plus, avoua t-elle, et il braqua ses yeux noirs sur un caillou à ses pieds comme s'il voulait éviter les siens.
- Je ne sais pas quoi faire.
- On n'est pas obligé de faire quoi que ce soit. »
Elle ne s'était pas trompée, elle le comprit à ce moment là, mais James avait pensé à bien plus de choses qu'elle, et soudainement, ses craintes étaient devenues les siennes. Est-ce que le risque de perdre son amitié avec lui valait le coup d'être pris ? Ils n'avaient que dix sept ans, combien de personnes sur cette terre trouvaient celle qui leur correspondait à un âge aussi avancé ? Et ensuite, combien de ces personnes parvenaient à s'aimer sans faille jusqu'au bout ?
Ils avaient parcouru un sacré chemin, et peut-être qu'ils avaient déjà assez tenté le diable. Peut-être que ce qu'ils avaient là était assez, et que tirer le fil un peu plus ne ferait que le casser. Pour des raisons évidentes, elle ne pouvait pas se permettre de faire la moindre erreur avec lui, et laisser les choses en suspend paraissait être la seule solution pour en éviter une qui pourrait être fatale à leur amitié.
Il ne hocha pas la tête. Il n'afficha aucune expression qu'elle sut déchiffrer. Il ne laissa pas échapper le moindre mot lui indiquant qu'il était d'accord avec cela, il resta simplement debout devant elle à la regarder, et au bout d'un moment, il changea de sujet comme s'ils ne venaient pas d'avoir la conversation la plus lourde qu'ils aient jamais eue.
« Qu'est-ce que tu veux prendre ? l'interrogea t-il alors qu'ils marchaient de nouveau vers le bar.
- Une bièraubeurre.
- Quatre bièraubeurres s'il vous plaît, demanda t-il à la serveuse qui lui adressa un sourire radieux. »
Lily remarqua la façon dont ses yeux noisettes glissèrent sur lui, comme s'il était la chose la plus charmante qu'elle ait jamais vu, et elle comprenait amplement. Elle avait toujours du mal à s'y faire, et si elle avait trouvé cela insupportable dans leurs mauvaises années, elle ne parvenait pas mieux à s'en accommoder maintenant qu'ils étaient amis.
Le score s'était inversé lorsqu'ils retrouvèrent leurs places, et les Faucons étaient repassés devant. De peu, mais cela avait suffi pour que Sirius provoque Lily pendant toute la demie heure qui suivit. Il ne se tut que lorsque l'attrapeur du Club de Flaquemare referma ses doigts sur le vif d'or d'une façon complètement inattendue, offrant la victoire à ses coéquipiers avec cent-vingt points d'avance sur leurs adversaires.
Ils restèrent un moment dans les tribunes, à regarder les joueurs se féliciter en bas et répondre aux questions des journalistes présents, si bien qu'ils n'eurent aucunement besoin de gérer la foule lorsqu'ils redescendirent enfin.
« Tu veux dîner avec nous, Lily ? lui proposa Euphemia.
- C'est gentil, mais je devrais rentrer, déclina t-elle poliment.
- Sûre ? s'enquit James.
- C'est sûrement mieux. J'ai un peu mal à la tête et Sirius sera là, plaisanta t-elle, et le jeune homme afficha une mine scandalisée qui les fit rire.
- Effectivement, dans ce cas là, la décision paraît plus sage, l'appuya Euphemia, et Sirius bougonna un juron qui lui valut un coup de coude réprobateur.
- Je te raccompagne alors, trancha James. »
Ils transplanèrent dans un petit chemin encadré par de hautes haies, et ils marchèrent jusqu'à rejoindre la maison des Evans. Une seule lumière était allumée à l'étage, et dès qu'ils poussèrent le portillon dont la peinture blanche était écaillée, Pétunia se précipita à la fenêtre de sa chambre. Vue d'en bas, sa silhouette était terrifiante.
« Est-ce que c'est ta sœur ? demanda t-il, la tête levée vers la fenêtre en question.
- Tu veux que je te la présente ? proposa t-elle le moins sérieusement du monde.
- Elle me glace le sang, mais si tu y tiens vraiment... »
Elle éclata de rire et secoua la tête de gauche à droite. Elle n'y tenait pas du tout. Non pas parce qu'elle ne voulait pas que sa famille connaisse James, mais parce qu'elle savait à quel point sa sœur se montrerait désagréable avec lui, et ni lui, ni elle n'avaient besoin de cela ce soir là. Toutefois, elle était agréablement surprise que le malaise passé ne soit plus tellement palpable.
James avait le don de se comporter comme si la discussion qu'ils avaient eue devant le bar du terrain de quidditch n'était jamais arrivée, et cela l'arrangeait un peu. Elle préférait qu'ils dissipent la tension maintenant plutôt que de passer le reste des vacances à se demander si leur relation resterait la même quand ils se retrouveraient à Poudlard.
« Est-ce qu'elle va nous observer comme ça jusqu'à ce que je m'en aille ? s'enquit-il, et elle s'esclaffa de nouveau lorsqu'il lui adressa un signe de main, et qu'elle demeura figée derrière sa fenêtre. Quelle horreur, souffla t-il, et le rire de Lily redoubla. Tes parents sont rentrés du travail ?
- Ma mère ne termine pas avant vingt heures et mon père a un dîner avec ses collègues.
- Est-ce que tu veux que je reste avec toi le temps qu'ils arrivent ? »
Cela signifiait le faire entrer. Pétunia descendrait à un moment, Lily en était presque sûre. Elle ne pourrait pas s'en empêcher, et ce fut le point qui la fit hésiter, jusqu'à ce que James ne reprenne la parole.
« Je ne me sentirais honnêtement pas bien de te laisser après l'avoir vue nous regarder comme ça. Tant pis si je dois y laisser ma peau, termina t-il en haussant les épaules d'un air résolu. »
Ses yeux verts parcoururent rapidement son visage, attendant de voir s'il regrettait sa proposition, mais il semblait être profondément sérieux, alors elle esquissa un sourire amusé et lui fit signe de la suivre à l'intérieur.
« Est-ce que tu veux un thé ? lui proposa t-elle en se tournant vers lui. »
Elle n'avait pas anticipé ce qu'elle ressentirait en le voyant au milieu de son salon. C'était un sentiment étrange, comme si ses deux mondes venaient d'entrer en collision. Aucun sorcier n'était entré chez elle. Pas même Rogue, qu'elle ne voyait que dans le parc qui se trouvait à quelques centaines de mètres de là quand ils étaient enfants. Marlène et Mary non plus. Elle s'arrangeait toujours pour aller chez elles et non l'inverse. Les filles n'avaient jamais insisté, elles savaient que la situation avec Pétunia était compliquée, et une fois que leur routine s'était installée, plus personne ne s'était posé de question. Alors voir James dans son monde la perturba légèrement.
« Je veux bien, merci, répondit-il avant de lui adresser un sourire et de s'approcher du buffet sur lequel trônaient des photos de famille.
- Je reviens. Si Pétunia débarque, ne fais aucun geste brusque. Elle aura plus peur de toi que tu n'as peur d'elle, même si ça te paraît difficile à croire, plaisanta t-elle avant de se diriger vers la cuisine, entendant son rire s'évanouir derrière elle lorsqu'elle changea de pièce. »
Elle resta trois ou quatre minutes à côté de la bouilloire, la fixant en pensant au fait que James était là, qu'il était son premier ami sorcier à entrer dans son monde de moldue, et qu'elle n'y avait pas réfléchi une seule seconde avant de le voir au milieu de son salon.
Quelque chose en elle lui parut un peu confus, comme si elle avait oublié une règle élémentaire qu'elle ne se souvenait même pas s'être fixée un jour. Elle n'aimait pas l'idée d'inviter ses amis de Poudlard à cause de sa situation familiale, mais elle n'y avait jamais songé plus que cela. Elle n'avait pas pensé que faire venir James à l'intérieur de sa maison lui donnerait l'impression soudaine d'avoir monté une marche d'escalier qu'elle avait longtemps cru trop haute pour elle. Au milieu du chaos de ses réflexions, et malgré son trouble évident, elle était fière d'elle.
Quand elle réapparut dans le salon, la bouilloire à la main, James était debout à côté de la table en bois, et le regard de Lily resta bloqué sur un détail particulier. Il avait retiré sa veste et l'avait posée sur le dossier de l'une des deux seules chaises qu'aucun membre de sa famille n'utilisait. Celle qui était en bout de table. Elle n'avait rien de particulier, ils avaient juste leurs petites habitudes, et deux chaises étaient toujours délaissées. Après cela, elle savait que dans son esprit, celle-ci resterait « la chaise de James ».
« Je crois qu'il y a une tâche de café sur ton bulletin de notes, lui fit-il remarquer avec ironie. »
Elle baissa les yeux sur le parchemin qui était resté noyé dans le liquide brun depuis qu'elle était partie, déglutit, et jeta un regard rapide vers le hall d'entrée pour vérifier que Pétunia n'y était pas. A ce moment là seulement, elle sortit sa baguette. Elle murmura une formule et l'instant d'après, le morceau de papier était comme neuf. Elle s'empressa de le plier et de le ranger dans un tiroir, sous une pile d'autres papiers que ses parents gardaient là.
« Est-ce que c'est ta sœur qui a fait ça ? Je veux dire, volontairement ? l'interrogea t-il. »
Parfois, elle détestait le fait qu'il soit aussi intelligent. Elle lui tourna le dos pour récupérer deux tasses dans l'énorme buffet de ses parents, et quand elle pivota de nouveau vers lui, elle n'eut même pas besoin de verbaliser la réponse pour qu'il ne la comprenne.
Il ne reprit pas la parole tout de suite. Il s'assit près d'elle, sur cette fameuse chaise qu'il s'était attribué, et la remercia d'un bref sourire lorsqu'elle poussa une tasse pleine devant lui. Il fit tournoyer sa cuillère dans l'eau chaude pendant un long moment, ses jolis yeux bruns perdus dans le liquide.
C'était la première fois qu'elle trouvait le silence de sa maison agréable. Il n'en était pas vraiment un, entrecoupé par les bruits de cuillères et leurs lentes respirations, mais c'était ce qui se rapprochait le plus de ses journées de vacances. Des bruits, par ci, par là, juste pour lui rappeler qu'elle n'était pas seule dans cette maison, à l'exception que cette fois-ci, contrairement à toutes les autres, elle ne se sentait pas seule.
« Merci pour le match. J'ai passé un bon moment, déclara t-elle avant de porter sa tasse de thé à ses lèvres.
- Tu n'as pas besoin de me remercier. »
Ses yeux épinglèrent les siens avant de retomber sur son thé encore fumant. Elle ne l'avait jamais vu aussi peu dissipé, aussi sérieux, presque préoccupé.
« La maison de tes parents est jolie, reprit-il d'une voix parfaitement égale.
- A vrai dire, c'est la première fois que j'invite quelqu'un de Poudlard ici, lui avoua t-elle. »
Il leva de nouveau les yeux vers elle, et cette fois, elle put voir qu'il était surpris.
« Tu aurais pu me le dire avant que je ne me torture l'esprit à vous imaginer, Rogue et toi en train de prendre votre goûter autour de cette même table à dix ans, plaisanta t-il. »
Elle sourit, et sentit ses joues rougir sans vraiment savoir pourquoi. C'était peut-être la façon dont il la regardait, ou sa jalousie à demi avouée, ou le fait de le voir boire dans une tasse sur laquelle elle avait posé ses propres lèvres un millier de fois. L'idée de la mettre en vitrine lui traversa l'esprit.
« Même pas Marly et Mac' ? reprit-il sans chercher à cacher son étonnement. »
Elle secoua la tête de droite à gauche, et elle le vit froncer brièvement les sourcils avant de reprendre une nouvelle gorgée de thé. Au même moment, les escaliers grincèrent dans le couloir. Lily se tendit, et James se tourna juste assez pour voir Pétunia passer devant lui et filer vers la cuisine comme si elle ne l'avait pas remarqué.
« Tu pourras faire une description détaillée à Sirius maintenant, peut-être que ça lui passera l'envie de continuer à prétendre à chaque entraînement qu'il va lui demander de sortir avec lui si je mets trop de temps à attraper le vif d'or, dit-elle sur un ton espiègle.
- Je n'en sais rien, il est tellement stupide des fois qu'il pourrait le prendre comme un défi personnel, répliqua t-il de la même façon, et ils s'esclaffèrent tous les deux. »
Pétunia passa une nouvelle fois devant eux, mais cette fois, Lily la vit nettement jeter un coup d'oeil vers James avant de disparaître de nouveau vers les escaliers.
« Elle pourrait au moins prétendre qu'elle n'est pas descendue juste pour nous espionner, et repartir avec un verre d'eau ou autre chose histoire de brouiller les pistes, pointa James, faisant sourire Lily.
- Je crois qu'elle n'a même pas envie de se fatiguer à essayer de paraître subtile. »
Un nouveau silence les enveloppa, puis la porte d'entrée claqua, et Rose Evans pénétra dans le salon, un ciré noir sur le dos. Elle s'apprêtait à l'accrocher sur la patère lorsqu'elle remarqua James et Lily, et elle jeta un coup d'oeil surpris vers sa fille.
« Heu... Maman, c'est James, un ami de Poudlard, le présenta t-elle, et elle ne fut pas le moins du monde étonnée lorsque le visage de sa mère s'éclaira.
- Oh ! Enchantée, si je peux m'exprimer ainsi ! s'exclama t-elle en riant avant de l'étreindre bizarrement lorsqu'il se leva.
- Je crois qu'il n'y a pas de situation plus appropriée pour utiliser ce mot, répondit-il avec le même entrain. Je suis désolé de vous déranger, je ne vais pas m'attarder, je voulais juste raccompagner Lily et...
- Mais non, mais non, tu devrais rester manger, le coupa t-elle en balayant sa remarque d'un geste de la main. C'est la première fois que Lily ramène quelqu'un de son école ici, je ne vais pas te laisser t'en aller comme ça.
- Maman, la séquestration est aussi punie dans le monde magique, pointa la jeune femme d'un air ennuyé.
- Ce n'est de la séquestration que s'il lutte, ajouta sa mère avec humour. »
James s'esclaffa et se posa de nouveau sur sa chaise alors que Rose balançait négligemment son ciré sur la patère. Elle s'assit ensuite en face de sa fille et observa tour à tour les deux adolescents comme une enfant qui découvrait un immense cadeau au pied du sapin le jour de Noël. Lily réalisa à ce moment là que Pétunia ne devrait plus jamais être l'objet de ses hésitations à inviter du monde.
« Je suis désolé, je ne vais pas pouvoir dîner avec vous ce soir, mais un autre jour sans faute, lui promit-il. En attendant, il me reste assez de thé pour discuter un peu. »
Même si la déception de ne pas avoir James à dîner se lut sur le visage de Rose, Lily ne manqua pas la façon dont elle se réjouit de l'avoir encore un peu sous la main. Elle tenta de fixer sa mère pour la dissuader de faire tout commentaire gênant dont elle avait le secret, mais évidemment, elle s'obstina à ne pas lui accorder la moindre attention.
« Lily ne nous parle pas beaucoup de son quotidien à Poudlard. Je sais qu'elle a de très bonnes notes parce que je lis ses bulletins, mais je n'ai aucune idée de ce à quoi ressemble sa petite vie en dehors des cours. »
C'était vrai. Lily évitait le plus possible de parler du monde magique parce qu'elle ne voyait ses parents que pendant les vacances, et que Pétunia était presque systématiquement là. Ils avaient discuté brièvement des matières qu'elle apprenait, du sport le plus populaire, et de quelques subtilités de l'univers de la sorcellerie les rares fois où Pétunia ne s'était pas trouvée avec eux, mais ces moments là restaient très occasionnels.
« Je t'en ai déjà parlé, maman. On se promène dans le parc, on va à la bibliothèque, on...
- Lily vous a dit qu'elle était rentrée dans l'équipe de quidditch cette année ? intervint James.
- Vraiment ? s'enquit Rose en jetant un regard inquisiteur vers sa fille.
- L'occasion d'en parler ne s'est pas vraiment présentée, s'expliqua aussitôt Lily. Ce n'est pas comme si nous pouvions en discuter avec Pétu dans les parages. »
Rose se tortilla légèrement sur sa chaise et jeta un coup d'oeil vers le hall d'entrée comme si elle venait de se souvenir que son autre fille n'aurait pas toléré d'entendre une telle discussion dans sa maison.
« James est capitaine de l'équipe, ajouta malgré tout Lily pour dissiper le malaise.
- Merveilleux ! lança Rose à James sur un ton jovial. Alors j'imagine que tu joues depuis longtemps ?
- Une bonne dizaine d'années, répondit-il en souriant avant de reprendre une gorgée de thé. Lily est très douée. C'est un peu grâce à elle que nous avons gagné le dernier match. »
Elle lui jeta un regard perplexe et arqua un sourcil alors que sa mère la félicitait, ravie. Il lui avait dit qu'elle avait bien joué contre Poufsouffle, mais l'entendre vanter ses mérites à quelqu'un de sa famille était différent.
« Il exagère clairement, précisa t-elle à sa mère, et du coin de l'oeil, elle vit James froncer les sourcils et secouer la tête de droite à gauche.
- Mon seul regret, c'est de ne pas l'avoir eue dans mon équipe l'année dernière, assura t-il à Rose qui l'encouragea immédiatement à lui en dire plus. »
La discussion continua pendant une petite heure au cours de laquelle Lily réalisa qu'elle n'y participait plus, mais se contentait d'écouter le ping-pong de questions diverses et variées entre sa mère et James qui semblaient passionnés par les vies parallèles qu'elle menait. C'était comme regarder deux vieilles commères s'échanger les derniers ragots du village, sauf qu'ils la concernaient tous. C'était à la fois amusant et embarrassant.
« Il faut vraiment que j'y aille cette fois-ci, déclara James pour la quatrième fois de la soirée, à la différence près que cette fois-ci, il se leva réellement de sa chaise.
- Bien sûr, je ne voudrais pas que tes parents s'inquiètent, s'empressa de lui répondre Rose en se levant à son tour. C'était un véritable plaisir de te rencontrer, James. J'espère que tu repasseras par ici.
- J'adorerais. En plus, il me reste encore quelques anecdotes à vous racont...
- C'est bon maintenant, le coupa Lily sans manquer le coup d'oeil complice qu'ils échangèrent. »
Elle se leva à son tour et le poussa doucement vers le hall d'entrée alors qu'il adressait un signe de main à Rose qui le lui rendit en pointant une nouvelle fois sa déception de ne pas le voir rester plus longtemps. Il avait conquis sa mère, c'était évident, et elle ne comprenait même pas comment elle avait pu ne pas envisager cette possibilité en l'amenant ici.
« Je n'arrive pas à croire qu'il t'ait fallu à peine une heure pour devenir le fils qui manquait à ma mère, plaisanta t-elle en le raccompagnant jusqu'à la porte avant de laisser échapper un soupir.
- Le charme, Evans, le charme, clama t-il avec un sourire en coin, et elle ne songea même pas à le contredire.
- J'espère que tu te rends compte que j'ai bien vu ce que tu essayais de faire en parlant du quidditch et des cours.
- Je...
- Ne nie pas.
- Je n'allais pas nier, lui certifia t-il en passant sa main dans ses cheveux. J'allais juste dire qu'il fallait bien que quelqu'un lui explique à quel point tu es brillante étant donné que tu ne le fais pas toi-même. »
Ses yeux se vissèrent aux siens et elle fut incapable de s'en détacher pendant un moment. Elle ne savait pas comment elle était supposée n'être que son amie quand elle ressentait ce qu'elle ressentait. Elle avait l'impression qu'il se faisait la même réflexion, mais il n'en dit rien, et après lui avoir brièvement pressé l'avant bras, il disparut dans un « pop » qui trancha le silence de la nuit.
