Contribution : Isa'ralia Faradien
Ce texte devrait vous éclairer sur le choix du titre du recueil ;)
#61 - Dragon de peur
Voici qui était Anakin Skywalker.
Le plus puissant Jedi de sa génération. Probablement de toutes les générations. Le plus rapide. Le plus fort. Un pilote imbattable. Un guerrier impossible à arrêter. Sur terre, dans les airs, dans l'eau ou dans l'espace, personne ne lui arrivait à la cheville. Il n'a pas seulement de la puissance, pas seulement des compétences, mais surtout cette rare combinaison d'audace et de grâce.
Il est le meilleur dans ce qu'il fait. Le meilleur qui ait jamais été. Et il le sait.
L'HoloNet le surnomme le Héros Sans Peur. Et pourquoi pas ? De quoi devrait-il avoir peur ?
Hormis...
La peur vit en lui de toute manière, mâchonnant les pare-feux dressés autour de son cœur.
Anakin voit parfois cette angoisse grignotant son cœur comme un dragon. Les enfants de Tatooine se racontent l'histoire de dragons vivant à l'intérieur des soleils jumeaux - cousins plus petits des dragons des soleils qui sont supposés vivre dans les fournaises de fusion qui donnent de l'énergie à tous les moteurs, depuis les vaisseaux spatiaux jusqu'aux podracers.
Mais la peur d'Anakin est encore un autre type de dragon. Un dragon froid. Un dragon mort.
Mais pas encore assez mort.
Peu de temps après qu'il soit devenu le Padawan d'Obi-Wan, toutes ces années plus tôt, une petite mission les amena dans un système solaire mort - l'un de ceux qui étaient tellement anciens que leur étoile était depuis longtemps devenue une naine faiblarde de métaux si compactés qu'ils n'existaient plus qu'à l'état de trace, vivotant à peine une minuscule fraction de degré au-dessus du zéro absolu. Anakin ne pouvait même plus se souvenir de l'enjeu de cette mission, mais jamais il n'oublierait cette étoile morte.
Elle l'avait effrayé.
- Les étoiles peuvent mourir ?
- Il s'agit de l'ordre de l'univers, ce qui est une autre manière de dire qu'il s'agit de la volonté de la Force, lui avait répondu Obi-Wan. Tout meurt. Avec le temps, même les étoiles se consument. C'est pour cela que les Jedi ne forment aucun attachement, car tout finit par passer. S'accrocher à quelque chose, ou bien à quelqu'un, alors que son temps est venu, c'est faire passer nos désirs égoïstes avant la volonté de la Force. C'est un chemin qui mène à la misère, Anakin. Les Jedi ne l'empruntent pas.
Il s'agit donc du genre de peur qui vit à l'intérieur d'Anakin Skywalker : le dragon d'une étoile morte. Comme une voix ancienne, froide, dans son cœur, qui murmure que tout meurt...
Dans la clarté du jour, il ne peut pas l'entendre. Une bataille, une mission, ou même un rapport devant le Conseil Jedi parviennent à lui faire oublier que ce dragon est même présent. Mais la nuit...
La nuit, le mur qu'il a érigé parvient parfois à geler. Parfois, des craquelures s'y forment.
La nuit, le dragon de l'étoile morte parvient parfois à se glisser par ces fissures pour ramper jusqu'à son cerveau et mâcher l'intérieur de son crâne. Le dragon murmure le rappel de tout ce qu'Anakin a perdu. Et tout ce qu'il perdra.
Le dragon lui rappelle, chaque nuit, la façon dont il avait tenu sa mère mourante dans ses bras, ou la façon dont elle avait consumé ses dernières forces à lui dire :
- Je savais que tu viendrais me chercher, Anakin...
Le dragon lui rappelle, chaque nuit, qu'un jour, il perdrait Obi-Wan. Il perdrait Padmé. Ou bien qu'eux le perdraient.
Toutes les choses meurent, Anakin Skywalker. Même les étoiles se consument...
Et les seules réponses qu'il parvient à opposer à ces froids murmures sont les voix d'Obi-Wan, ou bien de Yoda.
Mais parfois, il ne parvient même plus à s'en rappeler.
Tout meurt...
Il pouvait à peine l'envisager.
Mais désormais, il n'a plus le choix. L'homme vers lequel il accourt pour le sauver est l'ami le plus proche qu'il aurait pu espérer avoir. Et c'est ce qui crispe sa voix lorsqu'il tente de faire une blague, ce qui crispe sa mâchoire ou bien la cicatrice sur son sourcil droit.
Le Chancelier Suprême est comme un membre de la famille pour Anakin : toujours là, toujours soucieux de son bien-être, toujours disponible pour un conseil. Une oreille sympathique et une acceptation aimante et inconditionnelle d'Anakin tel qu'il était - une acceptation qu'Anakin n'obtiendrait jamais de la part d'un autre Jedi, pas même d'Obi-Wan. Il peut raconter à Palpatine des choses qu'il ne pouvait partager avec son Maître.
Il peut raconter à Palpatine des choses qu'il ne pouvait même pas dire à Padmé.
Et maintenant, le Chancelier Suprême court le plus grand danger de tous. Et Anakin est en chemin, malgré l'angoisse qui bout dans ses veines. C'est ce qui fait de lui un véritable héros. Pas de la façon dont l'HoloNet le présente - pas sans peur, mais plus fort que la peur.
Il regarde le dragon droit dans les yeux et ne ralentit même pas le pas.
Si quiconque pouvait sauver Palpatine, Anakin le pouvait. Car il est d'ores et déjà le meilleur, et il s'améliore encore. Mais contenu derrière les murs de son cœur, le dragon qui représente sa peur serpente et siffle.
Car sa véritable peur, dans un univers où même les étoiles peuvent mourir, est qu'être le meilleur pourrait ne même pas suffire.
