Chapitre assez long, j'aurais voulu le diviser, mais je ne le pouvais pas. Mais bon, je suis sûre que vous allez quand même aimer. J'ai donné un peu plus de place à la narration de Kadaj, je trouvais qu'on trouvait plus de Kokoro dans les chapitres précédents et j'ai voulu équilibrer les choses.


Je revins à l'auberge le lendemain matin, en bâillant. Je n'avais pas beaucoup dormi, en partie parce que Kadaj m'avait retenu la veille et aussi à cause des nouvelles que j'avais reçues de la part d'Alexia. Elle m'avait écrit, Émily allait bien, mais un autre membre nous avait abandonnés. Il faudrait le surveiller pour s'assurer qu'il ne nous trahirait pas… travail délicat. Enfin, j'avais tout réglé, mais je manquais de sommeil…

J'accrochai mon manteau et j'allais me diriger vers les escaliers, quand je remarquai quelque chose au bord du foyer… quelque chose comme…

-Nani?

Kadaj, endormi, en boule, comme un enfant. Je m'approchai de lui et je haussai les sourcils. Mais qu'est-ce qu'il foutait là? Il ne pouvait pas rester dans sa chambre?

-Ne… Kadaj… chuchotai-je.

-Hm… kaa-san? marmonna-t-il.

-… Iie…

Il n'avait vraiment pas l'air de vouloir se réveiller… je soupirai et je haussai la voix.

-Ne, Kadaj… réveille-toi!

-Meh?

Il ouvrit un oeil, puis le referma. Je m'accroupis à ses côtés et j'approchai ma main pour le secouer un peu.

-Ce n'est pas vraiment l'endroit idéal pour dormir, tu sais?

Au moment où j'allais le toucher, avant même que je comprenne ce qui se passait, il sortit son étrange sabre de son fourreau et le mit juste sous ma gorge. Les deux lames parallèles ne me touchaient pas, mais ce n'était que d'un cheveu. Je savais que j'aurais dû rester debout… je restai pourtant ainsi, sans reculer, sans bouger, juste pour dire :

-Désolé de t'avoir réveillé comme ça…

Il sembla enfin me remarquer vraiment, et il remit son arme dans son fourreau d'un geste fluide. Je pouvais enfin déglutir…

-Ah, c'est toi, dit-il d'une voix pâteuse.

-Hm, oui, c'est moi.

Je me relevai. Mieux valait ne pas courir de risque…

-Que fais-tu à côté du foyer?

-Le feu, répondit-il simplement.

Je n'étais pas trop sûr de comprendre, là…

-Huh? Il faisait froid dans ta chambre?

-Non… mais là, il y a le feu…

Il se recoucha, dans la même position foetale, les bras serrés autour des genoux. Mais je ne pouvais pas le laisser là…

-Et…?

-J'aime le feu.

-Je vois…

Il referma les yeux. Non, définitivement, ça n'allait pas! Je soupirai.

-Tu ne peux pas dormir là, Kadaj…

-Pourquoi? demanda-t-il en fronçant les sourcils.

-Car normalement, on ne dort pas là, et si mon patron te voit là… il va penser que j'ai manqué à ma tâche et je risque d'avoir des ennuis.

-Hm... d'accord... chambre trois, c'est ça?

Il se releva à moitié et commença à marcher à quatre pattes, l'air encore tout à fait endormi. C'était presque pitoyable, mais tellement attendrissant… Je ne pus retenir un sourire amusé.

-Tu crois que tu vas parvenir à t'y rendre? lui dis-je alors qu'il commençait son ascension des escaliers, toujours à quatre pattes.

-Meh?

-Si tu as besoin d'aide pour t'y rendre, dis-le moi…

Je le regardai escalader les escaliers… et aller s'adosser contre mur pour se rendormir. Je retins un rire et j'allai le rejoindre. Il s'était vraiment rendormi! Je me penchai pour prendre Kadaj dans mes bras, puis je le soulevai, et j'assurai ma prise avant d'aller le porter dans la chambre trois. Il sembla à nouveau d'éveiller à moitié, et il me regarda comme si j'étais un songe.

-Meh?

Je le déposai doucement dans le lit dont les couvertures n'avaient pas été défaites.

-Chh, tu t'es endormi contre le mur…

-Mais le feu…

-Un petit feu, ça te va?

Il me fixa de ses yeux ne demandant qu'à se refermer. Je pris une chandelle décorative posée sur le bord de la fenêtre, je pris le briquet dans ma poche de pantalon et je l'allumai. Kadaj esquissa un léger sourire, tendit la main vers la flamme et s'endormit avant même de la toucher.

-Mais qu'est-ce que je suis en train de faire? murmurai-je en sortant de la chambre.

OoOoO

J'ouvris les paupières, la lumière me brûlait un peu les yeux, je me tournai vers la petite flamme que l'homme en noir m'a allumée. Elle s'est éteinte, noyée dans la cire. Dommage. Je décidai de retourner auprès du grand feu, dans la salle commune. Il était encore là, on y avait même ajouté des bûches pour l'alimenter. Les flammes étaient plus hautes… je m'assis, mes genoux entre mes bras. Je regarde.

L'homme en noir est en train de parler à un client. Il le remercie d'avoir passé la nuit à l'auberge, il prend ses Gils, il hoche la tête. Le client s'en va avec ses valises et l'homme en noir referme la porte derrière lui. Puis il vient me rejoindre. Je crois que, pendant tout ce temps, il n'a pas cessé de me regarder du coin de l'oeil…

-Tu as bien dormi?

-J'ai dormi?

-Hm, oui, il me semble. Près du foyer, puis dans la chambre.

Ce qu'il peut être drôle, lui!

-Je dormais vraiment?

-Je crois bien.

-Mais… je ne m'en souviens pas…

-Ah bon…

Comme si moi, je pouvais dormir aussi facilement! Mais pourquoi il n'a pas l'air de me croire? C'est toujours comme ça avec les humains… même si lui n'est pas tout à fait comme les autres…

-Est-ce que tu as faim?

-Pas vraiment.

-D'accord.

Comme si je pouvais ressentir quelque chose d'aussi banal que la faim! Bien sûr, manger est agréable, mais de là à avoir faim… je continue de fixer le feu, mais j'entends les pas de l'homme, il s'éloigne, il va vers les cuisines. Lui, il doit avoir faim.

Le feu, le feu… c'est comme dans mes songes. Je vois ce village brûler. Nibelheim. Je le vois brûler, c'est de ma faute s'il brûle. J'ai Masamune à la main, je tue ceux qui s'opposent à moi, en fait, je tue tous ceux que je vois. Et je vais aller rejoindre kaa-san, dans le réacteur, sur la montagne…

Je rêvais souvent ainsi. Pour moi, c'était plus réel que lorsque j'avais les yeux ouverts. C'est pour ça que je ne dors pas, du moins, que je n'ai pas l'impression de dormir.

Je n'aimais pas ces rêves. Ce n'était pas ma vie, et pourtant, c'était tellement réel, tellement tangible…

C'était lui… nii-sama… Sephiroth.

Mais je ne pouvais pas m'empêcher, malgré tout, d'aimer les flammes, leur danse… leurs motifs délicats… changeants, mouvants… éternel recommencement. Les flammes devraient engloutir le monde, un jour.

OoOoO

Je sirotais le thé que j'avais été chercher aux cuisines en faisant les comptes de l'auberge, quand j'entendis une sonnerie de PHS. C'était celui… de Kadaj. Je secouai la tête. Ça me semblait totalement illogique qu'une personne avec si peu de connaissance des choses de ce monde puisse posséder un objet pareil. Enfin, avec lui, tout est possible… il prit l'appareil et l'ouvrit d'un geste habitué, puis il répondit d'une voix assurée :

-Loz? Tu es avec Yazoo?… Tant mieux. Vous arrivez bientôt?

Il était si différent… il n'avait plus rien d'un enfant perdu. Je me demandais bien à quel point il pouvait être différent en présence de ses frères.

-J'ai passé la nuit dans une auberge… C'était bizarre, je vous raconterai. À bientôt.

Il raccrocha.

-Ils arrivent…

-Tes frères?

Kadaj se tourna vivement vers moi, comme s'il était surpris que j'aie entendu ce qu'il venait de dire.

-Ouais…

-D'accord, fis-je en hochant la tête, sans rien ajouter.

OoOoO

Je me levai et j'allai à une fenêtre. Je grattai la fine pellicule de glace qui s'y était déposée, puis je regardai l'étendue blanche, dehors.

-Il fait froid? demandai-je, un peu inquiet pour mes frères.

-Oui, mais il fait toujours froid, ici…

-Plus ou moins froid qu'hier?

-Hm… moins froid que lorsque tu es arrivé.

-D'accord.

Je décidai d'aller vérifier, et j'ouvris la porte. L'air était froid… sec… mais bon, je n'allais pas mourir pour si peu. Je fis quelques pas dans la neige. L'homme en noir me suivit et referma la porte que j'avais négligé de refermer. Il aurait dû mettre un manteau, lui… enfin, je me penchai et je ramassai un peu de neige. C'était toujours aussi humide et mou… pas trop désagréable…

-C'est froid, ce truc blanc…

-Bien sûr, c'est de la neige. C'est toujours froid.

-De l'eau gelée, c'est ça?

-Oui, mais plus sous forme de petits cristaux.

J'enlevai un de mes gants et je pris directement la neige avec mes doigts. C'était tellement froid! Et pourtant, ça fondait, ça devenait de l'eau, de l'eau très froide… je laissai tomber la neige et je me léchai les doigts, pour les réchauffer. De son côté, l'homme en noir avait fait un amas de neige rond et il le balançait d'une main à l'autre. Soudain, il le lança au loin.

-Comment t'as fait ça?

-…lancer la neige?

-C'était tout compact…

Je remis mon gant de cuir et j'essayai de faire un amas de neige comme le sien, mais ce n'était pas aussi beau, aussi rond. Il se rapprocha de moi et m'expliqua comment il fallait presser la neige en la tournant pour qu'elle prenne la forme d'une sphère. Je ne comprenais pas très bien ce mot. Sphère… sphère…

-Sphère… comme la Planète?

-Hm, oui… comme la Planète…

Je m'efforçai de faire donner à ma « boule de neige » la forme d'un rond aussi parfait que celui de la Planète… et je la lançai fortement contre un arbre. Boom! Plus de Planète! C'était amusant, je décidai d'en faire d'autres pour mieux les fracasser.

Boom! Contre le toit de la maison d'en face! Boom! Contre cet arbre! Boom! Contre cette affiche! Boom! Contre ce poteau! Des dizaines de Planètes de neige qui explosent!

L'homme me regardait faire, il riait.

-Tu t'amuses, Kadaj?

-Oui!

Il pencha la tête de côté alors que je recommençais à lancer des « boules de neige » un peu partout. Je l'entendis murmurer : « C'est mignon… » mais je n'y fis pas trop attention. J'étais trop occupé à… boom!

J'eus une nouvelle idée pour sacrifier mes Planètes. J'en fis trois que je lançai très haut à trois hauteurs différentes, je sortis souba et je les découpai d'un même geste, gracieusement. C'était amusant… après les Planètes fracassées, les Planètes découpées…

-Tu es habile avec ton arme, à ce que je vois, me dit l'homme.

Je traçai des cercles dans la neige avec les pointes de souba. Avec la mithryl blade, puis avec la shadow blade.

-Grâce à kaa-san.

-Comment ça, grâce à ta kaa-san?

-C'est elle qui me donne la force, c'est elle qui guide mon corps. Moi, je ne suis rien là-dedans. Je ne suis qu'une marionnette au bout d'un fil, avec un sabre.

-Une marionnette n'a pas de conscience. Toi, si. Tu es conscient de tous ces gestes que tu fais, dit-il gravement.

-Je ne sais pas. Je les vois, je les demande, mais je ne les contrôle pas vraiment. Seulement grâce à elle.

-… Si tu le crois vraiment…

Il avait l'air un peu découragé de mes réponses, mais que pouvais-je répondre d'autre? Je ne sais pas mentir, de toute façon. Comment aurait-il pu comprendre à quel point cela me faisait plaisir d'être l'instrument de ma kaa-san? J'allais quand même tenter de lui expliquer, il le fallait bien. Il m'en avait tant expliqué lui-même…

-Kaa-san est tout pour moi... c'est pour ça que je dois la retrouver, tu vois? Elle est tout. Tout. Tout.

-Je vois. Tu la retrouveras.

-Bien sûr!

Je fis une nouvelle « boule de neige » que je lançai sur la porte de l'auberge.

-Eh! Évite de viser l'auberge, d'accord?

-Mais si c'est de l'eau, ça ne fait pas mal à l'auberge, non?

-Non, mais... ça fait beaucoup de bruit et mon patron va sûrement se fâcher!

Je penchai la tête de côté. C'est drôle, ces soucis des humains…

-Tant que ça?

-Il ne m'aime pas trop…

Je refis une nouvelle « boule de neige » et je la contemplai un moment, sa perfection ronde.

-Pourquoi?

-Il a peur que je lui enlève Alexia, sa serveuse chérie.

-Ah bon…

Alors que j'allais faire éclater ma nouvelle Planète de neige, l'homme se laissa tomber dans la neige. J'en perdis mon élan, et ma « boule de neige » alla s'écraser seulement à quelques mètres. Je me précipitai vers l'homme pour savoir ce qu'il faisait. Il avait mis ses bras en croix. Ses yeux étaient ouverts, il ne bougeait pas, il n'avait pas l'air d'avoir mal. Je me penchai au-dessus de son visage.

-Tu n'as pas froid, comme ça?

Il me regarda pendant un moment, puis il me répondit :

-Un peu, mais je ne peux pas tomber malade.

-C'est amusant de s'allonger dans la neige?

Il sembla réfléchir pendant un instant, puis il me sourit.

-Bah si, c'est amusant. Tu peux faire des anges de neige…

Il se mit à agiter les bras et les jambes de façon étrange et ridicule, traçant des sillons dans la fine poudre de neige.

-Des anges?

Il se releva en faisant attention pour ne pas faire de marque dans l'empreinte qu'il avait laissée dans la neige. Ça donnait une forme étrange, aux membres larges.

-Ce sont des êtres qui ressemblent aux êtres humains, mais avec de grandes ailes.

-Je n'en ai pas encore vu. Toi, tu en vois souvent?

Il secoua la tête. De la neige tomba de ses longs cheveux d'ébène remontés en queue de cheval, fine poudre mouillée, brillante.

-Je n'en ai vu que dans les livres.

-D'accord… alors c'est comme la boîte à images, ce sont des choses qui ne sont pas réelles…

-Hmm… on peut dire ça…

Il secoua son chandail. Encore plus de neige retomba par terre.

-Les mots dans les livres ne peuvent pas être vrais, lui dis-je, ils sortent de la tête des humains…

-Ah, ça c'est faux, répliqua-t-il. Il y a beaucoup de livres qui sont vrais, surtout ceux qui racontent l'histoire du monde… des civilisations…

-Votre histoire ne m'intéresse pas, répondis-je en haussant les épaules.

-Et pourquoi, parce que nous sommes des humains?

-Oui… des usurpateurs…

Normalement, quand je dis des choses comme ça, les humains se fâchent, se mettent en colère, s'irritent… mais lui, il a juste l'air de vouloir en savoir plus sur ce que je pense. Parce que c'est un loup parmi les hommes…

-Quel est ton but, dans ce monde?

-Moi? Je dois trouver kaa-san.

-Et après avoir retrouvé ta kaa-san, tu vas faire quoi?

-Ça... ce sera elle qui le décidera. Je ferai tout ce que ma kaa-san me dira de faire.

Il sourit un peu, l'air triste. Comme s'il ne souriait pas à l'intérieur de lui.

-Tu es chanceux, me confie-t-il. Au moins, ta kaa-san, elle se souvient de toi…

-Ma kaa-san est une déesse, comment pourrait-elle oublier?

Je pointai le ciel bleu, à peine ennuagé.

-Elle vient de là-haut... et elle y retournera. Grâce à moi. Et elle sera fière de moi. Enfin.

-Car… elle n'est pas fière de toi en ce moment?

Aïe… que c'était dur d'entendre ces mots-là!

-Je ne suis pas son préféré…

-Je te comprends.

-Au moins, toi, tu sais où est ta mère... et... il suffirait probablement qu'elle le veuille pour qu'elle se souvienne de toi!

Je me tournai vers lui et je le regardai dans les yeux. Ce qu'il pouvait avoir un regard désespéré… Il doit se sentir comme s'il n'avait pas de mère! Je ne peux même pas imaginer ce sentiment…

-Ça fait dix-huit ans qu'elle a oublié que je suis son fils… je ne crois pas que sa mémoire va revenir de sitôt… enfin…

-Non, ce n'est qu'une question de volonté. C'est toujours comme ça avec vous, les humains.

-Alors, on pourrait dire qu'elle ne veut pas se souvenir…

Il haussa les épaules, comme si ça ne lui faisait plus rien. Ce n'était pas vrai. J'aurais bien voulu l'aider…

-C'est ça le problème avec vous... vous êtes névrosés, vous êtes la cause de votre propre malheur!

-Ça, je le savais déjà, dit-il en riant nerveusement.

-C'est probablement la même chose pour ta kaa-san. Et si tu veux la ravoir, il y a un moyen, mais elle ne le supportera probablement pas.

-Nani?

Il n'avait pas l'air de comprendre : je voulais vraiment l'aider!

-Si elle porte l'esprit de ma kaa-san, expliquai-je, je peux aller dans sa tête et la forcer à se souvenir de toi.

Il fronça les sourcils.

-Non… merci, mais non… L'esprit de ta kaa-san?

-Ses cellules…

-Le… le Géostigma?

Mais pourquoi ont-ils tous cet air terrifié en parlant du Géostigma?

-Mouais, je crois que c'est comme ça que le shachou appelait cette bénédiction.

-Plusieurs appellent ça une malédiction, tu sais?

Tellement humain…

-C'est à cause de la Planète que c'est une malédiction... mais regarde-moi! Tu crois que j'ai l'air maudit?

-Mais non! Cependant… les cellules de ta kaa-san n'ont pas le même effet sur toi que sur les humains.

Je lui tournai le dos. Il comprenait, et en même temps, il ne comprenait rien.

-J'ai déjà été humain, tu sais? Mais bon… Je pourrais bien faire ça pour toi, pour ta kaa-san.

-Ma kaa-san n'a pas le géostigma.

Je tournai à moitié la tête vers lui et j'esquissai un léger sourire.

-Ça peut s'arranger, tu sais…

-Non, répondit-il en secouant vivement la tête. C'est bien intentionné de ta part, mais non. Ne fais pas ça. Je veux qu'elle s'en souvienne par elle-même… pas que quelqu'un force ses souvenirs.

-Vous avez tellement peur de vous faire du mal… soupirai-je.

Il soupira lui aussi. Pauvre de lui… englué dans la morale humaine… je le plains.

Je me laissai tomber dans la neige comme il l'avait fait plus tôt, mais je repliai mes genoux contre ma poitrine, comme j'aime le faire.

-Que fais-tu? me demanda l'homme à qui j'aurais bien voulu donner un nom.

-Hm?

-Tu pourrais attraper froid, à rester dans la neige, comme ça…

-Je ne crois pas non…

Je fixai mon regard, fasciné, sur les cristaux de neige juste devant moi. Les reflets du soleil, la blancheur, cristal... je jouai avec la matière nouvelle du bout des doigts. L'homme s'accroupit auprès de moi.

-Tu es sûr?

-Si tu ne peux pas être malade, pourquoi moi je le serais?

-Les humains normaux peuvent être malades, me répondit-il. Moi, j'ai été modifié.

-Moi aussi, alors… répliquai-je en esquissant un léger sourire.

Je continuai à jouer avec la neige, du bout des doigts. L'homme-loup se releva et regarda à l'horizon.

-Ils viennent comment, tes frères?

-Ils ont laissé leurs motos dans la plaine, ils viennent à pied.

-Eeeeh... ça risque de prendre du temps. Beaucoup de temps.

-Moins que tu crois.

-Si tu le dis…

Mais pourquoi il n'avait-il jamais l'air de me croire? Il fallait encore que je me justifie!

-Je suis venu ici à pied en une demi-journée.

-… Vraiment!

-Mouais... ça aurait été plus facile si le chemin avait été mieux déblayé.

-Ça, ça ne risque pas d'arriver... il neige trop souvent, dit-il en riant doucement.

-Bah, ils devraient être là dans quelques heures.

-D'accord.

Il regarda son bracelet avec un petit cadran, puis il soupira et se releva.

-Je dois retourner à l'intérieur, moi, dit-il d'un ton un peu découragé. Pour travailler…

-Hm. Travailler… si tu le dis…

Quels drôles de concepts ils ont, ces humains!

-Oui, je le dis. Tu… vas être correct, là?

-Oui oui... je rentrerai si j'ai froid.

Je continuai à tracer des motifs dans la neige, laissant kaa-san prendre de plus en plus le contrôle de mes gestes. Tout devenait inconscient, tout était flou, tous mes gestes étaient plus faciles… la dernière chose que je vis vraiment, ce fut l'homme-loup, à la porte de l'auberge, hésitant à entrer, comme s'il avait peur de me laisser là. Ne t'en fais pas, avais-je envie de lui dire, tout va bien aller, même si tu ne me surveilles pas, kaa-san est là, kaa-san veille sur son enfant.