Hum… je crois que je ne peux que m'excuser du temps que j'ai mis à poster ce troisième chapitre…

Je vous rassure le prochain devrait arriver plus rapidement étant donné que (cette fois-ci) je sais déjà ce que je compte écrire dedans.

En fait mon histoire a subi plusieurs changements de scénario et un aussi un autre très important dont je tenais à vous informer. Cette fic est à présent liée, si je puis dire, à celle ayant pour titre « La Dame des arbres », de Uruviele. Les personnages de ma fic se retrouveront dans la sienne et vice-versa. Si donc vous désirez en connaître davantage sur eux il ne tient qu'à vous d'aller voir la dite histoire… Mais il n'est bien sûr pas nécessaire de connaître l'une pour comprendre et apprécier l'autre.

D'ailleurs ce chapitre-ci est dédiée à 'Viele, également ma bêta-readeuse, et sans qui ce troisième chapitre aurait encore mis bien davantage de temps à voir le jour… ;o)

Merci 'Viele… et un grand merci aussi à tous ceux qui m'ont lue et laissé une review…


Chapitre 3

Les yeux perdus dans la mer verte étendue à ses pieds et plongeant jusque sous les Montagnes blanches, Nimrodel songeait.

Sa rencontre avec la roi ne cessait d'occuper ses pensées et cela l'exaspérait. Son cœur, la perplexité de cette rencontre oubliée, s'était empli de colère.

Colère contre cet homme, ce guerrier qui règnait à présent sur le pays. Colère pour tout ce qu'il personnifiait, la violence du combattant et le sang-froid de l'homme accoutumé à détenir le pouvoir. Et colère surtout pour sa réaction, contrastant par trop avec l'image qu'elle s'était forgée de lui pour qu'elle puisse le haïr.

Un pli amer déforma ses lèvres fines en songeant avec quelque mépris à l'attitude de son père. Malgré le fait qu'il domina le jeune roi de la sagesse de bien des jours, il semblait lui vouer un respect sans borne. Sa confiance en cet étranger paraissait une insulte à Nimrodel : qu'un prince de Lorien s'inclina devant un sinda, fût-il roi, lui apparaissait comme inconcevable.

Mais si elle s'était elle s'était tout d'abord irritée contre le roi, lui gardant rancune de la surprise et de sa brusque irruption dans son intimité, c'était à présent contre elle-même que se tournait son aigreur. Elle ne ressentait point tout le mépris qu'il aurait du lui inspirer ; pis, elle en venait même à s'interroger sur le bien-fondé de son aversion pour lui. Et elle était fâchée de s'attarder sur cette pensée, de se laisser troubler ainsi.

Car ne méritait-il pas moins que son hostilité, ce prince gouvernant un peuple qui n'était pas le sien ? Tous ses sentiments ne devaient-ils pas se rebeller contre l'affront fait ainsi à son peuple et à sa culture ? Et il était un homme de guerre, avec tout ce que cela supposait en termes de barbarie et de laideur ; l'horreur de la mort qu'il avait donnée et donnerait encore la révulsait.

Arrachant son regard à la soleil qui embrasait le ciel pâlissant pour un ultime adieu avant de s'enfoncer dans les ténèbres, Nimrodel eut un soupir d'agacement. A quoi bon ces réflexions stériles ? Il fallait s'accomoder des choses telles qu'elles apparaissaient. Elle avait nul besoin de réfléchir aux conséquences de cette rencontre ; elle n'en aurait sans aucun doute pas la moindre.

Ignorant la douce et brève rencontre de Lurien, pâle âstre blanc montant dans les cieux, avec la brillante mais fuyante Arien, Nimrodel quitta le précaire abri de la cime du mallorn.

§

« … pourrait certainement entraîner de grands changements dans le royaume. »

Amroth réalisa qu'il n'avait pas prêté attention à la fin du discours de sa compagne.

Celle-ci se leva et s'immobilisa, attendant visiblement qu'il la suive. Prenant son bras, il franchit la haute porte pour suivre un escalier de pierre autour duquel courait de fines branches de lierre.

Elle l'entretenait toujours des dernières nouvelles parvenues dans la matinée.

« Je ne doute point que vous réalisiez… »

Le roi était perdu dans ses pensées. Plusieurs semaines déjà s'étaient écoulées depuis son couronnement ; malgré son habituelle modération les évènements survenus récemment l'avaient laissé quelque peu hagard : il était dur de savoir que tout un peuple comptait sur lui alors qu'il se sentait si peu assuré de son propre destin. La guerre était passée, remportée, et ce n'était point là la cause de ses péoccupations ; nul remord ne l'avait jamais effleuré de ses cruelles ailes. Mais la mort de ses soldats et celle de son père l'avait abattu, réduit à moins encore qu'une ombre, tandis qu'il s'interrogeait vainement sur le sens de tout ce qui l'entourait.

« … et sans doute devrions-nous pour cela… »

Cependant, ces derniers jours l'avaient vu renaître à lui-même : à nouveau, il appréciait les joies simples qui lui étaient offertes jour après jour ; il savourait le douceur des étoffes frôlant sa peau, la violente caresse du vent sur son visage, l'odeur s'exhalant de la terre après une averse, la mélodie de la vie de la forêt. Il prenait plaisir à se sentir vivant, simplement.

« … sans tarder. »

Amroth ayant eu la malséance de laisser paraître son ennui, Erinêl dit alors :

« -J'aimerais me rendre à la bibliothèque. Si vous voulez bien m'excuser, mon roi. »

Amroth ne put s'empêcher d'esquisser un sourire vaguement agacé. Avec quelle délicatesse elle s'empressait ainsi de répondre à ses désirs ! Et ceci faisant, elle agissait toujours de telle manière qu'un observateur extérieur eut cru qu'elle agissait pour son intérêt propre.

En lui-même, il la compara à l'imprévisible créature qui, quelques temps auparavant, avait sans le savoir extirpé du deuil son âme, puis s'était gaiement jouée de lui.

Ne paraissant pas s'apercevoir du sourire flottant sur ses lèvres et de son air absent, Erinêl esquissa une révérence et tourna les talons avec toute l'élégance qui la caractérisait.

Le roi la suivit quelques instants du regard alors qu'elle s'éloignait ; sa chevelure sombre remontée sur sa nuque découvrait ses épaules blanches qui se soulevaient et s'abaissaient avec régularité, au rythme de ses pas.

L'elfe une fois hors de vue, Amroth s'abandonna à nouveau au tourbillon de ses pensées, et aux rêveries qui le tourmentaient. Il se dirigea d'un pas lent vers l'entrée du palais. Il désirait entendre le rapport d'Haldir avant que celui-ci ne soit révélé au conseil.

§

Paisiblement installées dans l'herbe naissante, et protégées de la vigueur du soleil par de hauts arbres aux troncs neigeux, étaient trois elfes. Leurs rires s'élevaient insouciants dans le ciel clair et leurs yeux brillaient de toute la beauté de l'innocence.

L'une d'elles était assise, les jambes repliées sous elle et adossée à un arbre. Ses yeux d'un gris de perle furent traversés d'une lueur taquine tandis qu'elle interrogeait ses amies, paresseusement allongées à ses côtés.

« -Allons donc ! Vous ne trouvez pas ?

-Cela semble en vérité le but recherché, grommela l'une en prenant une mine boudeuse. Son visage plein exprimait une franche bonté, démentant ses propos plaintifs.

-Voyons Ninniath, la réprimanda joyeusement Nimrodel, nous n'allons pas abandonner ainsi ! Ne peux-tu point nous la conter à nouveau Galadhwen ? »

La dénommée obtempéra avec un sourire.

« Quatre frères sont en ce monde ; ils sont nés ensemble. Le premier court sans cesse et ne se fatigue jamais ; Le deuxième mange sans jamais être rassasié ; le troisième boit et a toujours soif, et le quatrième chante une chanson sans jamais s'essoufler. Qui sont-ils ? »

Durant un moment, seuls se firent entendre le doux bruissement des feuilles au-dessus d'elles et, au loin, les trilles passionnés d'un oiseau ; le vent portait les bruissements de la forêt. Puis, Ninniath se redressa brusquement avec une expression triomphante.

« L'eau, le feu, la terre et l'air ! » énonça-t-elle victorieuse.

« C'est bien cela. A toi à présent ! »

Agitant ses boucles désordonnées et rajustant sa robe couleur pourpre d'un air important, l'elfe déclama solennellement :

« Vous le nourrissez, il vit. Donnez-lui à boire, il mourra. Qui est-il ? »

Nimrodel qui entourait distraitement ses cheveux couleur de sable esquissa une moue peu convaincue.

« La réponse nous est donnée par l'énigme précédente. Celui qui mange sans être rassasié mais ne supporte pas le contact de l'eau c'est le feu bien sûr. »

Ninniath se laissa lourdement retomber dans l'herbe tandis que son amie enchaînait.

« On les trouve le soir sans qu'on les ait cherchées, mais on les perd le matin sans qu'on les ait volées. Qui sont-elles ? »

La devinette n'aurait point été aisée si les éléments ainsi désignés n'avaient pas été tant chéris du peuple auquel appartenaient les trois amies.

« Les étoiles » répondit Galadhwen avec simplicité. Puis elle reprit :

« Fragile, vous le brisez si même vous le nommez. Qui est-il ? »

A cet instant, Nimrodel se laissa aller et plongea sa tête dans l'herbe humide de rosée. Un discret soupir expira sur ses lèvres. Il fut cependant nettement perceptible pour les deux elfes qu'étaient ses compagnes. Galadhwen fronça les sourcils.

« A quoi penses-tu donc ? »

Nimrodel eut un sourire mutin.

« Le silence »

Galadhwen éluda sa réponse d'un geste de la main.

« Non, je ne parle pas de ça. »

Sa compagne prit alors un visage plus sérieux pour demander l'air détaché :

« Dis-moi plutôt, quelles sont les dernières nouvelles qu'a rapportées Haldir ? »

Ses jeunes amies échangèrent un regard déconcerté et Ninniath émit un rire moqueur.

« - Pense-tu nous duper ainsi ? Tu te trompes grandement alors !

- Et depuis quand t'intéresses-tu aux nouvelles de l'extérieur ? » renchérit l'elfe aux cheveux auburn.

« Oh, je me demandais seulement ce qu'il t'avais raconté, tu paraissais suspendue à ses lèvres quand vous vous êtes retrouvés, sans doute ses propos devaient-ils être de la plus grande importance ! » rétorqua taquine, Nimrodel.

Les pâles joues de Galadhwen prirent une légère teinte rosée tandis qu'elle protestait faiblement. Mais sans écouter ses objections, son amie éclata de rire, tandis qu'éclosait en elle le spectre d'une tendre tristesse.

§

Amroth parcourut la pièce du regard. Dans la riche chambre du conseil où brûlait été comme hiver un doux feu de bois baignant la pièce d'une lueur mordorée, on avait dressé les sièges en un cercle. Tous les membres du conseil avaient pris place. Ils s'étaient réunis pour écouter le récit d'Haldir revenu la veille de son expédition ; celui-ci se tenait au centre, fièrement campé sur ses jambes, son regard scrutait le visage de son souverain en l'attente d'un signe lui indiquant de prendre la parole. Amroth esquissa un geste d'assentiment et il commença de sa voix grave et bien timbrée :

« Je suis rentré hier du voyage qui m'a conduit aux Royaumes en Exil et à Imladris. Là-bas, j'ai reçu l'accueil attendu ; les dirigeant des cités de l'Arnor et du Gondor adressent à la Lothlorien tous leurs espoirs de bénédiction et l'assurance de leur amitié. Le seigneur Elrond salue chaleureusement les elfes lorinands. »

Une fois ces paroles conventionnelles prononcées, l'elfe requit une nouvelle fois du regard l'avis de son souverain ; celui-ci acquiesa d'un air las.

« Nous avons appris en Arnor de graves nouvelles. A notre arrivée, de longs mois s'étaient écoulés depuis le départ du roi Isildur et de sa suite, qui se rendaient à Fondcombe. Seuls étaient revenus au pays l'écuyer de leur roi et son compagnon, ramenant les fragments de Narsil. Cet écuyer, un dénommé Othar, a témoigné avoir fui une embuscade d'orques sous ordres de son souverain afin de préserver l'épée qui fût brisée. »

Tandis qu'il révélait ces nouvelles d'un ton neutre, des regards surpris et empreints d'une certaine angoisse se croisaient dans la salle, bien que pas un mot ne fût formulé. Le noble garde de Lorien continua donc son énoncé.

« Nous nous sommes alors rendus à Imladris comme convenu et avec l'espoir d'éclaircissements. Là-bas Elrond ne nous a hébergés que le temps de nous restaurer et de nous apprendre ce qui devait être su des souverains des eldars. En cette vallée protégée résident actuellement la reine de l'Arnor et celui qui est sans doute à présent l'unique héritier de trône, Valandil, le jeune fils d'Isildur. »

Dans l'âtre une bûche s'enflamma en un crépitement rougeâtre et le bois de pommier s'embrasant répandit une fragrance sucrée. Le silence pesait sur toute l'assemblée tandis qu'Haldir laissait aux nobles le temps d'assimiler les déroutantes informations.

« D'autres nouvelles du combat sont parvenus à Imladris. Vous souvient-il des récents troubles ayant agités nos frontières ? C'est alors que s'est produit ce combat, aux Champs des Iris. Un jeune homme blessé a trouvé refuge à Imladris. C'était l'écuyer d'Elendur qui avait été laissé pour mort sur le lieu de la bataille. Il est le seul qui n'y ait point péri, ou il y a fort à le craindre. Il a été témoin de l'adieu que se firent Isildur et son fils tandis que ce dernier le priait de s'enfuir pour épargner sa vie. Cependant, nul n'a revu vivant ou mort le roi de l'Arnor et du Gondor, et ce en dépit de toutes les recherches entreprises. »

Haldir reprit son souffle et le roi Amroth l'encouragea à poursuivre du regard.

« Les Royaumes en Exil doivent à présent avoir été avertis de la disparition de leur roi. Toutefois, son héritier est actuellement bien trop jeune pour prétendre au trône et auncun homme du Gondor n'est digne d'assurer la régence… Le seigneur Elrond se propose donc d'y veiller et de s'employer à l'instruction du futur roi. »

Une ombre de silence plana sur la pièce, puis, comprenant que c'était là la conclusion de son récit, les princes de Lorien s'agitèrent, et des murmures s'élevèrent tandis qu'ils tâchaient de réfléchir aux nombreuses conséquences que ne manqueraient pas d'avoir ces évènements. Haldir semblait hésitant sur l'attitude à suivre et s'apprêtait à quitter la pièce mais Amroth l'interpella :

« J'aimerais que tu assistes à ce conseil. » lui souffla-t-il.

Le grave elfe prit donc place sur un siège, en retrait derrière son souverain. Un prince noldo enfin, prit la parole, laissant éclater ses sentiments.

« Nous devons réagir ! La Terre du Milieu change et vit tandis que nous demeurons en nos forêts. L'événement est trop important pour que nous n'y ayons quelque part. Il faut sans tarder envoyer une délégation à Imladris afin d'engager avec ses gens les pourparlers à propos de la succession. Former l'esprit du futur souverain et tenir son rôle jusque sa majorité : c'est trop pour un seul elfe ! »

« Je ne crois pas cependant que quiconque soit mieux à même que lui d'assumer ces tâches… le seigneur Elrond est en parenté avec les hommes des Royaumes en Exil, ne l'oublions pas. » énonça Erinêl d'une voix apaisante. »

Saeldol, qui siégeait à la droite du roi, prit alors la parole :

« Ne devrions-nous pas en effet envoyer une ambassade à Fondcombe, non pour contester son autorité, mais afin d'y assurer quelque prise ? Des relations avec l'Arnor ne seraient pas négligeables, et avec le Gondor bien davantage encore. »

Ces mots furent accueillis avec approbation parmi les nombreux princes sindar du conseil. Ils échangèrent force impressions jusqu'à ce le conseiller ne reprenne.

« En effet, si l'ambition peut paraître démesurée, Elrond ne se réserve, pas davantage que pour l'héritier légitime semble-t-il, le trône du Gondor. Or, Isildur ne l'avait-il pas conquis ? N'apparaît-il point que son fils y doive siéger ? Ce privilège ne doit pas lui être ôté si l'on suit mon opinion ; ce serait reculer qu'abandonner maintenant ces belles terres à Meneldur, sur qui nous avons peu d'influence et qui fait peu de cas des autres peuples que celui des hommes. Ne coule d'ailleurs en lui que peu du sang de ses pères ; il ne faut pas lui laisser autorité sur ce royaume. »

La grande majorité du conseil acquiesa, l'idée était habilement exposée et semblait tout à leur avantage. Mais Arbrannon, principal représentant au palais du peuple des elfes sylvains natifs de la forêt, contesta :

« Nous n'avons nul besoin de nous assurer le pouvoir sur les terres des hommes. Celles de notre peuple ne nous suffiraient-elles donc pas ? Et pourquoi faire tant de cas de la mort d'un seul de ces êtres alors qu'ils meurent par centaines tous les jours ? C'est leur destin tout comme nous avons le nôtre, et il ne nous appartient pas de vouloir l'influer. Isildur était un homme brave et un valeureux guerrier ; mais trop téméraire et faisant preuve d'une arrogance certaine. Croyez-vous que vous auriez pu lui, le conduire à la sagesse ? Meneldur n'est certes pas un homme que l'on peut fléchir mais n'est-ce pas une heureuse chose ? Il est droit et raisonnable, le Gondor connaitra la prospérité sous son règne. »

Tous alors se turent, car le vieil Arbrannon était reconnu pour son don de vision. Mais le bouillant prince noldo rompit le silence avec véhémence :

« Serons-nous toujours enchainés par de trop prudents avis ? Le peuple de Lorien s'abîme dans un pays fermé et une vie confinée ! Nul grands exploits, nuls choses belles ou bonnes ne peuvent sortir de cela ! »

Les murmures allaient croissants et commençaient à s'envenimer. Les idées traditionalistes de l'elfe sylvestre se heurtaient souvent à l'avis de la noblesse sinda et noldo. Prenant alors enfin la parole, Amroth intima :

« Paix à présent ! Ce que vous nommez indûment des chaînes sont en réalité les racines de ce fier pays. Nous avons entendu les paroles d'Arbrannon et je crois qu'en elles est renfermée la véritable sagesse. Faisons confiance à son discernement et sa sagesse sans laisser notre orgueil ou jalousie prendre le pas sur la raison. Nous enverrons une délégation à Imladris pour assurer maître Elrond de notre appui. »

Son conseiller se tourna vers lui avec un air de désapprobation visible mais le roi ne parut pas lui prêter la moindre attention.

« Mon souhait est, maintenant que la paix règne, d'apprendre à mieux connaître le peuple que je gouverne, car il me semble peu d'entre nous aient la compréhension des mœurs du pays qui est nôtre. »

Cela sonnait comme reproche et c'est manifestement ainsi que le perçurent les nobles sindar et noldor à leur air offensé et humilié.

Afin d'adoucir ses propos Amroth ajouta néanmoins :

« C'est une chose certaine qu'il est pour nous difficile d'intégrer des coutumes qui nous sont étrangères ; et les temps troublés que nous avons traversés n'ont pas facilité cette entreprise… Mais peut-être le changement doit-il se faire dans le sens inverse à celui prévu, peut-être devrions-nous considérer qu'ici, ce sont nous les étrangers… »

Alors qu'il parlait, il lui sembla que les yeux d'Arbrannon brillaient d'un curieux éclat. Cependant, il garda le silence alors que l'ensemble du conseil se soumettait à sa décision.

Après que les différents princes et nobles aient quitté la pièce, Amroth retint Haldir quelques instants.

« Tu as entendu comme moi leurs réactions. Sans doute les choses seront-elles dures à changer, et les peuples prendront-ils longtemps à s'accorder, mais j'ai bon espoir. Et en dépit de ton récent retour, j'aimerais te demander de porter pour moi le message de la Lorien à Imladris. J'ai confiance en ton jugement et ta loyauté et désirerais que tes yeux me rapportent ce qu'ils auront obervé et tes oreilles perçu.

- J'agirai selon votre volonté, mon roi. »

§

La nuit commençait son règne et les ombres vespérales recouvraient la paisible forêt. Déjà, les animaux de la nuit s'aventuraient sous les frondaisons tandis que la rivière revêtait une robe argentée semblable à la douce lueur des étoiles s'éveillant. A bonne distance de la rive, de l'eau jusqu'à la taille, Nimrodel chantait.

Son chant avait succédé à la rengaine pétillante des petits oiseaux mais sa voix modulait en de vibrants trilles qui perçait la tiédeur de l'atmosphère et s'élevait vers le ciel satiné. La mélodie était simple et uniforme, motif sans cesse répété en de légères variations exprimant tout le bonheur de vivre et chacune des causes le lui inspirant. L'elfe mettait dans son chant ses différents sentiments, la gaieté de la jeunesse et la joie de l'amitié ; elle célébrait tous les éléments qui l'entouraient : le réconfort de la douce soirée, la lumière déclinante se reflétant encore parmi les vaguelettes folâtres, et l'assaut du courant sur tout son corps, qui cherchait à l'entraîner, à l'enlever, la bercer dans les eaux moelleuses jusqu'à la noyer, lui faire perdre conscience, l'emporter dans leur tourbillon de folie et de beauté.

La mélodie se tendait, se faisait plus acérée, presque violente, tandis que le chant de la mer sommeillant toujours dans le cœur de chaque elfe, se dressait avec fracas. L'air se faisait cri, déchirement, envie et douleur. Comme l'océan en colère, vagues terribles et mortelles, écume de délicate dentelle, la mélodie était complexe, changeante et trompeuse. Splendide, d'une magnificence presque insoutenable, le chant grossissait, effaçant dans sa houle toute trace de raison.

Puis un nouveau thème s'immisca dans le chant ardent ; discret tout d'abord, sous-jacent mais toujours présent, et prenant soudainement de l'ampleur pour dominer la mélodie principale. Reflet de mélancolie, image cachée affirmant soudain son existence avec force. Elle était mensonge cette pensée dévoilée, tromperie à soi-même, honteux secret qu'elle dissimulait sous le voile de l'indifférence.

Là, le son se troubla, puis se tarit.

Nimrodel, luttant contre le courant, gagna la berge. Son visage gracieux était figé en une expression glaciale mais ses yeux, d'un vert foncé dans le soir tombant, brillaient sombrement. Elle s'abattu sur la rive et y resta immobile, sa peau ocrée dégoulinant tandis qu'elle demeurait plongée dans l'abîme blanc de la perplexité.

§

Amroth émergea brusquement de son sommeil. Il prit quelques instants à reprendre ses esprits puis, s'interrogea sur ce qui l'avait ainsi réveillé. Instinctivement il allongea son bras jusqu'à terre pour empoigner la garde de son épée ; mais se ravisa : il était dans son royaume et la paix règnait dans le pays comme dans les alentours immédiats, maudite soit cette guerre qui lui avait inculqué une telle défiance !

Silencieux comme la nuit, il rabattit ses draps pour se lever. Il scruta la chambre du regard, survolant rapidement le guéridon, la garde-robe, son coffre et sa table de travail encombrée ; mais tout semblait à sa place ordinaire.

Il se dirigea alors vers le balcon, écartant sur son passage les longs voilages gonflés par le vent. Mais personne. Alors qu'il sondait l'obscurité de la forêt en contre-bas, il eut la soudaine certitude d'une présence derrière lui. Il se retourna en un mouvement brusque regrettant finalement d'être désarmé ; mais cette idée s'effaca aussi rapidement qu'elle lui était apparue, seul un elfe pouvait ainsi se déplacer avec tant de discrétion.

Celui qui se détacha des ombres était un homme, de taille modeste mais élancé, et revêtu d'une longue cape qui lui apparut comme grise et semblant dérober son corps aux regards. Il effectua une rapide révérence.

« Mon roi. »

« - Que puis-je pour vous ? Me ferez-vous l'honneur de me déliner votre identité ? » demanda le souverain, tachant de gommer de sa voix toute trace de sa confusion.

« Je me nomme Tingil, fils de… Je suis un elfe nando, votre majesté. Ayant exprimé votre désir de connaître les us et coutumes de notre peuple, qui est aussi le vôtre, je vous propose aujourd'hui d'assister à un événement primordial pour les elfes sylvains. Nous sommes cette nuit le solstice d'été, la nuit la plus longue de l'année. A cette occasion est organisé une grande fête qui durera jusqu'aux premières lueurs de l'aube. Vous seriez ainsi rentré à temps pour répondre aux obligations qui sont les votres. »

L'elfe parut réfléchir quelques instants, puis ajouta :

« Si réellement apprendre davantage de votre peuple vous tient à cœur, n'hésitez point. En ces temps et lieux, une fois l'an, tous rangs et convenances sont oubliés. Ainsi, ajouta-t-il plus lentement, et ce avec tout le respect que nous vous vouons, cette nuit vous ne serez pas Amroth roi de Lorien, mais simplement l'un d'entre nous, libre d'agir comme tout un chacun, et cependant que tous agiront à votre égard avec la même liberté. »

Amroth tentait de réfléchir aux intérêts et conséquences que pourrait avoir telle folie, tachant d'écarter de son esprit la séduisante perspective qui lui était offerte : être et vivre, pendant l'espace d'une nuit, un être affranchi de toute obligation et responsabilité. Et après tout, cela ne répondait-il pas au vœu qu'il avait publiquement exprimé ? Il finit par se convaincre que c'était une bonne chose, et qu'il ne s'y pliait pas à cause de son souhait, mais afin de pouvoir mieux assumer le rôle qui était sien.

Il dit enfin à l'elfe aux yeux vifs qui attendait sa réponse :

« Je vous suis. »

Tingil lui tendit alors sans mot dire une cape semblable à la sienne, qu'il endossa rapidement, bien qu'avec surprise. Il avait la sensation à la fois désagréable et follement enivrante d'aller à la rencontre de l'inconnu, de vivre une vie qu'il ne maîtrisait pas.

Puis, l'elfe sylvain rabattit son capuchon et passa agilement la balustrade du balcon ; il bondit dans la forêt. Amroth le suivit et agrippa une frêle branche grise pour s'enfoncer à son tour dans les ombres.