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Chapitre 4
Le décompte de l'horloge
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23 mars 1986 – BMW near Miss Kelly's house

Dustin et Steve observèrent la rouquine sonner à la porte de sa conseillère d'orientation, celle chez qui Chrissy s'était visiblement confiée. Le quartier n'était pas loin de chez Steve, et était l'un des plus riches de Hawkins. La maison était grande et les jardins immenses.

Mme Kelly eut l'air d'être surprise de voir Maxine Mayfield à sa porte un dimanche après-midi, mais elle finit par la laisser entrer au grand soulagement des occupants de la voiture.

« Elle est entrée, » fit Steve, les yeux englués vers la maison, comme s'il pouvait pousser Mme Kelly à plus rapidement cracher ses secrets afin qu'ils retrouvent l'autre morceau du groupe.

« J'ai pas de clavicules, mais j'ai des yeux, Steve, » soupira Dustin à ses côtés sur le siège avant.

Mais les propos du plus jeune effleurèrent à peine l'esprit de Steve qui resta concentré sur la porte close de la maison où avait disparu Max quelques secondes auparavant. Il avait sûrement l'air d'un réel stalker là, au volant de sa voiture, fenêtre ouverte, à scruter avec intérêt une maison de riche famille, mais qu'importe.

« Alors… on va en parler ? » s'éleva la voix de l'ex-collégien.

Après un dernier regard vers la demeure impeccable, Steve se retourna vers le Henderson.

« Quoi ? »

« Ton pétage de plomb tout à l'heure, » lui précisa-t-il, ses yeux essayant de lire à travers l'âme de Steve. « Quand tu t'es jeté sur Nancy et le frère de Max. »

Oh, c'était donc sur ce terrain glissant que Dustin voulait les emmener tous les deux. Le cœur du plus âgé s'agita mais il garda son air cool habituel et répliqua :

« J'ai pas fait ça. »

« Si carrément, mec. Il y avait plein de témoins. »

Steve lui lança un regard désabusé et lui lança sans réfléchir :

« Tu crois que j'aime encore Nancy ? »

Ridicule, il y a presque deux ans ils s'étaient parlés en toute transparence et ils avaient définitivement pris chacun un chemin qu'il leur était propre. Ils avaient énormément évolués chacun de leur côté, à croire que leur relation n'avait été qu'un étau, une prison. Comment Dustin pouvait croire cela ?

« C'est pas Nancy que j'avais en tête, non, » lui répondit Dustin le plus sérieusement du monde. « Mais Billy. »

Les yeux de Steve s'arrondirent comme des soucoupes et son cerveau court-circuita quelques secondes. Avait-il bien entendu ?! Comment pouvait-il dire une chose pareille ? Tout était si bien verrouillé au plus profond de son cœur !

« Tu ne veux pas sortir avec Robin, » rajouta rapidement Dustin avant que Steve ne le jette dehors. « Tu m'assures avoir oublié Nancy et malgré les centaines de rencards que tu as eu ces derniers mois, dont cette fichue soirée qui nous a obligé à avoir à présenter Erica à Hellfire, tu restes totalement célib' ! Comme si tu savais fichtrement pas quoi faire ! »

Alors que toi, t'as plein de rencards mais tu sais pas ce que tu veux.

Les paroles de Robin le jour d'avant lui revinrent en mémoire comme une claque. Alors il n'y avait pas qu'elle qui avait remarqué que quelque chose clochait sérieusement dans son manège. Son cœur battait bien trop fort contre sa poitrine, et il en oublia que la fenêtre était ouverte juste derrière son bras pressé contre la portière et s'exclama :

« Calme-toi deux secondes, Dustin ! Est-ce que tu te rends compte de ce que tu sous-entends ? Billy est… un mec ! »

« Non, tu crois ? Merci de me préciser ça, j'aurais pas besoin d'aller soulever sa jupe pour vérifier. »

Steve lui fit les gros yeux. Mais cela ne sembla pas être une menace assez conséquente pour le plus jeune.

« Plus sérieusement, Steve, » s'exista Dustin comme s'il venait de comprendre la résolution d'un problème l'ayant turlupiné pendant des mois. « Maintenant tout prend sens ! Ouvre les yeux, bon sang ! Accepte d'avoir un crush sur un gars ! »

Accepte d'avoir un crush sur un gars ! Steve sentit son estomac de retourner et la panique réellement l'envahir. Une panique bien différente que lorsqu'on faisait face aux monstres de l'Upside-Down. Non, une tout autre panique, quand on faisait face aux monstres de l'ombre de Hawkins, du pays, et du monde entier. Avoir ce genre de penchants était mal vu. Si mal vu. Steve n'avait aucun problème à être ami avec Robin même en connaissant ses réelles attirances, ça ne changeait rien du tout. Mais Dieu qu'il savait que pour la plupart, ça n'était pas comme ça qu'ils pensaient.

Comme disait Robin, si elle se trompait de fille, elle serait la paria de Hawkins. Steve aimait plaisanter à ce sujet avec elle, pour lui faire oublier un instant que le monde qui les entourait était injuste et froid, et réchauffer un peu son cœur en discutant avec elle de ses potentielles crush, mais la réalité était toujours là.

Il n'avait pas le courage de Robin.

« Je n'ai pas de crush sur Billy ! » s'écria-t-il en se retournant pleinement vers le Henderson. « J'aime les filles, Dustin. Et les NICHONS ! »

« Hurle pas comme ça alors que les fenêtres sont ouvertes et qu'on stalke la maison de Mme Kelly. »

Steve jeta un bref regard derrière son épaule, mais vit que la rue était toujours totalement déserte, et fermer les fenêtres les feraient étouffer de chaleur. Le soleil commençait à taper un peu en ce début de printemps. Il était donc important de mettre un terme à cette conversation sans sens.

« Steve, Steve, Steve… » Dustin fut plus rapide à répliquer. « Je sais pas comment ça marche chez toi, mais tu as peut-être des vues pour les deux genres. Ou alors, tu es refoulé jusqu'au bout du bout. »

« Je ne suis PAS refoulé ! Je prends mon pied avec les nanas et avec Nancy c'était véritable ! »

« Très bien, ça réduit donc notre analyse à une seule option. »

Pour appuyer ses dires, Dustin leva un doigt sur lequel loucha presque Steve proche de l'implosion.

« Quelles analyses ?! Dustin je refuse d'avoir ce genre de conversation avec toi. Surtout à un moment aussi critique. »

Critique suite aux meurtres qui n'allaient plus en finir, non pas critique parce que son plus gros secret du moment allait être exposé au grand jour.

« Tu as surement le superpouvoir de tomber amoureux de n'importe quelle personne, » fit Dustin en lui adressant un sourire amusé. « Fille ou garçon. Accepte cette éventualité et tu trouveras la paix intérieure, » il posa une main sur son propre torse, près de son cœur.

« Tu sais que je suis littéralement à deux doigts de t'étrangler ? Mes mains sont juste là. »

Ça ne ferait qu'un cadavre en plus. Est-ce que cela était vraiment un problème ?

« Alors réponds sincèrement à ces questions, » enchaina Dustin en se redressant pour faire entièrement face à son ami. « Pourquoi laisses-tu Billy t'appeler Princesse et Pretty Boy ? Pourquoi tu passes plus de temps à traîner avec lui ces derniers temps, plutôt qu'avec moi ou Rob' ? Et pourquoi tu avais tant envie de suivre Billy pour le protéger ? »

Il avait décompté chaque question en levant un doigt tandis que Steve avait gardé le silence même s'il voulait hurler un gros STOP.

« Eh bien je vais te faire un plaisir de répondre ! De un, je le laisse m'appeler comme il veut car je le connais, il cherche une réaction de ma part. Si je ne réagis pas, il finira par arrêter ça. De deux, je ne sais pas où tu tiens tes comptes, mais je passe toujours énormément de temps avec Robin et tristement, avec toi aussi. Et de trois, i peine un an, Billy est passé à ça d'une mort atroce. Alors excuse-moi de m'inquiéter un peu, et ne pas avoir envie de le retrouver les yeux aspirés par ce Vecna ! »

« T'es tout rouge. »

C'était tout ce que Dustin avait à lui répondre.

« C'est faux, » marmonna Steve en se laissant brutalement retomber contre le dossier de son siège, évitant le regard inquisiteur du plus jeune.

Par automatisme, il passa une main dans ses cheveux, les retirant en arrière. Mais cela trahissait plutôt son état de stress intense. Néanmoins, Dustin ne fut pas long à reprendre au sein du silence pesant qui était tombé dans l'habitacle :

« Pourquoi est-ce que je ressens l'électricité entre toi et Billy. »

« L'élec-… Oh non, Henderson, n'utilise pas mes métaphores contre moi ! »

Bon sang qu'il allait l'étriper. Il n'eut pas la force de contre-attaquer plus que cela et claqua sa langue contre son palais pour ensuite reprendre son inspection de la maison, non sans le cœur battant toujours à la chamade. Dustin avait eu don de mettre ses pensées en vrac et ébrécher la partielle confiance qu'il avait sur sa situation amoureuse.

Une minute passa, peut-être Dustin s'était-il rendu compte qu'il était temps d'arrêter. Mais il reprit alors, d'une voix moins stridente et plus basse :

« Steve, si c'était le cas, que tu aimais un garçon. Que tu aimais ce relou de Billy parmi tous… ça ne serait pas un problème, OK ? »

Prenant deux grandes inspirations afin de rester calme, Steve déclara de vive voix :

« Ok, on va terminer cette conversation maintenant. Ou je te cogne sérieusement et là, tes dents vont descendre. »

L'expression de Dustin changea aussitôt, et Steve se rendit compte de la pique au bord de la méchanceté qu'il venait de lui lancer.

« T'abuses, » lâcha le plus jeune.

« C'était nul, pardon, » répondit aussitôt Steve sous le même ton.

« C'est bon, t'inquiète. »

Après un soupir, Steve leva un poing vers Dustin que celui-ci tapa avec le sien en signe d'accord. Mettre fin à cette conversation et oublié les propos déplacés de Steve. Tout allait bien désormais, non ?

Mais la réelle question n'était pas exclusivement ici, à bien creuser. La conversation avait beau être terminée, le mental de Steve était bouleversé. Sans dessus dessous.

Comment Billy Hargrove réagirait en apprenant tout ça ? Le frapperait-il dans le nez comme chez les Byers ? Couperait-il tous les ponts avec lui ? Ou bien… ?

Mais il ne put réfléchir plus intensément puisque Max arrivait jusqu'à la voiture en courant, ordonnant à Steve de démarrer et vite.

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23 mars 1986 – Hawkins High School

Max Mayfield avait chouré la clé menant au bureau de la conseillère d'orientation du lycée. Mais Steve Harrington était à peine étonné. Il avait cessé de réfléchir d'où pouvait provenir l'audace de Billy et Max depuis un long moment déjà.

La nuit était tombée lorsqu'ils pénétrèrent dans les longs couloirs du lycée qui rappelèrent de lointains souvenirs à Steve. Certains regrets emmenaient en se remémorant le genre de personne qu'il avait été par le passé, quand il avait foulé chaque jour le sol de ce couloir, mais l'heure n'était pas à la nostalgie et il marcha plus vite, Dustin a ses côtés.

« Dustin, tu me reçois ? »

Un sentiment de soulagement extrême s'empara de tout l'être de Steve lorsqu'il entendit la voix de Robin dans le talkie-walkie que Dustin récupéra sans attendre. Au vu de l'explication de sa collègue, ils avaient été tous trois plutôt triomphants au niveau de la documentation, datant les premières victimes de Vecna en 1959, ce qui remontait à assez loin. Il perçut la voix de Billy dans le fond, toujours source de chaleur remuant son bas ventre et faisant papillonner son torse. Merde.

Mais Dustin mis rapidement fin à l'appel, leur indiquant qu'il allait bientôt entrer en effraction pour récupérer des documents importants pour la suite de la résolution de l'enquête. Max était en effet déjà en train de déverrouiller la porte pour pénétrer sans attendre dans le bureau en question.

« C'est comme le Watergate, » s'amusa Dustin en entrant lui aussi, référence au célèbre président Nixon. « Hawksingate. »

Ignorant totalement son jeu de mot, Max fouillait déjà dans les dossiers des élèves pour ensuite lâcher « bordel de merde » qui attira leur attention.

« T'as trouvé ? » fit Steve, impressionné par l'efficacité de l'adolescente.

« Pas que le dossier de Chrissy. Mais aussi Fred. Il voyait Mme Kelley. »

De plus en plus intriguant. Ils se lancèrent des regards entendus et récupérèrent les dossiers pour les aligner sur le bureau et inspecter tout ça. Le premier dossier était celui de la jolie Chrissy. Max lut tout haut :

« Traumatisme, cauchemars horribles, difficulté à s'endormir, maux de tête. »

Steve qui jusque-là passait pensivement le faisceau de sa lumière sur les murs où était accrochés tout un tas de posters pour sensibiliser les étudiants, fut pris d'un temps d'arrêt. Il fronça les sourcils et reporta son regard vers les papiers devant la rouquine.

« Passez-moi le dossier de Fred, » demanda-t-elle ensuite.

Steve l'avait dans ses mains. Il déglutit et le lui tendit, se penchant alors vers le bureau pour mieux lire lui aussi ce qu'il ya avait de noter pour la seconde victime de Vecna.

« Souffrant d'un trauma passé, douloureux maux de tête, saignements de nez, » ajouta-t-elle en lisant les lignes qui ressemblaient de façon troublante aux symptômes de Chrissy. « Et cauchemars intenses à répétition. »

Steve eut soudain très chaud. Traumatisme ? Pas sûr qu'il cochait cette case, mais lorsqu'il était en seconde une psy du lycée avait supposé que l'attitude de ses parents envers lui ainsi que leur constantes absences avaient pu être les prémices. Maux de tête ? Cela faisait bien cinq jours qu'il en souffrait régulièrement sans trop comprendre pourquoi. Cauchemars ? Egalement, et toujours les mêmes. Et enfin, saignements de nez ? Bordel…

« Steve, ça va ? » l'interrogea Dustin qui vint planter son faisceau lumineux près de son visage.

Mais il avait du mal à entendre ce que le Henderson lui disait clairement. Il déglutit, le cœur beaucoup trop rapide, une main tremblante venant passer dans ses cheveux.

« Steve ? » insista Max qui s'était retournée vers lui.

Puis soudain, plus aucun bruit. La pompe de l'aquarium était silencieuse. Les souffles inquiets des deux adolescents n'étaient plus. Le vent extérieur s'était calmé. Seulement…

« Steve. »

Une voix gutturale s'éleva dans la pièce et Steve leva aussitôt sa lampe torche jusqu'à la porte ouverte menant au couloir. Comme tiré par un fil imaginaire, il s'approcha prudemment du couloir, serrant plus fermement la lampe dans sa main. Le couloir était calme lui aussi. Trop calme.

« Hey ! » lâcha Steve, cherchant à débusquer quelqu'un ou pour faire fuir un potentiel ennemi.

Il continua de marcher, ses baskets ne crissant pas comme elles avaient l'habitude de faire sur le sol ciré du lycée. L'embranchement du couloir arriva et il tourna, le souffle court. Un tic tac vint titiller ses oreilles, seuls son auditif pour lui. Et là, il se figea. Au fond du couloir sur le mur, était incrémentée une immense horloge à l'aura bien sombre.

« Non, non… » souffla-t-il, le faisceau lumineux tremblant.

L'horloge à pendule sonna bruyamment, les murs tremblant à ce son tonitruant, et Steve lâcha la lampe torche qui se brisa au sol, pressant ses paumes contre ses oreilles. Mais ce geste ne l'empêcha pas d'entendre à nouveau cette voix gutturale :

« Steve… »

Soudain, il se réveilla, manquant de tomber à la réserve sous le sursaut. Il était sur l'une des chaises près du bureau de Mme Kelly, Dustin et Max face à lui, mains sur ses épaules, visiblement troublés.

« Putain… » murmura Steve.

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23 mars 1986 – Hawkins High School

Robin, Nancy et Billy étaient revenus à l'exact moment où Steve avait entrainé Dustin et Max devant ce même mur. Mur vierge de tout objet antique. Cela allait le rendre fou.

« Qu'est-ce qui se passe ? » demanda Nancy qui voyait que quelque chose s'était produit durant leur absence.

Scrutant toujours le mur où était apparue l'horloge à pendule, Steve tremblait. Il se mordit la lèvre inférieure avant de faire face au groupe et ne pas se pisser littéralement dessus.

« Steve, » appela la voix de Billy derrière lui, emprunte d'inquiétude.

Et quand il se retourna, il les entraina jusqu'au bureau de Mme Kelly. Il avait compris quelque chose. Ce n'était en rien positif, mais cela allait faire avancer les choses. Steve se précipita vers le bureau de la conseillère d'orientation là où se trouvait encore les dossiers ouverts pour se placer devant lui et presser deux mains près d'eux.

« Chrissy et Fred ont tous deux consulté Mme Kelley ici, » commença Steve une fois le petit groupe autour du bureau, Robin et Max prenant place sur les chaises libres juste devant. « Ils souffraient de maux de tête, de migraines incessantes et de… cauchemars ainsi que des troubles du sommeil. »

En listant tout ça, Steve gardait son regard rivé vers les papiers sur le bureau. Il passa une main tremblante dans ses cheveux, encore et encore. La seule et unique chose qui l'empêchait de réellement paniquer, c'était le parfum emblématique de l'eau de Cologne mélangée à l'odeur de nicotine qui émanait de chez Billy trouvant à sa gauche.

« Ils se réveillaient en sueur, d'après ce qu'il y a de noté ici, » ajouta Steve d'une voix plus forte en indiquait les deux lignes similaires. « Et ils voyaient des choses. Des choses terribles. Ces visions se sont empirées jusqu'au jour où… tout s'est arrêté pour eux. »

La tension était palpable. Personne n'osait parler et Steve avait l'impression que lorsqu'il ne parlait pas, tout le monde pouvait entendre le battement erratique de son cœur. Il s'empressa donc de continuer, son index pointant une seconde ligne crayonnée dans le dossier de la jeune pom-pom-girl.

« Chrissy a eu sept jours de maux de crâne, » puis il se pencha vers celui de Fred. « Fred, c'est six jours. Quant à moi… j'en ai depuis cinq jours. »

Les réactions furent diverses, entre yeux s'arrondissant d'horreur, des hoquets de surprise ou bien, celle de Billy étant la plus démonstrative :

« Qu'est-ce que tu essaies de nous expliquer ? » s'exclama-t-il en attrapant le bras de Steve pour qu'il se tourne vers lui. « Pourquoi lier tout ça à toi ? »

« Je vis exactement ce qu'ont vécu Chrissy et Fred ! » répondit Steve sur le même ton, en désignant d'un geste de la main les dossiers pour appuyer ses dires.

« Dis pas de connerie, » insista pourtant Billy dont l'expression agitée surprit énormément le brun. « C'est sûrement des coïncidences. »

Mais Steve savait que non. Pas à Hawkins. Et Billy devait lui aussi le savoir. Ainsi, il tira sur son bras pour se dépêtrer de la poigne à présent douloureuse du blond et recula d'un pas, la gorge nouée. Malgré lui, des larmes lui montèrent aux yeux, mais il se décida à ne surtout rien laisser couler. Ils avaient besoin de lui pour la bataille. Et pas d'un déchet émotionnel.

« Je suis peut-être pas doué en math, mais je sais une chose, » ajouta Steve en évitant soigneusement le regard de ses amis. « Ils sont mors tous les deux moins de vingt-quatre heures après leur première vision… »

Robin lâcha un faible « Steve, » comme pour l'empêcher de dire tout haut ce qu'ils pensaient tous tout bas, et qu'une fois verbalisé, tout cela soit réel.

« Et je viens de voir… cette fichue horloge, » compléta Steve en allant presser une main contre son visage. « Si mes calculs sont bons, Nance' tu pourras corriger si j'ai tort mais… Je mourrai surement demain. »

Dustin et Billy ouvrirent aussitôt la bouche, sûrement prêts à répliquer à cela avec force, mais un bruit inquiétant se fit entendre quelque part dans l'école. Comme si quelqu'un avait forcé la porte. Le groupe fit volte-face jusqu'à la porte ouverte du bureau. Ne pouvait-il pas être une petite seconde tranquille.

« Restez là, » indiqua aussitôt Steve, l'adrénaline encore présente dans son sang.

Billy bougea lui aussi, sur ses gardes, et alors que Steve récupérait une lampe près de la porte en guise d'arme, une fois dans le couloir, le Californien récupéra agilement un couteau à cran d'arrêt dans la poche de sa veste en jean, qu'il ouvrit dans un clic résonnant.

« Tu te balades tout le temps avec ça sur toi ? » lui glissa Steve à voix basse, lançant un drôle de regard jusqu'au couteau qui brilla sous les lumières des lampes torche du groupe derrière eux.

« Pour ta protection, princesse, » fut l'unique réponse de Billy qui garda ses yeux rivés devant lui, prêt à frapper.

Steve se retint de lui foutre le pied de la lampe en plein visage, et continua de marcher avec prudence, cherchant à percevoir le moindre bruit. Il serra plus fermement le pied de la lampe entre ses mains, priant pour ne pas tomber sur un potentiel Vecna en chair et en os ou un énième Demo-gorgon. Il avait bien assez de problèmes comme ça.

Soudain, quelque chose sauta sur leur vision. Steve hurla, son cri aussi fort que celui du Henderson derrière lui. Même Billy avait été sur le point de lâcher un cri de surprise lui aussi suite à l'arrivée inopinée de nul autre que :

« Lucas ?! » s'exclama Nancy qui fut la première à avoir reconnu le jeune lycéen essoufflé.

« C'est moi, oui, » lâcha Lucas entre deux souffles.

Il semblait avoir couru des kilomètres de parcours. Steve se remit de sa frayeur et cria à l'adresse du nouvel arrivé :

« J'aurais pu t'assommer avec cette lampe ! »

« Et moi t'égorger, Sinclair, » ajouta Billy en montrant son couteau pour ensuite se tourner vers la rouquine un peu plus loin. « Maxine comment peux tu continuer de sortir avec ce suicidaire ! »

Maxine l'ignora totalement et se rapprocha de Lucas pour voir un peu dans l'état qu'il était. Lucas s'excusa toujours en haletant et expliqua :

« J'ai fait treize kilomètres de vélo… Une seconde, merde… »

Le pauvre garçon prit le temps de respirer convenablement plusieurs fois avant d'annoncer un tragique : « code rouge. »

Merde. Pas encore.

« Dustin ! » annonça-t-il ensuite en se rapprochant du concerné. « Jason, Patrick et Andy ont pété un câble ! Ils veulent coincer Eddie, et ils croient que tu sais où il se trouve. Tu cours un grave danger ! »

Jason, Patrick et Andy ? Billy ne fut pas long à mettre leurs noms sur une tête, se rappelant de ces plus jeunes qui avaient été considéré par le coach de basketball à l'époque où il était en dernière année, comme les porteurs du flambeau de l'équipe. Apparemment, ils étaient très bons au basket. Leur coach avait même prédit qu'ils gagneraient un tournoi grâce à eux. N'est-ce pas ce qu'ils avaient fait il y a deux jours ?

Tout ça pour dire que Billy n'était pas étonné de voir ces types agir ainsi. En réalité, il aurait sûrement agi de la même manière un peu avant.

« D'accord, ça craint, » avoua Dustin après le discours effréné de son ami. « Mais on a de plus gros problèmes. »

Et là toutes les têtes se tournèrent vers Steve Harrington toujours debout au milieu du couloir avec sa lampe fermement serrée entre ses mains.

« Ouais, je suis le problème, » déclara Steve malgré lui en tentant un sourire, levant une main.

Il allait bientôt se pisser dessus. Littéralement.

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23 mars 1986 – Wheeler's basement

Près du canapé du sous-sol des Byers, Dustin, Max et Lucas épluchaient les journaux concernant Victor Creel qui apparaissait dans nombre de grands titres à la fin des années 50. Ils discutaient entre eux, élevant tout un tas de questions comme : Pourquoi Vecna revenait maintenant ? Comment ? Pourquoi s'était-il contenté d'une famille en 1959 ? Quel était son réel but ? Avait-il un moyen de briser la malédiction ? Bref, les idées et les questions fusaient.

De son côté, Steve était attelé au bureau devant plusieurs papiers et enveloppes. Il n'avait jamais été doué à mettre par écrit quoi que ce soit, mais aujourd'hui, il le devait. Il refermait l'une des enveloppes et apposait le nom « Dad » sur le devant lorsque Billy descendait lourdement les marches menant au sous-sol. Il s'était sûrement entretenu en haut avec les filles.

Steve ne s'embêta pas à dissimuler ce qu'il faisait quand Billy arriva jusqu'au bureau, et sut immédiatement que le blond ne serait pas long à comprendre ce qu'il faisait vraiment. Et comme attendu, Billy réagit, sourcils froncés :

« Qu'est-ce tu fiches ? »

Steve l'ignora, récupérant une énième feuille blanche pour continuer ses écrits.

« Laisse-moi tranquille deux minutes, Billy, je dois réfléchir, » fit-il simplement sans même le regarder.

« Tu te fous de ma gueule ? Au lieu d'écrire je ne sais quoi, tu devrais te bouger le cul et trouver un remède ou je ne sais quelle résolution à ton problème. »

Tous les cerveaux dans cette maison étaient en ébullition après tout. Mais Steve ne lui répondit pas et continua d'écrire avec attention, essayant de soigner ses lettres, ayant toujours eu une police d'écriture déplorable selon ses professeurs et Nancy.

« Steve ! Hey ! » s'exclama Billy en tapant deux fois dans ses mains comme pour le réveiller. « Tu veux finir comme la pom-pom-girl et le binoclar ? »

Le point sur le « i » que vint écrire Steve fut enfoncé brutalement et le brun reporta son regard vers Billy debout devant lui, se sentant soudain bien petit là assis sur une chaise, mais qu'importe :

« Bien sûr que non ! Mais vois-tu, je ne crois pas pouvoir faire grand-chose de plus ! Mon objectif premier et de ne pas avoir de regrets alors laisse-moi juste finir ce que je suis en train de faire, et je suis tout à toi. »

« De regrets ? OK, si tu continues à causer comme si tu étais résolu à mourir, je risque de vraiment te frapper, et j'te jure, moi je vais pas le regretter. »

Et là, le Californien vint déposer une main contre son épaule, de façon ferme mais aussi… protectrice ? Leurs regards se bloquèrent l'un dans l'autre et le souffle de Steve se stoppa alors qu'il avait la tête levé vers le blond et ses yeux perdus dans les siens si bleus. Une chaleur agréable vint se répandre dans tout son corps et ce fut la première fois qu'il l'accepta.

Il allait peut-être mourir demain, alors pourquoi nier ce que lui procurait Billy Hargrove, hein ? Nier le fait que cela faisait des semaines qu'il avait envie de l'embrasser, goûter ses lèvres et voir l'effet que ça faisait de partager ce genre d'expérience avec un autre garçon. Nier aussi l'envie urgente qu'il avait de parfois juste, toucher son épaule, prendre son poignet ou sa main. L'envie de l'inviter au cinéma ou au KFC sans éveiller les soupçons. L'envie de toujours le voir sourire, d'entendre son rire encore et encore et de n'entendre que ça. L'envie de le prendre dans ses bras et lui dire qu'il n'allait pas mourir. Que tout allait bien se passer. Qu'ils allaient s'en sortir tous les deux.

Là, dans les yeux immensément bleus du Hargrove, Steve se sentit être mis à nu. Les mensonges dans lesquels il se berçait depuis des semaines lui explosèrent à la figure. Mais Dieu qu'il était effrayé par cela.

En parallèle, Dustin avait remarqué leur haussement de ton et avait lancé à ses amis, voix abaissée :

« Qu'est-ce qu'ils fichent ? Ils s'engueulent encore ? »

« On doit intervenir, vous pensez ? » avait demandé Lucas en abaissant le journal pour effectivement voir que les deux plus âgés n'avaient pas l'air d'accord.

« Non. Pas d'inquiétude à avoir. Billy est juste… surprotecteur, » avait été la réponse abrasive de Max qui n'avait pas daigné lever les yeux vers eux.

« Surprotecteur ? Pourquoi envers lui ? Il se fiche complètement de son sort. Ils ne se détestent plus ? » avait ensuite riposté Lucas en lançant un regard effaré vers sa copine.

« Tu as vraiment de longs épisodes de retard, toi, » avait répondu Max, petit sourire en coin.

Et Dustin était resté en silence à voir le soudain contact visuel dans lequel s'étaient plongés Steve et Billy en silence. Et après tu oses me dire que t'as pas un crush sur lui ? pensa ironiquement Dustin.

« Billy, rends-toi utile et vient éplucher ce journal, » lâcha soudain Max, brisant alors la bulle dans laquelle s'était plongés les deux concernés.

Billy retira d'un geste vif la main posée sur l'épaule du brun et se tourna vers sa demi-sœur, bras se croisant contre sa poitrine.

« J'ai déjà dit que je n'étais pas là pour tout ce qui était intellectuel. Je reviens. »

Puis, Billy quitta les lieux, grimpant les marches deux à deux, laissant à Steve de quoi respirer. Steve sentait la peau de ses joues le brûler, et il était prêt à parier que , il avait rougi. N'osant pas se retourner vers les gosses derrière lui, surtout Dustin, Steve se replongea dans sa tâche.

Ecrire des lettres pour ses proches pouvaient avoir l'air idiot. Mais il avait tant de choses à dire et si peu de temps. De plus, ses parents ne rentreraient pas avant deux semaines à Hawkins, il serait peut-être trop tard. Et c'était avec eux qu'il aurait aimé pouvoir faire la paix. Pouvoir enfin avoir leur bénédiction. Cette lettre leur expliquerait tout. Leur prouvant qu'il n'était pas un bon à rien. Qu'il avait aidé Hawkins, qu'il avait le cœur bon et qu'il avait protégé du mieux qu'il puisse les personnes qu'il aime.

Que sans eux, il avait tout de même grandis, il avait trouvé son chemin. Et qu'il aurait tant aimé un compliment, un sourire de leur part malgré le fait qu'il n'avait pas choisi le chemin que ses parents lui avait tracé avant même sa naissance.

« Mum » fut apposée sur la dernière lettre qu'il déposa près de celle de Nancy.

« Tu t'endors pas, hein Steve, » lâcha Dustin du canapé où il était assis.

Pour seule réponse, Steve leva un pouce toujours penché vers la dernière lettre qu'il avait encore à écrire. Celle de Billy.

Il entendit vaguement les adolescents argumenter sur Victor Creel et Vecna derrière lui, mais resta concentré sur son écrit, passant régulièrement une main nerveuse dans ses cheveux, ayant bien du mal à exprimer ce qu'il avait sur le cœur à travers une lettre qu'ils pourraient tous lire une fois qu'il ne serait plus de ce monde.

Quelques minutes après, Billy revint dans le sous-sol, sa démarche lourde et rapide ce qui lui valut un « arrête de marcher comme un éléphant » de la part de Max. Ne prêtant clairement pas en compte le demande sa jeune sœur, Billy déposa lourdement le sac de sport noir qu'il avait récupéré, sur la table basse, sur les jeux et les cartes déjà en vrac. Tout de suite, Lucas et Dustin furent plus intéressés.

« Hier soir j'ai récupéré l'artillerie lourde, » annonça-t-il en croisant les bras, regardant un à un les trois adolescents. « D'autres batteries pour les walkies qui sont prêts à rendre l'âme, des lampes torches, des armes et de quoi bouffer si on est bloqués je ne sais où. »

Lucas fut le premier à ouvrir le sac pour sortir deux vieux tuyaux en fer mordillés par le temps. Dustin quant à lui, haussa un sourcil pour lui aussi sortir un troisième tube métallique courbé à l'extrémité. Où avait-il récupéré ça ? Dans la décharge ?

« Tu appelles ça l'artillerie lourde ? » l'interrogea Dustin, loin d'être convaincu.

« Henderson, si tu arrives à trouver mieux dans ce trou paumé de Hawkins, tu reviendras vers moi, » grogna Billy en lui lança un regard noir. « Y'a même un piège à ours dans le fond que j'ai choppé dans la cabane de nos voisins glauques. »

« Hâte de voir Vecna se prendre le pied dedans. »

« C'est ta tête que je fais foutre dans le piège, Henderson. »

Leur petite prise de tête fut soudain brisée par la porte qui s'ouvrit au-dessus de leur tête et l'arrivée de Robin et Nancy dans la cave, sourires satisfaits sur leurs lèvres :

« On a un plan, » déclara Nancy, pochette kraft entre ses mains.


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