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Chapitre 2 : La rencontre
- Elena… Elena, réveille-toi !
Quelqu'un la secoue par les épaules. La jeune fille pousse un grognement et tente de se dégager. Sa tête lui fait un mal de chien et elle regrette déjà la clémence de l'inconscience. Se redressant sur les coudes, Elena ouvre les yeux et est éblouie par le soleil.
Attendez une minute… le soleil ?
Se protégeant les yeux d'une main, Elena se tourne vers June.
- Mais qu'est-ce qui s'est passé ?
La jeune rousse hausse les épaules, l'air tout aussi désorienté qu'elle.
- Je ne sais pas… Enfin si, il y a eu la foudre, et je crois qu'on a failli être frappée… On a dû perdre connaissance. Je viens à peine de me réveiller.
- Ça fera une sacrée histoire à raconter…T'imagine, frappées par la foudre ? Et puis là c'est clair, mes parents vont tuer Mike… s'enthousiasme Elena.
Après tout, il faut bien garder le moral.
- Si on arrive à retrouver notre chemin… Y a rien qui te parait bizarre ?
Haussant les sourcils, Elena jette un regard autour d'elle. Il ne lui faut qu'une seconde pour comprendre ce que June sous-entend. Une exclamation de surprise lui échappe. Les deux filles se trouvent au beau milieu d'une vaste plaine qui s'étend à perte de vue. L'herbe est grasse, drue et rayonne de santé. Ci et là, des buissons de roses sauvages colorent les alentours d'une vive couleur pastel, leurs épines recourbées défiant quiconque de les approcher. Sur leur gauche, à une trentaine de mètres, quelques chênes épars habillent le paysage. Et au loin, à peine dessinés sur un fond de ciel bleu, des massifs rocheux s'élèvent en courbes élégantes. C'est magnifique, vraiment. Seulement voilà, un peu avant d'être frôlées par la foudre, les deux filles se trouvaient dans une forêt.
Elena ouvre la bouche, la referme, puis l'ouvre à nouveau. Chose rare, les mots ont bien du mal à trouver leur chemin jusqu'à ses lèvres.
- Co… comment c'est possible ? Où est la forêt d'Ashdown ? bégaie-t-elle avant de tourner vers June un regard accusateur. C'est encore une mauvaise blague de Mike, hein ? Vous m'avez mise dans la voiture pendant que j'étais inconsciente et vous m'avez emmené ici pour me faire flipper ?
- Je t'assure que non. Je suis revenue te chercher parce que je m'inquiétais pour toi. Quand ton frère nous a dit de ne pas te réveiller, j'étais franchement hésitante. Je n'aurais pas aimé qu'on me fasse ça, mais j'ai bêtement suivi le mouvement. Et quand j'ai vu l'orage, le tonnerre, j'ai insisté pour qu'on vienne te récupérer, mais Mike a refusé. Il était sûr que rien ne pourrait t'arriver, mais…
Elena pousse un grognement. Son frère se fiche de ce qui peut lui arriver.
- … j'ai eu peur. Alors j'ai pris la voiture et je suis revenue. Je suis vraiment désolée, tu sais. C'est vrai qu'on ne se connaît pas bien, mais ce genre de blague, ce n'est pas mon style. Et… je ne pensais pas que Mike était capable de ça…
June baisse les yeux sur le sol. Elle semble déçue, presque peinée.
Elena l'examine attentivement. En général, lorsque son frère lui présente une petite amie, la jeune fille la classe aussitôt dans la catégorie « idiote écervelée à éviter ». De ce fait, elle a du mal à comprendre comment il a pu harponner une fille comme June.
June, c'est la fille que tout le monde rêve d'être. Belle, intelligente, athlétique et par-dessus le marché, plutôt sympathique, elle a tout pour elle. Mis à part peut-être la capacité de se choisir un petit ami décent. Âgée de dix-neuf ans, elle vient d'être acceptée dans une fac de médecine réputée à travers tout le pays après une année de prépa en école privée. Vous l'avez compris, c'est une tête. Selon ses dires, elle pratique la natation, l'escrime et le volley de façon régulière. Aux yeux d'Elena, qui est une cause perdue dans tout type de sport, et surtout les sports d'équipe, cela fait d'elle une sorte de demi-déesse.
Alors bien sûr, elles se connaissent très peu, depuis deux jours en fait, et malgré le fait qu'Elena est verte de jalousie, il lui est très difficile d'en vouloir à cette fille
- Ça va, laisse tomber, mon frère est un idiot. Je sais que c'était son idée.
Ta bonté te perdra, Elena, pense-t-elle en secouant la tête.
- De toute façon, ça ne résout pas notre problème. Je ne sais pas où on se trouve, mais en tout cas, je sais où on ne se trouve pas. C'est pas la forêt d'Ashdown, quoi. Partant de là, j'ai aucune idée de comment retrouver notre chemin. Ni même de comment on a atterri ici. Enfin, c'est quand même dingue. Si quelqu'un nous avait déplacées, au moins l'une d'entre nous s'en serait rendue compte. Et si on a marché jusqu'ici, je vois mal comment on a pu l'oublier.
June a l'air d'hésiter, mais elle se décide à formuler ce qui la tracasse.
- Il n'y a pas que ça, Elena. Je ne pense pas qu'on ait marché, ou qu'on ait été déplacées. Regarde autour de toi, tu connais cet endroit ? interroge-t-elle.
Elle attend la réponse négative d'Elena pour poursuivre :
- Moi non plus. Et pourtant je vis à Ashfield depuis toujours. De plus, je peux t'assurer qu'il reste très peu de territoires sauvages comme celui-ci. De nos jours, la civilisation recouvre presque tout. Ce que je veux dire, c'est qu'il aurait fallu qu'on marche des heures et des heures pour atteindre un endroit de ce genre. Ou que quelqu'un fasse un sacré bout de chemin en voiture pour nous amener jusqu'ici. Ce qui n'a strictement aucun sens, si c'est juste pour nous déposer au beau milieu d'une plaine. Et puis il y a le soleil, et l'herbe sèche…
Elena la dévisage d'un air désorienté.
- Où veux-tu en venir ?
- Nos vêtements, Elena… Nos cheveux… Nous sommes toujours mouillées…
Réalisant enfin la signification de ses mots, la jeune fille écarquille les yeux. Il n'y a qu'une seule explication plausible à ce qui leur arrive ; elles ont fuit la forêt et ont couru suffisamment longtemps pour atteindre cet endroit. Endroit qui ne se trouve certainement pas dans leur comté, donc à des heures de la forêt d'Ashdown. Et si l'herbe est sèche et que le soleil brille, comment expliquer leur aspect de caniches détrempés ?
Bondissant sur ses pieds, Elena se passe une main fébrile dans les cheveux. Il doit bien y avoir une explication. Il y a forcément une explication. Quelque chose de plausible et de logique, qui ne bouleverse pas tout ce en quoi elle croit. Pour se rassurer, la jeune fille glisse les doigts sous le col de son tee-shirt et caresse le crucifix qui s'y trouve. Fait d'or blanc et incrusté de diamants, c'est un petit pendentif discret et délicat qui lui a été offert par sa grand-mère. Alors certes c'est franchement old school, voir même complètement ringard selon son frère, mais cela la ramène à des souvenirs rassurants. Comme l'odeur d'une brioche au Nutella qui cuit au four, ou les chasses aux papillons dans le jardin, ou encore les histoires que lui racontait sa grand-mère au moment du coucher.
Elena secoue la tête.
- Je ne sais pas ce que tu essaies de dire, mais de toute façon, je suis certaine qu'il y a une explication logique à tout ça. En attendant de la connaître, il faut qu'on bouge d'ici et qu'on trouve quelqu'un. En marchant un peu, on va forcément tomber sur une ville, une route ou n'importe quoi, et quand ce sera fait, on pourra essayer de comprendre ce qui s'est passé.
Et ensuite, je vais t'étriper, Mike, pense-t-elle sombrement.
- D'accord, on va chercher de l'aide, lui répond June d'une voix rassurante. Mais il va falloir que tu m'aides à me lever. Je crois que je me suis tordue la cheville en tombant.
En effet, son short en jean ne dissimule rien de sa cheville bleue et gonflée. Hochant la tête, Elena se penche pour passer un bras autour de sa taille et l'aider à se redresser. C'est en vacillant que June parvient à se hisser sur ses pieds et, lorsqu'elle esquisse un pas, Elena doit rassembler toutes ses forces pour l'empêcher de basculer en arrière. Pliée en deux, le visage crispé par la douleur, la jeune rousse semble être au bord de l'évanouissement.
- Tu es sûre de pouvoir marcher ? Je ne sais pas ce que tu t'es fait, mais ça a l'air plus sérieux qu'une simple entorse…
Elena s'interrompt en remarquant son expression paniquée.
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il…
- Elena, je crois qu'il faut qu'on courre…
Suivant son regard, la jeune fille se fige en apercevant des silhouettes près du petit bosquet d'arbres. Évidemment, en temps normal elle se serait précipitée à leur rencontre et serait tombée dans leurs bras en pleurant de soulagement, seulement voilà, les hommes qui les observent n'ont franchement rien d'avenant. Ils sont même carrément terrifiants. Ils sont bleus… non peints en bleus, sales, armés et vêtus de ce qui ressemble à de la fourrure. Même s'ils sont peu nombreux, en fait il n'y a qu'un vieillard barbu et trois hommes plus jeunes, Elena sent instinctivement qu'ils sont une menace bien réelle, et qu'ils savent se servir de leurs armes.
Sans un mot, les deux filles échangent un regard et se mettent à courir. La peur semble avoir donné des ailes à June, parce que malgré sa cheville, elle parvient à tenir le rythme qu'Elena lui impose. Toutefois, les deux filles n'avancent pas bien vite, et l'adolescente n'ose pas regarder en arrière. Si les quatre hommes décident de les pourchasser, ils n'auront aucun mal à les rattraper. Le cœur battant la chamade, elle resserre sa prise sur la taille de June et accélère encore. La jeune rousse trébuche en avant, et toutes deux manquent de s'étaler par terre.
C'est ridicule, pense frénétiquement Elena. On est en train de se faire pourchasser par des schtroumfs en mode Freddy Krueger, et on va se faire découper en morceaux parce qu'on n'arrive pas à aligner trois pas !
Finalement, ce qui doit arriver arrive, et les deux filles s'écroulent sans grâce dans un enchevêtrement de jambes et de bras. D'un regard, Elena comprend que June n'ira pas plus loin.
- Ils ne nous ont pas suivis, constate-t-elle avec soulagement, après s'être retournée.
La jeune rousse hoche la tête, les lèvres serrées.
- Putain, mais c'est quoi ce bordel ? C'est quoi ce BORDEL ? Qu'est-ce qu'ils nous voulaient ces…
Elena est interrompue par un drôle de bruit, comme de la ferraille qui tinte. À son grand désespoir, cela ne ressemble pas à la Jeep, et elle en conclut rapidement que ce n'est pas Mike volant à leur secours. En fait, elle pense discerner des bruits de sabots battant le sol. Mais pourquoi est-ce que des chevaux galoperaient dans leur direction ? Et pourquoi est-ce qu'ils feraient ce tintement ?
Cependant, elle a raison, ce sont bien des chevaux. Ils apparaissent à l'autre bout de la plaine et il y a quelque chose de théâtral dans la façon dont ils se découpent sur le fond de ciel bleu. Elena en dénombre une petite dizaine, ils sont tous montés et approchent à vive allure. Elle n'a aucune idée de qui sont ces gens, ni de ce qu'ils font dans ce coin paumé, mais peu importe. Ils sont son ticket de retour vers la civilisation.
Sans réfléchir, elle bondit sur ses pieds et se met à agiter les bras en criant :
- Hé oh ! Par ici ! On a besoin d'aide, s'il vous plaît !
June tente de la faire taire en l'attrapant par le poignet, mais il est trop tard. Les cavaliers les ont repérées et ils se regroupent en rang serré. Leur galop ralentit, comme s'ils se méfient, mais ils maintiennent le cap dans leur direction.
- Mais t'es dingue ! s'affole June.
- On a besoin d'aide !
- On vient de fuir des cinglés armés, et tu nous en fais venir d'autres !
Et en effet, après les avoir examinés un peu plus attentivement, Elena réalise que quelque chose cloche chez ces cavaliers. Ils portent des armures, et non seulement elles ont l'air inconfortables, mais en plus elles font un boucan d'enfer. Et en dehors des acteurs hollywoodiens, personne ne se déguise de la sorte.
C'est en déglutissant que la jeune fille remarque les armes accrochées à leurs ceintures et à leurs selles. Il y a des épées, des arcs, des dagues, des haches, et même des boucliers. Elena déteste viscéralement les armes. Ce ne sont que des outils de destruction dont l'existence même fait plus de mal que de bien. Elle a plusieurs fois manifesté pour le renforcement de la législation sur le port d'armes, et certes, c'était contre les armes à feu, mais le principe s'applique aussi aux objets tranchants. Et puis, ces objets tranchants-là n'ont pas l'air d'être des faux. Ils sont rugueux, archaïques, parfois même un peu fendus et émoussés, comme s'ils avaient déjà servi à maintes reprises.
Oh zut, zut, zut, zut. Combien de chance pour que ce soit une simple reconstitution historique ?
Cependant, Elena se fait très peu d'illusions. Ils se rapprochent à grande vitesse, et chaque nouveau constat est plus effrayant que le précédent. Ils sont sales. Vraiment sales. Un peu comme quand son labrador se roule dans la boue. Alors soit elle devient complètement cinglée, soit ces types sont de vrais mordus de la période moyenâgeuse. Et puis… c'est du sang ça ?
- Elena, il y a vraiment quelque chose de bizarre, lui murmure June à toute vitesse. Regarde leurs armes, c'est du véritable acier, et le type du milieu porte le blason de l'armée…
S'interrompant, la jeune rousse pousse une exclamation lorsque trois des cavaliers bandent leurs arcs et les pointent dans leur direction. De façon plutôt spectaculaire, les chevaux effectuent un arrêt glissé à quelques mètres des deux filles.
June semble paralysée par l'effroi, et il faut plusieurs secondes à Elena pour reprendre ses esprits.
- Non, ne tirez pas ! S'il vous plaît, ne nous abattez pas comme des lapins ! s'écrie-t-elle en levant les mains en l'air.
Combien de chance pour qu'elles aient atterri au beau milieu du tournage d'un film ?
Un des hommes, un séduisant brun avec de courts cheveux bouclés et une longue cape rouge, lui aboie quelque chose.
- Hein ? Désolée, je n'ai pas compris.
Maladroitement, Elena se balance d'un pied sur l'autre. Elle prie le ciel de ne pas les avoir contrariés.
L'homme s'adresse de nouveau à elles, mais la jeune fille ne reconnaît pas la langue qu'il emploie. L'air frustré par leur incompréhension, il pousse un soupir agacé et met pied à terre. Derrière lui, un des archers fait un commentaire certes incompréhensible, mais clairement déplacé. Son regard est rivé sur June. Ou plutôt sur les longues jambes pâles dévoilées par son short. Les joues de la jeune fille s'embrasent, et elle baisse le regard d'un air humilié. Brusquement, Elena se sent particulièrement soulagée de s'être couchée en jean plutôt que vêtue de son minishort de pyjama.
L'homme qui a mis pied à terre fait claquer sa langue en direction du fauteur de troubles. Il a clairement une sorte d'autorité sur les autres, parce que l'archer retrouve aussitôt son sérieux. Toutefois, lorsque son chef lui tourne le dos, il adresse un clin d'œil malicieux à une June embarrassée.
Le leader se répète une troisième fois, et Elena secoue frénétiquement la tête, les doigts crispés sur son crucifix. Elle n'a aucune idée de comment les tirer de ce mauvais pas, et l'affolement commence à la gagner. Si le type perd patience et ordonne à ses hommes de tirer, les deux filles n'auront aucune chance de s'en sortir. Pas à cette distance. Même un débutant pourrait sans doute les toucher.
- Désolée, je ne comprends pas. Vraiment désolée.
L'homme semble avoir décidé de s'adresser à Elena, chose compréhensible puisque June n'a pas prononcé un seul mot. Ignorant son violent sursaut, il saisit la jeune fille par les épaules et la secoue légèrement. Il dit autre chose, et Elena doit se mordre la lèvre pour éviter de le repousser. Toute autre personne aurait eue droit à une remarque cinglante sur les bonnes manières et sur le droit fondamental de chacun à ne pas être malmené ainsi. Toutefois, elle pressent que ce genre de réaction ne serait pas forcément bien accueillie.
- C'est du Latin, Elena. Ils parlent en Latin ! lui murmure June, les yeux écarquillés.
En Latin ? Avec toutes les langues qui existent, il fallait que ces idiots parlent le Latin ! Ils auraient pas pu choisir l'Espagnol ou l'Italien ? se lamente Elena.
- Mais personne ne parle le Latin ! Je ne parle pas le Latin ! On va finir épinglées par des flèches parce qu'ils parlent une langue morte !
June hausse les épaules d'un air impuissant. Sentant le contrôle sur ses émotions commencer à lui échapper, Elena tente de se dégager de la poigne de l'homme. Les mains gantées de fer se resserrent un peu plus sur ses épaules, et elle lance un regard suppliant à la jeune rousse.
- Vous lui faites mal, intervient cette dernière d'une voix tremblante. Nous ne parlons pas le Latin ! Aucun d'entre vous ne comprend l'Anglais ?
June scrute les alentours, comme si elle espérait désespérément voir la Jeep apparaître. Elena partage le sentiment ; elle n'a plus aucune envie de suivre ces types. La situation est au moins aussi absurde que terrifiante. Ils sont en Angleterre, alors comment est-il possible qu'ils ne comprennent pas leur langue ?
L'homme à la cape rouge donne une secousse à ses épaules, et l'attention de la jeune fille se porte à nouveau sur lui.
- Écoutez, je ne sais pas quoi vous dire. De toute façon, on ne se comprend pas… Si vous pouviez demander aux autres d'arrêter de nous viser avec leurs arcs…
Sa voix est lasse, et elle est au bord des larmes. Un des archers, celui qui a fait le commentaire déplacé, crie quelque chose et le leader lui répond par-dessus son épaule. D'un même mouvement, les trois arcs s'abaissent.
Aussitôt, les deux filles laissent échapper un soupir de soulagement. Elles ont frôlé la catastrophe. L'homme à la cape rouge formule ce qui semble être des mots d'excuse, mais très vite, Elena perd tout espoir que la situation s'améliore. En effet, le plus jeune des archers vient de mettre pied à terre et se dirige vers June. Celle-ci le regarde approcher avec crainte, mais sa cheville l'empêche de se lever et Elena ne se fait pas d'illusions ; dans cet état, June n'est pas en réelle mesure de se défendre. Tout en lui murmurant des mots apaisants, l'homme la soulève et la hisse sur son cheval. Les yeux rivés sur l'épée à sa ceinture, la jeune rousse n'émet aucune protestation lorsqu'il s'installe derrière elle.
- Mais qu'est-ce que vous faites ? s'écrie Elena. Laissez-la tranquille !
Sans la lâcher, l'homme à la cape rouge fait signe à un autre cavalier de s'approcher. Ce dernier, un grand type costaud aux longs cheveux blonds, talonne sa monture grise.
- Non ! Oubliez ça ! Vous ne m'emmenez pas avec vous ! Mais lâchez-moi, bon sang !
Le leader continue de l'ignorer, et soudain, il vient une idée à Elena. C'est très risqué, terriblement stupide et probablement voué à l'échec, mais elle refuse d'abandonner sans se battre. Si elle parvient à s'enfuir, si elle parvient à leur échapper, elle pourra trouver de l'aide et venir au secours de June.
Fais tes prières, ma vieille, se dit la jeune fille.
Et sans crier gare, elle écrase violemment le pied de l'homme.
Ce dernier laisse échapper ce qui ressemble à un juron et ses doigts se desserrent suffisamment pour qu'elle puisse se libérer. Le cœur battant, la jeune fille plonge en avant lorsqu'il tente de la rattraper et se met à courir. La peur lui donne des ailes, et elle se retrouve très vite hors de portée de l'homme.
- Cours, Elena ! lui hurle June.
Sans ralentir, la jeune fille jette un regard par-dessus son épaule. L'homme à la cape rouge ne fait pas mine de la suivre, et elle comprend très vite pourquoi. Solidaire, June s'est mise à se débattre en donnant des coups de pied dans tous les sens. Malgré ses efforts, le cavalier derrière elle ne parvient pas à l'immobiliser, et sa monture, effrayée, se dresse sur les postérieurs. Son affolement gagne bientôt les autres chevaux, et les cavaliers ont le plus grand mal à les garder sous contrôle. Les bêtes piaffent, ruent, et prennent le mors aux dents. C'est un véritable tohu-bohu.
Regardant devant elle, Elena accélère encore.
Au moment où elle croit avoir mis suffisamment de distance entre elle et ces tarés, il y a un sifflement et quelque chose frôle son oreille avant de venir se planter à ses pieds. C'est une flèche. Tremblante, la jeune fille s'arrêt net et fait volte-face. Un des archers, le seul à être parvenu à contrôler sa monture sans effort, la tient en joue. Elle écarte aussitôt la possibilité de s'enfuir à nouveau. Ce type-là n'a vraiment pas l'air commode, plus encore que les autres, et elle est certaine qu'il n'hésitera pas à la tuer. Le leader, qui a attrapé les rênes du cheval sur lequel se trouve June, crie quelque chose et lui fait un signe de la main.
Je suppose que ça veut dire qu'il faut que j'y retourne, déglutit Elena. C'est pas possible, je dois être en train de rêver. C'est ça, en fait, je suis encore endormie, et l'alcool me fait voir des trucs de dingue. Si je me pince, oui si je me pince très fort, je vais peut-être finir par me réveiller…
Et en trainant les pieds comme un veau qui se rendrait à l'abattoir, la jeune fille revient sur ses pas sous l'œil vigilant de l'archer. Lorsqu'elle s'arrête devant l'homme capé de rouge, Elena s'attend à recevoir un coup ou pire encore, à ce qu'il décide de l'éliminer. Cependant, il se contente de pousser un soupir avant de la prendre dans ses bras et de la hisser sur le cheval du type blond. Cette fois, elle ne fait pas mine de se débattre.
Après avoir échangé quelques mots avec son chef, le cavalier passe un bras autour de sa taille. Sa poigne est de fer, et elle est presque douloureusement écrasée contre son torse. Visiblement, ils veulent s'assurer qu'elle n'aura plus la possibilité de prendre la poudre d'escampette.
Le chef du groupe se met en selle et donne le signal du départ.
Tournant la tête vers June, la jeune fille lui glisse discrètement :
- Je suis vraiment désolée…
- Ne t'en fais pas, je sais que tu as essayé.
La jeune rousse lui offre un sourire quelque peu réconfortant.
C'est alors que les chevaux s'élancent, rebroussant chemin et emmenant avec eux deux adolescentes terrifiées vers une destination inconnue.
