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Chapitre 17 : L'intervention

- Non, vous pouvez l'avoir. Ça n'a aucune importance.

June tourne un regard horrifié vers le chevalier.

Elle a dû mal entendre, ou peut-être mal interpréter ses mots. Il ne vient tout de même pas de la jeter en pâture aux loups comme une pauvre brebis sans importance ? Apparemment si, parce que les soldats rengainent leurs épées.

- Sage décision, minaude le garde borgne. Donne-la-nous, et tu pourras t'en aller avec la vie sauve.

Il dévisage la jeune fille d'un air triomphant, et celle-ci resserre la prise de ses doigts sur le poignet du Sarmate.

- Vous ne pouvez pas faire ça ! l'implore-t-elle d'une voix pressante. Vous savez très bien qu'ils vont m'enfermer sans procès et que je vais moisir en prison pour le reste de mes jours !

Jours qui pourraient s'avérer extrêmement comptés, si elle doit être honnête avec elle-même, parce que les Romains semblent ravis de lui avoir mis la main dessus. Tout particulièrement celui qui a eu la malchance de tomber entre les crocs du molosse du joaillier.

Déjà qu'il n'avait pas un physique facile avant, il vient d'atteindre un tout nouveau niveau de laideur.

Elle pourrait presque éclater d'un rire désespérée.

- Lâche-moi, lui crache le Sarmate, sèchement.

D'une brusque secousse, il libère son avant-bras avant de la pousser vers les gardes. Mais la jeune fille n'a que faire d'eux et, envahie par une colère noire, elle fait volte-face.

- Je vous ai aidé… éructe-t-elle, la voix remplie d'amertume. Quand je vous ai trouvé à genoux par terre, après avoir été flagellé, je vous ai mené à Ioena pour qu'elle vous soigne.

Si j'avais su, je l'aurais laissé se vider de son sang.

- Emmenez-la, virez ça de ma vue.

Le chevalier s'est adressé aux soldats romains sans même la regarder.

- Bien volontiers, ricane une voix dans le dos de la jeune fille. Cela fera de la racaille en moins dans les rues de cette bouse de ville.

Et brusquement, June perd le contrôle de ses gestes. Dans un mélange de rage et d'épuisement, et sans même mesurer les possibles conséquences de ce qu'elle s'apprête à faire, elle se jette sur Tristan et le gifle de toutes ses forces. Il y a une clameur choquée autour d'eux, et si le chevalier a évité le gros de l'impact, ses réflexes aiguisés le faisant bondir en arrière, une belle marque rouge est désormais visible sur sa joue. Pétrifiée, la jeune fille se demande s'il va lui rendre le coup. De toute façon, elle est dans un tel état de nervosité qu'elle n'en sentirait peut-être même pas l'impact.

- Mais c'est qu'elle est sauvage la rouquine, lui susurre une voix à l'oreille tandis que des bras se referment douloureusement sur sa cage thoracique. Allez viens, on t'emmène dans un endroit sympathique.

- T'inquiète pas, on prendra bien soin de toi, s'esclaffe un autre soldat.

Elle se débat à peine alors qu'on l'entraîne de force dans le corridor, loin du Sarmate qui ne fait pas mine de lever le petit doigt pour intervenir. Il est visiblement lui-même quelque peu choqué de ce qui vient de se passer et June, au beau milieu de sa frénésie, devine qu'il ne doit pas recevoir de gifle très souvent.

- Je vous ai aidé ! crie-t-elle à nouveau. Vous n'êtes qu'un… qu'un…

La jeune fille ne trouve pas les mots pour exprimer à quel point elle se sent trahie, alors elle décide d'abandonner. Elle ne peut que se résigner au sort qui l'attend. Tandis qu'elle se laisse conduire Dieu sait où, June ne détache pas ses yeux du Sarmate qui, les muscles rigides et les dents serrées, la regarde disparaître au loin.


Mais quel drôle de remue-ménage.

Elena fronce les sourcils, perplexe.

Elle n'aurait jamais dû se rendormir ce matin. Ioena l'avait convaincu de retourner se lover dans les bras de Morphée, et la vieille femme s'était elle-même assoupie sur la table, la paire de chaussettes qu'elle lui tricotait toujours dans les mains.

Elena s'est donc réveillée vingt minutes plus tôt, à la bourre cette fois, la tête toujours dans un endroit qu'elle préfère ne pas nommer, et s'est rendue presque en courant au travail. Ni elle, ni Ioena n'a entendu le coq qui leur sert habituellement de réveil, ce qui est plutôt surprenant puisque son sommeil est nettement plus léger depuis qu'elle dort presque à même le sol. Heureusement que son horloge interne est plutôt bien réglée et qu'elle n'aura que quelques minutes de retard ! En soi, ce n'est pas un drame puisque Jols ne vient jamais vérifier la ponctualité de ses lingères. Quant à ses collègues, elles ne s'en offusqueront pas.

Chose tout de même étrange, elle qui s'attendait à passer l'entrée menant à la cour du fort sans s'arrêter, chose qu'elle fait chaque matin sans faillir, se retrouve bloquée par les deux hommes qui montent la garde.

- Identification, lui lance l'un d'entre eux.

- Comment ça ? Vous me voyez tous les matins depuis plusieurs mois, et hormis la première fois, vous ne m'avez jamais rien demandé.

- Identification ! lui aboie-t-il à nouveau, l'air plus sérieux que jamais. Ou tu ne passes pas.

Le regard de la jeune fille va du premier garde au second. Ils ont tous les deux l'air complètement lessivé, comme s'ils venaient de passer la nuit à courir dans tous les sens. Mieux vaut ne pas les provoquer. Bien qu'ils ne l'aient jamais ennuyé, la première règle de son manuel de survie à l'Antiquité prévaut toujours ; on n'embête pas les grands messieurs énervés, surtout lorsqu'ils sont armés jusqu'aux dents.

Avec un visage apaisant, Elena lève les mains en l'air.

- Très bien, très bien. Elena, je travaille à la blanchisserie pour Jols.

Ils se sont levés du mauvais pied ou quoi ?

Enfin on la laisse passer et la jeune fille se rend en courant à la lingerie.

- Désolée, désolée, s'exclame-t-elle en ouvrant la porte. Je ne me suis pas réveillée à l'heure ce matin, sûrement parce qu'on s'est couchées tard, Ioena et moi.

- Ne t'inquiète pas, lui sourit Brianne, qui a les bras plongés dans une bassine d'eau large comme un petit jacuzzi. Nous sommes toutes arrivées en retard ce matin, juste à des degrés différents.

Ronane l'aide à savonner le linge et à l'essorer, tandis que Maellen le récupère dans de gigantesques panières en osier. Elena grimace. C'est bien la plus partie la plus désagréable de son travail.

- Adenor n'est même pas encore arrivée, ajoute Ronane, qui ne peut définitivement pas s'empêcher de chercher des noises à sa rivale pour l'affection de Perceval. Quel manque de sérieux.

Dans son dos, les autres filles lèvent les yeux au ciel, amusées. Malgré ses propos pas toujours charitables envers Adenor, Ronane aurait récompensé par une réplique acerbe quiconque oserait critiquer la toute jeune lingère.

De son côté, Brianne, encore plus joyeuse qu'à l'ordinaire, interrompt son travail pour annoncer quelque chose qui semble lui brûler les lèvres.

- Je comptais attendre qu'on soit toutes là pour vous le dire, mais tant pis. Ça y est, Adrian s'est enfin décidé à demander ma main ! Il me l'a annoncé hier !

Elena pousse un petit cri ravi et se précipite vers la future mariée pour la féliciter. Maellen et Ronane les rejoignent dans l'étreinte, et l'adolescente se réjouit de voir les yeux de son amie briller de joie. Elle n'a rencontré Adrian qu'une fois, mais il lui a semblé être un jeune homme tout à fait décent, et la lingère leur parle toujours de lui en des termes plus qu'élogieux. Ils sont profondément épris l'un de l'autre, et les mariages d'amour, sans être une complète rareté, ne sont pas non plus la norme à cette époque. Brianne ferait partie de ces quelques chanceuses ayant épousé leur bien-aimé.

- Je suis vraiment heureuse pour toi, la félicite Ronane, qui a pour une fois mis de côté son caractère ronchon et sarcastique. Laisse-la respirer, Maellen !

Celle-ci ne lui prête aucune attention et continue de bondir de joie sans desserrer ses bras du cou de Brianne.

- Vous vous mariez quand, du coup ? Au printemps ? Ce sera un mariage printanier, n'est-ce pas ? Les mariages printaniers sont les meilleurs !

- Eh bien, Adrian et sa famille doivent d'abord payer la dot et le prêtre qui nous mariera, puisque ce sera dans une église catholique. Adrian est chrétien, se justifie-t-elle en remarquant la grimace de Ronane, qui elle est une païenne convaincue.

Elena se fiche pas mal de ces histoires de religion, mais elle trouve un peu triste qu'à cette période de l'histoire, les femmes n'aient pas d'autre choix que d'adopter la religion de leur futur époux pour pouvoir se marier. Brianne a grandi en priant ce que l'on appelle à cette époque les « anciens dieux », mais le Catholicisme dévorait peu à peu le Paganisme. La conquête de la Grande Bretagne par les Romains quelques siècles plus tôt a complètement dénaturé l'histoire du pays, et si les Bretons païens sont toujours plus ou moins autorisés à célébrer leurs dieux, il ne fait aucun doute que cette religion finira par disparaître. D'ailleurs, si Arthur et ses chevaliers ne se trouvaient pas au fort, les persécutions seraient certainement beaucoup plus nombreuses.

- Je suis invitée, n'est-ce pas ? taquine Elena. Je ne peux pas louper mon premier mariage à l'Anti… euh dans cette ville.

- La question ne se pose même pas, réplique Brianne en feignant l'agacement. J'attends en revanche un très beau cadeau pour l'occasion ! Blague à part, on devrait peut-être se remettre au travail, non ? Jols est tolérant, mais il risque de nous botter les fesses si ses précieux chevaliers se retrouvent à dormir à même le matelas et sans couvertures.

- La rumeur court qu'ils dorment nus comme des vers… On ne va tout de même pas les laisser avoir froid ?

Elena pousse une exclamation qui se veut répugnée à la boutade de Ronane, mais durant quelques secondes honteuses, son esprit s'égare à l'idée d'un Lancelot ou d'un Gauvain dormant les fesses à l'air.

C'est qu'ils doivent avoir les fesses bien musclées.

Heureusement que personne ne lit dans ses pensées.

La jeune fille secoue la tête, bien déterminée à se distraire de son imagination un peu trop lubrique.

- Comment ça s'est passé ? interroge-t-elle tout en s'emparant du linge sale pour le secouer et le débarrasser du plus gros de la poussière. Il t'a fait sa demande en public ou en privé ?

- Comment ça ? s'étonne Brianne. Nous discutions depuis plusieurs mois de nous marier, ce n'était en rien une surprise. Non, Adrian s'est juste enfin décidé à demander ma main à mon père. Il craignait une réponse négative parce que nous ne partageons pas… tu sais… la même religion.

- Ce n'était pas pareil chez toi ? s'enquit Maellen, qui a remarqué le froncement de sourcils étonné d'Elena.

Cette dernière marque un temps d'hésitation avant de répondre. Elle fait toujours très attention aux détails qu'elle révèle sur son ancienne vie, car comme June ne cesse de le lui répéter, si on les soupçonnait de mentir, les choses pourraient vite prendre une tournure dangereuse. On se demanderait pourquoi elles ne parlaient pas le Celte ou le Romain dès le départ, et le mot « espionnes » serait probablement prononcé à un moment ou un autre. Pire encore, si l'on apprenait qu'elles sont apparues dans un éclair sorti de nulle part, on les associerait à de la sorcellerie.

Et ça, suffit de lire les livres d'histoire pour savoir que ce n'est jamais bon.

- Hum, non, pas vraiment, déclare-t-elle prudemment.

- Mais comment les familles faisaient-elles pour se mettre d'accord sur la dot, alors ? s'étonne Brianne, visiblement aussi intéressée que perplexe.

- Il n'y avait pas vraiment de dot. Hormis exception, les gens se mariaient par amour, pas par intérêt financier.

- J'en doute, rétorque Ronane, qui est obstinément réfractaire à tout ce qui peut être positif. Ils faisaient sans doute semblant.

Comme Maellen peine à soulever les lourdes panières en osier remplies de linge détrempé, Elena lui vient en aide, tout en cherchant à s'expliquer.

- Non vraiment. Là d'où je viens, le mariage est censé être basé sur l'amour. Je sais qu'il y a des gens qui se marient pour l'argent mais globalement, lorsque deux personnes décident de sauter le pas, les richesses qu'elles possèdent ne sont pas vraiment importantes. Et les parents ne peuvent pas forcer leurs enfants à se marier. S'ils n'aiment pas votre mari, ou votre femme, ben tant pis pour eux.

Brianne pousse un petit soupir émerveillé.

- C'est incroyable !

- Ce sont des balivernes, de jolies histoires pour enfants, les interrompt Ronane d'une voix catégorique, visiblement excédée par les propos d'Elena.

S'apercevant de l'irritation de la jeune fille, Maellen s'empresse de changer de sujet :

- C'est étrange qu'Adenor ne soit pas encore arrivée, non ?

Tout le monde accueille la distraction avec soulagement, parce qu'il arrive souvent que le ton monte entre Ronane et Elena, en dépit de la tendance de cette dernière à éviter les conflits.

- Effectivement, acquiesce-t-elle. Vous croyez qu'il est arrivé quelque chose à son frère ?

Après tout, celui-ci se remet tout juste d'une pneumonie et ses poumons sont toujours profondément endommagés. Il est d'ailleurs alité la majeure partie du temps, incapable du moindre effort.

Brianne se plaque une main sur la bouche, horrifiée.

- J'espère que non, pauvre Adenor !

- On ne devrait pas s'emballer, tempère Ronane. Après tout, Adenor est sortie fêter Samain hier soir. Elle ne s'est peut-être pas réveillée ce matin, ou alors elle a un peu trop bu et s'est sentie malade.

- Je suis d'accord, acquiesce Elena. Inutile de se faire du souci sans raison. Elle va sûrement arriver.

La matinée, puis toute une partie de l'après-midi s'écoulent, et c'est en silence qu'Elena, Maellen et Ronane écoutent Brianne décrire le mariage de ses rêves. Les quatre lingères travaillent dur, s'arrêtant seulement pour grignoter le casse-croûte qu'une des cuisinières du fort leur apporte. Cependant, à mesure que les heures défilent, Elena sent une légère anxiété envahir ses pensées. Adenor n'a toujours pas donné signe de vie et bien que la jeune fille puisse parfois se montrer tête en l'air et immature, elle n'a jamais manqué un seul jour de travail. On ne leur a pas non plus fait porter de message, ce qui signifie qu'Adenor ne s'est même pas rendue au fort pour avertir de son absence.

Elena se promet de faire un crochet chez son amie après le travail, ne serait-ce que pour vérifier que son frère et elle vont bien. Cependant, une heure avant la fin de la journée, la porte de la blanchisserie s'ouvre sur le visage pâle de la retardataire.

- Adenor ! s'exclame Maellen. On ne pensait pas te voir aujourd'hui ! Tout va bien ? Pourquoi n'es-tu pas venue travailler ?

Mais clairement, il suffit de la regarder pour deviner que quelque chose ne tourne pas rond. Habituellement si souriante et enjouée, elle parait tendue et regarde ses pieds, comme pour éviter ce qu'Elena pressent être son regard.

- Adenor, lance-t-elle en bondissant de son tabouret, qu'est-ce qui ne va pas ? C'est ton frère ?

- Non, non, répond cette dernière d'une voix tremblotante. Je suis désolée, Elena, j'aurais dû venir plus tôt, mais quand j'ai tout raconté à mon père, il m'a dit qu'il ne fallait surtout pas que je me mêle des affaires des Romains, que ça me retomberait dessus.

Mais de quoi parle-t-elle ?

Une sonnette d'alarme s'est allumée dans l'esprit d'Elena. Ce que dit Adenor n'a pas vraiment de sens, mais le mot « Romains » suffit à la mettre mal à l'aise. Serait-il arrivé quelque chose à Ioena ?

- Je ne comprends rien, Adenor. Tu sais quoi ? Inspire profondément, calme-toi une seconde et explique-nous.

- Tu vas être tellement furieuse contre moi ! sanglote l'adolescente en manquant de s'étrangler. J'aurais dû te prévenir ce matin, mais j'ai eu si peur que j'ai préféré ne pas venir travailler.

- Mais non, je ne vais pas être en colère. Tu me fais peur, Adenor, que s'est-il passé ?

- C'est June. Elle a de gros ennuis, je crois.

Elena s'empare des mains de la jeune fille, la gorge soudainement serrée.

- Quoi, June ? Adenor ? Il lui est arrivé quelque chose ?


June a tenté de compter les minutes, dans l'optique de garder la notion du temps, mais cela fait bien longtemps qu'elle en a perdu le fil.

Il fait froid dans les geôles. L'humidité dégouline à grosses gouttes le long des murs immondes en pierre et la moisissure irrite ses poumons. Il fait incroyablement sombre dans les cellules, puisqu'aucune lumière naturelle ne vient jamais en éclairer l'intérieur, et seul le corridor bénéficie de la lueur paresseuse des torches qui pendent le long du mur. De toute façon, rien de ce qu'elle peut apercevoir n'est particulièrement réjouissant. Sa cellule est bordée de trois murs des plus épais, et la seule sortie possible est une porte à barreaux en fer verrouillée par une imposante serrure. June ne dispose que d'une paillasse pour s'asseoir, le reste n'est qu'un sol répugnant qu'elle hésite même à toucher avec la semelle de ses chaussures. Elle sait, sans les voir actuellement, que de nombreuses cellules s'étendent à la droite et à la gauche de la sienne car elle les a longés une éternité plus tôt, lorsque les gardes l'ont traîné ici manu militari.

Terrifiée tout à l'heure, cela ne l'a pas empêché de remarquer qu'une bonne partie d'entre elles sont occupées. Certains prisonniers n'ont même pas levé la tête sur leur passage, tandis que d'autres se sont jetés aux barreaux en suppliant d'être libérés. Les soldats n'y ont prêté aucune attention, si ce n'est pour distribuer un coup de pied ou une claque par si par-là, sans la moindre pitié. Ils l'ont brutalement jeté dans une cellule, la propulsant à même le sol, et la porte a abominablement grincé en se refermant, peut-être pour toujours. Les immondes abrutis ont alors éclaté de rire, avant de promettre de venir lui rendre visite dans la soirée et de lui souhaiter la meilleure des journées.

June préfère ne pas penser à ce que pourrait signifier une visite tardive de leur part.

Rien de bon augure, de toute façon.

Les minutes, heures, jours peut-être, ont ensuite défilé, et la jeune fille n'a pu que s'accrocher à l'espoir que la solution à son malheur viendrait d'Adenor, lorsqu'elle se rendrait à la blanchisserie et verrait Elena. Il lui est toutefois difficile de rester positive, car elle n'a aucun moyen de savoir si la jeune lingère a tenu parole.

Adenor a dû aller au travail il y a un moment déjà. Si elle avait parlé à Elena, on serait venu me tirer de là, non ?

Si elle doit se montrer objective, cependant, June réalise bien que trouver Bors et Dagonnet pourrait prendre un certain temps à Elena. Après tout ce n'est pas comme si celle-ci possédait un agenda de leur planning journalier. Pire encore, il ne faut pas exclure la possibilité qu'il soit compliqué, peut-être même impossible, pour les chevaliers d'intervenir.

Suffit de voir comme cette saleté de Tristan m'a lâché, là-haut.

Le sang de June se met à bouillir dans ses veines. Il n'a eu aucune pitié à la jeter en pâture aux soldats. Bien qu'elle ne fasse définitivement pas partie du fan-club des chevaliers, la jeune fille a toujours eu la sensation qu'ils pouvaient être considérés, jusqu'à un certain point, comme des alliés, mais elle s'est apparemment trompée. Elle s'en veut d'avoir été aussi naïve et de s'être jetée aux bras de Tristan comme une noyée à une bouée de sauvetage. Les gens sont trop souvent décevants, et c'est pourquoi elle chérit sa solitude. En fait, la dernière fois qu'elle a été surprise de manière positive par quelqu'un, c'était par Elena.

Et son sort repose désormais entre ses mains.

Autrement, elle passera le reste de sa misérable vie ici, seule dans une cellule. Avec pour seule compagnie les rats, et plus terrifiants encore, les soldats romains quand ceux-ci s'ennuieront.

La perspective est cauchemardesque.


Ô miracle, elle a enfin de la chance.

Adenor s'est littéralement effondrée dans les bras d'Elena une trentaine de minutes plus tôt. Manifestement, la culpabilité de son silence était trop lourde à porter, parce que la jeune lingère a déversé à torrents de larmes et de paroles ce qu'elle sait de la situation de June. Considérant l'urgence de l'affaire, Elena ne peut s'empêcher de regretter qu'elle ne soit pas venue lui en parler plus tôt, mais ne trouve pas la force de lui en vouloir. Après tout, on ne rigole pas avec les soldats romains. Il est difficile d'imaginer l'ampleur de la corruption qui règne dans les rues de l'Antiquité, mais la jeune fille s'y est suffisamment frottée ces derniers mois pour la mesurer.

Quoi qu'il en soit, elle doit trouver Bors et Dagonnet, ce qui ne peut signifier qu'une chose ; Arzhel a dû sortir du trou à cafards dans lequel les deux filles pensaient qu'il avait disparu. L'affaire semblait pourtant close, puisque le marchand était censé avoir reçu un avertissement très clair de la part des deux chevaliers.

Pas assez clair apparemment, pense la jeune fille sombrement. C'est que les cafards dans son genre, on ne s'en débarrasse pas si facilement.

Elle est partie en courant en direction des quartiers privés des chevaliers, abandonnant Adenor aux bras de Maellen, Ronane et Brianne. La jeune fille n'a eu aucune difficulté à trouver son chemin mais à sa grande déception, les lieux étaient vides. C'est en revenant sur ses pas, bien déterminée à fouiller le fort de fond en comble pour venir en aide à son amie, qu'elle est littéralement tombée nez à nez avec deux Sarmates. Pas ceux qu'elle cherche, malheureusement, puisqu'il s'agit de Tristan et de Galahad.

Au point où j'en suis, on ne va pas faire la difficile, je prends tout ce qui ressemble de près ou de loin à un chevalier !

Ils sont campés au beau milieu d'un couloir et quel que soit le sujet de leur conversation, celui-ci semble sérieux. Dans n'importe quelle autre circonstance, Elena aurait soigneusement évité le danger ambulant que représente le taciturne chevalier Tristan, mais il est hors de question d'abandonner June.

Et s'ils ne me croyaient pas ? Ou pire, je fais quoi s'ils refusent de m'aider ?

Mais non, aucune de ces options n'est envisageable. S'il le faut, Elena est prête à les trainer par la peau des fesses jusqu'à Bors et Dagonnet et au moins, ils n'auront pas d'autre choix que d'agir ! C'est évidemment risible car le regard que tourne Tristan dans sa direction suffit à stopper ses grandes enjambées déterminées. Il pleuvra probablement des canards bleus avant qu'Elena ait un jour ne serait-ce que le courage de l'approcher sans trembler.

- Tiens, j'aurais dû savoir que tu ne tarderais pas à rappliquer, lance l'homme en guise de salut, tout en la désignant du menton.

Interprétant ses paroles comme une signe qu'elle peut raisonnablement espérer ne pas être assassinée, Elena se précipite à leur hauteur.

- Oh mon Dieu, vous ne savez pas à quel point je suis soulagée de vous avoir trouvé ! Si vous pouviez m'indiquer où chercher…

- Bors et Dagonnet ? l'interrompt sèchement Tristan.

- Mais, euh…

Le regard éberlué de la jeune fille va d'un chevalier à l'autre.

- … vous savez ?

- Pour ton amie ? Oui.

- Que lui est-il arrivé ? Est-ce qu'elle va bien ? Où se trouve-t-elle ?

L'air complètement détaché, Tristan hausse les épaules.

- En ce moment ? Probablement dans les geôles, en état d'arrestation.

Geôles ? En état d'arrestation ?

Elena manque de s'étrangler. Ce doit être un cauchemar. Un cauchemar de la pire sorte. S'il y a bien un endroit que personne ne souhaite visiter ici, c'est la prison souterraine gérée par les Romains.

- Quoi ? s'exclame-t-elle, les yeux écarquillés. Mais pour quel motif l'a-t-on arrêtée ? Et comment le savez-vous ?

- J'étais présent lorsqu'ils l'ont emmenée.

- Et vous n'avez rien fait ?

Sa voix est montée dans les aigus et même à ses propres oreilles, elle paraît horrifiée et furibonde.

- Qu'étais-je censé faire ? retorque le Sarmate, dont les traits se durcissent. Nous étions entourés par une dizaine de soldats. L'issue n'était pas en notre faveur, ton amie aurait été blessée.

- Parce que la laisser se faire arrêter était une meilleure solution ? Vous avez préféré reprendre votre journée comme si de rien n'était ?

Elena est outrée, au point que ni l'épée de Tristan ni son regard noir ne tempèrent sa colère. Galahad, qui s'est jusqu'ici contenté d'écouter en silence, pose une main apaisante sur son épaule.

- Tristan a passé ces dernières heures à essayer d'interrompre le conseil auquel Arthur est convié. Quant à Bors et Dagonnet, ils ont été chargés d'accompagner un convoi de vivres et de remèdes dans un village voisin. Aucune aide ne viendra de ce côté-là.

- Mais alors on fait quoi ? On ne va tout de même pas la laisser moisir en prison, si ?

- Commencez par nous raconter ce que vous savez, l'invite le jeune chevalier à la chevelure bouclée, et son regard paraît si sincèrement compatissant qu'Elena sent sa fureur retomber comme un vieux soufflé.

La jeune fille leur fait un rapide résumé de la situation, partageant avec eux tout ce que June a bien voulu lui dire de l'histoire avec Arzhel. La transaction qui n'a pas été respectée, l'argent jamais rendu, les deux tueurs à gages, l'intervention de Bors et Dagonnet, le long intervalle durant lequel son amie n'a plus entendu parler de l'agriculteur véreux… Il est parfois difficile de savoir ce qui se passe dans la vie de June, car elle est toujours très secrète, mais rien dans son comportement ne suggère qu'elle se sentait en danger ces derniers temps.

- C'est mauvais tout ça, commente Galahad en fronçant le nez, son beau visage presque juvénile s'assombrissant. Je doute que cet agriculteur ait pu la faire arrêter sans la complicité du couple Romain qui l'emploie.

Il se tourne vers Tristan, le regard interrogateur.

- Que fait-on ? Pour faire les choses correctement, il faudrait attendre qu'Arthur intervienne. Si on prend le risque de régler cette affaire nous-mêmes, du sang pourrait couler.

- Nah. Les imbéciles qui montent la garde devant la salle du Conseil ont refusé d'envoyer quelqu'un le chercher. Je ne sais pas ce qui s'y passe et pourquoi les Romains l'ont convoqué, mais je doute que cela soit de bon augure.

- Mais le temps presse ! s'interpose Elena en plantant les mains sur ses hanches. Vous n'allez tout de même pas me dire qu'elle est en parfaite sécurité dans ces cachots !

- En théorie, si elle fait profil bas et ne s'attire pas les foudres des Romains, on a un peu de temps de devant nous.

D'un même mouvement, Elena et Tristan tournent des visages éberlués en direction de Galahad.

June, faire profil bas ? Si elle se retrouve dans cette galère, c'est justement parce qu'elle est incapable de faire profil bas !

- Je ne… miserais pas sur la retenue de son amie, grimace le chevalier tatoué, comme s'il se remémorait un souvenir particulièrement désagréable.

Les Sarmates échangent un regard qui en dit long, et Tristan parait transmettre un message silencieux à son acolyte. Alors qu'aucun mot n'est prononcé, il semble à Elena que les deux hommes se tiennent une conversation entière. Elle n'a aucune idée de ce qui est en train de se jouer mais une chose est sûre, Galahad n'est pas convaincu, car il fait les gros yeux et secoue la tête.

- Arthur n'appréciera pas. Ça va causer une pagaille inimaginable avec ses supérieurs.

- Il apprécierait encore moins que la fille soit blessée ou pire, tuée, parce qu'on n'a rien fait.

- Eh, lance l'adolescence avec timidité, de quoi vous parlez ?

Les deux chevaliers continuent de se toiser, et Galahad finit par soupirer, acceptant le commandement de Tristan.

- Nous allons aller tirer ton amie des geôles, répond-il sans même la regarder. Mieux vaut espérer que cela se produise sans effusion de sang.

À ces mots, Elena sent son niveau de panique diminuer légèrement. Elle n'aurait pas supporté que June passe la nuit en prison, à la merci des soldats romains. Avec un peu de chance, tout ceci ne sera bientôt plus qu'un mauvais souvenir.

- Génial, enfin une bonne nouvelle ! Je viens avec vous !

-Non, rétorque la voix sèche et cassante de Tristan. La dernière chose dont j'ai besoin, c'est que tu te retrouves toi aussi en danger. Je ne vais pas passer le reste de la journée à en sauver une, puis l'autre. Ton amie nous cause suffisamment de problèmes comme ça.

Blessée par ces paroles désobligeantes, Elena ouvre la bouche pour argumenter, mais Galahad la devance :

- Faites-nous confiance, Elena. Vous ne nous seriez d'aucune utilité, et votre amie sera plus en sécurité si nous n'avons qu'elle à protéger.

- Qu'est-ce que je peux faire pour l'aider, alors ? C'est mon amie, fait-elle d'une petite voix.

- Allez chez Ioena, enfermez-vous à double tour et ne laissez entrer personne jusqu'à ce que nous arrivions. Tout se passera bien.

Une tonne de questions se bousculent dans la tête d'Elena, mais Galahad la pousse en direction de la sortie et Tristan, pour qui la conversation semble close, s'éloigne déjà à grandes enjambées. Il a le visage dur et un rictus s'y est dessiné, comme s'il brûlait d'impatience à l'idée d'aller casser du Romain. Elle n'a pas d'autre choix que de leur obéir et de croiser les doigts en espérant que Galahad lui ait dit la vérité.


June a presque perdu tout espoir.

Elle a enfoui son visage dans ses genoux, les yeux fermés et l'air misérable. La flamme de la torche en face de sa cellule tremblote, comme si elle était sur le point de s'éteindre, et la jeune fille ne craint qu'une chose ; s'apercevoir en rouvrant les yeux qu'elle se trouve dans le noir le plus total. Dans la partie rationnelle de son cerveau, elle sait très bien qu'elle n'est pas seule dans les geôles et qu'il y a une belle quantité d'autres prisonniers, mais elle ne peut pas les voir, et c'est tout comme. Que va-t-il lui arriver maintenant ? Va-t-elle devenir comme ces autres captifs, délirante de solitude et de désespoir ?

Au loin, une lourde porte claque, et un courant d'air vient éteindre les quelques torches qui persistaient encore. Les doigts crispés sur ses genoux, June ouvre les yeux, mais elle ne voit plus rien.

Quelques secondes plus tard, des cris commencent à retentir et la jeune fille bondit sur ses pieds, terrorisée. Les soldats romains sont-ils en train de s'en prendre à des prisonniers ? Elle recule jusqu'à heurter le mur de sa cellule et serre les poings, ses ongles s'enfonçant dans la paume de ses mains. Des épées s'entrechoquent à quelques mètres de là, des gargouillis sanglants se font entendre, et les pas se rapprochent.

June ne prononce pas un mot. Elle attend que les nouveaux arrivants se dévoilent, tout en se demandant si sa fin est arrivée.

Lorsque deux hommes apparaissent enfin devant sa cellule, elle retient un hoquet terrifié. Elle ne parvient pas à discerner leurs visages, mais ils tiennent chacun une longue épée à la main et l'un d'entre eux a collé sa tête entre les barreaux, cherchant manifestement à l'identifier.

- C'est elle, grogne une voix qui lui est familière. Donne-moi les clés, dépêche-toi. Les autres vont rappliquer.

- Tristan ? murmure alors June, qui n'en croit pas ses oreilles. Tristan, c'est vous ?

- Qui veut-tu donc que cela soit ? Putain de clés !

Elle voit la silhouette du chevalier tatoué s'acharner sur la serrure, essayant clé après clé du gigantesque trousseau que lui a tendu son acolyte. Les clés tintent en s'entrechoquant tandis que la porte tremble sous les assauts de Tristan. Se décollant enfin du mur, June parvient à identifier Galahad, qui surveille les alentours avec vigilance tout en jetant des regards pressants à son partenaire. Il ne dit rien, sûrement pour ne pas l'irriter davantage, mais il est tendu comme la corde d'un arc, et June remarque qu'il y a du sang sur la lame tranchante de son épée.

Tous trois sursautent lorsqu'une porte s'ouvre en grinçant à une cinquantaine de mètres de là et que des pas résonnent sur le sol en pierre. La jeune fille se serait volontiers convaincue qu'il s'agissait de renforts si les deux hommes n'avaient pas grimacé au même moment.

- C'est trop long, intervient Galahad en secouant la tête. Essaie avec ton couteau, voir si tu peux trafiquer cette fichue serrure.

Avec un juron des plus colorés, Tristan arrache la clé qu'il tentait d'y insérer et jette le trousseau au sol, avant de tirer une dague de son ceinturon. Il se laisse tomber sur un genou, glisse la lame dans la serrure, et June le voit tenter d'y trouver une encoche. Il a le visage intensément concentré et bien que la jeune fille sache qu'il fait de son mieux, les bruits de pas se rapprochent, et elle se met à taper du pied anxieusement.

- Dépêchez-vous ! finit-elle par l'exhorter. Ils arrivent !

- Si tu penses pouvoir faire mieux, prends ma place, rétorque le chevalier sans se départir de sa concentration. Sinon, ferme-la.

Un CLIC ! retentit et la porte cède enfin, s'ouvrant pour laisser passer une June plus que ravie de quitter, pour toujours l'espère-t-elle, sa cellule. Immédiatement, Galahad s'empare de son bras, l'attirant près de lui. Tristan a rengainé sa dague et adopté une posture de combat, et alors que la jeune fille aurait adoré bénéficier de quelques secondes pour faire redescendre sa tension, elle voit quatre gardes romains courir dans leur direction.

- On fait quoi ? souffle-t-elle, parce qu'elle n'a même plus la force de s'épouvanter.

Tristan prend un bref instant pour la regarder avant d'adresser un ordre sec à son acolyte :

- Vous courrez. Il y a une autre sortie si vous continuez dans le couloir. Elle est sûrement verrouillée, il faudra que tu l'enfonces.

- Et toi tu restes ici et tu joues les martyrs ? s'exaspère Galahad. Je ne te laisse pas les affronter seul.

- Qui a parlé de martyr ? Crois-moi, quand j'en aurais fini avec eux, je ne suis pas celui que l'on qualifiera de martyr. J'ai un compte à régler avec les Romains. Par loyauté envers Arthur, je n'ai pas cherché à me venger après qu'ils m'aient flagellé, mais puisqu'ils semblent vouloir me forcer la main, loin de moi l'idée de les décevoir.

Tristan a dévoilé ses dents dans un sourire carnassier.

Depuis quand est-ce qu'il attend cette opportunité ?

Abandonnant l'idée de le convaincre de fuir avec eux, Galahad secoue la tête et tire sur le bras de June.

- Venez, June. Dans quelques minutes, si tout se passe bien, vous serez en sécurité.

- Où allons-nous ?

- Chez Ioena. Votre amie vous y attend avec impatience.

La jeune fille a un faible sourire. Savoir qu'Elena ne l'a pas laissé tomber, bien qu'elle n'en ait jamais douté, c'est comme un baume sur son cœur meurtri après cette horrible journée. Elle est plus que jamais prête à quitter ces infâmes geôles et à retrouver la sécurité de la maisonnette d'Ioena. Mais avant cela…

- Merci, se contente-t-elle de dire à Tristan. D'être venu.

Ce dernier hausse les épaules, comme s'il se fichait pas mal de ses remerciements, et la traction sur le bras de la jeune fille se fait plus pressante. Elle se met à courir avec Galahad et à peine quelques secondes plus tard, une explosion de bruits métalliques retentit derrière eux. Le chevalier ne ralentit pas mais sa poigne devient douloureuse. Tout autour d'eux, les prisonniers se jettent aux barreaux des cellules avec désespoir.

June ferme les yeux et se laisse guider, bloquant de son esprit les supplications des malheureux et le bruit des lames qui s'entrechoquent.


Elena sursaute au moindre bruit, n'hésitant pas à courir coller son oreille contre le battant de la porte. Chose rare, cette dernière est pour une fois verrouillée à double tour, comme le lui a ordonné le jeune chevalier Sarmate.

Elle est arrivée à la masure d'Ioena moins d'une heure plus tôt, et la vision de son visage décomposé a suffi pour que la vieille femme réclame des explications. Elena n'a pas eu besoin de s'appesantir sur la gravité de la situation pour que sa bienfaitrice la saisisse, et elle parait désormais tout aussi anxieuse. Si Galahad leur a enjoint d'être prudentes et de ne laisser entrer personne, ce n'est pas par hasard. Depuis, Elena se ronge les ongles d'inquiétude, sans pouvoir s'empêcher d'imaginer les pires scénarios. Et si les deux chevaliers ne parviennent à pas à tirer June des geôles ? Et s'il lui est déjà arrivé quelque chose ? Et s'il y a des représailles ?

Et si, et si, et si…

De son côté, Ioena adresse une courte prière à ses dieux Païens, ce qui n'arrange en rien le stress d'Elena.

Autant voir les choses du bon côté, au point où on en est, je ne crache pas sur l'aide d'un dieu, tout aussi païen soit-il.

Enfin, un coup est frappé à la porte, et la jeune fille manque de trébucher de surprise tant ses nerfs sont à fleur de peau. Ioena fait non de la tête lorsqu'Elena fait mine de déverrouiller le battant avant poser un doigt sur ses lèvres, lui intimant le silence.

Quelle idiote je suis ! Ça pourrait être n'importe qui.

Si la vraie vie était semblable à un film d'horreur, elle ne survivrait pas quinze minutes.

- C'est moi, Galahad. Ouvrez !

Avec un soupir de soulagement, Elena s'empresse d'obéir.

- June !

Elle aurait presque pu pleurer de joie à la vue de son amie. Il n'y a que Galahad avec elle, Tristan étant mystérieusement absent, mais honnêtement, Elena s'en moque. Seule compte la présence de June, et sans se préoccuper de son état pitoyable, la jeune fille l'attire dans une étreinte puissante. Son amie sent mauvais, sa robe grise est noircie par la crasse et d'immenses cernes violettes s'étendent sous ses yeux, jurant abominablement avec sa peau pâle. Si la soirée d'Elena n'a pas été des plus agréables, il est évident que son amie vient de passer parmi les pires heures de sa vie.

L'adolescente resserre ses bras autour des épaules de June et celle-ci, contrairement à son habitude, se laisse aller dans l'étreinte. Aucune des deux filles ne prête attention à Galahad qui les pousse sans ménagement à l'intérieur de la masure.

- C'est bon, c'est fini, murmure Elena d'une voix rassurante. Tu vas rester avec nous, tu es en sécurité.

Croit-elle réellement à la véracité de ses propos ? Est-il possible d'être en sécurité à une époque où, du jour au lendemain, vous pouvez arbitrairement être arrêtée et disparaître de la surface de la terre ? Il lui faut pourtant s'en convaincre, pour le bien de sa santé mentale.