Phindar

- Edriel ? Edriel, tu me reçois ?

A l'étroit dans le cockpit de son chasseur, la jeune fille leva prudemment une main des commandes pour tapoter le micro fixé à sa joue.

- Trois sur cinq, Maître.

- Bon. Nous arrivons en vue de Phindar.

Edriel Menel-Randir jeta un coup d'œil à travers le pare-brise du Delta-7 qu'elle pilotait. Devant elle trônait dans l'écrin noir du ciel une petite planète rose, entourée d'ondoyantes nébuleuses blanchâtres. Le lieu de leur prochaine mission. L'Elfe tourna ses yeux perçants sur le flanc droit de son vaisseau. Elle vit le chasseur rouge de son Maître filer à côté du sien, et devina à travers la verrière la silhouette aux longs cheveux de son mentor. Qui-Gon Jinn lui fit un petit signe de main. Elle rajusta son micro, brancha un fil destiné à améliorer la netteté de la communication.

- Et comme ça ? interrogea-t-elle à l'intention de son compagnon.

- C'est mieux ! commenta la voix de Qui-Gon. Etrangement, l'approche de cette planète brouille les radios... Bon, te souviens-tu du but de notre intervention ?

- Oui, Maître.

- Résume-le.

- A été envoyée il y a six mois standard une proposition d'adhérence à la République aux autorités phindariennes. Trois ambassadeurs déjà s'y sont rendus pour connaître leur décision vis-à-vis de ce projet : aucun n'est à ce jour revenu. Le Conseil Jedi nous a chargés de retrouver ces ambassadeurs et par la même occasion de nous acquitter de leur mission.

- Excellent ! approuva Qui-Gon. Maintenant, je me doute que ce ne sera pas du gâteau, mais ces faits m'intriguent : la puissance de la République est connue dans la galaxie entière. Pourquoi aurait-on intérêt à la défier, pour un motif aussi anodin ? Il faudrait...

Un crachotement couvrit les dernières paroles de Jinn, suivi d'un grésillement ininterrompu.

- Maître ? appela Edriel, inquiète. Maître ? Que se passe-t-il ?

Elle jeta un bref regard sur sa droite, et vit son mentor s'agiter furieusement dans son cockpit. Les grésillements firent place à un sifflement aigu, puis :

- Par tous les banthas de la Mer des Dunes ! Satané engin de mes deux ! ... Marche jamais ! Je t'en foutrai, moi...

- Vous disiez, Maître ? reprit Edriel, masquant avec peine le fou rire qui la gagnait.

- Oh, euh... Edi ? Ah, tu as rétabli la... transmission ? Hem ! Je...

- Ça va, Maître, je n'ai rien entendu ! Vous savez quoi ? Comme on approche de la planète, je suggère que l'on envoie un message à sa surface, pour annoncer notre arrivée.

- Padawan, combien de fois devrai-je encore te répéter que toute tentative de contact avec Phindar a échoué ?

- Depuis Coruscant, oui. Il n'en sera peut-être pas de même aux abords du système, Maître.

Il y eut un silence. Puis la voix de Qui-Gon reprit :

- Tu as peut-être raison, ma jeune Apprentie. Essayons.

Un « clic » lui apprit que le maître Jedi avait coupé la communication qui le liait à elle pour s'affranchir de sa tâche. Sur le tableau de bord de la jeune fille, trois voyants orangés s'allumèrent, lui annonçant le passage en orbite. Phindar apparut sur son écran de contrôle, tournant lentement sur elle-même. Edriel renifla d'un air curieux, pianota rapidement sur quelques boutons. Un symbole de recherche apparut sur l'écran fluorescent. Elle détourna le regard, grimaça quand son chasseur tangua, attiré par la planète qu'il côtoyait.

Edriel frémit, sentant sa peau la picoter à un endroit bien précis... Elle releva sa manche gauche, découvrit sur son poignet un petit tatouage noir et argent, en forme de fleur épanouie d'où jaillissait un dragon. Le symbole de sa famille, les Menel-Randir. Le même que son frère. Et elle savait qu'en ce moment précis, il pensait à elle. L'Elfe se laissa aller à une vague nostalgie. Depuis qu'ils avaient chacun atteint un stade supérieur dans leur formation, il n'était plus question pour leurs Maîtres respectifs de les laisser inactifs et « désoeuvrés » au Temple... Et leurs missions respectives éloignaient souvent les jeunes gens loin l'un de l'autre... Par exemple, Edriel savait pertinemment qu'à cet instant, son frère Galaad Menel-Randir, en compagnie de son mentor, Maître Yoda, était sur N'Klonn, à l'autre bout de la galaxie. Qu'importe, car la brûlure des tatouages, des « marques » comme ils les nommaient, traversait les étoiles et leur faisait souvenir d'eux-mêmes au beau milieu de leurs aventures. De fait, par la simple assurance que Galaad pensait à elle, Edriel se sentait réconfortée... Sa nature d'Elfe était confortée de savoir l'un des siens à ses côtés.

- Edriel ? Edriel !

- Oui, Maître ? répondit précipitamment la jeune fille, émergeant de sa rêverie.

- J'ai tenté la prise de contact avec les phindariens. Tiens-toi bien, car même si mon émetteur affiche un accusé de réception, aucune réponse ne m'est parvenue, pas même un simple signal ! Qu'est-ce que tu penses de ça ?

- Ces gens ne sont pas du genre communicatifs...

- Soyons sérieux, Edi, veux-tu ? Pourquoi feraient-ils cela ?

- C'est peut-être de la méfiance... Ils attendent de nous voir de leurs yeux avant de se dévoiler. En tous cas, il y a une ville, ou une, un... Un regroupement de formes de vie à deux heures, en dessous de nous. On pourrait aller voir, Maître...

- Comment le sais-tu ?

- J'ai passé la planète au scan, Maître, comme vous me l'avez appris, reprit malicieusement la jeune fille.

- Ah... C'est bien. Au moins, tu t'es occupé pendant que j'émettais, au lieu de rêvasser comme tu en as pris l'habitude, ces temps derniers ! Je peux savoir si quelque chose ne va pas ?

- Galaad me manque, Maître.

- Ah, ce n'est que cela ! Dois-je te rappeler que tu n'étais pas, au départ, censée jamais connaître ton frère ?

- C'était compter sans la sensibilité elfique, Maître !

- Mmouais. Allez, du cran, ma jeune Padawan ! Tu le reverras en rentrant, je te le promets ! Pour l'instant, amorçons la descente !

- Reçu !

Un instant plus tard, les deux chasseurs plongeaient ensemble vers la surface nuageuse de Phindar, un peu impétueusement, peut-être... C'est ce que constata immédiatement Qui-Gon Jinn dès qu'ils eurent pénétré dans l'atmosphère de la planète.

- Maître ! cria dans l'écouteur la voix paniquée de son Apprentie. C'est pire que le brouillard de Bespin, ici ! Je n'y vois rien, pas à un mètre devant moi ! Et on plonge à toute vitesse vers la surface ! Quelle purée de poix ! Qu'est-ce qu'on fait, maître !

- On va faire preuve de jugeote, répliqua calmement Qui-Gon, et éviter de paniquer pour si peu. Même si tu détestes piloter et manifeste une angoisse chronique à chaque avarie de vol, tu ne dois pas oublier, Padawan, que tu es une Jedi, et que le laissez-aller nous est interdit. Des vies peuvent dépendre de nous.

- Mais, Maître, je ne vois vraiment pas ce que...

- Ça va, j'ai compris, soupira Qui-Gon en enclenchant une commande. Je vais devoir improviser tout seul. Bon, j'ai allumé mon feu arrière. Tu le vois ?

- Euh... Vaguement. Je crois que vous êtes au nord-ouest de mon fuselage.

- Ok. Débrouille-toi pour me coller au train jusqu'à nouvel ordre, et, pour l'amour du ciel, concentre-toi, au lieu de dramatiser ! On en reparlera à terre, crois-moi !

- Si on y arrive en un seul morceau... crut bon de souligner Edriel, en pure perte, car son maître venait de couper la radio.

La jeune fille se borna donc à suivre à la lettre l'injonction de son mentor. Quelques instants plus tard, le brouillard se fit plus espacé, sinon moins dense, et Edriel put venir se ranger au flanc du chasseur de Qui-Gon, calquant son allure sur la sienne. Ils finirent par se poser en catastrophe entre deux panaches de brouillard rose, sur un sol sablonneux étrangement plat et nu. Lorsque les dernières vibrations de son vaisseau se furent estompées, Edriel déboucla sa ceinture, rebrancha le câble radio :

- Maître ?

- Enfin ! C'est pas trop tôt ! Qu'est-ce qui t'a pris de couper la communication, insensée ?

- Hé ! Mais c'est vous qui m'avez raccroché au nez, Maître !

- Tu n'étais pas censée couper le contact de ton côté, marmonna Qui-Gon, que la jeune fille devina triomphalement un peu gêné. J'ai fait un scan-radar et une analyse de l'air. Nous ne sommes pas tombés trop loin de ton « regroupement de formes de vie », et l'air contient suffisamment d'oxygène pour nous. En piste, ma jeune Padawan !

- Je déteste quand vous m'appelez comme ça, Maître !

- C'est bien pour ça que je continue !

- Humpf !

Elle vit à quelques pas de son chasseur Qui-Gon soulever la verrière du sien et sortir à l'air libre. Elle l'imita, sauta à terre d'un bond souple. Aussitôt, l'étrange odeur mit en garde ses sens hyper-développés, pesa dans sa gorge d'une façon immédiate qu'elle n'apprécia pas...

- Maître ?

- Oui, je l'ai senti, aussi. Délicat parfum, tu ne trouves pas ?

- On ne peut pas dire le contraire...

L'odeur en question, qui semblait provenir du brouillard, était à la fois capiteuse et douceâtre, indéfinissable, tenant le milieu entre les effluves délicates d'une fleur tropicale de Felucia et le parfum caractéristique d'un objet neuf. Elle était partout, puissante, s'infiltrait en même temps que l'oxygène dans l'organisme des Jedi intrigués.

- Ça me rappelle une sorte de...

- Je n'aime pas ça, Maître ! coupa Edriel en reniflant nerveusement autour d'elle, méfiante. On ferait mieux de remballer et de revenir avec des spécialistes !

- Et nos respirateurs ?

- A quoi bon ? La réserve nous ferait tenir deux heures, c'est tout.

- Je ne pense pas... que cette odeur soit... une menace.

- Mmm... marmonna la jeune fille en se détournant, cherchant à percer de son regard d'Elfe les rideaux de gaz rose. Je me demande si ce brouillard se dissipe un jour... Juste histoire de savoir où nous sommes...

Elle resta quelques instants immobile, scrutatrice, écoutant d'une oreille distraite la respiration profonde de Qui-Gon. Cette planète ne lui disait rien qui vaille. En plus, elle se sentait un peu nauséeuse, les tempes légèrement bourdonnantes. Sans doute cet entêtant parfum ! Alors que les expirations derrière elle devenaient plus rauques, entrecoupées de sifflements sourds, Edriel se retourna, inquiète :

- Maître, est-ce que tout va b... Maître !

Le cri suraigu d'Edriel résonna douloureusement à ses propres oreilles. Qui-Gon, lourdement accoudé à l'aile de son Delta, chancelait dangereusement, une main tremblante posée sur son front :

- Non, ce... n'est rien... Edri...el. Je... J'ai...

Le Maître Jedi s'écroula soudain de tout son poids à terre, le corps agité de spasmes. Son Apprentie se précipita vers lui, se laissa tomber à genoux. Elle souleva fermement Qui-Gon par les épaules, le maintint serré contre elle, lui communiquant autant que possible des ondes apaisantes. Les convulsions cessèrent aussi rapidement qu'elles s'étaient manifestées. Edriel passa une main inquiète sur le front de son Maître, le découvrit moite et recouvert d'une fine pellicule de sueur. L'Elfe se mordit les lèvres. Tout en caressant nerveusement les longs cheveux bruns de Qui-Gon, elle commença à faire un lien entre son mal de tête et celui de son mentor. Allons bon ! Voilà que son teint devenait cireux, sa respiration suffocante... Il n'arrivait plus à...