« La mort n'est pas une fin en soi... »

Elle se vit courir vers le corps étendu à terre, sur le sol métallique qui brillait. Elle se laissa tomber à genoux, prit l'homme aux longs cheveux par les épaules, le souleva avec précaution. Qui était-il ? Comment était-ce arrivé ? Où ? Elle ne le savait pas, mais sentait en elle une détresse immense, une appréhension terrible. Si cet homme mourait, elle en mourrait aussi. D'une main tremblante, elle releva la nuque de l'inconnu. Ses longues mèches brunes glissèrent, dévoilant son visage. Elle se retint de crier. De frustration. Les traits de l'homme étaient brouillés, lointains, comme si elle les contemplait à travers la brume ou une chute d'eau. Qu'importe ! Elle savait qu'il ne fallait pas qu'il meure... Le corps dans ses bras se fit plus lourd, abandonné... Elle tenta de se concentrer davantage sur le visage anonyme, se fit violence pour...

Le chuintement de la porte coulissante et une présence l'empêchèrent d'aller plus loin. Edriel Menel-Randir ouvrit d'un seul coup ses yeux brillants, tandis que sa vision s'évanouissait aussi soudainement qu'elle lui était venue, quelques instants auparavant...

- Oh, pardonnez-moi !

La jeune fille assise en tailleur considéra en silence le jeune Kenobi qui venait de pénétrer dans la cabine. Une main sur la bouche, le Padawan semblait terriblement gêné de l'avoir troublée en pleine méditation, et ses beaux yeux bleu-vert semblaient mendier le pardon autant que l'indulgence. Edriel laissa un petit sourire flotter sur ses lèvres :

- Ça va, Obi-Wan. Rentre, maintenant que tu es là !

- Je ne savais pas, Maître Menel-Randir. Je suis désolé. J'espère que je n'ai pas trop abruptement...

- Il y a plus grave, éluda l'Elfe avec un petit geste de main. C'est de ma faute : j'aurais du vous avertir, toi et Qui-Gon, avant de me retirer. Mais je n'étais pas partie pour méditer, au départ...

Edriel se tut, regardant Obi-Wan s'agenouiller devant elle à même le sol. Les jambes repliées sous lui, les chevilles croisées à la façon des Apprentis, le jeune homme joignit ses mains dans les amples manches de son manteau Jedi. Il garda un instant les yeux fixés à terre, puis releva la tête vers Edriel. Celle-ci avait compris dès le début que Kenobi avait quelque chose à lui dire. Elle chassa de son esprit le reste du malaise causé par la vision, secoua ses longs cheveux blonds dont les perles tintèrent :

- Qu'est-ce qui te tracasse, Obi-Wan ?

- A vrai dire... Je ne saurais pas exactement vous l'expliquer, Maître Menel-Randir.

Edriel cilla, retint un sourire. C'était toujours sa réaction quand Obi-Wan l'appelait comme ça, alors que depuis longtemps elle était pour lui une sœur, une amie chère et rien moins qu'une Chevalière Jedi à laquelle il devait le respect. Néanmoins, le jeune homme s'en rappelait toujours en dehors de leurs moments de tendre complicité...

- Ce n'est pas une chose précise, mais plutôt une crainte vague, sournoise, qui me ronge depuis quelques temps. Elle est peut être reliée à cette perturbation que je ressens dans la Force...

- Je l'ai sentie aussi, coupa Edriel avec un signe de tête affirmatif. Comme toi, elle m'inquiète. Et le Conseil ne nous prend pas au sérieux. Pourtant, je suis persuadée qu'elle existe. Elle se cache, elle est masquée, mais elle est là.

- C'est aussi mon sentiment.

- Est-ce tout ?

- Non. Je sens la mort rôder.

L'Elfe fit un violent effort pour ne rien laisser paraître qui puisse alarmer le jeune homme. Ainsi, il y en avait un autre qu'elle qui ressentait cette menace imminente ! Et cette vision qu'elle venait d'avoir...

- Maître Menel-Randir ?

La jeune fille adressa à Obi-Wan un sourire doux et simple :

- Non. Edriel suffira. C'est en tant qu'amie que je te parle.

Kenobi sourit à son tour, trop heureux de retrouver celle qu'il aimait pardessus tout, son amie de toujours, sa compagne d'aventures et sa complice en toutes choses. Le regard grave d'Edriel le fit aussitôt déchanter...

- Moi aussi, j'ai vu la mort, Obi-Wan. Dans le songe que tu as interrompu.

Il se mordit violemment les lèvres.

- Qui ?

- Un homme. Un homme aux longs cheveux.

Ils s'entre-regardèrent ; La même pensée les traversa.

- C'était peut-être un simple avertissement... avança prudemment Obi-Wan.

- Galaad -mon frère, tu sais...

- Oui.

- Il voit le futur. Il était au Temple, avant-hier. J'aurais du lui demander, quand je l'ai vu...

- Non ! reprit vivement Kenobi en secouant la tête. Connaître l'avenir mène à faire des erreurs, sinon à commettre des folies. Tu as bien fait, Edi.

- Alors, je dois voir Qui-Gon ! déclara l'Elfe d'un ton résolu en se levant.

- Attends ! s'empressa Obi-Wan en la retenant par le bras. Tu veux que je vienne avec toi ?

- Non. Il ne vaut mieux pas.

Edriel lui lança un regard triste :

- Je suis désolé, Obi-Wan, je ne peux pas t'aider. Je suis trop troublée moi-même. Tout ce que je peux faire, c'est partager avec toi le peu d'ondes apaisantes qu'il me reste...

La jeune fille se rassit en tailleur devant Kenobi toujours agenouillé. Elle ferma les yeux, tendit devant elle ses paumes grandes ouvertes. Mu par une vieille habitude, Obi-Wan posa doucement ses mains dans les siennes. Confiant, il se laissa entraîner par le flot riche et lumineux des pensées de l'Elfe...

- Qui-Gon ? Vous avez un moment ?

Le Maître Jedi détourna la tête de l'écran bleu. Ses yeux s'éclairèrent en reconnaissant la jeune fille :

- Entre, Edriel !

L'Elfe obéit et referma la porte derrière elle. Qui-Gon se frotta la barbe d'un geste pensif, et se remit à pianoter sur le clavier de l'ordinateur. Edriel s'approcha doucement derrière lui, se pencha pardessus son épaule. Elle sentit monter des longs cheveux sombres de son Maître ce parfum de sable chaud si caractéristique, en aspira une pleine bouffée. Si elle se rappelait l'avoir vue souple et brillante, l'opulente chevelure de Qui-Gon était maintenant striée de mèches grises que la jeune fille ne pouvait regarder sans se troubler. En tant qu'Elfe, elle ne comprenait pas, n'acceptait pas, que le temps exerce son emprise sur ceux qu'elle aimait, tandis qu'elle ne changeait pas, sinon de l'intérieur.

- Vous avez l'air affairé... nota Edriel avec une nuance interrogative dans la voix.

- Je passe en revue le plan du palais de Theed, expliqua Qui-Gon sans lever les yeux, enfonçant une touche d'un geste autoritaire. Si nous devons mener une offensive, ce sera là.

- La Reine pense que la meilleure façon de mener une action serait de capturer le Vice-Roi.

- Je suis d'accord avec elle. D'une certaine manière, c'est la meilleure chose à faire. C'est pour ça que je m'informe de la configuration du palais. Il se tient là-bas.

- Vous avez l'air soucieux, Maître.

Qui-Gon releva enfin la tête, fixa Edriel dans les yeux. Elle ne l'avait plus appelé comme ça depuis des années... Il se rendit soudain compte que cela lui avait manqué. Et que la jeune fille était tourmentée. Il le sentait clairement, intiment liée à elle dans la Force.

- Moins que toi, répliqua-t-il en tournant son siège vers elle et en lui prenant les mains. Tu as quelque chose à me dire, Princesse ?

« Princesse »... A son tour, Edriel se sentit touchée. Le fait qu'il l'appelle ainsi l'assurait de sa totale attention. Désormais l'ordinateur pouvait attendre...

- Oui.

- Rassure-moi, vous n'avez pas fait une nouvelle bêtise, avec Obi-Wan ? Ce n'est pas le moment !

Malgré ses craintes, Edriel rit :

- Oh, non ! Ne vous inquiétez pas...

- C'est plus grave que ça..?

L'Elfe devina, au froncement de sourcils et à la voix vibrante, que le Maître Jedi commençait sérieusement à s'inquiéter.

- D'une certaine manière... Oui.

- Viens.

Qui-Gon l'attira doucement vers lui, la fit asseoir sur ses genoux. Edriel se laissa entraîner, nicha son visage dans le cou du Jedi. Un grand bien-être s'empara d'elle quand elle se sentit entièrement environnée de son odeur de force, protégée contre tout, quand il lui caressa paternellement les cheveux en soupirant. Il y avait tellement longtemps qu'il ne l'avait plus fait. « Tu es trop grande ! » disait-il d'un ton de gentille réprimande. Elle s'étonna d'autant plus de l'indulgence de Jinn.

- Dis-moi.

Edriel reprit son souffle, chercha un instant ses mots.

- En fait, voilà. Depuis quelques temps, tu ressens comme nous une perturbation dans la force ?

- C'est exact, répondit Qui-Gon en souriant inconsciemment au tutoiement de la jeune fille.

- Eh bien, Obi-Wan et moi, nous ressentons autre chose.

- Et quoi donc ? Que le Conseil va nous tirer les oreilles à cause de notre engagement dans cette affaire ? reprit le maître d'un ton léger.

- Non. Nous sentons l'ombre de la mort.

L'Elfe devina plus qu'elle ne sentit le frisson qui agita le grand corps de Qui-Gon. Elle se redressa un peu, vrilla son regard dans le sien :

- Tu as tremblé, Qui-Gon ! Toi aussi, tu l'avais ressenti ?

Mais le visage de Jinn était redevenu impassible :

- En ce moment, je ressens beaucoup de choses... éluda-t-il.

- Qui-Gon, j'ai fait un songe tout à l'heure. Un homme aux longs cheveux expirait dans mes bras.

Le Maître Jedi se raidit cette fois distinctement. Il laissa retomber la main qui lissait les mèches blondes d'Edriel, et son regard se fit lointain.

- Et cet homme... C'était moi, c'est ça ?

- Je n'ai pas vu son visage...

- Mais tu le penses...

- Oui. J'ai peur pour vous, Maître. Il ne faut pas aller sur Naboo.

Qui-Gon eut un sourire désabusé, et serra gentiment l'épaule d'Edriel :

- Edi... Tu sais bien que c'est impossible.

- Qui-Gon, ce n'est plus de la bravoure, c'est de l'imprudence !

- Qui te dit que c'était vraiment moi ?

- Vous savez que les Menel-Randir voient l'avenir ! Vous savez que mon frère pousse ce don à l'extrême ! Vous savez que les Elfes sont proches de l'au-delà, même s'ils n'y entrent jamais ! Pourquoi vous entêter ?

- C'était un simple avertissement. Je ne me sens pas condamné, Edi. Je t'en prie, si c'est cela qui te tourmente, alors oublie-le ! Après tout, c'était une simple vision, que tes sentiments ont sûrement influencée...

Comme Edriel levait vers lui un regard surpris, Qui-Gon rit :

- Oui, oui, ne crois pas que j'ignore tout de tes pensées ! Tu t'inquiètes pour moi, parce que tu vois que je vieillis, et que je n'ai plus la fougue de mes trente ans ! Sois tranquille : il me reste encore assez d'énergie pour affronter les épreuves qu'il me reste !

L'Elfe avait un peu rougi, mais ne s'avoua pas vaincue pour autant :

- Obi-Wan et moi sentons planer cette menace de trop près pour qu'elle ne soit pas destinée à l'un de nous trois. Vous ne vous en souciez pas ? Vous pensez que nos sentiments sont trop influents dans notre perception de la Force ?

Qui-Gon sourit dans sa barbe, pinça tendrement la joue d'Edriel qui lui répondit par une tape sur la main.

- Je n'ai pas dit cela, Princesse. Je pense simplement qu'il y a une heure pour chacun d'entre nous –même pour les Elfes. Pour moi, j'espère qu'elle viendra avant ma déchéance. Je veux mourir dans le feu de l'action, Edriel, sabre-laser au poing, pour emporter avec moi la fierté de ce que je suis : Maître Jedi, gardien de la paix et de la justice dans la galaxie. Ainsi, je me fondrai dans la Force le cœur en paix. La mort n'est pas une fin en soi... Elle est l'ultime accomplissement d'une destinée, et le début d'une autre.

Les mots de Jinn poignardèrent la jeune fille si profondément qu'elle en gémit. Des larmes montèrent à ses yeux, qu'elle s'efforça de retenir, honteuse de tant de faiblesse.

- Je ne peux te défendre de pleurer, Princesse, mais tu ne devrais pas. Toi-même, sais-tu bien pourquoi...

- Je ne veux pas te perdre, Qui-Gon. Je ne veux pas, je ne peux pas ! Pourquoi es-tu mortel ? Tu as tout des Elfes qui devraient être ton peuple !

Edriel se laissa retomber sur la poitrine de Jedi, qui sentait lui aussi ses yeux le piquer. Doucement, il berça la jeune fille, la serrant contre lui comme son plus précieux trésor.

- C'est un des plus beaux compliments qu'on m'ait fait... souffla Jinn en appuyant ses lèvres sur les cheveux d'or d'Edriel.

Puis il desserra son étreinte. Edriel sauta à terre, s'installa à genoux aux pieds de Qui-Gon :

- Maître, il ne faut pas aller sur Naboo.

Jinn haussa légèrement les épaules. Il se laissa couler sur le sol, s'agenouilla en face de l'Elfe. Il lui prit fermement le visage entre ses mains, l'obligeant à le regarder au fond des yeux, ces formidables yeux bleu de mer qui s'étaient toujours posés sur les choses et les êtres avec bonté et respect.

- Tu es devenue une grande Jedi, ma jeune Apprentie, ma jolie Princesse, et tu as enchanté ma vie. Maintenant, tu n'as plus besoin de moi. Tu seras amenée à voyager, à me quitter. Mais même si quelque chose de plus fort encore que la distance venait à nous séparer, si la mort te prenait toi ou moi, rien ne pourra m'empêcher de te chérir comme je l'ai fait jusque là. Tu comprends ? Rien. Tu ne dois craindre pas même la mort, Edriel. Sois forte ! Vis les choses avec cette sensibilité à fleur de peau qui est la tienne, vis-les et bats-toi !

- J'essayerai... murmura la jeune fille avec sincérité.

Elle ne pleurait plus. Qui-Gon lui adressa un sourire rayonnant, toute la joie et la chaleur du monde :

- Je savais que tu comprendrais...

Il attira son front au sien, l'appuya tout contre. Maître et Padawan restèrent ainsi un long moment, dans l'osmose la plus parfaite, le bonheur le plus pur, dans l'assurance presque réelle que rien ne pouvait les séparer...

- Avertissement à tous les membres de l'équipage et aux passagers ! lança soudain une voix enregistrée. Nous arrivons en vue de Naboo !

§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§§