Géonosis
L'atterrissage du Delta-7 sur la surface rocailleuse de Géonosis produit un grand raclement qui résonna longuement dans l'habitacle du pilote, tandis que les derniers soubresauts de l'appareil achevaient d'irriter les sens hyper-développés d'Edriel Menel-Randir. En un tournemain, la blonde Jedi arracha de sa joue le casque de sécurité radio, déboucla d'un geste rageur sa ceinture, et, poussant violemment la verrière du cockpit, bondit à bas du chasseur stellaire, tempêtant intérieurement.
L'air sentait le soufre et piquait la gorge. La rocaille qui recouvrait tout entier le sol, à perte de vue était d'un rouge orangé, comme les montagnes aux sommets déchiquetés qui masquaient l'horizon. Tout près d'elle, la jeune femme entendit bouillonner au fond d'un puits une eau qu'elle devina brûlante. Elle jeta un bref coup d'œil au second Delta-7, son ailier d'occasion, qui venait de se poser à côté de son propre vaisseau. Lorsque l'appareil eut fini de ronronner, le cockpit s'ouvrit et un jeune homme à l'allure alerte en jaillit d'un bond gracieux, avant de décocher à Edriel un sourire éclatant.
- Chouette planète ! s'exclama-t-il d'une voix claire où perçait un accent moqueur.
La Maîtresse Jedi sourit à la constatation ironique. Elle connaissait bien Galaad Menel-Randir, assez pour préférer à tout autre sa compagnie pétillante, discrète et efficace en même temps qu'apaisante. Et pour cause : le jeune homme, non content d'être comme elle un Elfe originaire de Melida/Daan, était aussi son frère. Jumeaux, on avait voulu les séparer très tôt, mais rien n'avait pu longtemps les empêcher de découvrir la vérité...
Edriel fit une petite grimace en se retournant vers Galaad :
- Ah, vraiment ? Moi, je ne la trouve pas spécialement accueillante ! Pourquoi ne sommes-nous jamais envoyés en mission sur des planètes du genre, Naboo, Alderaan, etc. ? Et puis, je déteeeste voler ! Ces tas de ferraille de Delta, j'ai l'impression qu'ils me lâchent à chaque atterrissage ! Quant au passage de la ceinture d'astéroïdes, j'ai cru au moins vingt fois que j'allais être désintégrée !
- Mais la Force t'a protégée, répondit Galaad avec un petit haussement d'épaules.
Un éclair malicieux passa dans ses yeux verts, qui illuminaient comme deux émeraudes son fin visage au teint de lys :
- C'est fini, un peu, de te plaindre, petite sœur ? Si ça continue, j'en référerai au Conseil !
- Mais je...
- Oui, je sais. Tu es inquiète, je le sens. Prends garde ! Tes sentiments sont très forts, ils pourraient risquer de te trahir !
Le jeune homme vira dans son ample manteau noir, scruta avec attention le visage d'Edriel. Elle s'immobilisa, sentant la présence rassurante de son jeune frère s'insinuer doucement dans son esprit, y abolir les doutes, chercher à la réconforter comme on calme une bête apeurée. Une onde de chaleur bienfaisante parcourut son corps. Galaad relâcha soudain son lien télépathique pour sourire à nouveau à Edriel, qui se mordait les lèvres :
- En fait, à ce stade-là, tu n'es plus inquiète, mais terriblement anxieuse ! Encore une fois, prends garde, frangine ! Tu te tourmentes trop pour une Jedi...
Edriel baissa ses yeux fiers :
- Tu sais bien que je l'aime, Galaad. Et avec lui se trouve un de mes meilleurs amis.
- Bien sûr que je le sais... répondit-il doucement. Pour ton bien, j'aurais souhaité que cet amour fût possible... Hélas, il ne l'est pas, bien qu'il soit vrai qu'il y a certaines... pulsions que nous-mêmes, Elfes, ne pouvons réfréner... Allons, ne traînons pas, Edi. Nous ne serons certainement pas les bienvenus, et il vaut mieux arriver en avance qu'en retard.
Edriel hocha la tête, referma d'un coup sec la verrière de son vaisseau. Le droïde de navigation intégré à l'aile gauche fit pivoter sa tête demi-sphérique vers elle, et trilla d'un air interrogateur.
- Que dit-il ? interrogea Galaad.
- Il demande pour combien de temps nous en avons...
Les deux Maîtres Jedi s'entre-regardèrent avec équivoque. Aucun des deux n'osait exprimer sa pensée.
- J'ai dit à mon propre droïde de ramener le chasseur sur Coruscant si nous ne sommes pas revenus avant un jour, dit le jeune homme en rejetant ses cheveux châtains derrière ses oreilles pointues.
- Judicieux, approuva Edriel en levant un doigt appréciateur. Tu as entendu, R7 ? Si nous ne sommes pas là d'ici vingt-quatre heures, tu rentres au Temple !
Le droïde bipa d'un air affirmatif, puis immobilisa sa tête pivotante.
- On y va ?
- On y va, approuva Galaad. En route !
Le frère et la sœur, d'un pas souple et bien réglé, s'engagèrent sur un petit sentier qui serpentait à flanc de falaise, et qui descendait vers les complexes habités que l'on devinait, intégrés dans de gigantesques monticules de sable rouge qui fumaient sous les trois soleils. Silencieux, agiles, les deux Elfes se mouvaient avec une légèreté et une efficacité féline, évitant les pierres et les cailloux du chemin sans même un regard. Ils cheminèrent un moment ainsi, aux aguets, fondus dans la Force. Liés l'un à l'autre par ce lien indéfectible qui avait fait leur réputation, et les désignait immanquablement comme des éclaireurs sûrs. Puis, ne percevant finalement aucune menace aux alentours, les Jedi abandonnèrent finalement leur excessive méfiance pour une atmosphère plus détendue, même si Edriel laissait paraître sur ses traits une angoisse grandissante. Elle essaya de remédier à son mal-être en marchant ostensiblement sur le long manteau de Galaad qui marchait devant, jeu qui, depuis leur enfance, n'avait pas perdu ni pour l'un ni pour l'autre une once de désintérêt... La jeune femme venait d'y parvenir quand une violente quinte de toux la plia en deux. Son frère s'arrêta, se retourna d'un geste gracieux :
- Eh bien, Edi ?
- Kof ! L'air ici est tellement vicié ! Ces relents volcaniques sont... Kof ! ... insupportables !
- Ça t'apprendra à te la couler douce pendant une semaine sur Naboo !
- Mais je...
- Ne me dis pas que tu étais en mission !
- Au lieu de dire des bêtises, tu ferais mieux de me remercier, messire l'étourdi ! Regarde cette borne, au bord du sentier ! C'est le repère.
Galaad décala son beau regard vert sur le talus pierreux, et découvrit une demi-colonne sculptée de motifs triangulaires. C'était bien celle que les données décrivaient.
- Hein ? reprit Edriel. Je crois qu'il est temps de faire le signal, frangin !
- Ouais, tu as raison. Voyons, où ai-je mis ce réflecteur ?
Le jeune homme se mit à fouiller posément dans les grandes poches intérieures de son manteau, puis plus frénétiquement. Sa mine s'allongeait à mesure que la recherche restait infructueuse.
- Galaad, ne me dis pas que tu as perdu le réflecteur... commença Edriel d'un ton menaçant.
- Euh, non, Edi, je l'ai simplement... égaré... Je...
- Ne jouons pas sur les mots ! Tu l'as, oui ou non ?
- Mais c'est impossible ! Je l'avais mis, là, dans cette poche ! Je me revois le faire !
- Le fait est qu'il n'y est pas !
Le jeune homme se frappa soudain le front du plat de la main, une grimace désespérée sur les lèvres :
- Ça me revient maintenant ! J'ai changé de manteau avant de partir du Temple ! L'autre était rongé par l'acide de N'Klonn dont je m'étais fait asperger, il y a deux semaines ! Oh, non ! C'est pas possible ! Mais quel idiot je fais !
- Je ne te le fais pas dire ! gronda Edriel, les poings sur les hanches. Galaad, espèce de rêveur victime d'une overdose de méditation! Par le trou noir de Senex, qu'est-ce qu'on va faire, maintenant !
- Mais j'en sais rien, moi !
Désemparé soudain, Galaad redevenait soudain le petit Elfe de Melida/Daan que sa sœur aimait à consoler, à choyer, lorsqu'un chagrin impromptu faisait briller ses yeux d'émeraude. Elle était jadis la plus forte d'eux deux, celle qui les entraînaient plus loin lorsqu'il le fallait. Aujourd'hui, les rôles s'étaient peut-être inversés, mais cela n'empêcha pas Edriel d'improviser, comme à son habitude, une solution de dernière main... Elle sortit de sa ceinture un petit miroir serti dans un cadre de métal argenté, qu'elle tendit à son frère avec un petit sourire :
- Essaye toujours avec ça, mon Galaad.
L'Elfe la contempla avec des yeux ronds :
- Un miroir !
- Ben oui, ça peut fort bien remplacer un réflecteur ; tu l'orientes bien par rapport aux soleils, et...
- Et depuis quand est-ce que tu parcours la galaxie avec un miroir dans tes bagages ?
- Eh bien... euh...
- Depuis que tu le connais, n'est-ce pas ? reprit le jeune homme en haussant un sourcil réprobateur. Bon, à situation désespérée, solution désespérée. Fais voir !
Galaad s'empara du miroir, le leva à demi vers le ciel jaunâtre de Géonosis. Un éclair aveuglant en jaillit aussitôt, obligeant Edriel à voiler de sa main ses yeux perçants.
- Ça marche ! s'écria son frère. Regarde, voici la réponse ! Ils sont bien au rendez-vous.
La jeune femme releva prudemment son regard, aperçut sur la falaise d'en face un éclair semblable. Bon, tant mieux ! Le gros du commando était arrivé à destination, et attendrait caché leur prochain signal. Mais, pourquoi..?
- Hé, Galaad, pourquoi est-ce qu'il nous font trois éclats interrompus ? C'est le signal d'interrogation, ça ? Pourquoi est-ce qu'ils doutent de nous ?
- Je le savais ! soupira son frère en abaissant le miroir. Ils ne reconnaissent pas la lumière du caractéristique du réflecteur, et ils croient à un piège ! Si nous ne les rassurons pas rapidement, on fait foirer toute la mission, et adieu Maître Kenobi et son Padawan !
Edriel pâlit et fléchit comme sous un coup. Elle crispa ses poings, tandis que ses lèvres commençaient à trembler :
- Ah non ! Non, pas question ! Il faut... Oh, c'est de ta faute, Galaad ! Pourquoi as-tu oublié ce stupide réflecteur ? Qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? Je suis trop nerveuse pour essayer une quelconque tentative de télépathie !
- Ce qu'on va faire ? reprit le jeune Jedi plus posément, en passant une main pensive dans ses cheveux. Eh bien on va se calmer et essayer d'élaborer un plan B dans les plus brefs dél...
Un bip-bip discret mais pressant se fit soudain entendre, faisant sursauter les deux Jedi. Galaad fut le premier à se détendre :
- Edriel, c'est ton comlink qui sonne, je crois. Le mien est hors de comb...
Une brusque rougeur colora soudain le teint de lys de l'Elfe, tandis qu'il se mordait violemment les lèvres au sang :
- Les idiots ! s'exclama-t-il, atterré. Je veux bien croire qu'ils s'inquiètent de nous mais on a for-mel-le-ment interdit les communications-comlinks ! On risque de se faire détecter ! Edi, éteins ça, vite !
Mais dans un réflexe habitué, la jeune femme avait activé d'une pression du doigt le petit appareil, tandis qu'elle le portait à son oreille pointue, sous sa lourde masse de cheveux blonds :
- Edriel Menel-Randir, j'écoute ?
Galaad, malgré son ouïe hyper-développée, ne put discerner qu'un crachotis électronique auquel sa sœur répondit, un peu gênée :
- Cinq sur cinq, Maître Windu. Oui, en fait, nous avons égaré notre réflecteur, et c'est avec un miroir que nous avons fait signe. Mais tout va bien, par ici. Oui, oui, il n'y a pas de problème, nous continuons... Il... Comment ?
Galaad tendit l'oreille, tandis qu'Edriel faisait une petite moue vexée que son frère lui connaissait bien :
- Non, Maître Windu, nous n'avons pas oublié nos sabres-lasers, merci de vous en inquiéter... Merci, que la Force soit également avec vous.
La belle Elfe blonde raccrocha violemment -au nez de Mace Windu, son frère l'aurait juré.
- Humpf !
- Ne te fâche pas, Edi, il a voulu plaisanter...
- Je n'ai jamais apprécié son humour !
- Tout ça parce qu'il t'a battu à votre dernier duel au sabre...
Edriel lança à son frère moqueur un regard furibond :
- Il y a eu un imprévu... Et toi, mon p'tit frangin, tu ferais mieux de te mêler de ce qui te regarde ! Je te signale que c'est toi qui oublie le réflecteur, et que c'est moi qui me prends les vannes minables de Windu dans les dents, alors, la paix, vu !
Galaad rejeta son angélique visage d'Elfe en arrière et éclata d'un rire cristallin, amusé comme toujours par le courroux de sa sœur. Il s'arrêta en voyant Edriel froncer un fin sourcil sur son regard devenu méfiant. La jeune femme se mit à tourner lentement sa tête de droite à gauche, les narines dilatées, aux aguets comme un félin.
- Edi ? interrogea Galaad, inquiet. Qu'y a–t-il ?
- Chut ! intima-t-elle, un doigt sur ses lèvres. Nous ne sommes pas seuls...
Silencieusement, elle lui fit signe de se rapprocher. Le jeune homme obtempéra, colla son dos au sien. Il la sentit tendue comme un arc, frémissante. Dans le silence des rocailles de Géonosis, il n'entendait que leurs deux souffles vibrer doucement, mêlés l'un à l'autre. La main du Jedi s'égara inconsciemment sur sa ceinture, où pendait la poignée de son arme...
L'attaque fut aussi rapide qu'efficace. Sur le bord du sentier, ce que les deux Maîtres avaient pris pour de gros rochers prirent soudain vie et bondirent sur eux avec de furieux sifflements, brusquement métamorphosés en deux grands lézards rouges de deux mètres de long. Les deux créatures, la mâchoire ouverte sur des crocs bavants et une langue fourchue, se précipitèrent sur les Elfes. Pas assez vite. En un clin d'œil, deux rayons lumineux avaient surgis de sous les longs manteaux noirs des Menel-Randir, un bleu et un couleur d'or. Dans un geste aussi beau que gracieux, les Jedi se fendirent, et abattirent dans un élégant tournoiement leurs sabres-lasers, touchant directement aux points vitaux de leurs assaillants. Le premier lézard s'affala lourdement au sol, le poitrail déchiré par la lame de Galaad, le second s'écroula à son côté, la gorge transpercée de part en part par Edriel. Le frère et le sœur se lancèrent un regard entendu : il en fallait plus que cela pour émouvoir deux des Maîtres Jedi les plus estimés de l'Ordre... Dans un chuintement, Edriel et Galaad éteignirent leurs sabres-lasers et les rangèrent à leur ceinture :
- Fascinantes créatures ! marmonna le jeune Elfe en effleurant d'une main critique la peau couleur de pierre d'un des reptiles.
- Allez, viens ! lança sa sœur d'un air agacé. Ne traînons pas !
Galaad se redressa lentement, fit face à la jeune femme :
- Avant cela, Edriel, tu vas me promettre une bonne fois pour toute de te calmer, quitte à penser un peu moins à lui et plus à ta peau !
- Mais, Galaad, tu ne te rends donc pas compte que chaque minute compte ! A cet instant, ils sont peut-être blessés, inconscients, à deux doigts de la mort..! Car qui sait ce qu'ils leur ont fait subir ! Oh, je les tuerai si jamais...
- Il suffit, ma sœur ! la coupa sèchement l'Elfe en posant une main ferme, sur ses épaules. Te rends-tu seulement compte de ce que tu dis ? Si nous sommes dans les rangs ces Jedi, c'est pour préserver la paix et la justice dans la galaxie, mais aussi pour faire honneur à notre lignée, la noble famille des Menel-Randir ! Notre race n'a jamais été une race guerrière, aux belliqueux instincts ; elle a toujours refusé le combat avant la dernière extrémité ; et toi tu veux nous désavouer par un acte de vengeance ? Reprends-toi, Edriel, où je serais forcé de dénoncer au Conseil un amour qui devient si dangereux...
Entourée des bras protecteurs de l'Elfe, Edriel ne put réprimer un petit frisson :
- Oh ! Tu ne ferais pas ça, mon frère...
Galaad se sentit fléchir malgré lui, comme à chaque voix que la voix d'Edriel prenait cet accent suppliant qui le faisait fondre :
- Non, bien sûr que non, je ne le ferais pas, sourit-il en déposant un léger baiser sur ses cheveux blonds. Allez, comme tu l'as dit, ne traînons pas !
Les deux Jedi reprirent leur marche. Quelques instants plus tard, ils arrivaient à mi-chemin du bas de la falaise, devant l'ouverture voûtée d'une grotte au linteau sculpté. L'endroit était désert, à part un étrange bruit saccadé qui montait des profondeurs de la caverne. Edriel et Galaad s'arrêtèrent, examinèrent les environs d'un regard suspect, avant de se concerter silencieusement comme les Elfes seuls savent le faire.
- Moui, tu penses comme moi, dit Galaad avec une petite moue. Ça ne me dit rien qui vaille, mais je ne ressens aucun danger. Il va nous falloir foncer, c'est notre boulot. Les autres sont à leur place ?
La jeune fille tourna la tête, scruta le paysage rocheux de ses yeux perçants. Elle s'arrêta sur un point fixe, approuva de la tête.
- Oui, mon frère, ils sont là. Ils n'attendent que... Oh !
- Qui y a-t-il ? s'inquiéta Galaad en portant la main à son sabre-laser.
Edriel s'était accroupie sur le sol, examinant une légère empreinte imprimée dans la fine poussière jaunâtre qui recouvrait la roche. Elle releva brusquement la tête, vrilla ses yeux noirs dans ceux de son compagnon :
- Tu sais ce que c'est, ça, frangin ?
- Non.
- C'est une trace fort nette laissée par une botte Jedi. Quelqu'un est déjà passé par là.
- Tu veux dire...
Edriel ne prit même pas la peine de lui répondre. Elle se releva d'un mouvement de rein souple et félin, s'approcha de la paroi de la grotte. Galaad examina à son tour l'empreinte :
- Mais c'est... Je jurerai que c'est ...
- Obi-Wan est passé ici ! confirma la jeune fille du ton sans réplique du traqueur averti. Il y a deux jours.
Elle caressa du bout des doigts la muraille rougeâtre qu'elle examinait :
- Il a passé sa main à cet endroit : la pierre en garde le souvenir.
- Pas de traces d'Anakin ?
- Non. Il doit y avoir plusieurs entrées, et Anakin en aura emprunté une autre.
- Bon, allons-y, mais restons prudents. Je déteste cette planète...
- Et moi donc, mon frère !
Les deux Elfes échangèrent un petit clin d'œil et s'engagèrent dans la grotte. Leurs yeux perçants s'adaptèrent aussitôt à la pénombre ; leurs pupilles se dilatèrent et leur ouïe s'accrut. Ils marchèrent un moment dans un long couloir, puis en rejoignirent un plus large, pavé et au plafond sculpté de volutes étranges. L'air était lourd, chaud et moite.
- C'est... oppressant, par ici.
- Je ne te le fais pas dire...
- Oh, écoute !
Lointain, un cliquètement entremêlé de coups plus sourds retentissait à intervalles réguliers, comme le bruit d'une gigantesque machine.
- Je sais ce que c'est ! chuchota Galaad d'un ton docte. C'est une fonderie de droïdes. Les géonosiens en ont fait leur revenu principal.
- Décidément, quel charmant endroit !
- Regarde ! Le couloir finit !
En effet, le long corridor débouchait sur un grand balcon circulaire, surmonté d'un grand dôme de roche ouvert en son sommet. Les Jedi jetèrent un rapide coup d'œil avant de s'approcher de la balustrade, méfiants. Un regard en contrebas leur donna presque le vertige : en dessous s'enfonçait un gouffre d'environ cinquante mètres de profondeur, entouré de balcons circulaires semblables à celui où ils se tenaient. En travers de la fosse de grandes coursives rocheuses reliaient les points opposés des balustrades, enchevêtrées les unes aux autres comme une gigantesque toile d'araignée.
- Melida/Daaaaan ! sanglota Edriel pour la forme, songeant aux grandes forêts et aux lacs de sa planète natale.
- Ça va, ça va ! Tu vas me faire pleurer aussi !
- Je me demande comment on va s'y prendre pour retrouver Obi-Wan et Anakin dans tout ça...
- On va improviser...
- Ou du moins faire preuve de bon sens...
Galaad releva ses yeux verts sur sa sœur qui se penchait sur son épaule :
- Oui ? Tu as une idée, Edriel ?
- Deux humains prisonniers, deux Jedi de surcroît, cela doit faire du bruit. Il devrait nous suffire de surprendre une conversation pour savoir à quoi s'en tenir là-dessus...
Le jeune Elfe fit claquer ses doigts avec une petite moue affirmative :
- Génial !
- N'est-ce pas ? sourit Edriel en examinant ses longs ongles d'un air supérieur.
- Ça c'est du plan comme je les aime : inconscient, aléatoire...
- Frangin ! protesta la jeune fille en lui envoyant une solide bourrade dans le dos.
- Aïïïe ! Mais ça va pas, non ? Je vais être propre, après, pour m'enfuir !
- Qui te dis que tu en auras besoin ?
- Ma sensibilité elfique.
- Ah ! Mais qui te dis qu'elle ne se trompe pas ?
- Maître Yoda m'a dit de toujours me fier à mon intuition...
- C'est ce que me disait Qui-Gon, aussi...
- Trêve de bavardages ! Il y a quelqu'un qui passe sur la dixième coursive en bas en partant de notre balcon ! On y va ?
- Et comment !
Un violent frisson parcourut le corps entier d'Edriel, qui tomba à genoux... Un clin d'œil plus tard, c'était un grand félin noir de jais, aux crocs et griffes impressionnants, qui fixait Galaad de ses yeux jaunes en fouettant l'air de sa longue queue.
- Edi... soupira l'Elfe avec un petit sourire résigné.
Après tout, elle avait raison. Pourquoi ne pas utiliser leur pouvoir respectif ? Dans ce cas-là, ils allaient être très utiles. Tandis qu'Edriel bondissait avec grâce pardessus la balustrade, déployant son souple corps d'animal, Galaad ferma les yeux, porta deux doigts à son front... Il disparut dans un « Puff ! » léger, pour réapparaître quelques mètres plus bas sur la coursive la plus proche, précisément au même moment que le félin noir s'y réceptionnait. Ils échangèrent un regard... Puis Galaad se téléporta à nouveau tandis qu'Edriel se jetait dans le vide, pattes en avant. Arrivés sur la neuvième coursive, juste en dessus de celle où passait un petit groupe d'individus hétéroclites, les deux Jedi s'arrêtèrent tacitement. Edriel, toujours sous sa forme féline, se coucha à demi sur la coursive, tendit son cou puissant en contrebas, pour mieux scruter les inconnus ; Galaad s'accroupit près d'elle, passa un bras autour de son garrot et se pencha avec elle. Le jeune Elfe eut soudain un haut le cœur, tandis que le félin laissait sortir ses griffes dans un claquement menaçant, tandis qu'on grondement sourd s'étouffait dans sa gorge. Sa queue se mit battre violemment l'air.
- Chht, du calme, Edi ! implora Galaad en se rejetant en arrière, entraînant l'animal.
Le félin montra les crocs, désigna la coursive inférieure d'un signe de tête au jeune Elfe :
- Oui, je sais, je sais, moi aussi, je l'ai reconnu ! Mais ne-gronde-plus-comme-ça, on va se faire repérer !
Edriel renifla avec dédain, puis retourna se pencher prudemment sur le bord de leur perchoir, suivie de son frère. Leurs deux regards se fixèrent instantanément sur l'homme qui semblait être le leader du petit groupe, composé de cinq ou six extraterrestres. Grand, mince, cheveux et barbe argentés, port gracieux et pas léger, regard aigu, les deux Jedi avaient immédiatement reconnu une des légendes de l'Ordre, ce fameux Comte Dooku qui avait été le mentor du Maître d'Edriel, Qui-Gon Jinn. Il y a des années de cela, il avait quitté les rangs des Jedi, et ceux-ci avaient perdu sa trace à travers la galaxie. Voilà qu'il revenait à présent sous les traits du chef des Séparatistes, en rébellion contre la République.
En tous cas, les Menel-Randir se rendaient compte qu'ils avaient eu la main heureuse : qui mieux que Dooku pouvait savoir où étaient Obi-Wan et Anakin ? Ils tendirent l'oreille, essayant de capter plus précisément le cours de la conversation du Comte.
- ... ce sommet se tiendra donc ici, comme j'en ai suggéré l'idée. Il aura lieu... Eh bien disons, demain, après l'exécution des Jedi, qui a lieu cette après-midi, dans deux heures.
Un gloussement d'excitation parcourut les rangs des extraterrestres à cette annonce. Galaad et Edriel échangèrent un regard consterné, mais le jeune homme lut dans les yeux de sa sœur une lueur d'espoir : ils n'étaient pas morts, ils étaient en vie ! Peu de mal avait dû leur être fait...
- Nous y évoquerons le projet Etoile Noire, bien sûr, et nous envisagerons aussi l'admission des systèmes qui veulent se rallier à notre cause. Ce sera un conseil des plus fructueux, messieurs...
Le reste des paroles de Dooku se perdit alors que le petit groupe s'éloignait. Sur la coursive supérieure, Galaad se laissa tomber de tout son long sur la roche orangée, les bras en croix et les yeux au plafond :
- Eh ben ! Quelle trahison ! C'est bel et bien la guerre, cette fois ! Oh, mille milliards de... Edi !
Le jeune Elfe se dégagea, comme le grand félin lui débarbouillait la figure à grands coups de langue râpeuse. Galaad s'assit, rejeta en arrière les pans de sa toge sombre et s'essuya le visage du dos de la main :
- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?
Edriel lui adressa un regard de reproches avant de le pousser vigoureusement en appuyant ses grosses pattes sur son épaule :
- Héé ! Oui, je sais, le temps presse ! Je ne m'apprêtais pas à faire la sieste ! Et d'abord, si tu veux que je te suive, il va falloir que tu reprennes ta forme naturelle !
Instantanément, le félin se dressa sur ses pattes arrière, et redevint l'Elfe aux cheveux blonds que Galaad connaissait bien.
- Ça te va, comme ça ?
- C'est mieux ! Bon, qu'est-ce qu'on fait ? On repart prévenir les autres ? Leur dire que ça serait mieux d'intervenir au niveau de la grande arène d'exécution, dans deux heures ?
- Et risquer d'arriver trop tard ? Il n'en est pas question, Galaad ! On va d'abord essayer de repérer la cellule d'Obi-Wan et Ani, et voir s'il est possible de les sauver avant la dernière extrémité !
- Mais, ma sœur, c'est beaucoup trop...
- Dangereux ? A d'autres, cher frère ! Depuis quand le danger t'effraie ?
- Depuis que tu m'as parlé de bon sens !
- Va t'en si tu veux ! Moi, je vais chercher Obi-Wan et Anakin !
Galaad se prit le visage dans ses mains :
- Oh lala ! Mais qui m'a donné une sœur pareille ? Bon, ok, j'te suis ! Mais si il arrive le moindre pépin, je t'en voudrai toute ma vie ! Tu m'entends, Edi ? Toute ma vie !
- C'est ça ! Et moi, je suis Sith ! Tu sais bien que tu n'en es pas capable ! Bon, viens par là ! On va d'abord explorer notre niveau !
- Humpf ! Je t'aurais prévenue ! Tu es témoin que je ne suis pas d'accord !
- Allez, traîne pas !
Entraînant son frère réticent par la manche, Edriel s'élança en courant sur la coursive, de ces foulées souples et silencieuses caractéristiques e la course des Elfes. Ils atteignirent un balcon, sautèrent la balustrade, et s'engagèrent dans un couloir semblable à celui par lequel ils étaient venus : taillé dans la roche brute, le sol était pavé de larges dalles trapézoïdales et le plafond sculpté de motifs géométriques.
- Regarde ! souffla soudain Galaad en se plaquant contre la muraille, imité d'Edriel. Le couloir finit !
Le corridor donnait apparemment sur une salle intermédiaire, brillamment éclairée, d'où parvenaient des chuintements et des crissements ininterrompus. Les deux Jedi se penchèrent prudemment, aux aguets.
- Tu comprends le géonosien ? interrogea Galaad.
- Un peu, répondit Edriel avec un petit signe de main évasif. Ça irait mieux si tu me laissais écouter !
Le jeune Elfe hausa les épaules, et tandis que sa sœur tendait l'oreille, il se pencha davantage pour avoir de la salle une vision globale, tout en prenant soin de rester dissimulé dans l'obscurité du couloir.
C'était une pièce de dimensions moyennes, percée comme le couloir au cœur du rocher. Les murs étaient circulaires, et cinq portes s'y ouvraient, barrées sans exception par de gros loquets. Cinq Géonosiens, espèce insectoïde au parler chuintant, montaient la garde, armés de longues lances à pointes énergétiques. Ils bavardaient entre eux de façon animée, se montrant deux des portes avec excitation.
- Alors ? s'enquit Galaad en se retournant vers Edriel.
Dans la pénombre, les yeux perçants de l'Elfe remarquèrent qu'un grand sourire illuminait les traits de la Jedi.
- On a du bol ! jubila cette dernière en serrant les poings avec enthousiasme. Il se trouve que nous sommes exactement près la salle 3 du niveau de détention, où sont actuellement emprisonnés deux Chevaliers Jedi que les autorités retiennent captifs avant l'exécution !
- Génial ! s'exclama Galaad qui commençait lui aussi à reprendre espoir. Alors ils sont juste là ? Les cinq insectes n'arrêtaient pas de se montrer deux portes, en parlant : celles du fond ! On tente le coup ?
- Et comment, frangin ! Les portes ne sont même pas verrouillées!
- Alors... commença Galaad en se redressant, portant la main à sa ceinture. Que la Force soit avec nous !
Edriel sauta à son côté, un éclair féroce dans les yeux. Un instant plus tard, ils bondissaient dans la salle, sabre-lasers activés dans un bourdonnement furieux. Deux Géonosiens périrent sur le coup, décapités par les armes de lumière. Exécutant un flip impeccable, Galaad en faucha un autre en plein vol. Edriel, tout en repoussant le quatrième d'une onde de Force projetée par sa paume grande ouverte, tourna la tête vers les portes que désignait son frère :
- Obi-Wan ! Anakin ! C'est Edriel !
- Et Galaad ! renchérit l'Elfe. Pas trop de mal ?
Une voix étouffée leur parvint, puis une autre :
- Edi ! Non, c'est un piège !
- Fuyez, Maîtres Menel-Randir ! Vite !
- Qu'est-ce qu'ils..? s'étonna Edriel.
- Là ! s'écria Galaad, ses beaux yeux verts étincelants d'angoisse.
L'Elfe pointait le doigt vers le haut. Au cri du dernier Géonosien qu'ils venaient d'achever, une myriade d'insectoïdes semblables venait de surgir de l'ouverture circulaire du plafond. Dans un bourdonnement menaçant, ils fondirent sur les deux Jedi, qui redressèrent leurs armes dans une posture défensive.
- Galaad ! hurla Edriel, pour couvrir le bruit des dizaines d'élytres frémissantes. Va-t'en !
- Qu'est-ce que tu dis ! s'insurgea son frère, révolté. Jamais !
- Cours, je te dis ! Va avertir les autres ! Il le faut ! Sinon personne ne pourra nous sauver !
- Je ne te laisserai pas !
- Du balai, frangin ! rugit l'Elfe d'un ton sans répliques. Trop longtemps j'ai été ta petite sœur chérie ! Aujourd'hui, à toi de m'obéir, de me laisser pour mieux me sauver plus tard ! Ouste !
Galaad hésita une fraction de seconde avant de se décider, considérant la justesse du raisonnement de sa sœur. Il se réprimanda en se disant que ç'aurait peut-être été à lui de rester sur place... Ah, non ! C'était sa catastrophe, après tout !
- Je reviendrai ! cria-t-il comme une promesse avant de se téléporter hors d'atteinte, et de taper un sprint dans le couloir.
Pris de court par la disparition de l'une de leurs proies, les Géonosiens bourdonnèrent de fureur, et concentrèrent leur rage sur Edriel, restée seule. Celle-ci n'avait de cesse de faire tournoyer son sabre-laser dans un flou de lumière dorée, abattant assaillant sur assaillant. Mais ils étaient de toute manière trop nombreux. L'apparition d'un homme en armure bleue et acier, armé d'un blaster haute précision, acheva de confirmer ses craintes. Jango Fett se posa à quelques pas de la mêlée, et lança d'une voix forte :
- Rends-toi, Jedi, et tu seras épargnée !
- Jusqu'à quand ? interrogea calmement Edriel en désactivant son arme.
Aussitôt, cinq Géonosiens se précipitèrent pour lui maintenir bras et jambes, et lui confisquer son sabre-laser. Edriel devina sous le masque le rictus de triomphe du chasseur de primes. Elle le nargua d'une grimace vexante.
- Jusqu'à quand ? reprit Jango en s'approchant de la Jedi entravée. Ça ne dépend pas de moi. Le patron veut te voir : je suggère que tu lui poses la question ; il doit être au courant.
- Dooku ? s'enquit Edriel en se débattant, meurtrie par la poigne de ses gardiens. Tiens donc, quel heureux hasard ! J'avais justement quelques mots à lui dire... Surtout au sujet de son personnel, qu'il pourrait choisir moins minable et plus courtois !
A nouveau, elle sentit un sourire se dessiner sous le casque de Fett. Il s'approcha encor davantage, effleura sa joue du bout des doigts :
- Je suis courtois... murmura-t-il d'une voix doucereuse. Quand on m'en laisse le choix. Emmenez-la !
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Lorsque la lourde porte se referma derrière elle, Edriel n'eut de cesse de soutenir le regard des yeux noirs qui pesait sur elle. Toujours entravée par les chaînes énergétiques des Géonosiens, elle ne fit pas un pas, pas un geste, tandis que le Comte Dooku venait à sa rencontre, contournant la table ronde qui les séparait.
- Ah, Maître Menel-Randir ! Assurément, quelle bonne surprise ! Je vous avais bien dit que nos chemins étaient destinés à se croiser plus d'une fois dans la vaste galaxie !
- En tous cas, ce n'est pas dans les circonstances que j'imaginais ! répliqua Edriel, cinglante.
Un petit sourire étira les lèvres du Comte, tandis qu'il secouait la tête, comme incompris :
- Jeune Edriel, les choses ne sont pas aussi simples que vous les voyez !
- Ah, non ? Et pourquoi seraient-elles plus complexes ? Pour vous permettre de m'embobiner ?
Elle se laissa tomber négligemment sur un fauteuil qui se trouvait là. Dooku releva sur l'Elfe un regard amusé :
- Maître Jedi, mais toujours rebelle, à ce que je vois ! Qui-Gon vous a décidément bien formée, jeune fille ! La nouvelle de sa mort m'a... jeté dans un profond chagrin.
- Qu'est-ce qui vous permet de parler de Qui-Gon ! explosa Edriel, hors d'elle. De quel droit usurpez-vous sa mémoire par vos paroles perfides !
- Vous oubliez qu'il était mon Padawan, et que je le considérais comme mon fils, tout comme vous étiez la fille qui faisait sa fierté. « Princesse... » C'est bien ainsi qu'il vous nommait, n'est-ce pas ?
La voix du Comte était douce, chaleureuse. Edriel sentit ses yeux la piquer furieusement. Non, elle ne devait pas pleurer. Elle devait être plus forte que ça.
- Je vois que comme pour moi, les larmes vous viennent à son souvenir. Ah, Qui-Gon ! Qu'aurait-il dit en sachant comment la République a tourné !
Edriel releva la tête :
- Que voulez-vous dire ? Si elle va de plus en plus mal, c'est à cause des attaques perpétrées par les Séparatistes, dont vous êtes le leader, Dooku. Vous en êtes l'entier responsable !
- Mais non, Edriel, écoute-moi ! reprit le Comte d'un air désespéré, la tutoyant soudain. Si je ne crois plus à la République, si ceux qui m'ont rejoint n'y croient plus, c'est parce que le Sénat est maintenant manipulé par un Seigneur Sith, Dark Sidious !
- QUOI !
Edriel Menel-Randir accusa le coup en pâlissant de façon impressionnante. Cette République en laquelle elle avait cru, comme les autres, qu'elle avait protégé, au péril de sa vie, pour laquelle nombre de ses amis étaient morts...
- Manipulé par un Seigneur Sith ? Le Maître de celui qui a tué Qui-Gon ?
- C'est malheureusement l'alarmante chose que j'ai découverte, répondit lentement Dooku en écartant les bras. Navré d'en ficher un coup à vos illusions, Maître Menel-Randir.
Il y eut un silence, puis :
- Je ne vous crois pas ! répliqua violemment Edriel en crispant les poings. Vous me racontez n'importe quoi pour justifier vos actes à mes yeux, et vous croyez que je vais tout avaler ! Je ne suis plus une gamine, Comte ! J'ai passé l'âge de croire à vos contes !
- A ton aise ! soupira Dooku. J'aurais essayé de te raisonner, parce que je t'estime, parce que Qui-Gon t'aimait plus que personne... Il est dommage que la République t'ait à ce point crevé les yeux.
- Les Jedi l'auraient senti !
- Ils sont aveuglés ! Depuis des années, ils ont perdu les pouvoirs qui faisaient jadis leur renommée ! C'est ce que j'ai dit à Obi-Wan, qui lui non plus ne voulait pas me croire !
Le cœur d'Edriel fit un bond. Elle se releva brusquement, tandis que ses joues s'empourpraient :
- Obi-Wan ! Où est-il ? Il va bien ? Je veux le voir, Comte, vous m'entendez ?
Un sauvage éclair de triomphe passa dans les yeux noirs de Dooku. Il coula un regard appréciateur sur les belles mains qui s'étaient mises à trembler, sur la veine qui palpitait follement au cou de la Jedi. Il entendit distinctement que sa respiration s'était brutalement accélérée. Il avait touché la corde sensible, et maintenant, il la tenait ! Ce n'était plus un adversaire, mais une proie... Le Comte s'appliqua à afficher une mine désolée :
- Il va bien, oui. Mais le Tribunal de Géonosis l'a condamné à mort, pour refus de coopération. Son exécution aura lieu dans deux heures, mais cela, je crois que vous l'avez entendu, non ?
Edriel grimaça : alors, c'est là, lorsqu'ils l'observaient de la coursive, qu'il les avait repérés ! D'où le piège, car il savait exactement où elle allait se rendre...
- Et Anakin ?
- Idem pour ce jeune homme.
- Je veux les voir ! Comte, ce sont mes amis ! Si vous m'estimez, comme vous le dites, si vous voulez m'accorder une faveur, je veux les voir !
- Nous verrons cela tout à l'heure ! éluda-t-il avec un petit signe de main. Auparavant, j'ai quelques questions à vous poser, Maître Menel-Randir.
- Moi aussi ! Je n'ai pas fini ! Si vous me considérez comme une amie, pourquoi suis-je entravée de la sorte ?
- Je savais bien que tu ne m'écouterais pas, sinon.
- Et maintenant que je vous ai écouté ?
- D'abord, je n'ai pas fini, ensuite, eh bien... Un pressentiment très puissant me souffle que si je vous ôte maintenant ces chaînes, vous me sauteriez à la gorge sans autre forme procès, je me trompe ?
L'Elfe ne put retenir un petit sourire, reflet de celui de Dooku. Après tout, ils se ressemblaient, tous les deux. Et dès leur première rencontre, ils l'avaient ressenti. Elle se devait de jouer cartes sur table, car elle savait qu'il la devinait mieux que beaucoup.
- Je vous écoute.
- Bien. D'abord, je dois te féliciter de ton attitude chevaleresque. C'est très beau d'être resté sur place pour défendre la fuite de ton compagnon. Qui était-il ?
- Mon frère.
- Ah, le fameux Galaad Menel-Randir, dont Yoda dit tant de bien... Dommage, j'aurais aimé à le rencontrer ; nous avons tous deux été les élèves du même Maître, et aurions eu beaucoup de choses à nous dire.
Edriel grimaça d'un air carnassier :
- Non, je ne pense pas. Galaad est si pur qu'il est inutile d'essayer de le corrompre. Et s'il par bien des aspects plus patient que moi, je suis sûr qu'à ma place, il vous aurait déjà craché au visage au lieu de vous écouter comme je le fais.
- Eh bien, dans ce cas, je me félicite de bénéficier de ta charmante compagnie plutôt que de la sienne ! Mais dis-moi...
Edriel s'était à nouveau laissée tomber sur le siège, dans une posture insolente et ennuyée. Dooku s'appuya sur le dossier, se pencha vers elle, vrillant ses yeux sombres dans les siens. Sa voix se fit plus vibrante, plus forte :
- Où a-t-il fui ? Etes-vous venus seuls ?
Edriel ferma son esprit en un clin d'œil, affichant un regard narquois face à celui inquisiteur de Comte :
- Inutile d'essayer de lire mes pensées. J'ignore ce que vous espériez réussir, mais sachez que si cela ne marche pas sur les esprits forts, ça ne risque pas d'opérer sur des Elfes, et encore moins sur des Menel-Randir !
Dooku se recula lentement, esquissa un sourire tandis qu'il reconnaissait sa défaite.
- D'accord.
Le Comte ressentit à son tour le besoin de jouer franc-jeu, méthode plus appropriée face à celle qui se tenait devant lui :
- Je vous demanderai donc simplement : êtes-vous venus seuls ?
- Je préfère cette manière d'aborder les choses...
Edriel rejeta sa jolie tête en arrière, secoua sa longue crinière de cheveux d'or. Elle appela la bête en elle, pour mieux se préparer à mentir de façon convaincante, chose ardue pour une Elfe :
- Eh bien... Oui, nous sommes venus seuls. J'ai supplié le Conseil de me laisser faire. Je voulais sauver Obi-Wan. Et Anakin. Mon frère seul a accepté de m'accompagner. A l'heure qu'il est, il doit être dans son chasseur, en route pour Coruscant. Il va chercher de l'aide.
Dooku la scruta intensément de ses yeux de braise, puis détourna le regard, visiblement soulagé. Edriel soupira doucement : il avait marché !
- Comme c'est beau, une amitié si forte ! reprit-il avec force. Qui-Gon me disait bien que vous étiez comme frère et sœur, Maître Kenobi et toi, mais je n'aurai jamais cru... Qu'importe, j'admire, Edriel, tu peux m'en croire, la noblesse de sentiments qui t'anime et qui t'a conduite ici. La conduite de ton véritable frère, qui t'a accompagnée ici au péril de sa vie, est aussi tout à fait honorable...
- Et pour cela, vous allez, j'imagine, me décerner la médaille du mérite géonosien et me rendre la liberté ? interrogea Edriel d'un ton mordant d'ironie.
Dooku, les mains dans le dos, était perdu en contemplation devant la muraille orangée.
- Non.
L'Elfe secoua la tête et renifla avec mépris. Comprenant que le Comte réfléchissait à toute vitesse, elle se prépara elle aussi pour l'assaut final. Elle repensa à Qui-Gon Jinn, à ce qu'il aurait dit. A sa manière de la serrer dans ses bras et de lui dire qu'elle était la plus belle des princesses qu'un mentor puisse rêver... Et Obi-Wan et Anakin qui devaient se faire un sang d'encre, là-bas, dans leurs cellules. Ils avaient du entendre le bruit de la bataille, l'issue peu glorieuse qui en avait découlé. Il fallait qu'elle revoie Obi-Wan. Avant de mourir. Car à présent, elle en était sûre, elle était condamnée. S'il ne pouvait la retourner, Dooku l'éliminerait, même si cela lui coûtait ; et comme elle n'avait aucune intention de rejoindre les Séparatistes...
- Qui-Gon disait tellement de bien de toi, dit soudain Dooku comme s'il avait lu dans ses pensées. Viens avec moi, Edriel, avec nous ! Tu ne peux pas admettre la déchéance et l'immanquable chute de la République et de l'Ordre Jedi ! Tu es fière, le sang de la noblesse elfique coule dans tes veines ! Tu ne peux te trouver du côté des perdants, et tu le sais. Ce serait détruire tout ce pourquoi tu as vécu, tu t'es battue ! Crois-tu que je sois tombé en un point si bas que je puisse comploter contre la République sans raison valable ? J'ai été un Jedi, moi aussi, j'ai cru en cette République que j'ai servie pendant quarante années de ma vie ! Crois-moi, les Sith sont en train de refaire surface ! Il nous faut nous allier pour les détruire ! Rejoignez-moi, Maître Menel-Randir, il y va de l'avenir !
Le flot de paroles submergea un instant Edriel, qui s'attendait à bien moins que ça, voir à sa condamnation immédiate. Non, il insistait ! Et il paraissait vraiment passionné... Sincère, même. Se retrouver du côté des perdants... Jamais l'Elfe n'y avait songé. Pour elle, les Jedi étaient et seraient toujours invincibles. Mais si ils n'avaient même pas réussi à ressentir l'ascension de ce Sith au pouvoir... Ce n'était même pas certain ! se révolta-t-elle intérieurement. C'était Dooku qui le disait ! Pourtant, cette confiance indéfectible que Qui-Gon, son maître avait pour lui. Elle avait toujours suivi l'exemple de son mentor.
- Il y va de la vie d'Obi-Wan...
Edriel se redressa, piquée au vif. Le Comte avait dit un mot de trop. Quel genre d'homme pourrait faire une telle sorte de chantage ? En tous cas, pas le Comte plein d'honneur et de principes qu'elle avait voulu ne pas oublier. Elle desserra les dents pour siffler :
- Je ne mange pas de ce pain-là, Comte. Si Obi-Wan doit mourir, et Anakin et moi avec lui, qu'il en soit ainsi. C'est en restant fidèle à l'Ordre que nous mourrons.
L'éclair de déception qui fusa dans les yeux de Dooku n'échappa pas à l'Elfe. Il s'en rendit compte aussitôt et se détourna, les mains dans le dos, en fronçant les sourcils.
- C'est tellement... dommage, Maître Menel-Randir. Un vrai gâchis. Le vôtre.
- J'en assume pleinement la responsabilité.
- La responsabilité... Avez-vous jamais su vraiment ce que c'était ?
Edriel resta silencieuse.
- Irresponsable, mais sûrement honorable, reprit Dooku d'une voix plus légère en se retournant à demi vers elle. Qui-Gon t'avait bien formée...
Une ombre de sourire, un peu nostalgique, flotta un instant sur ses lèvres fines, qu'Edriel lui rendit en rayonnant de fierté. Il se détourna, et se dirigea vers la porte d'un pas las de vieux promeneur, retardant le moment fatidique de sa sortie, attendant un appel, un mot...
- Comte !
- Oui ? fit-il sans se retourner.
- Je vais être condamnée à mort, n'est-ce pas ?
- Hélas, jeune fille, j'en ai bien peur.
- Alors j'ai une faveur à vous demander. Considérez cela comme mon dernier souhait.
Dooku se tourna vers elle, piqué de curiosité :
- Et ce serait ?
Edriel ficha ses iris sombres dans celles du Comte. Elle avait hésité, avant de le rappeler. Maintenait, elle était sûre de son choix. C'est d'une voix ferme qu'elle dit doucement :
- Conduisez-moi dans la cellule d'Obi-Wan. Laissez-moi passer avec lui notre ultime nuit. Ce sera à la fois la première et la dernière, mais je ne veux pas mourir sans la vivre. Je vous en prie, Comte...
Dooku resta un moment silencieux, saisi. Ainsi, c'était bien plus qu'un amour fraternel qui les liait ! Comme leur existence commune avait dû être cruelle, sous le joug de chasteté qu'imposait l'Ordre ! Il imagina sans peine la torture du quotidien, les regards à la dérobée, le sang qui bout et le désir qu'on ne peut éteindre, mais qu'il faut toujours réprimer. Elle ! Il ne l'aurait pas cru. Il fallait que cet Obi-Wan soit bien exceptionnel pour s'attirer l'amour d'une Elfe... Il la regarda mieux. Elle semblait sincèrement éprise, et dans ses yeux brillait une flamme véritable, pire, un feu dévorant. Après tout, elle était bien l'héritière de Qui-Gon, le passionné, de son propre Padawan... Une bouffée de tendresse monta de son cœur, qui lui fit peur un instant...
- Et si j'acceptais, me promettriez-vous de ne tenter aucune évasion, aucune tentative aventureuse sans lendemain ?
Edriel respira profondément :
- Je vous le promets.
- Alors, je vais faire mon possible. Bien entendu, votre cellule sera étroitement gardée ; Jango et l'élite géonosienne en répondrons... Mais je vous assure aussi que rien ne viendra vous troubler...
Le visage de Dooku était de marbre. Edriel eut un sourire rayonnant et s'inclina :
- Merci, Comte. J'aurais aimé que nous fussions amis...
- Un véritable gâchis, acquiesça Dooku en se détournant.
Cette fois, il se dirigea d'un pas ferme vers la porte, l'ouvrit et sortit comme une ombre.
§§§§§§§§§§
La cellule était vaste, creusée tout d'un bloc dans la pierre vive. Des arêtes de roche rougeâtre saillaient encore des murs, et seul le sol était lisse, dallé de motifs géométriques. Un orifice circulaire, au milieu du plafond, diffusait une lumière bleuâtre qui n'était pas celle du jour... Un martèlement sourd, qui venait des profondeurs serrait les tempes bourdonnantes du prisonnier, jusqu'à le faire gémir de douleur. Il régnait dans la pièce une chaleur moite, et pourtant les mains d'Obi-Wan Kenobi étaient glacées sans qu'il sache pourquoi. Ramassé contre une anfractuosité de la muraille, le Jedi était perdu dans de sombres pensées. Cette mission avait lamentablement échoué. De la façon la plus bête qui soit, de plus. Les autres n'arriveraient jamais à temps. Il allait mourir demain, et il le savait. Mais ce qu'il lui était plus insupportable encore, c'était de devoir mourir sans l'avoir revue. Qui sait ce qu'il était advenu d'elle ? Si ces maudits Géonosiens ne l'avaient pas tuée ? Tout cela à cause de lui. C'était pour lui, il le savait, qu'elle s'était jetée tête baissée dans ce piège. Et à cause de lui... Sa faute, c'était sa faute...
Des souvenirs se heurtaient pêle-mêle dans sa mémoire. Des souvenirs de jours plus heureux. La première fois qu'il l'avait rencontrée... Son regard... Leurs folles équipées à travers la galaxie avec Qui-Gon... C'avait été les plus belles années de sa vie. Quoi que... Après la mort du Maître, ils avaient été longtemps séparés. Rien, avait-il pensé sur le moment, ne pouvait égaler l'intensité du moment de leurs retrouvailles... Et puis leur premier baiser... C'était en salle d'entraînement. Pour la première fois, il l'avait jetée à bas. Et elle avait reconnu que maintenant il était un homme, qu'il avait gagné cette récompense qu'elle lui avait toujours refusée... Il avait hésité, il avait peur, il ne savait pas... Oh, ses lèvres sur les siennes ! L'ivresse, le tourbillon... Et puis après, le désir. Lancinant, implacable. La brûlure d'un simple contact. Le tremblement de leurs deux mains l'une dans l'autre, et la peur... L'angoisse d'être découverts. Une soirée au restaurant, sur Coruscant... Sa taille fine, la chaleur de son corps sous la tunique de lin... Sans jamais pouvoir aller plus loin que les baisers. Cette nuit où il était venu dans sa cellule la secourir d'un cauchemar... Ne jamais céder, non, non, cela les détruirait, anéantirait tout ce qu'il servait et respectait...
Maintenant, rien n'avait plus d'importance. L'Ordre, le Code, tout ça... Il allait mourir sans l'avoir aimé vraiment, alors qu'il vibrait tout entier de cette frustration trop longtemps réprimée ! Il avait vécu dans une attente qui se révélait vaine, si vaine...
Des pas dans le couloir ! Le Jedi releva brusquement la tête, soudain éveillé de sa silencieuse prostration. Il se leva d'un bond. Il n'y avait plus rien à perdre ! Si seulement il pouvait... Les clefs tournant dans la serrure. La porte qui s'ouvre...
La lumière du couloir l'aveugla, et il porta vivement le bras à ses yeux meurtris. Il eut le temps de distinguer trois silhouettes, une géonosienne, et deux autres humaines... L'une d'elle avait une longue chevelure claire... Non. Ce ne pouvait pas être...
- Obi-Wan !
Le cri retentit en même temps qu'il ouvrait les bras, incrédule. Il y reçut un corps délicieusement chaud et tremblant, tandis que la porte se refermait en claquant. Non, non, ce n'était pas possible ! Il n'osait y croire, il n'osait penser que celle qui nichait son visage dans son cou, celle qui l'enlaçait, dont il avait entouré la taille de ses bras... Abasourdi, il baissa la tête, posa ses lèvres sur les cheveux blonds. Oui, cette odeur de sable chaud ! Il put enfin parler, en serrant plus fort le corps abandonné :
- Edriel ! Pour l'amour du Ciel ! Tu risques ta vie ! Tu es folle ! C'est de la folie, de la folie pure ! Venir jusqu'ici, sans...
Le baiser lui coupa la parole et le souffle. Quand leurs lèvres se séparèrent, il se laissa brutalement tomber à genoux, vidé de toute substance, sur le sol dallé. Et il leva la tête, pour contempler avec adoration le visage de celle qu'il aimait.
- Obi-Wan, lève-toi, debout, s'il te plaît...
Elle voyait briller dans la pénombre la lueur ardente de ses deux yeux bleu-vert, si doux, si purs... Elle sentit ses mains tendres et hésitantes, si froides, effleurer ses hanches, glisser le long de ses cuisses dans une caresse d'une ineffable douceur.
